Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

A propos d’une épidémie, l’humanité peut-elle apprendre à connaître ?

Voici ce que j’écrivais ce 2 février 2020, en sortant d’un film chinois sur fond d’épidémie et de discours médiatique: “séjour dans les monts Fuchun”. Ce que je voyais dit assez ce que chacun pouvait voir et comment la cécité volontaire, la xénophobie de tous nous ont menés où nous en sommes. De tous, je dis bien et il a bien fallu en tirer leçon ce 22 avril quand de négation en négation, il y a l’exploit ultime d’un PCF anti-internationaliste, imprégné de l’idéologie de l’UE, le refus de célébrer l’anniversaire de la naissance de Lénine. Qu’attendre des 100 ans de mémoire avec les mêmes, sinon censure, manipulation, absence de dialogue, je n’ai plus le temps… Aujourd’hui, je fredonne une chanson “ma solitude”. C’est sans doute la principale découverte de ces jours de confinement, ma solitude est désormais l’unique compagne de ma vie, et pourtant ma vie fut si riche, parce qu’il y a eu a contrario des individus avec qui j’ai réellement pu partager, un amour, une amitié, un compagnonnage mais c’était parce qu’eux-mêmes étaient des révolutionnaires exigeants, des romantiques rêveurs, et désormais s’est installé le doute, l’absence de confiance, la conviction de n’être que le jouet de la lâcheté des médiocres, recevoir inutilement des coups, l’impuissance devant une force d’inertie. Ce n’est pas grave, c’est….  (note du 7 mai 2020-seulement trois mois après).
séjour dans les monts Fuchun

Regardez sur les plateaux de télévision actuellement la différence d’attitude entre les chercheurs scientifiques qui nous parlent de l’épidémie du coronavirus et les politologues qui s’affirment spécialistes de la Chine, sans parler de ceux qui ont lu deux ou trois articles sur ce pays et qui mènent souvent le débat. Ceux-là nous infligent leur vision du « péril jaune » incontestablement aggravé par le fait qu’il est rouge. La manière dont la Chine a mis en quarantaine des villes énormes, le vide qui s’est créé dans les rues et les hôpitaux construits en quelques jours provoquent non pas l’admiration, mais l’inquiétude chez ceux qui ne sont pas informés. N’ont-ils pas le sentiment d’être confrontés à une fourmilière d’anonymes dirigés par le big brother habituel. Face à ce mouvement spontané d’inquiétude qui est celui de la population, quelles sont les réponses médiatiques?

Il existe une catégorie particulièrement pernicieuse de gens qui se disent informés puisqu’ils occupent les médias et qui en profitent pour faire passer leur haine de la Chine, leur anticommunisme primaire. Ces gens-là sont souvent les mêmes qui non seulement s’estiment compétents sur tout mais qui souvent dénoncent le complotisme des réseaux sociaux. Dans cette affaire, comme dans d’autres, ils le pratiquent sans état d’âme en utilisant leur place d’éditorialistes bien vus du pouvoir et des groupuscules médiatiques. Alors que les scientifiques qui souvent sur le même plateau mènent un discours parallèle et ignorent les remarques précédentes des sinologues autoproclamés, donnent le visage d’une véritable collaboration, d’une écoute mutuelle et d’une transmission d’information. Ils annoncent avec joie les résultats en France, en Chine aux Etats-Unis. Ils rationalisent les dangers sans pour autant nous faire baisser notre garde, pour aujourd’hui et pour demain.

Le véritable problème n’est plus la Chine alors, il est le sous-développement. Des pays entiers qui ne peuvent être mis en veille sanitaire et qui n’ont pas les laboratoires, les hôpitaux qui peuvent isoler. Les échos de transmission du virus proviennent tous de pays développés, que se passe-t-il dans ceux où la surveillance est insuffisante, les voyageurs dont on ignore tout. On ne peut pas nier les migrations, il faut gérer avec humanité, soigner, prévenir. Le sous-développement, le nôtre nous gorgés de marchandises et privés de sens.

L’autre problème est la capacité qu’a un pays à imposer à sa population la discipline extraordinairement contraignante des mises en quarantaine de masse. Certains urgentistes qui font des simulations sont aujourd’hui confrontés à cette inconnue que la Chine traite à une échelle inouïe, celle de l’ensemble de la population française. Cette capacité au lieu de l’interroger, nous la décrions.

Il y a là quelque chose de l’avenir de l’humanité, comment créer chez les êtres humains ce désir véritable et attentif de ce qu’est l’autre, la formation à la connaissance et le contraire de la rumeur destinée à conforter les stéréotypes.

De la méthode, apprendre à lire, à voir, à penser autrement… Et je suis de plus en plus inquiète, il me semble qu’il faudrait apprendre à lire, à voir, à entendre, cultiver nos sens pour les affiner jusqu’à ce qu’ils contribuent à eux aussi s’ouvrir à la mondialisation, en partant de ce que nous sommes. Mais aussi pour provoquer ce que nous avons d’irremplaçablement humain face aux conquêtes de l’intelligence artificielle. S’ouvrir à quelle mondialisation? Peut-être faudrait-il là aussi entamer le dialogue avec ce que la Chine tente de nous dire : « Construisons ensemble une communauté de destin », dit Xi Jinping dans ce livre que j’ai le privilège de lire avant qu’il soit diffusé en France. C’est-à-dire, restons ce que nous sommes avec nos valeurs propres, nos mœurs, mais cherchons entre nous les points d’intersection qui garantissent progrès et sécurité pour l’ensemble de l’humanité.

Apprendre à lire par exemple, à se documenter réellement, à la manière de ces chercheurs et a contrario de ces éditorialistes qui n’ont plus le temps que de paraître. « Tirer d’un livre jusqu’à la dernière goutte de substance est un art presque aussi difficile que celui d’en écrire un. Lorsqu’on a appris à le faire, un seul livre profite autant que des centaines. » Henry Miller.

Je suis d’autant plus d’accord avec cette remarque que personnellement je ne connais que deux manières de lire. La première que j’ai pratiquée depuis ma plus tendre enfance consiste à recopier les livres que je lis. Il m’est arrivé dans les bibliothèques de recopier durant des mois des livres et j’en ai encore un doigt déformé avec une boule que même la pratique de la machine à écrire puis de l’ordinateur n’a pas totalement résorbée. L’autre manière qui m’a gagnée à l’adolescence a été de prétendre écrire un livre et de se documenter.

C’est pour cela que j’aimais tellement l’année de maîtrise et la direction de ce premier acte de recherche pour mes étudiants. Je suivais leur propre exploration non seulement sur le terrain mais dans leur sollicitation de documents, d’archives et d’auteurs. Certains apprennent à réellement lire pour la première fois et ils le font à partir d’interrogations sur la réalité d’un terrain, ils ne tentent pas de conforter leurs opinions mais en les construisant, ils se remettent en cause et ils s’enrichissent.

Si je suis obligée de recopier des livres entiers, c’est que je suis une visuelle, le sens me parvient par le sens regard mais ce qui me pousse, moi comme tant d’autres à lire, à me documenter est pourquoi le nier une sorte de transcendance typiquement humaine. Comme le disait récemment François Cheng dans une émission de la grande librairie, la quête du beau est quête du sens. Ce mot français, « le sens » une sorte de diamant à multiples facettes: le sens qui est une direction, un mouvement de votre propre transformation, le sens qui est non seulement un contenu mais l’essentiel de ce contenu, sa substance. Le sens qui est l’instrument privilégié de votre compréhension, la sensualité, et pour moi c’est l’œil d’abord et après le goût.

La connaissance est recherche et celle-ci est quête de l’autre, de ses potentialités, de l’échange. A partir de cette réflexion de François Cheng, s’impose à moi le film « séjour dans les monts Fuchun », tous ces sens sont magnifiés dans ce film et cela vous permet à la fois de vous ouvrir à une autre civilisation, à son irréductible étrangeté et dans le même temps avoir avec elle le contraire des stéréotypes ambiants, l’hostilité, la peur, la manière de plaquer ce que nous avons de pire sur ce que nous découvrons. Cette manière de croire savoir parce que nous refusons le temps de connaitre.

Il y a là quelque chose de l’avenir de l’humanité, comment créer chez les êtres humains ce désir véritable et attentif de ce qu’est l’autre, la formation à la connaissance et le contraire de la rumeur destinée à conforter les stéréotypes. Ce qu’on trouve à l’état embryonnaire dans l’art, dans la recherche scientifique, malgré les mises en concurrences, les contraintes du profit comment peut-il devenir la communauté de destin de l’humanité?

C’est en quelque sorte le contraire de ce que favorisent les réseaux sociaux, les like après un article dont on a vaguement lu le titre et quelques lignes, parce que c’est le seul intérêt que l’on puisse avoir pour votre interlocuteur que celui d’un post où tout ce qu’il a à vous dire tient en une phrase qui a le bon goût de confirmer vos idées reçues sur la question. Et pourtant il y a un désir de savoir.

J’ai cru longtemps que la politique était la voie royale de cette connaissance qui part de nos intérêts pour atteindre ceux de l’humanité, je pense que telle qu’elle se présente aujourd’hui elle reste incontournable mais mérite d’être considérée aussi dans ses limites actuelles, le fait qu’il existe un état de la science qui a besoin de mondialisation, d’investissements collectifs, la force productive du travail et que celle-ci ne trouve pas les rapports sociaux, les institutions à la mesure de ses avancées potentielles dont l’humanité a besoin pour sa survie. Le fait que lutter contre les entraves a d’abord une dimension nationale, comme la lutte contre l’épidémie, mais que ce qui est recherché en terme de coopération est international. Quelle force politique est en capacité de penser cette contradiction et son dépassement?

Je crains hélas qu’en France le PCF soit comme un wagon arrêté sur la voie, il occupe la place de l’histoire mais en a perdu tous les sens et je me débats en son sein pour éviter les coups, jusqu’à quand?

Danielle Bleitrach

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