Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

1922, le traité de Rapallo, l’ultime stratégie léniniste, par Danielle Bleitrach

Dans la conférence de Gènes qui s’est ouverte le 10 avril 1922 et qui a suivi celle de Cannes, 29 Etats étaient représentés. Le pouvoir soviétique poursuivit la stratégie de Lénine. On peut considérer que dans cette conférence la position et la doctrine internationale de l’URSS sont établies et que le fait marquant en est la signature d’un “pacte germano-soviétique en 1922 qui témoigne de tout ce qui a été accompli au plan intérieur comme extérieur.

Et c’est d’ailleurs ce qui est le plus fascinant, la mise en mouvement de millions d’individus soulevés par une espérance. Lénine apparaît au centre de cette force inouïe, celle de tous ces anonymes qui se portent là où une stratégie leur désigne leur poste… Quelque chose qui reproduit et pourtant s’inscrit contre la guerre qui vient de leur être imposée par des appétits impérialistes. Ceux qui ont voulu cette boucherie et qui se retrouvent là pour tenter de mettre à genoux l’URSS subissent cette force collective de paix. Lénine chevauche cette puissance, l’organise et s’y désincarne. Il est épuisé comme l’URSS, mais il représente la vie face à la mort impérialiste.

Ce “pacte” nous permet de mieux comprendre ce qui se met en place tant au plan intérieur que dans l’instauration des relations de l’Union soviétique au plan extérieur avec les gouvernements capitalistes mais aussi un mouvement communiste en train de se développer. C’est dans ce contexte d’une intelligence politique extraordinaire que se joue la survie de l’Union soviétique. Lénine déjà épuisé tient pourtant tous les fils à la fois, il organise tous les fronts.

La coexistence de deux systèmes et jouer sur les contradictions inter-capitalistes

La déclaration initiale lue par le très souriant Tchitchérine stipulait entre autres: “Tout en conservant elle-même le point de vue des principes communistes, la délégation russe reconnaît que, dans la période actuelle de l’histoire qui permet l’existence parallèle de l’ancien ordre social et du nouvel ordre naissant, la collaboration économique entre les Etats représentant ces deux systèmes de propriété apparaît comme impérieusement nécessaire pour la reconstruction économique générale. Le gouvernement russe attribue en conséquence la plus grande importance au premier point de la résolution de Cannes traitant de la reconnaissance réciproque des différents systèmes de propriété et des différentes formes politiques et économiques qui existent actuellement dans divers pays. La délégation russe s’est rendue ici non pas dans l’intention de faire de la propagande pour ses propres vues théoriques, mais afin d’engager des relations pratiques avec les gouvernements et les milieux commerciaux et industriels de tous les pays sur la base de la réciprocité, de l’égalité des droits et de la reconnaissance pleine et entière“.

La délégation soviétique dans la conférence utilisa les contradictions inter impérialistes. Les deux puissances les plus agressives étaient la Grande-Bretagne et la France, mais elles n’étaient pas d’accord entre elles et les autres se rangèrent derrière l’une ou l’autre. La conférence se retrouva bientôt entre deux blocs, d’un côté les franco-belges flanqués des Japonais et de l’autre la Grande Bretagne avec les Italiens. Les plus intraitables étaient les Français par anti-communisme mais aussi parce que leur gouvernement s’appuyait sur les épargnants qui possédaient des actions russes, dette non reconnue par le nouveau gouvernement. Les Anglais eux se montraient plus sensibles à la revendication soviétique de faire payer les frais de la guerre civile.

Mais ceux qui étaient les plus sensibles à des revendications sur les dommages de guerre étaient les Allemands. La France qui s’activait en coulisse pour empêcher tout accord ne put pas empêcher le pacte qui se noua le 16 avril à Rapallo, faubourg de Gênes, un traité bilatéral. Les dédommagements de guerre inquiétaient les Allemands mais surtout la Russie soviétique était devenue un facteur important dans la politique internationale. Il y avait plusieurs raisons à cette montée en force au niveau international.

La première était la consolidation de l’Etat soviétique à la suite de la défaite des interventions étrangères et des armées blanches. La fermeté de la délégation russe à Cannes puis à Gênes avait fait comprendre aux gouvernements étrangers qu’il n’y aurait pas de capitulation dans les négociations pas plus que sur le terrain de la guerre. Donc en tant que puissance vaincue et obligée à d’humiliants traités et des réparations énormes (“l’Allemagne paiera disait la France), l’Allemagne espérait améliorer sa propre situation internationale et renforcer ses pourparlers avec ceux qui l’avaient vaincue.

Par ailleurs si l’Allemagne voulait se reconstruire économiquement, le marché soviétique avait une importance vitale, proche et volumineux. Ce calcul a toujours été celui de l’Allemagne sous différentes formes. Les capitalistes allemands espéraient en tirer des profits formidables.

Mais un autre facteur était tout aussi important, il s’agissait des peuples et des partis communistes qui se constituaient.

La pression pacifique et celle du mouvement communiste international

Le deuxième point qui conféra à la délégation soviétique une grande aura dans le monde fut la réaffirmation d’œuvrer en faveur du désarmement. Il fallait alléger tous les peuples et tous les pays du fardeau du militarisme.

a) La rupture du socialisme par rapport à tous les régimes antérieurs: son fondement est la paix

Les peuples sortaient écœurés de la boucherie mondiale, cet appel à la paix eut un retentissement énorme et désormais Il eut effectivement partout, dans tous les pays communistes une autre définition des relations internationales. C’est peut-être un des points les plus essentiels pour comprendre en quoi le communisme constitue une “civilisation”, une force d’attraction culturelle susceptible d’avoir un impact historique sur le devenir de l’humanité.

Dans le livre qu’il a consacré à la politique extérieure de l’URSS, Boris Ponomarev résume la rupture que constitue le socialisme en disant que la politique extérieur d’un Etat est déterminée en dernière analyse par la nature de son régime. Dans les sociétés de classe exploiteuses et plus encore la classe capitaliste, la politique a pour force motrice la volonté d’élargir l’exploitation, de trouver de nouveaux débouchés, des positions stratégiques pour exploiter des territoires, asservir les peuples, les piller. Dans un régime socialiste, non seulement l’économie planifiée dompte l’anarchie de la production, mais la force motrice est de satisfaire les besoins matériels et culturels grandissants des travailleurs, cela fait d’un État socialiste un adversaire résolu de toute agression, de tout attentat à la paix et l’indépendance de tous les peuples de l’Univers.

Un tel programme créa de l’enthousiasme non seulement dans les masses qui étaient sorties de la guerre mondiale avec la haine de la guerre, mais aussi chez les peuples colonisés. Et effectivement, quelle que soit l’opinion que l’on a de l’Union soviétique on ne peut pas nier qu’elle ait rempli son rôle d’équilibre empêchant la guerre y compris nucléaire et d’aide à la libération des peuples colonisés.

b) La création et le développement des partis communistes et de l’Internationale

Ce rôle de l’Union soviétique fut d’autant plus connu et apprécié qu’il s’appuya sur la constitution d’un grand mouvement ouvrier et là encore le rôle de Lénine fut déterminant dans la constitution de partis communistes et l’adoption dans le cadre de l’Internationale d’une ligne qui fut à la base de l’essor de ces partis au premier rang desquels le parti communiste allemand.

Au travail véritablement dément que les bolcheviques et Lénine accomplissaient pour asseoir la première révolution prolétarienne il faut encore ajouter le rôle joué par Lénine dans l’internationale communiste.

On peut le résumer à quelques traits, le premier a consisté à limiter et contrecarrer le gauchisme et l’opportunisme. Le gauchisme était surtout du fait de petits groupes totalement isolés des masses qui avaient des mots d’ordre aventuriers. A cela il fut répondu par l’idée d’un parti bien implanté dans les masses, dans la classe ouvrière grâce aux organisations de base et une politique de cadres rigoureuse. Mais également un parti qui refusait l’opportunisme et les alliances avec les partis bourgeois, la social-démocratie étant devenue un de ces partis.

L’Allemagne qui avait connu en 1918 l’épisode spartakiste que Lénine se refusa à totalement condamner connu à travers cette ligne un essor remarquable. Le parti communiste allemand fut un des plus grands et des plus combatifs partis et sa pression en faveur de la paix, du désarmement, de la reconnaissance de l’Union soviétique explique pour une part importante cette signature de l’accord de Rapallo.

Il n’en était pas de même du parti communiste français né à Tours qui resta longtemps coupé des masses, tant à cause de dirigeants opportunistes qui s’emparèrent du parti issu de Tours que d’autres sectaires. Coupés de la classe ouvrière, elle-même en proie au syndicalisme révolutionnaire, il fallut attendre Maurice Thorez pour que le PCF prit un autre chemin.

c) Réorganisation du parti communiste en URSS

Mais après le Xe Congrès du PCUS, le parti communiste mit en application sa politique économique et entreprit de la faire comprendre et partager. Le Comité central et le gouvernement furent entièrement impliqués dans les questions économiques du pays et chacun dut aller faire ses preuves sur le terrain. L’armée rouge et ses cadres furent également impliqués et les cellules furent mobilisées à cette tâche dans les entreprises. Conformément à la résolution du Xe congrès qui avait interdit désormais les fractions les parti épura ses rangs, dans des réunions publiques. Près d’un quart des effectifs du parti fut exclu. Comme les résultats économiques arrivaient et que les dirigeants avaient gagné en autorité les paysans contrôlèrent les koulaks alors même que la loi remplaçant les réquisitions en nature par un impôt furent accueilli avec soulagement et ce dès 1921.

Pour bien gérer l’économie, gouverner l’Etat et faire du commerce, mais évincer le capital privé et construire le socialisme “la clé de la situation, indiquait Lénine, est dans les hommes, dans le choix des cadres, dans la vérification de l’exécution.

Toute l’organisation qui fut mise en place mériterait à lui seul un article.

Le XI e Congrès fut le dernier auquel Lénine assista et qu’il dirigea. Staline y fut élu secrétaire général. Nous consacrerons probablement un article à ce congrès.

Lénine, malade, Staline qui éprouvait pour lui, tous les textes et les analyses le prouvent, une vénération totale faisait tout pour le protéger et il faudra revenir sur les légendes qui ne tiennent pas compte de ce que furent réellement ces moments cruciaux.

Danielle Bleitrach

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 555

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.