Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le COVID-19 va dévaster l’Indonésie, déjà en voie d’effondrement, par André Vltcheck

Notre globe-trotter, cinéaste, poète, communiste envers et contre tous, André Vltcheck nous décrit la situation en Indonésie, catastrophique et en profite pour nous dire que tout cela n’est pas le fruit du hasard. La situation en outre montre à quel point les statistiques mondiales des effets du coronavirus sont sous-estimés quand un gouvernement, celui du quatrième pays le plus peuplé de la planète a décidé de laisser faire l’épidémie. Merci à Catherine Winch pour sa traduction (note de Danielle Bleitrach, traduction de Catherine Winch).

https://journal-neo.org/2020/06/08/covid-19-will-devastate-indonesia-which-is-already-collapsing/

À Jakarta, des médecins meurent, alors que les habitants ne savent plus quelles données croire. Il semble que même certains responsables gouvernementaux ne croient plus aux statistiques gouvernementales.

Au début de la pandémie, pendant des semaines, le gouvernement indonésien faisait comme s’il n’y avait aucun problème, insistant que le nombre de cas était nul, grâce à la prière et à l’intervention divine.Tout en parlant de Dieu et des prières, le président conseillait aussi de boire des tisanes médicinales traditionnelles à titre préventif. Au moins, il ne recommandait pas d’imbiber détergent ou désinfectant.

En février, après avoir terminé un tournage à Bornéo (partie indonésienne de la troisième plus grande île du monde, dont le nom local est Kalimantan), mon vol Garuda Indonesia de Pontianak à Jakarta était plein de gens qui toussaient, apparemment malades ; très malades. Alors que d’autres pays de la région mesuraient déjà la température et mettaient en place des mesures systématiques pour enrayer la pandémie, l’Indonésie ne faisait absolument rien, de manière choquante mais déterminée.

Comme toujours, dans le quatrième pays le plus peuplé de la planète, il n’y avait ni budget, ni volonté, ni enthousiasme, ni savoir-faire pour faire face à l’urgence.

Il va sans dire que même sans pandémie, le pays tout entier constitue un énorme danger pour la santé. Le nombre de lits et de médecins pour mille habitants y est l’un des plus bas du monde.

Depuis le coup d’État de 1965 parrainé par les États-Unis, l’Indonésie est en mode turbo-capitaliste, négligeant tout ce qui est public, de l’assainissement au ramassage des ordures, mais surtout l’éducation et la santé. “Si cela ne rapporte pas de profit tout de suite,  pourquoi s’embêter à s’en occuper”, pourrait être la devise du régime. Tout le contraire de ce que l’on peut observer chez deux superstars socialistes : La Chine et le Vietnam.

Après ma dernière visite à Bornéo, j’ai eu les intestins détraqués pendant des semaines et j’ai été temporairement presque aveugle, ayant eu les yeux attaqués par des parasites.

Alors que l’administration actuelle du président Joko Widodo (connu en Indonésie sous son surnom de “Jokowi”) s’apprête à abandonner Djakarta (surpeuplée, non planifiée, pillée de presque tous ses espaces verts, accablée par la misère et les risques sanitaires) et à déplacer la capitale vers Kalimantan, au prix de dizaines de milliards de dollars, les installations médicales du pays sont désespérément insuffisantes, au niveau des pays les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne.

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Depuis mars, mes amis en Indonésie m’écrivent qu’il y a eu un nombre absolument sans précédent de funérailles, diffusées par les haut-parleurs des mosquées locales.

Tout le monde connaît quelqu’un, souvent au moins quelques personnes, qui est mort du COVID-19 ou qui est soupçonné par des proches d’en être mort.

Un anonyme de 34 ans (un chercheur/étudiant, vivant à Jakarta) m’a écrit :

“Ici, les gens meurent pour rien. Notre gouvernement traite les êtres humains comme des numéros, que ce soit en rapport avec les élections présidentielles de l’année dernière ou avec l’épidémie de Corona. Les gens sont en colère et ont perdu confiance dans le gouvernement. Dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus, l’intervention du gouvernement central ne fait qu’aggraver la situation. Notre gouvernement n’a jamais ressenti la moindre culpabilité et ne s’est jamais excusé auprès de son propre peuple pour son incompétence dans la gestion du pays, pour le génocide de 1965, les émeutes de mai 1998, ou maintenant, pour la mauvaise gestion lors de la catastrophe du coronavirus. Un jour, tout cela sera écrit dans les livres d’histoire”.

Presque toutes les catastrophes en Indonésie revêtent un caractère extrêmement dévastateur. Les tsunamis tuent un nombre inacceptable de personnes, parce que les systèmes d’alerte précoce sont volés, mais aussi en raison du manque de planification des communautés côtières, ainsi que de la corruption. Tremblements de terre, éruptions volcaniques : tout est pareil – pas de planification, pas de soutien aux pauvres. Léthargie, acceptation du destin et inertie.

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La peur de COVID-19 a déclenché au moins quelques initiatives parmi les citoyens indonésiens.

Selon Bloomberg le 29 mai 2020 :

“La spirale de la crise du coronavirus en Indonésie fait que les citoyens prennent les choses en main, avec des réseaux de volontaires qui compilent des données montrant que le taux de mortalité dans le quatrième pays le plus peuplé du monde pourrait être trois fois plus élevé que ce que dit le gouvernement.

La crainte que le faible taux de dépistage dans le pays signifie que les décès dus au virus ne sont pas tous enregistrés a incité les citoyens, les travailleurs de la santé et les scientifiques à mettre en place LaporCovid-19 et KawalCOVID19, deux plateformes de données open-source qui permettent aux gens de toute l’Indonésie de signaler les décès suspectés de Covid-19 via WhatsApp et Telegram.

Plus de 4 000 décès parmi les patients suspectés d’avoir contracté le Covid-19 depuis début mars ne sont pas inclus dans les chiffres officiels, selon les données recueillies par les plateformes. Cela s’ajoute aux 1 520 décès recensés par le gouvernement, ce qui donne déjà à l’Indonésie le taux de mortalité le plus élevé d’Asie du Sud-Est”.

Mais même les estimations de 4 000 décès supplémentaires semblent être extrêmement basses. Certains experts pensent que le nombre de cas, ainsi que le nombre de décès, pourrait être 15 fois plus élevé que les chiffres officiels. Cela correspondrait aux estimations pour le Brésil, autre pays gouverné par un régime d’extrême-droite.

S’écartant radicalement de la règle commune des médias occidentaux qui consiste à ne pas critiquer l’Indonésie soumise, anti-gauche et pro-marché, plusieurs publications grand public en Amérique du Nord et en Europe ont décidé de rompre le silence. Ceci est une nouvelle en soi. Le 28 mai 2020, le New York Times a publié un rapport détaillé et très précis sur le COVID-19 qui a dévasté l’archipel :

“Dans un aperçu alarmant de ce qui pourrait être une transmission à grande échelle, un échantillon choisi au hasard de 11 555 personnes à Surabaya, la deuxième plus grande ville du pays, a découvert la semaine dernière que 10 % des personnes testées avaient des anticorps pour le coronavirus. Pourtant, toute la province de Java Est, qui comprend Surabaya, ne comptait que 4 313 cas officiellement confirmés jeudi.

“Une infection massive a déjà eu lieu”, a déclaré Dono Widiatmoko, maître de conférences en santé et assistance sociale à l’université de Derby et membre de l’association indonésienne de santé publique. “Cela signifie qu’il est trop tard”.

Pourtant, alors même que le nombre de cas ne cesse d’augmenter dans le pays, le gouvernement indonésien a déclaré que les restrictions nationales sur les coronavirus, déjà de nature fragmentaire, doivent être assouplies pour sauver l’économie”.

Les dirigeants indonésiens collaborent, de la manière la plus honteuse et la plus servile, avec toutes les administrations américaines. Démocrates ou républicains, cela ne semble pas faire de différence. Mais l’actuel président Joko Widodo (Jokowi), fait des courbettes devant le président Trump et son fondamentalisme du marché. Il le fait de façon humiliante et destructrice pour l’Indonésie.

C’est peut-être la raison pour laquelle la presse “libérale” aux États-Unis, généralement hostile à M. Trump et à ses alliés, est maintenant prête à fournir des reportages objectifs sur l’état alarmant de l’État indonésien; au bord de l’effondrement, cet état voit plus de la moitié de la population vivre dans la misère, une énorme dévastation de l’environnement et le désastre de COVID-19.

Le reportage du New York Times poursuit :

“Les experts de la santé publique craignent toutefois que le système de santé indonésien ne s’effondre si le coronavirus se répand aussi largement qu’il l’a fait aux États-Unis ou en Europe.

Il est inquiétant de constater que plus de la moitié des décès dus au Covid-19 en Indonésie concernent des personnes de moins de 60 ans. Aux États-Unis, la plupart des décès sont survenus chez les personnes âgées. La relative jeunesse des victimes en Indonésie, selon les experts de la santé, laisse entrevoir des hôpitaux incapables de fournir le type de traitement qui sauve des vies offert dans d’autres pays.

Et les épidémiologistes craignent une augmentation encore plus importante du nombre de cas le mois prochain. La semaine dernière, dans un pays qui compte la plus grande population musulmane au monde, des millions d’Indonésiens se sont réunis pour prier et voyager à la fin du Ramadan, le mois saint islamique. Dans la capitale, Jakarta, plus de 465 000 véhicules ont quitté la capitale pendant la période des fêtes, selon un opérateur de péage.

Bien que le gouvernement indonésien ait annoncé certaines restrictions sur les déplacements fin avril, elles n’ont pas été appliquées rigoureusement, selon les critiques. Les dérogations abondent. Le personnel de l’aéroport s’est plaint de voir des familles entières, y compris des enfants, voyager en vertu d’exemptions réservées aux voyageurs d’affaires. Des épidémiologistes de l’Université d’Indonésie ont modélisé la situation et prévoient que jusqu’à 200 000 Indonésiens pourraient devoir être hospitalisés pour le virus en raison des activités liées au Ramadan”.

“Les taux de dépistage en Indonésie sont les pires parmi les 40 pays les plus touchés par le virus – 967 pour 1 million de personnes, contre 46 951 pour 1 million de personnes aux États-Unis, à la date de mercredi – les Indonésiens, en particulier ceux qui présentent des cas asymptomatiques ou légers, propagent le virus sans le savoir, mettent en garde les experts en maladies infectieuses”.

Et puis, pour finir, ce choc prévisible et correct :

“Le désastre est encore à venir”, a déclaré le Dr Pandu Riono, un épidémiologiste qui dirige l’effort de modélisation de l’Université d’Indonésie. “Même après de nombreux mois, nous avons encore des dirigeants qui croient aux miracles plutôt qu’à la science. Nous avons encore des politiques lamentables”.

Pendant des semaines, le gouvernement de Jokowi a menti sur le nombre de cas. « Pour ne pas semer la panique », a-t-il « expliqué » plus tard. Comme mentionné précédemment, le gouvernement se vantait qu’il n’y avait pas d’infections, grâce aux “prières”, et la prière est ce qui a été suggéré par le ministre de la santé, pour éviter d’être infecté par le virus. Le président a également conseillé aux gens de boire des tisanes traditionnelles et de faire de l’exercice, à titre préventif.

Pendant des mois, du moins jusqu’en mars, le gouvernement indonésien a menti au monde et à ses citoyens. Ou, comme certains le disent aimablement, le gouvernement “était dans le déni”. Alors que les pays voisins, comme Singapour et la Malaisie, luttaient contre le virus depuis janvier, l’Indonésie balayait les faits sous le tapis.  À Java, les hôpitaux débordaient de cas de pneumonie, mais comme le suggèrent maintenant de nombreux experts, les corps étaient enterrés et les tests de dépistage du coronavirus découragés.

***

Mentir pratiquement sur tout est une caractéristique remarquable du régime indonésien. Il ment sur son passé (en blanchissant le coup d’État fasciste de 1965 soutenu par les États-Unis, au cours duquel 2 à 3 millions de personnes ont été massacrées), sur son effondrement social (bien plus de la moitié de ses citoyens vivent dans la misère, mais le gouvernement ne reconnaît qu’environ 10 %), et même sur le nombre de personnes qui résident actuellement dans le pays. Il y a dix ans, j’ai travaillé avec les meilleurs statisticiens des Nations unies qui affirmaient que plus de 300 millions de personnes vivaient en Indonésie, alors que le gouvernement prétendait qu’elles étaient environ 250 millions à l’époque. Pourquoi ? Pour que les personnes les plus démunies ne laissent pas de traces sur ces beaux rapports qui glorifient ce pays ultra-capitaliste. Et pour que les budgets puissent facilement disparaître dans les poches profondément corrompues des fonctionnaires du gouvernement et des chefs d’entreprise, au lieu de nourrir les pauvres.

Aujourd’hui, le gouvernement de Jokowi est prêt à “rouvrir le pays”, afin de relancer l’économie. La pandémie va maintenant, après le Ramadan, très probablement exploser, mais cela ne semble pas avoir d’importance. Les choses peuvent toujours être étouffées, à l’indonésienne.

La ministre des finances parle déjà de reculer de plusieurs années la lutte contre la pauvreté. Elle prépare les gens aux souffrances à venir. Cela, alors que les grandes entreprises indonésiennes reçoivent des milliards de dollars en fonds de soutien.

C’est une “experte”. Elle sait comment on peut voler efficacement les pauvres. Après tout, Mme Sri MulyaniIndrawati a été directrice générale de la Banque mondiale.

Jusqu’à présent, malgré l’effondrement social (dont on ne parle toujours pas dans le pays ni à l’étranger), la catastrophe environnementale et le fiasco COVID-19 en cours, l’un des systèmes les plus impitoyables sur Terre perdure.

La logique est simple, si on veut la voir : Si un pays peut nier l’existence de plus de 50 millions de ses citoyens, s’il refuse d’admettre la misère dans laquelle la majorité de sa population est forcée de subsister, si les “élites” sont autorisées à voler la nation de manière endémique, qu’est-ce qui empêcherait le régime de passer sous silence des dizaines de milliers de personnes, principalement pauvres, qui meurent, sans être diagnostiquées et sans aucune aide, du COVID-19 ou de toute autre maladie ?

Les carnages indonésiens sont historiquement massifs ; des millions de personnes, ou au moins des dizaines de milliers à chaque fois. Personne ne s’en souvient. La vérité n’est jamais dite. Le communisme et le socialisme sont interdits. Les religions sont obligatoires. Les gens sont conditionnés à accepter leur sort. Rien de nouveau !

André Vltchek est philosophe, romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il est le créateur du livre ‘Le monde de Vltchek en mots et en images’ , et un écrivain qui a écrit un certain nombre de livres, dont ‘China’s Belt and Road Initiative’ : Connecting Countries Saving Millions of Lives.[La Nouvelle route de la Soie, Connecter les pays pour sauver des millions de vies]”  Il écrit notamment pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook”.

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