Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’Economie de marché socialiste, vers un essai de définition par j. cl Delaunay

” On ne peut d’ailleurs qu’être étonné de l’absence quasi générale de toute référence à cette exigence dans le mouvement social actuel. Quiconque, dans un pays capitaliste, lutte pour l’amélioration substantielle et durable du sort de ses compatriotes doit avoir clairement en tête les deux objectifs suivants : 1) Rompre immédiatement avec le capitalisme de manière franche et sans tergiverser; 2) Construire le socialisme dans la durée, en prenant le temps qu’il faut pour cela, en faisant fonctionner à plein rendement la démocratie ouvrière et populaire.” nous dit J. Cl Delaunay, oui c’e’st bien là le problème…. (note de danielle Bleitrach)

Aujourd’hui, je vais m’efforcer, à l’aide de plusieurs points, de cerner plus précisément que je ne l’ai fait dans mes commentaires précédents, le concept d’économie de marché socialiste. Je ne vais pas m’embarrasser de grands développements. Il sera toujours temps de préciser les choses. Cette méthode présente, pour le lecteur, l’avantage de la clarté et de la rapidité.

1) En quoi ce concept était-il une hardiesse?

Je vois au moins quatre raisons à cela.

La première est que cela contredisait les propos des grands ancêtres. Pour eux, le socialisme c’était la fin immédiate de la marchandise, et donc du marché. Mais voilà qu’un pays se prétendant socialiste estimait pouvoir mélanger le socialisme et le marché!

La deuxième est que cela contredisait les idées courantes sur le socialisme. La forme marchandise était tenue pour une survivance. Bien sûr, cette survivance était respectable. Mais en quoi pouvait-elle contribuer au développement de la Chine ? N’allait-elle pas, plutôt, contribuer au développement du capitalisme en Chine?

La troisième est que cela heurtait de front le modèle de développement défendu par Mao Zedong. Mao pensait que les soviétiques n’étaient pas assez rapides. Ils trainassaient. Et voila que Deng proposait le marché!!! Cela n’allait-il pas retarder le développement de la Chine et introduire des capitaux étrangers dans ce pays, comme au 19ème siècle?

La quatrième raison est que personne, aucun pays, aucun théoricien respectable n’avait, auparavant, tenu de tels propos. Il fallait être culotté pour se lancer dans cette histoire.

En réalité, il a fallu 15 ans pour prendre la décision. Mais d’une part, il y eut Tian An’men, en 1989, et d’autre part l’explosion de l’Union soviétique, en 1991. Or les opposants à la stratégie défendue par Deng Xiaoping n’avaient rien à proposer, si ce n’est de “poursuivre l’oeuvre de Mao” au plan économique. Le PCC a débattu et a finalement choisi de suivre Deng Xiaoping.

Il faut savoir que Deng Xiaoping, ce n’était pas n’importe qui. C’était un vieux compagnon de Mao Zedong, un type qui, en plus, avec Zhou Enlai, avait servi de pompier pour éteindre les incendies allumés par Mao. Il a réfléchi au développement de son pays à un très haut niveau et sur le tas, si je puis dire. Deng Xiaoping, ce n’était pas une petite bouteille (petite bouteille est la traduction de son prénom, xiaoping). J’ai même cru comprendre qu’il aimait les grandes bouteilles. Mais au delà de ces anecdotes, ce fut un grand bonhomme. Il a eu de la classe. Il a osé. Il a contribué à sauver son peuple et son pays.

2) Cela dit, il ne suffit pas qu’un Congrès de Parti se réunisse pour qu’il y ait économie de marché socialiste. Son existence suppose que soient remplies les 2 conditions suivantes : 1) l’établissement de la dictature démocratique du peuple, 2) l’abolition de la démocratie bourgeoise. Ce sont des conditions nécessaires d’existence de l’économie de marché socialiste, et c’est la raison pour laquelle, quand ces conditions sont remplies, on peut appeler l’économie marchande fonctionnant sous de telles auspices, une économie de marché socialiste.

Quelle est la finalité de l’économie de marché socialiste chinoise? Elle est double. Elle consiste : 1) à satisfaire au mieux les besoins du peuple, c’est-à-dire de la très grande majorité de la population; 2) à renforcer l’indépendance nationale.

La Chine socialiste doit non seulement faire que le ventre des Chinois soit bien plein. Elle doit consolider sa propre force. Pour que cette double finalité soit réalisée, la grande bourgeoisie, qui est le cœur de la classe bourgeoise, doit être éliminée d’emblée. C’est une exigence immédiate, totale, inconditionnelle.

Mais «une économie de marché socialiste française», par exemple, ne rencontrerait-elle pas les mêmes oppositions, les mêmes exigences? Bien sûr que si. On ne peut d’ailleurs qu’être étonné de l’absence quasi générale de toute référence à cette exigence dans le mouvement social actuel. Quiconque, dans un pays capitaliste, lutte pour l’amélioration substantielle et durable du sort de ses compatriotes doit avoir clairement en tête les deux objectifs suivants : 1) Rompre immédiatement avec le capitalisme de manière franche et sans tergiverser; 2) Construire le socialisme dans la durée, en prenant le temps qu’il faut pour cela, en faisant fonctionner à plein rendement la démocratie ouvrière et populaire.

3) Un marché capitaliste est un marché sur lequel circulent des marchandises capitalistes (des marchandises porteuse de plus-value et de profit). C’est seulement dans des circonstances exceptionnelles que le capitalisme monopoliste d’Etat a toléré que soient produites en son sein des marchandises porteuses de moins de profit ou non porteuses de profits. Un marché d’économie socialiste est radicalement différent. C’est un marché dans lequel circulent des marchandises de diverses sortes capitalistes et socialistes, et principalement des marchandises qui ne sont pas porteuses de plus-value et de profit. 

Dans une société capitaliste, le profit est essentiellement privatisé. Dans une société socialiste, le profit est essentiellement socialisé. Une société socialiste n’est pas une société où l’on ne fait pas de profit. C’est une société dans laquelle le profit, qui vient du travail de tous, appartient à tous. Le profit est l’image monétaire du travail. Ici, chez les capitalistes, le travail de tous doit devenir le profit de quelques-uns. Là, chez les socialistes, le travail de tous demeure le profit de tous. Sacrée différence, non?

4) Une économie de marché capitaliste (une économie capitaliste) diffère d’une économie de marché socialiste par l’horizon qu’elle donne au marché. Dans une économie capitaliste, puisque le profit est, en toute circonstance, privatisé, cela veut dire que pour les capitalistes, la marché est éternel. Il n’en est pas de même dans une économie socialiste. La socialisation du profit est, dans une telle société, une étape intermédiaire vers la disparition totale du profit.

Faire disparaître le profit ne veut pas dire que celui-ci soit entièrement redistribué aux pauvres. Le socialisme n’est pas une forme moderne de l’hospice. Cela signifie que la société a développé la productivité du travail à un niveau tel que la forme marchandise, et donc la forme profit, perdent la signification qu’ils ont encore aujourd’hui. Une société socialiste a pour horizon ultime la construction d’une société d’abondance, la construction d’une société qui aura dépassé la situation de rareté relative dans laquelle nous sommes encore plongés, quel que soit le régime social dans lequel nous vivons.

D’un côté, par conséquent, le marché éternel, qui doit constamment se réapprovisonner en formes marchandise, qui doit en permanence créer de nouvelles marchandises. De l’autre côté une société qui a pour fonction historique de dépasser la forme marchandise, de construire les conditions productives et distributives de l’abondance et du communisme. L’économie de marché socialiste doit être, devra être, l’instrument de cette transition.

5) En réalité, les choses sont un peu plus compliquées que ça. C’est une banalité de le dire, mais la réalité est toujours plus compliquée que ce que l’on aimerait qu’elle fut.

Les pays aujourd’hui socialistes sont des pays industriellement sous développés. Ils ont d’énormes besoins d’investissement. Si l’on prend le cas de la Chine, par exemple, on pourra dire que le concept d’économie de marché socialiste fut, pour ce pays, le moyen intellectuel de penser son insertion nécessaire dans le marché mondial, que ce fut pour elle, le moyen intellectuel de penser son propre développement avec l’appui de capitaux et de savoir-faire extérieurs.

Oui, je suis bien d’accord. C’est un aspect de la réalité. Mais il serait à mon avis très réducteur d’identifier le concept d’économie de marché socialiste à une stratégie égoïste de rattrapage dans le contexte d’un système capitaliste encore dominant. Car déjà, 30 ans après le lancement en Chine du concept d’économie de marché socialiste, d’autres aspects sont clairement perceptibles.

Lorsque le gouvernement de la Chine annonce que ce pays diffusera largement auprès des autres pays, qu’ils soient riches ou pauvres, qu’ils puissent payer ou qu’ils ne le puissent pas, toute forme de vaccination contre le covid19 lorsque celle-ci sera opérationnelle, cela veut dire que la vaccination en question n’a pas pour but de fonctionner comme une marchandise capitaliste ordinaire, au moins à l’égard des pauvres et très pauvres, qui sont la majorité de la population de la planète.

Lorsque le gouvernement de Cuba aide des populations à lutter contre la pandémie en cours, son économie et ses volontaires ne le font pas pour l’argent. Ils le font pour le bien-être de l’Humanité, car l’intérêt bien compris de tels ou tels, dans le contexte de cette pandémie, est le bien-être de tous.

Bref, ce que je veux dire est que le concept d’économie de marché socialiste n’est pas une abstraction simpliste. C’est un outil complexe. Il a permis et permet tout à la fois aux dirigeants de la Chine de penser l’élévation du niveau de leurs forces productives dans un environnement mondial capitaliste dominant et, grâce à l’élévation de ce niveau, de contrebalancer les effets les plus désastreux de l’environnement en question.

J’ai encore quelques petites choses à dire sur ce concept et après je m’arrêterai. Pour l’instant, je propose d’en donner ici une définition d’étape.

L’économie de marché socialiste est une économie dont le concept fut élaboré il y a 30 ans environ et, à cette époque, c’était un concept totalement original. Ce concept suppose que soient remplies deux conditions: la dictature démocratique du peuple et l’abolition simultanée de la démocratie bourgeoise. Le Capital financier, dans ses formes contemporaines, et la grande bourgeoisie qui va avec, n’ont plus le droit de commander quoi que ce soit. C’est à ces conditions que peut exister une économie de marché socialiste.

Une telle forme de marché est radicalement différente du marché capitaliste. Une économie de marché socialiste n’exclut pas la présence d’entreprises capitalistes. Mais elle leur interdit d’exercer le moindre pouvoir politique ou de contrevenir à la loi. Elle vise, dans un premier temps, à développer si nécessaire le niveau des forces productives propres au pays socialiste considéré. Elle vise ensuite à développer le socialisme dont l’horizon ultime est la construction d’une société d’abondance.

Une économie de marché socialiste n’a pas pour but la perpétuation de la forme marchandise. Ses agents, qui fonctionnent en rapport avec une direction centrale, recherchent, pendant la phase intermédiaire de son existence, la maximisation du profit social. En revanche, les agents d’une économie de marché capitaliste, agents totalement décentralisés, recherchent en permanence l’existence de marchandises individualisables pour pouvoir s’approprier privativement le profit social.

Il existe d’autres aspects selon moi intéressants de ce qu’est une économie de marché socialiste. J’en reporte l’indication à une autre fois. Jean-Claude Delaunay

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1 Commentaire

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Bonjour Jean-Claude,
    Je reviens sur ton livre “LES TRAJECTOIRES CHINOISES……”. Page 347, tu retiens 3 thèmes comme indicateur de la modernisation mentale de la Chine:1) l’évolution du taux d’analphabétisme, 2) l’indice de l’inégalité de Genre, 3) la lutte contre la corruption. J’aborde ici le 1er point.
    On mesure mal les difficultés, 70 ans de construction du socialisme, c’est peu et beaucoup à la fois. La Chine c’est 1,5 milliards d’habitants environ. Combien de langues, combien de dialectes cela représente-t-il dans cette immense population? Passer d’un taux de 80% d’analphabètes en 1950 à 4% actuellement est un formidable exploit. Je suis breton. J’ai lu “Le Cheval d’orgueil” de P.J Hélias. Combien de vexations, combien de contraintes a-t-il fallu appliquer aux jeunes enfants bretons pour leur faire “comprendre” que la langue de la République est le français? Au début de la Guerre 14/18, certains soldats bretons étaient pris pour des espions allemands parce qu’ils ne s’exprimaient qu’en breton. Pourtant la République avait su les mobiliser en français pour aller se faire tuer.
    Je suppose qu’un immense pays comme la Chine a vu ces problèmes multipliés par 10 sinon 100. A cela s’ajoute la culture millénaire. Quel rôle a joué le confucianisme pour apporter des freins à l’Education?
    Toujours dans ton livre tu as écrit que la Chine voulait passer du “made in China” au “created in China”. La 5G apporte la démonstration que cela est proche. Encore que à mon avis, la numérisation ne peut négliger l’apport culturel de plusieurs millénaires.
    Mais j’ai confiance. Sous la direction du PCC, la Chine avance de façon sereine. A voir l’agitation dans le camp occidental, la panique s’empare de certains esprits.

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