Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’art du voyage et Cuba

Parmi les mille cadeaux que m’a offert Cuba, il en est un donc je veux vous parler aujourd’hui…

Je suis affligée d’une espèce d’infirmité en matière de langue, mais aussi de musique. Je ne peux pas reproduire les sons, ça ne passe pas… La plupart des langues deviennent pour moi des langues mortes et j’ai toujours été la meilleure en version latine, je peux transcrire des écrits et même comprendre une langue par rapport à une autre… Mais impossible déjà de faire des thèmes corrects et surtout de parler les dites langues. Quand j’entends parler, il faut que je traduise en français et je perds une partie importante du message. Le contraire de Marianne qui se branche tout de suite sur les sons, la syntaxe, les conjugaisons et en huit jours, où que nous soyons allées, possède assez de rudiments d’une langue pour la parler. Moi en revanche, je sais voir, les mimiques, les gestes, les regards et cela nous apporte beaucoup de renseignements sur ce qu’est un pays, la manière d’être de ses habitants. Peut-être que je tiens cela de mon rapport à ma grand mère sourde, savoir lire ce qui n’est pas dit…

Quand je suis arrivée à Cuba, je ne parlais pas un mot d’espagnol comme d’habitude… Mais il s’est passé entre ce peuple et moi quelque chose de l’ordre de l’amour et il y a eu un miracle qui subsiste encore aujourd’hui. Au bout de quelques temps, je n’avais plus besoin de traduire dans ma tête, je pensais espagnol enfin cubain. J’arrivais même à percevoir le cubain de certains habitants de Santiago dont parfois on se demande s’ils se comprennent eux-mêmes. Certes cela n’allait pas jusqu’à désirer parler espagnol, ça sauf dans l’urgence du quotidien, je ne m’y résigne pas et je milite pour des échanges dans les deux langues, chacun parlant la sienne. Parler cubain, sauf dans le cas de Fidel qui avait un espagnol châtié, c’est parfois avaler la jota et débiter si rapidement que l’on s’y perd, le tout scandé par un geste de la main qui accentue l’accélération du verbe… C’est plaisanter avec des jeux de mots constants suivis d’éclats de rire…

Je défie quiconque de rencontrer Cuba et de ne pas éprouver ce sentiment d’être confronté au meilleur de l’humanité mais sans hypocrisie, avec ce respect des exigences des corps, cette lucidité sur ce que l’on peut attendre des êtres humains et pourtant l’héroïsme du quotidien. Il naît alors quelque chose qui s’appelle la confiance et c’est sans doute pour cela que malgré mon “infirmité” j’entends ce qu’ils me disent aussi clairement que s’ils me parlaient français.

Pour les autres peuples, il y a des interprètes plus ou moins doués et je baragouine, mais la présence de Marianne est la clé qui m’ouvre la parole du peuple, celle que nos médias ignorent et à toutes les deux nous découvrons la manière dont les civilisations se prolongent dans l’individu rencontré dans la rue. Parce qu’il faut comprendre que derrière les vêtements élimés, la pauvreté royale, il y a une civilisation et ça Cuba le proclame. Sa musique est ce que l’on sait et plus encore, mais j’ai dans l’oreille les gifles de la mer frappant le Malecon.

Nous sommes toutes les deux convaincues de deux choses: la première est que la meilleure manière de ne pas connaître les peuples est de croire que l’anglais est un langage universel, il n’est que le langage de ceux qui portent la mondialisation de l’empire et vous transforment en touristes… La seconde est dans la même logique, il faut prendre les transports en commun, aller de ville en ville dans les conditions où y vont les habitants du pays, partager la vie en évitant les lieux touristiques sauf pour de temps en temps y prendre un bain et passer une nuit un peu plus confortable.

Bref il faut partager “une tonne de sel” avec un peuple et surtout tenter d’éviter l’arrogance française qui se croît obligée d’expliquer “aux indigènes” ce qu’ils devraient faire pour être digne de sa visite… Par pitié essayez de vous dire qu’ils en savent plus que vous sur l’endroit où ils vivent et ne fraternisez pas trop vite, le touriste est une engeance qui attire souvent le pire qui puisse exister dans un pays. Il n’est pas plus aisé d’avoir un ami dans un pays que vous traversez que chez vous… Et pourtant Cuba offre quelques facilités dans ce domaine si vous vous considérez et vous considérez les Cubains comme des compagnons de lutte qui ont beaucoup de choses à vous apprendre.

J’espère qu’il me sera fin août et début septembre donné de retourner en Grèce et d’y mener cette rencontre avec un peuple qui lui aussi est une multitude d’îles et résistance. J’ai entamé le voyage avec Yannis Ristos et Grécité… mais je vous en parlerai plus longuement une autre fois…

Danielle Bleitrach

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