Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

LOÏC PEN, URGENTISTE À CREIL : «SANS LES GESTES BARRIÈRE, CE SERAIT UN VRAI MASSACRE…»

Quelques mots simples, mais ma colère ne cesse de gonfler contre ceux qui ont pris parti pour le gourou du vieux port qui s’est trompé sur tout et qui s’est converti à l’eugénisme et qui a affaibli les revendications des soignants par ses ridicules et égotistes proclamations. Lui et les idiots criminels qui par pur complotisme ont relayé ses propos (note de Danielle Bleitrach).

Loïc Pen est médecin-urgentiste à l’hôpital de Creil, et syndiqué à la CGT et également investi en politique. Il évoque la situation au GHPSO (Groupement hospitalier public Sud Oise) alors que la seconde vague se ressent particulièrement dans le bassin creillois.
Loïc Pen, comment l’hôpital de Creil s’est-il a adapté au nouvel afflux de patients Covid+ ?
L’hôpital a dû transformer des lits de soin continu en soins de réanimation, on a aussi fermé le SSPI avec ses 12 lits en service pour les transformer en unité Covid de 15 à 20 lits suivant la disponibilité du personnel. Pour le chiffre d’occupation de la réanimation, je n’ai pas les chiffres précis, mais je dirais qu’on doit être aux alentours de 40 à 45 % comme un peu partout. La situation qu’on connaît c’est toujours la même : pas assez de lits, des patients dans les couloirs…
Comment vont les soignants ?
Fatigués. Le problème c’est qu’en mars tout le monde s’est mobilisé. Puis à la sortie du confinement, on s’est dit qu’on allait avoir du répit, mais on a subi une deuxième mini vague : l’activité à commencé à réaugmenter aux urgences avec d’autres patients qui se dégradaient et qui nous revenaient. Cet été, les soignants ont fait ce qu’ils ont pu pour partir en vacances. C’était compliqué, car il n’y avait pas ou peu de marge de manoeuvre. Et puis en septembre on a réattaqué avec le Covid.

«De la colère, de la fatigue et de la résignation»

Le personnel redoute cette deuxième vague ?
Ce qu’on voit, c’est qu’après deux ans de bataille pour obtenir des moyens, le personnel est éreinté, notamment par le Covid, par la deuxième mini vague, et il doit maintenant faire face à cette deuxième vague. C’est de la fatigue, de la colère et de la résignation. Je pense que les soignants seront moins mobilisés qu’au printemps. Parce qu’on a des limites. En mars on dénonçait déjà la politique hospitalière avant le Covid et d’un seul coup on s’est rendu compte que ce qu’on disait était vrai. Mais tout le monde s’est mobilisé en se disant que ça allait changer, et rien n’a changé, c’est très dur.
Et le Ségur de la Santé ?
Le Ségur a permis de gagner une augmentation de salaire pour une partie du personnel. Elle est évidemment bienvenue, mais sachant que nous étions en termes de salaires 26e sur les pays de l’OCDE et que pour rattraper la moyenne il fallait 300 euros et que nous n’avons eu que 180 euros : on est loin du compte. Mais surtout, au niveau de la politique générale de santé, sur la question de la réduction des lits, rien n’a changé. La logique ambulatoire est toujours la même. Quand Macron a dit que le problème ce n’était pas les moyens, mais l’organisation, c’était une provocation fabuleuse…
Il n’y a pas eu de recrutements ?
La logique c’est partout la même. Comme je l’ai entendu récemment pour Paris : ils ont recruté quelques centaines d’infirmières, mais ils ont perdu le même nombre. Il y a une telle colère et résignation que beaucoup quittent le public pour aller dans le privé ou prendre des postes moins violents voire changer de boulot. Parce qu’il n’y a aucun signe que ça ira mieux. C’est comme ça à Paris, c’est pareil à Creil.

«On risque d’être démobilisés, mais je n’imagine personne poser la blouse»

L’hôpital va faire face ?
Malgré l’état d’esprit que je viens de vous décrire, je n’imagine pas un seul instant les soignants poser leur blouse et se tirer. On risque d’être démobilisés, mais on fera de notre mieux. La vraie question c’est est-ce que les autorités feront de même : ouvrir des places de réanimation c’est bien mignon, mais si on n’a pas le personnel…
Vous ressentez déjà la seconde vague ?
La seconde vague est déjà là, oui. On n’a pas la croissance exponentielle de mars, ça n’a pas explosé comme au printemps où il avait fallu arrêter toutes les activités annexes. C’est plus linéaire, mais ça continue d’avancer : on voit une augmentation permanente du nombre de cas du Covid. Et quand je dis ça, c’est bien d’une augmentation du nombre de malades dont je parle, pas uniquement du nombre de contaminations.

«Les sceptiques ont tort»

Que ressentez-vous quand vous entendez les discours des sceptiques ?
Les sceptiques, c’est très simple : ils ont tort. Le Covid pour plein de gens c’est pas grand-chose. Parce qu’ils pensent que c’est une «gripette» parce qu’il y a beaucoup d’asymptomatiques, et parce que la létalité est faible : entre 0,3 et 0,5. Mais il faut regarder combien il y a de contaminés. La première vague c’était 34.000 morts. La situation est aujourd’hui sensiblement la même. Il y a déjà des gens qui meurent du Covid. Et si la croissance est de nouveau forte, ce sont encore les publics les plus fragiles qui vont être touchés. Je comprends que des gens ne croient pas à cette histoire-là, car il y a eu tellement d’histoires contradictoires comme «les masques ne servent à rien» ou les «on est prêts». Les gens savent qu’ils ont été baratinés. Mais les chiffres du nombre de décès sont déjà là, ils montent : il faut à tout prix conserver les gestes barrière, garder le masque en milieu clos, être prudent avec ses proches, c’est une évidence.
Ce qui laisse croire encore aujourd’hui que «ce n’est pas si grave», vous en parliez, c’est la faible létalité…
Oui, bien que c’est toujours plus fort qu’une grippe. Le problème c’est la diffusion du virus, on le voit bien. Et mutiliplié par le nombre de cas… Sans les gestes barrière, ce serait un vrai massacre…

«On prend mieux en charge les patients graves qu’en mars»

Certains de vos confrères sèment le trouble. Certains ont affirmé qu’il n’y aurait pas de seconde vague. Ou encore votre consœur la députée Martine Wonner qui vient d’affirmer qu’il fallait laisser les gens se contaminer…
Et pour une fois j’ai été d’accord avec Olivier Véran. Je ne suis pas d’accord avec le ministre sur les moyens de répondre à la crise, mais au sujet du diagnostic, je suis en phase. Ces confrères, et tout ce qu’ils peuvent dire : ce sera leur totale responsabilité. Lorsqu’en juin on m’a interrogé sur une possible seconde vague, j’ai répondu : «rien ne laisse présager qu’il est impossible de voir une seconde vague». On était très nombreux à penser que le risque était très fort. Pour autant je n’ai pas été affirmatif : il ne faut dire les choses que lorsqu’on les sait. Des gens, beaucoup de gens, se sont avancés. Je suis un peu sidéré de voir ça. C’est pas grave de se tromper, mais il faut le dire. Maintenant quand on me demande si l’immunité collective va être longue, je ne sais pas répondre. Il faut rester humble, nous n’avons pas le choix, car nous n’avons pas le recul.
Est-ce que l’on sait toutefois plus de choses qu’en mars ?
Oui, on apprend. Ce qui change par exemple c’est qu’on sait mieux prendre en charge les patients en réanimation. On sait mieux utiliser la cortisone et on tire davantage d’affaire ces patients graves. Il y a une mobilisation remarquable en matière de recherche. Et on va continuer d’apprendre.

Propos recueillis par Fabrice ALVES-TEIXEIRA

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6 Commentaires

  • Baran
    Baran

    Je serais plus nuancé que vous concernant l’effet de “barrage Raoult” sur l’enjeu des moyens de la lutte épidémique. Il est clair que Raoult n’a pas une sensibilité sociale, il en a même plutôt rien à foutre. C’est un droitard. Mais je crois qu’il partage ce trait avec l’ensemble des professeurs, en particulier ceux qui font de l’alerte sur la seconde vague un credo médiatique. Cela signifie bien que ce n’est pas là le problème. L’ensemble des professeurs qui poussent l’alarme le font généralement sur une base hygiéniste et jamais n’abordent l’enjeu des moyens pour les médecins urgentistes, les internes, infirmières sous payés ou heures sup non payées pendant le covid… Je prend pour exemple une figure ideal-typique de ce genre de personnalité : Axel Khan. Son approche est avant tout metastatistique, “le virus est là regardées ça monte! Responsabilisez vous!”. Comment cela se fait-il que jamais sa parole publique n’est utilisée pour évoquer l’impératif de renforcer les services publics, en particulier les hôpitaux? Et pourtant il est diamétralement opposé au gourou marseillais. Axel Kahn n’est pas un cas isolé chez les professeurs lanceurs d’alerte. C’est un ideal-type ideologique dominant la parole publique.

    A contrario, j’ai entendu plusieurs fois Raoult abordé le crise d’investissement dans les hôpitaux. Bien sûr il ne le fait pas sur une base sociale, c’est un droitard. Il pose un diagnostic sur l’organisation médicale d’un point de vue purement instrumental:
    -déficit en médecins (choix étatique de limiter les médecins ds notre pays avec aujourd’hui le + faible nbre de médecins par habitant et les + vieux de l’OCDE)
    -déficit d’investissement en machines et en formation de personnel soignant en particulier en service de réanimation ( impact du mouvement d’allongement de la durée de la vie et de l’amélioration de la prise en charge en réanimation qui imposent d’investir, de former et de recruter).
    C’est simple, c’est précis. J’ai entendu plusieurs fois Raoult faire état de ces problèmes hospitaliers structurels mais jamais vous n’entendrez un type comme Axel Khan par exemple. Et pourtant Axel Khan est un social-dem, hygiéniste et touti quanti et son père était un valeureux communiste! Là où Raoult est un droitard avec un père issu de la gente militaire coloniale… Je ne suis donc pas en faveur d’une charge à boulets rouge contre Raoult et son équipe. A y regarder de plus près, je crois même que ce ne sont pas pas eux les plus nocifs et obscurantistes.

    Si on prend comme échelle environnement socio-professionnel des cadors de la médecine, il y a bien des gens qui se tiennent plus mal…dans les médias en particulier mais également hors cadre. Je dirais même que l’IHU demontre une certaine ouverture comme lieu de recherche et de coopération. Là où les professeurs patentés décrédibilisent par nature les données des recherches thérapeutiques en Chine, à Cuba, en Afrique, Raoult et l’IHU affirment leur leadership mondial en virologie et appelle à une coopération renforcée. Ce qui est quand même à contre courant du prêt à penser ethnocentrique “sur de lui et dominateur” dont sont les vecteurs les gourous hospitaliers. Tenez pour exemple Cuba.. Il y a quelques semaines les chercheurs de l’IHU ont fait une présentation publique sur l’intérêt thérapeutique de l’interféron beta dans le traitement du covid, là où partout nos grands prof ou médecins font comme si la recherche cubaine n’existait pas, la déconsidere par postulat, rejetant ses effets d’un revers de la main. Ci dessous le lien de la présentation de son équipe sur l’interféron: https://youtu.be/W9Tl7i_EbGU

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    • Danielle Bleitrach

      vous êtes un des premiers à me rendre supportable Raoult… je continue à penser qu’il n’a cessé de nos induire en erreur, j’ai détesté son numéro contre le vaccin de la polio en afrique… etsurtout son fan club. mais vous dites des choses sensées.

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      • Coldman
        Coldman

        Parce que vous ne connaissez rien aux vaccins antipolio.
        Le vaccin choisi en Afrique sous la pression des US est un vaccin dit vivant “atténué”, par voie orale.
        S’il permet de lutter contre le virus polio sauvage, en contrepartie il expose au risque de mutations et donc d’épidémie de polio à virus vaccinal. Ces cas sont peu fréquents mais réels.
        Pour information, ce n’est pas le type de vaccin employé en France, qui est un vaccin tué par voie injectable.

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    • etoilerouge6
      etoilerouge6

      D’accord avec vous. J’avais d’ailleurs déjà signalé que RAOULT a passé 2 ans en CHINE il ya 10 ans de cela pour connaitre leurs recherches. Ce n’est pas courant. Et ses propos sur la CHINE, sa recherche, ses labos et notre misère ne plaisent pas à l’establishment droite socialo en place. Ajoutons que dès le début il a proné les tests ( et expliqué comment faire )séparation des malades des sains, alors que le gouvernement n’avait pas de test et pronait le regroupement familial donc l’infection de tous. Et je vs rejoins ds le silence de tous ces médecins sur la nécessité d’ouvrir des hopitaux, des lits, des moyens humains et techniques dt les réanimateurs. Et CUBA fait l’objet de la part de la masse des médecins d’un silence consternant et lourd de conséquences contre la vie des françaises et des français. L’excellence n’est plus en terre de FRANCE car le gd nombre des médecins s’est perdu ds le fric et les cliniques privées à l’américaine oubliant le service aux patients. Résultat 36000 morts en France , 110 à CUBA et silence radio criminel sur cela et les raisons de ce gd écart. RAOULT faisant figure d’exception même si l’on n’est pas toujours d’accord mais cela c’est le débat!

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      • Danielle Bleitrach

        bon ça va le choeur pro-raoult, il y a des limites… sa chloroquine est une catastrophe partout où elle est appliquée et les Cubains sont stupéfait de notre raoult manie… tous les endroits où son traitement miracle est appliqué c’est une catastrophe à commencer par Marseille où il a entretenu avec l’aide des notables locaux une atmosphère anti-masque et anti-vaccin… et maintenant ses déclarations eugéniste, ses parentés avec onfray, etc… le débat est clos,j’ai passé l’essentiel, le reste ira à la trappe. Il a autour de luiune secte de complotiste et d’ailleurs autant les arguments de Baran avaient uee certaine justesse, autant etoile rouge vous commencez à raconter n’importe quoi, vous mêlez la Chine alors qu’il a menti en racontant que c’était grace à sa chloroquine que l’Asie s’en sortait et plus encore Cuba qui a dénoncé ce médicament, nous revoilà dans la secte, alors on arrête…

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        • Baran
          Baran

          De toute façon on sera d’accord ensemble pour dire que le problème central c’est les moyens. C’est ce que Macron et ses copains ne veulent surtout pas mettre sur la table (par dogmatisme). L’article de Laurent Brun résume le problème. Il dit tout dedans. Le débat sur les médicaments est périphérique. Il n’y a pas de traitement miracle. Danielle l’a compris tout de suite.

          Néanmoins, on doit aussi tous voir que y a un problème dans la manière avec laquelle le milieu de la recherche, dans ce cas celui de la médecine, construit ses relations avec le monde extérieur à son cénacle géographique de pays riches. Le débat sur la chloroquine a permis de mettre en relief, non pas la raison raoultienne, mais plutôt le modèle de mépris dont font naturellement preuve les chercheurs du beau monde envers les praticiens des pays émergents. Du médecin généraliste au grand professeur, les différentes expériences thérapeutiques dans les pays du sud ont été balayés sans précautions oratoires. Ceci dépasse le cas du covid… c’est une attitude routinière! “On est les meilleurs, on se regarde le nombril”.

          Ce n’est pas normal que ce soit la patientèle qui porte à la connaissance des médecins, les différentes molécules ou traitements utilisés. Je ne sais pas si ce nombrilisme est un simple effet de mentalité passagère ou si c’est plus structurel (sans doute les deux) mais c’est quelque chose qui doit changer vite.

          Il ne faut pas oublier que la popularité de Raoult tire sa source de sa manière différente d’envisager les échanges scientifiques avec les “pays du sud”. Le “repositioning” de molécule qu’il préconise comme solution d’avenir c’est un truc de pays pauvre!

          L’orientation des grands labo va dans un sens contraire, ils investissent des fortunes considérables pour vendre des innovations de rupture. Au mois d’avril, lorsque j’étais malade assez gravement, en attendant qu’une “innovation de rupture” tombe du ciel, comme beaucoup de monde j’ai été alité avec du doliprane et du sirop par le médecin! C’est pas normal d’être aussi con! Je vous assure que quand on est enfermé à la limite de ne pouvoir respirer, avec une ordonnance de doliprane/sirop, ça rend la maladie très lourde…. Le bon sens aurait été de regarder Chinois, Vietnamiens ou autres Cubains comme des sources d’informations primaires… Mais non ce ne sont pas des membres de la Champions league de l’information! En plus, si on avait un corps médical un peu plus ouvert à la coopération et moins agglutinés aux grands labo, les personnes qui s’opposent à Raoult auraient immédiatement su qu’il extrapolait sur la chloroquine. D’ailleurs les ambassades ne fournissaient pas de chloroquine dans leur kit médical à l’étranger. Elle fournissait avec des masques, des boites de Linhua Gingwen (traitement antiviral pour les formes légères de Covid, utilisé également au Vietnam et Laos).

          Par conséquent, les Chinois utilisaient bien de la chloroquine mais pas en priorité. Ils utilisaient aussi le lopinavir, le Linhua Qingwen Jianang, l’Interferon…. Raoult a présenté les données observationnelles internationales comme il a voulu car visiblement il avait personne en face.

          A croire que quand ça dépasse la méditerranée ça fait trop loin pour les spécialistes de plateau TV… La séquence historique pendant laquelle la science était dite en occident et les autres pays devaient réciter ses mantras est fini. Je crois que c’est ce que Raoult a compris avant les autres. En tout cas il l’a exprimé… Le récent discours de Xi Jinping au forum de Shangaï a pris la mesure du problème. Il apostrophe les chercheurs de tous les pays pour qu’ils changent d’attitude et dit “coopérons pour un bénéfice mutuel dans la connaissance et les défits du covid, médicaments, vaccins, etc.”

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