Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Ce que nous apprenons sur les questions coréennes dans les mémoires de John Bolton

02.07.2020 Auteur : Konstantin Asmolov

Ce que nous avons déjà appris grâce aux mémoires de John Bolton c’est que Trump se foutait totalement des “camps” pour Ouïghours, il jugeait même que c’était une excellente idée, mais il utilisait ce genre d’histoire pour faire pression sur les échanges commerciaux… La suite est tout aussi savoureuse… On se demande lequel est le pire dans le genre mentant pour ses intérêts immédiats du président de la Corée du Sud, de Trump complètement dépassé à la fois par son conseiller Bolton cherchant le clash et tentant de sauver les meubles… effrayant et grotesque (note de Danielle Bleitrach, traduction de Catherine Winch).

Le 24 juin, un tribunal américain a rejeté une demande du gouvernement américain visant à bloquer la publication des mémoires de John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale du président américain Donald Trump.

Il convient de rappeler que John Bolton, le belliciste et conservateur surnommé le parrain du programme nucléaire de la RPDC pour ses activités dans les années 2000, a travaillé à la Maison Blanche pendant 17 mois avant d’être remercié par Trump en septembre 2019 après des désaccords sur diverses questions politiques, dont la Corée du Nord.

Suite à la publication du livre, Trump a traité Bolton de “cinglé” et l’a accusé d’avoir divulgué des informations classifiées, tandis que le secrétaire d’État Pompeo ajoutait : “Il est à la fois triste et dangereux que le dernier rôle public de John Bolton soit celui d’un traître qui a porté préjudice à l’Amérique en violant sa confiance sacrée envers son peuple”. La réaction officielle de Séoul a été similaire : le conseiller de Moon pour la sécurité nationale, Chung Eui-yong, a déclaré que la divulgation unilatérale par Bolton du contenu de négociations violait les principes fondamentaux de la diplomatie et sapait la confiance entre les gouvernements. Chung a précisé que de tels actes illégitimes pourraient nuire considérablement aux deux pays en termes de sécurité ainsi qu’à leurs efforts pour préserver et développer une stratégie commune pour l’alliance américano-sud-coréenne. La version de Bolton a été qualifiée de déformée et d’inexacte.  Lors d’une interview sur Fox News, Bolton a déclaré qu’il rendrait un “mauvais service” au peuple sud-coréen s’il n’écrivait pas la vérité.

Globalement, les mémoires de Bolton rappellent fortement les souvenirs des généraux nazis prétendant qu’ils auraient gagné toutes les batailles s’il n’y avait pas eu ce stupide Führer. L’idée maîtresse du livre est que Trump était plus préoccupé par sa réélection à la présidence que par les intérêts de la sécurité nationale américaine. Cependant, ces mémoires contiennent beaucoup d’informations intéressantes qui méritent d’être commentées.

Premièrement, nous avons la confirmation du rôle joué par Bolton à Hanoï, lorsqu’il a proposé le “modèle libyen” à Kim à la onzième heure des négociations. Après cela, selon Trump, “tout a basculé”, bien que Bolton n’ait apparemment pas directement voulu dire que Kim Jong-un allait subir le sort de Kadhafi, mais plutôt ce qui s’est passé avant cela : d’abord forcer la Corée du Nord à abandonner ses programmes nucléaires et de missiles, et ensuite faire des concessions au pays. Le problème avec cette approche est qu’à partir de 2011, le “modèle libyen” ne signifie plus qu’une seule chose : la répétition du meurtre de Mouammar Kadhafi par les rebelles.  Selon les mots du président américain, le dirigeant de la RPDC est à juste titre devenu complètement furieux et n’a plus voulu entendre parler de Bolton.

Trump déclare qu’après la fin des négociations, il a demandé à Bolton : “Mais à quoi diable pensiez-vous ?” Mais ce dernier n’a offert aucune explication et s’est contenté de s’excuser. “J’aurais dû le virer sur-le-champ !”

Bolton lui-même résume la situation différemment : il voulait saboter les négociations et a convaincu le président que si Trump les quittait, tout irait bien car il ne fallait pas se précipiter.

M. Trump lui-même envisageait trois issues possibles pour le sommet de Hanoi : un accord de grande importance, un accord de moindre importance ou l’abandon de la table des négociations. Finalement, il a réalisé qu’il n’y aurait pas d’accord important parce que Kim n’avait pas pris la décision stratégique d’abandonner les armes nucléaires, alors qu’un accord modeste semblait être un résultat insuffisamment dramatique, d’autant plus que le président ne voulait pas abandonner les sanctions. Kim a proposé de démanteler Yongbyon (en fait, de partager également des informations sur d’autres installations, d’autoriser l’accès des experts au site d’essai détruit et de convertir l’obligation verbale d’un moratoire sur les essais et les lancements de missiles en un document juridiquement contraignant), mais Trump voulait plus et, si l’on en croit Bolton, “a supplié Kim d’ajouter quelque chose à sa proposition”.  Kim a refusé et Trump “a quitté la table”.

En conséquence, comme l’a noté l’analyste Sue Mi Terry dans sa critique du livre, Trump a agi selon le principe “laisse tomber la fille avant qu’elle ne te laisse tomber”. Une pause dans les négociations lui donnerait une bonne image et lui permettrait de faire pression lors du prochain tour.

Deuxièmement, Bolton découvre le rôle de Séoul qui, se positionnant comme le principal médiateur entre Pyongyang et Washington, a en fait mal informé l’Amérique sur les intentions du Nord, a fait passer certaines de ses propres idées pour celles de la Corée du Nord et s’est engagée plus dans l’autopromotion que dans la facilitation réelle du dialogue.

Selon lui, tout le “cirque diplomatique” concernait plus que tout autre chose l’agenda politique de Moon. Et du point de vue de Bolton, la décision de rencontrer Kim à Singapour était une “erreur stupide”, tandis que le désir de Trump d’inviter Kim à la Maison Blanche était “un désastre potentiel d’une énorme ampleur”.

Les exemples ne manquent pas.

Bolton écrit que le président sud-coréen a transmis au président américain la promesse du dirigeant nord-coréen de procéder à une dénucléarisation complète et “de consentir à la mise au rebut de son arsenal nucléaire”.

De plus, Moon a fortement insisté pour un sommet Trump-Kim à Panmunjom, suivi d’un sommet trilatéral entre Moon, Trump et Kim, mais l’idée a été rejetée par Kim, qui préférait Singapour.

Lors d’une visite aux États-Unis en mai 2018, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Bleue, Chung Eui-yong, communiquait à Bolton “le consentement de Kim Jong-un à la dénucléarisation complète” et notait “la capacité du président Moon Jae-in à convaincre Kim” d’accepter une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible (DCI). Encouragés par les assurances de Chung, les Etats-Unis ont décidé de tenir le premier sommet Etats-Unis-Nord à Singapour le 12 juin 2018. Cependant, la Corée du Nord n’avait jamais accepté une dénucléarisation basée sur la formule DCI et insistait sur la dénucléarisation de toute la péninsule coréenne, y compris le retrait des troupes américaines de Corée, le rejet des armes nucléaires américaines en Corée du Sud et au Japon, et le retrait du parapluie nucléaire américain.

Quant à la proposition de mettre fin à la guerre de Corée, Bolton a d’abord cru que c’était l’idée de la Corée du Nord, mais il s’est avéré que c’était une initiative de Moon et un des volets de ses promesses de campagne électorale dans le cadre du programme d’unification. Comme le projet de démantèlement du complexe nucléaire de Yongbyon en échange de la levée des sanctions, que Bolton a décrit comme “une idée schizophrène du président Moon Jae-in”.

Et même après ce revers, au lendemain du sommet de Hanoi, Chung Eui-yong a déclaré à Bolton par téléphone que si la Corée du Nord se débarrassait de ses installations nucléaires de Yongbyon, cela signifiait “qu’elle était entrée dans la phase de dénucléarisation irréversible”.

Troisièmement, Bolton a laissé échapper que lors du sommet de juin 2018 à Singapour, Donald Trump a déclaré à Kim Jong-un qu’il était réceptif à la levée des sanctions de l’ONU contre le régime.

Selon M. Bolton, à la fin de la réunion, Kim a dit à Trump qu’il était heureux que les deux parties aient convenu de suivre l’approche “action pour action” et a demandé si la levée des sanctions de l’ONU serait la prochaine étape. Trump a répondu qu’il était “réceptif à cette idée et qu’il voulait y réfléchir”, après quoi Kim est parti avec des attentes optimistes. Il est à noter que cela explique à la fois les espoirs que les parties nourrissaient au début du sommet de Hanoi, et le ton de Kim Jong-un à la fin de 2019, à savoir : nous pensions que les sanctions pourraient être levées, mais nous réalisons maintenant qu’il était stupide de même rêver d’une telle chose.

En outre, lorsque Pompeo a dit à Trump que la Corée du Nord voulait des garanties de sécurité, Trump a répondu que l’instauration de la confiance était la chose la plus intelligente qu’il ait dite sur Pyongyang depuis des mois.

Bolton confirme également que, lorsque Kim lui a demandé comment il le voyait, Trump a répondu qu’il aimait la question et a dit à Kim qu’il le voyait “comme quelqu’un de très intelligent, assez secret, une très bonne personne, totalement sincère, avec une excellente personnalité”.

Quatrièmement, Trump “ne comprenait pas pourquoi nous avions fait la guerre de Corée et pourquoi nous avions encore tant de troupes dans la péninsule, sans parler de ces jeux de guerre” et, nous sommes amenés à le croire, il a déploré à plusieurs reprises les exercices militaires conjoints entre les États-Unis et la Corée du Sud comme étant coûteux, provocateurs et un gaspillage d’argent. “Ainsi, lorsque Kim a dit qu’il voulait que les États-Unis réduisent ou éliminent ces exercices, Trump a dit qu’il passerait outre les généraux et le ferait” – sans consulter Séoul, le Département d’État ou le Pentagone.

En outre, selon les mémoires, Trump a menacé de retirer les forces américaines de Corée si Séoul refusait d’augmenter sa contribution financière aux coûts de maintien des troupes à cinq milliards de dollars, mais le ministre sud-coréen de la défense a rejeté cette affirmation le 24 juin 2020.

Bien entendu, toutes ces informations doivent être vérifiées à nouveau. Comme l’a écrit la presse sud-coréenne : “il est difficile de déterminer pleinement la véracité des affirmations contenues dans les mémoires. Nous devrons attendre un certain temps pour la déclassification des documents afin de les recouper avec les documents gouvernementaux”.

Cependant, une grande partie de ce qui a été dit rejoint les conclusions du correspondant, y compris en ce qui concerne la position de Séoul. Ce n’est pas une coïncidence si le conservateur Chunyan Ilbo a noté dans son éditorial : “Si les souvenirs de Bolton sont vrais, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que Moon et son administration aient étendu le sens de ce que Kim entendait par dénucléarisation et l’aient transmis à Washington”.

Et peu importe que Moon ait été trompé ou qu’il ait joué un jeu.  Le fait est que nous voyons maintenant les fruits de cette politique.

Konstantin Asmolov, Ph.D. (Hist.), chercheur principal au Centre d’études coréennes, Institut de l’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook”.

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