Ce très documenté et néanmoins ironique article sur la relation entre moyens de faire face à l’épidémie et performance politique nous en dit long sur l’incapacité des Etats-Unis et plus généralement des sociétés occidentales à gérer désormais les moyens dont elles disposent. Leur incapacité à tenir compte des rapports de leurs experts et in fine le caractère essentiel de la préoccupation sociale et de la mobilisation politique. On comprend mieux pourquoi le socialisme a de meilleures performances même quand ses moyens sont loin d’être aussi importants, ou une autre manière d’illustrer la relation que Marx établit entre forces productives et rapports de production (note de danielle Bleitrach).
La prolongation de la pandémie et sa diffusion mondiale ont laissé de côté les accusations sur son origine et sur la date exacte de son démarrage. Pompeo et Trump font encore à l’occasion référence au « virus chinois » mais ces propos de tribune relèvent d’une rhétorique qui ne passionne plus l’opinion. Les vaticinations de plusieurs gouvernements face à la pandémie ne devraient cependant pas occulter la réalité qui est les gouvernements ou d’autres instances publiques (universités, centres des recherche) réalisent ou financent des simulations, des exercices à l’image des business games en usage dans les écoles de management pour mieux prévoir les mesures à prendre face à une épidémie importante. Ces travaux sont de portée internationale puisque l’extrême mobilité actuelle de la population mondiale (migrations, tourisme, affaires..) rend difficile voire impossible le cantonnement d’une épidémie sur le territoire où elle débute (tout autant que celui-ci ait été déterminé avec certitude). Les antécédents de la John Hopkins University Parmi les grandes universités étasuniennes la John Hopkins University créée à Baltimore en 1876 est très renommée pour son département de médecine. Un de ses professeurs Daniel Henderson est connu pour avoir organisé les campagnes de vaccination qui ont permis à l’OMS de déclarer en 1980 l’éradication de la variole. La création d’un index global de sécurité sanitaire s’inscrit donc dans son histoire comme une avancée vers une lecture globale des épidémies dépassant le cadre du bioterrorisme. Elle a été à l’origine des actions internationales suivantes : Suite à l’apparition de deux foyers de variole en Yougoslavie et en Inde elle a organisé une action internationale pour empêcher le retour de cette maladie. En Juin 2001 elle organise DARK WINTER un exercice pour tester la réaction du système sanitaire US à une attaque bio terroriste du pays avec la variole. Sitôt après les attentats du 11 Septembre Mike Pence, l’actuel Vice-président tente sa chance en lançant l’opération « anthrax » qui, éclipsée par la guerre sans fin conte le terrorisme, fera long feu. En 2002 le bioterrorisme est installé à la une des médias par Colin Powell exhibant à la face du monde un tube à essais contenant soi-disant une arme de destruction massive. En 2005 la John Hopkins University participe avec d’autres organismes (fondation Alfred P.Sloan, German Marshall Fund) à un autre exercice international cette fois. Là encore il s’agit de suivre le développement d’une épidémie de variole lancée par une organisation terroriste simultanément dans 5 villes : Istanbul, Rotterdam, Varsovie, Frankfort, New York et Los Angeles. Le ministre Bernard Kouchner participe à l’exercice qui fait ressortir les faiblesses de la coordination internationale des réactions. Cette même année trois autres exercices du même type sont lancés dont un par Interpol. Enfin le 15 Mai 2018 elle organise à l’intention des membres du Congrès un exercice de simulation pour mettre en scène les réactions des administrations publiques face à l’arrivée d’une pandémie en insistant sur le fait que les Etats-Unis doivent tenir le premier rôle dans la mobilisation mondiale contre une pandémie. Ce bref rappel fait comprendre que cette université avait acquis un très haut niveau de connaissances sur les épidémies, leur propagation et les mesures à prendre pour en limiter les effets. Les simulations ou exercices qu’elle organise prennent évidemment en compte les bilans des épidémies précédentes. La fin du XX° et le début du XXI° siècle ont connu un certain nombre de phénomènes épidémiques à diffusion mondiale. Tous n’ont pas eu le même écho et des niveaux de létalité très divers. Rappelons-les :. La grippe asiatique (virus H2N2) 1957-1958. La grippe de Hong-Kong (virus H3N2) 1968-1969. Le Sida (de loin la plus meurtrière). Le SRAS-Co (2002-2004). La grippe A – virus H1N1) 2009-2010 En 2014 l’épidémie du virus Ebola a incité l’ONU et l’OMS à se préoccuper d’organiser des réponses mondiales coordonnées aux épidémies. Il n’est donc pas surprenant que la JOHN HOPKINS UNIVERSITY (JHU) ait décidé au printemps 2017 de lancer un travail d’enquête mondial en vue de mesurer la capacité des différents pays à faire face à une nouvelle épidémie. Elle s’était associée pour l’occasion à une ONG étasunienne s’occupant des dangers nucléaires (Nuclear Threat Initiative) et à l’ECONOMIST INTELLIGENCE UNIT éditeur de l’hebdomadaire THE ECONOMIST et avait obtenu le soutien financier de la Fondation Bill et Melinda Gates. La Nuclear Threat initative (NTI) est une ONG étasunienne qui se préoccupe non pas de la prolifération des armes nucléaires position qui ferait d’elle un opposant franchement anti militariste à la politique des Etats-Unis ce qui est exclu mais qui est à l’affut de la dissémination des produits nucléaires qui permettrait à un pays ou à un groupe très organisé de passer de déchets radioactifs de l’industrie nucléaire à l’arme atomique. A ce titre la NTI lutte contre la prolifération telle qu’elle est définie dans l’article 3 alinéa 1 du traité de non prolifération (TNP). L’Economist Intelligence Unit (EIU) peut être considéré comme le meilleur outil privé mondial de renseignement (lire « espionnage ») économique, comme un des fleurons encore brillant de l’impérialisme britannique. Dans ce nouveau projet de la JHU l’ambition était de recenser pays par pays leur capacité de faire face avec succès à une épidémie et donc de mesurer la sécurité sanitaire que chacun pouvait garantir à sa population. Cette notion de « sécurité sanitaire » est un élément de la sécurité publique. Pour accorder sa confiance à l’état le citoyen doit savoir que celui-ci assure la sécurité civile (lutte contre les incendies, les catastrophes naturelles) la sécurité sociale (protection contre les aléas de la santé). La sécurité sanitaire s’ajoute aux précédentes et mesure l’ensemble des moyens disponibles pour faire face à une grave atteinte à la santé collective comme une épidémie ou une pollution générale (type nuage de Tchernobyl). Le but était donc d’établir et de publier un indice global de sécurité sanitaire (Global Health Security Index). Pour ce faire les organisateurs de l’exercice avaient sélectionné un panel international de 21 experts venant de 13 pays (voir site www.ghsindex.org) qui s’appuyant sur des documents officiels soit nationaux soit internationaux a établi l’index en retenant six catégories : 1-Prévention 2-Détection 3-Rapidité de réponse et mesures de défense collectives contre l’épidémie 4-le système de santé doit être suffisant et robuste pour traiter les malades et protéger le personnel soignant 5-Respect des normes internationales ou financement des mesures pour les mettre en œuvre 6-Risque environnemental et vulnérabilité du pays à des menaces biologiques L’étude se préoccupait à la fois de l’état des lieux mais aussi des tests ou exercices réguliers permettant de vérifier la capacité de mobilisation rapide du système de santé. L’index comportait 34 indicateurs et 85 sous indicateurs pour donner des réponses aux questions posées dans les 6 domaines précédents Avant de présenter les résultats arrêtons-nous sur la structure de cette initiative 1- Ce n’est pas une initiative d’Etat mais une initiative conçue aux Etats-Unis par des structures qui ont leurs entrées au plus haut niveau de l’administration étasunienne, de l’ONU et de l’OMS 2- Pour ces interlocuteurs-là la respectabilité et le sérieux de la JHU est attestée par pas moins de 6 Prix Nobel de médecine 3- Le panel est international mais très anglo-saxon et anglophone dans sa composition. 4- Avant de publier le rapport final le panel a sollicité les représentations diplomatiques pour leur permettre de vérifier ou compléter les données de leur pays. 16 pays ont répondu : Belgique, Canada, Finlande, Italie, République Kirghize, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Pérou, Philippines, Portugal, St. Kits and Nevis, Sierra Leone, Slovénie, Espagne, et Suisse). Le rapport final Disponible uniquement en anglais et en pdf il compte 120 pages (voir www.ghsindex.org). Il est rendu public le 18 Octobre 2019 dans une séance organisée sous le titre EVENT 201 (évènement 201). Cette présentation est frappante puisque l’enquête débouche sur un palmarès, les 195 pays concernés étant classés par ordre décroissant de leur capacité à faire face à une pandémie. En fonction des 34 indicateurs et 85 sous indicateurs chaque pays reçoit une note sur 100, la pondération entre les différentes données ayant été fixée par les membres du panel. La première observation est que les « premiers de la classe » ne sont pas excellents puisqu’aucun Etat ne dépasse la notre de 82 sur 100 et que le second n’a plus que 75. La France est à 68. Mais la lecture confine à la stupéfaction lorsqu’aujourd’hui en phase 2 de la COVID 19 on trouve en tête de liste les Etats-Unis et la Grande Bretagne présentés donc comme les plus aptes à faire face avec succès à la pandémie. Ce classement ou plutôt ces classements puisque le classement global est assorti de 6 classements plus ciblés (voir tableaux in fine) seraient-ils donc biaisés ? La réponse n’est probablement pas là. Le GHSI a recensé les moyens matériels et les équipements disponibles mais il n’a pas pu prévoir et ce n’était pas dans l’ordre de ses préoccupations la réaction politique des gouvernements pour la mise en œuvre de ces moyens et l’utilisation de tous ces équipements. Les antécédents de la JHU la place plutôt dans le rôle très respectueusement accepté de lanceur d’alerte puisque tous ses rapports comme d’ailleurs le GHSI se concluent par des recommandations aux Etats et aux instances internationales. Le 26 février 2020 Trump tient une conférence de presse pour faire le point sur l’épidémie. Il y fait expressément référence aux experts étasuniens reconnus comme « les meilleurs du monde » et se veut rassurant. Peut-être est il lui-même rassuré puisqu’ il sait que les Etats-Unis sont les premiers dans le classement GHSI. (https://www.youtube.com/watch?v=g4ujV1FjsIU). Il va même brandir un tableau (pas produit par le GHSI) qui affiche les 10 états les plus aptes à résister à une pandémie suivant le classement du GHSI. Face aux critiques et à la réalité de l’épidémie dans son pays Trump déclarera plus tard que les experts s’étaient trompés. Les Etats-Unis ne sont premiers que pour le nombre de morts ! Que s’est–il passé ? Le bilan actuel de la pandémie est bien éloigné du classement du GHSI. Quelques enseignements : 1- La mobilisation du potentiel mesuré par l’index n’a pas eu lieu ou avec du retard. Ainsi les Etats-Unis sont aujourd’hui en tête pour la mortalité. Trump craignait pour sa réélection dont l’argument principal aurait été les bons résultats économiques ou au moins boursiers. Passé sa phase optimiste du 26 février il a temporisé pour appliquer les mesures de protection, et le système de santé étasunien s’il est très performant et très avancé technologiquement est discriminant socialement ou pour le dire simplement, on peut mourir devant la porte du meilleur hôpital du monde si on n’a pas l’argent pour y rentrer. La Grande Bretagne n’a pas fait mieux. 2- La Chine mal classée et donc sur la moyenne du pays moins bien équipée que les principaux pays occidentaux a obtenu des résultats remarquables grâce à sa mobilisation politique et sociale et à sa gestion à la fois centralisée dans le système de décision et focalisée sur le traitement rigoureux des zones touchées par la pandémie. A contrario les régions de Chine où le virus n’était pas apparu n’ont pas été confinées. 3- On ne peut exclure que dans les esprits enfiévrés des impérialistes étasuniens en période de guerre hybride ouverte avec la Chine, à la lecture du classement du GHSI l’idée n’ait pas fleurie que le virus allait mettre l’adversaire au sol. Or c’est l’inverse qui s’est produit. 4- Le GHSI dans son commentaire global notait que le niveau mondial moyen (moyenne des notes inférieure à 50 sur 100) de la riposte à une pandémie était insuffisant et formulait donc des recommandations aux Etats. La France avec une note de seulement 68 sur 100 aurait pu considérer alors que des efforts devaient être faits. Les recommandations qui concluent le GHSI ouvraient la voie à une réflexion qui aurait pu s’intensifier dès le début de l’épidémie en décembre 2019 (en admettant, ce qui n’est pas encore clairement établi, que l’épidémie ait bien commencé à Wuhan) Conclusions et recommandations du GHSI Le commentaire global du GHSI est le suivant : « La sécurité sanitaire nationale est fondamentalement faible dans le monde. Aucun pays n’est complètement préparé à des épidémies ou à des pandémies et chaque pays doit remédier à des insuffisances importantes ». Le GHSI précise que la note moyenne obtenue par les 195 pays est de 40/100 et celle pour les pays économiquement avancés ne s’élève qu’à 51/100 Les recommandations sont les suivantes 1- Les gouvernements devraient s’occuper de sécurité sanitaire en réalisant les investissements nécessaires et en y adaptant le système de santé. Ils devraient réaliser chaque année des exercices pour tester la capacité de réaction nationale à une épidémie 2- Des mécanismes de financement pour améliorer la sécurité sanitaire devraient être instaurés 3- La sécurité sanitaire dans chaque pays devrait être transparente et mesurée régulièrement Des évaluations devraient être réalisées tous les deux ans 4- L’ONU et l’OMS devraient créer une unité chargée d’observer et tirer le bilan des réponses apportées à une crise sanitaire globale 5- Le secrétaire général de l’ONU devrait organiser en 2001 un sommet des chefs d’Etat sur les menaces biologiques pour prévoir un système de financement spécifique et mettre en place les mécanismes d’urgence nécessaires Un commentaire La réalité que nous venons tous de vivre et les errements gouvernementaux dont nous avons été témoins donnent à penser que le travail très intéressant du GHSI n’avait pas été beaucoup analysé si même il avait été lu et par qui. Chacun sait que les guerres réelles ne se déroulent jamais exactement comme elles s’écrivent dans les écoles de guerre mais dans le cas de la France une simulation d’épidémie menée en 2018 ou 2019 aurait évidemment mis en lumière, les signaux annonciateurs étaient nombreux dans le corps hospitalier en particulier, avant que les faits ne le confirment que le pays n’était pas préparé. * |
Vues : 320