Audience d’extradition de Julian Assange
Craig Murray, compte rendu de la journée du 30 septembre, Londres, Old Bailey. Catherine Winch nous indique “Le compte rendu de Craig Murray inclut deux textes complets qui n’ont pas été présentés au tribunal, un de Chomsky de février 2020 et un d’un témoin anonyme des tentatives d’espionner Assange à l’ambassade ecuadorienne.” Je les traduirai peut-être ce weekend ajoute-t-elle, ce serait effectivement très utile les témoignages de Graig Murray et son apport éclaire toujours les enjeux et les méthodes.
Je ne sais vraiment pas comment rapporter les événements de mercredi. Des témoignages étonnants, d’une qualité et d’un intérêt extrêmes, ont été réduits par les avocats à de brefs résumés écrits, comme s’ils avaient autant d’intérêt que des sacs de frites congelées sortant d’une chaîne de production.
Le tribunal qui avait écouté Clair Dobbin passer quatre heures à contre-interroger Carey Shenkman sur certaines expressions tirées de décisions de première instance dans des affaires d’une pertinence tangentielle, a passé quatre minutes sur la brillante exégèse de Noam Chomsky sur l’importance politique de cette affaire d’extradition; celle-ci a rapidement été versée au dossier du tribunal, sans examen, question ou mise en contexte des arguments juridiques sur l’extradition politique.
Vingt minutes ont suffi pour la lecture de l'”essentiel” de la stupéfiante déposition de deux témoins, leur identité protégée car leur vie peut être en danger, qui ont déclaré que la CIA, opérant par l’intermédiaire de Sheldon Adelson, prévoyait d’enlever ou d’empoisonner Assange, a mis sur écoute non seulement lui mais aussi ses avocats, et a cambriolé les bureaux de ses avocats espagnols Baltazar Garzon. Ces témoignages n’ont pas été contestés et n’ont pas été examinés.
Les témoignages riches et détaillés de Patrick Cockburn sur l’Irak et d’Andy Worthington sur l’Afghanistan méritaient, dans chaque cas, une journée entière d’exposition. J’aurais aimé au moins les voir tous les deux à la barre des témoins expliquant ce qui pour eux était les points saillants, et ajouter leurs points de vue personnels. Au lieu de cela, un sixième de leurs mots a été lu rapidement dans le procès-verbal. Il y avait beaucoup plus.
J’ai déjà noté, et j’espère que vous avez marqué ma désapprobation, que certains des témoignages sont modifiés afin de supprimer des éléments que le gouvernement américain souhaite contester, et qu’ils sont ensuite inscrits au dossier du tribunal comme étant non contestés, avec seulement une lecture d’un résumé au tribunal. Le témoin ne se présente alors pas en personne. Cela réduit le processus de vérification des témoignages à quelque chose de très différent. Mercredi a confirmé l’acceptation que cette “audition” soit désormais transformée en un exercice entièrement sur papier. En fait, il ne s’agit plus du tout d’une “audition”. Vous ne pouvez pas entendre un juge lire. Peut-être qu’à l’avenir, on devrait parler non plus d’audience mais de “bruissement occasionnel”, ou de “tapotement de clavier”. C’est une tendance juridique reconnue, voire adoptée, au Royaume-Uni que les tribunaux sont de plus en plus des exercices sur papier, comme l’a noté Lady Hale de la Cour suprême:
“Dans le passé, la pratique générale était que tous les arguments et les témoignages étaient présentés oralement devant le tribunal, et que les documents étaient lus à haute voix, a déclaré Lady Hale.
Elle a ajouté : “La pratique moderne est tout à fait différente. Une grande partie des arguments et des témoignages est condensée par écrit avant que l’audience n’ait lieu. Souvent, les documents ne sont pas lus à voix haute.
“Il est difficile, voire impossible, dans de nombreux cas, notamment dans les affaires civiles compliquées, de savoir ce qui se passe si l’on n’a pas accès aux documents écrits”.
Au moins deux fois dans la présente affaire, la juge Baraitser a mentionné que la défense lui avait donné trois cents pages de plaidoirie d’ouverture, comme pour dire qu’elle doutait de la nécessité de tous ces témoignages, ou du moins de longues plaidoiries finales tenant compte des témoignages. Elle s’est montrée très réticente à ce que les témoins présentent leur témoignage avant le contre-interrogatoire, arguant que leur témoignage figurait déjà dans leurs déclarations et qu’ils n’avaient donc pas besoin de le dire. Elle a finalement accepté les présentations dans une limite stricte de seulement une demi-heure pour l'”orientation” des témoins.
Même si Lady Hale pense qu’elle aide en établissant le principe selon lequel les documents doivent être disponibles, le fait de mettre la déclaration de Patrick Cockburn en ligne quelque part n’aura jamais l’impact qu’il aurait eu s’il avait pu se présenter à la barre des témoins pour s’exprimer sur le sujet. Ce qui s’est passé mercredi, c’est que toute l’audience s’est effondrée, les avocats de la défense et de l’accusation lançant des centaines de pages de déclaration de témoin à la tête de Baraitser, en disant “Regardez tout ça. Nous pouvons finir demain matin et nous aurons tous un long week-end pour préparer nos prochaines affaires”.
J’ai été tellement déçu par la façon dont l’affaire a tourné court sous mes yeux, que l’adrénaline qui me portait a dû s’arrêter. En retournant dans ma chambre à l’heure du déjeuner pour un bref somme, lorsque j’ai essayé de me lever pour la séance de l’après-midi, j’ai été pris de vertiges. J’ai finalement réussi à marcher jusqu’au tribunal, bien que le monde ait décidé de se présenter sous divers angles aigus et inhabituels, et que tout était illuminé d’une lumière orange éblouissante. Le personnel de l’Old Bailey – qui, je dois le dire, a été très aimable et m’a beaucoup aidé tout au long des audiences – m’a très gentiment emmené dans un ascenseur et m’a fait traverser le vestiaire des avocats jusqu’à la tribune du public.
Je suis heureux de dire qu’après le procès, deux pintes de Guinness et un toastie au fromage et au jambon ont eu un effet réparateur sensible. Ceux qui ont suivi ces reportages comprendront combien il était frustrant d’être privés du spectacle de James Lewis demandant à Noam Chomsky comment il pouvait se risquer à donner son avis sur la question de savoir si cette extradition est politiquement motivée alors qu’il n’est que professeur de linguistique, ou s’il a déjà publié des articles évalués par des pairs. Tenter de résumer l’abondance d’informations rapidement mentionnées hier n’est pas le travail d’une soirée.
Pour l’instant, je vais vous donner l’éloquente et brève déclaration de Noam Chomsky sur la nature politique des actions de Julian Assange :
[Craig Murray copie cette déclaration, datée de février 2020 suivie du témoignage du “Témoin 2”]
Hier soir, un ami m’a dit que je ne devrais pas m’inquiéter de la clôture précipitée de ces procédures, qui réduit le regard du public sur les témoignages et les arguments (et je pense qu’il y a eu en tout neuf déclarations de témoins hier), parce que ce regard du public a été extrêmement limité de toute façon, comme d’ailleurs je n’ai cessé de l’expliquer. En d’autres termes, cela ne fait aucune différence. Je suis cet argument, mais il va à l’encontre de certaines croyances et motivations fondamentales que j’ai à propos du témoignage, que je devrai développer davantage dans mon propre esprit.
Dans les prochains jours, j’essaierai de vous apporter une synthèse et une analyse de tout ce qui s’est passé mercredi. Il me faut maintenant aller au tribunal et voir les derniers lambeaux de cette affaire, et échanger les derniers regards d’amitié avec Julian pour quelques mois.
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