Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Hier soir, Julian Assange m’a appelé. Voici de quoi nous avons parlé (Diem25)

Oui nous ne devons rien oublier, ni du passé, ni du présent… Important message, une seule remarque notre situation n’a rien à voir avec la sienne, toutes les inégalités sont-là, l’entassement ou le jardin avec ou sans piscine… Un conseil affichez des pancartes sur vos balcons où vous direz ce que vous pensez, vos souhaits, vos colères… (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

Yanis VAROUFAKIS

Hier soir, immédiatement après notre premier événement télévisé DiEM25, mon téléphone a sonné. C’était Julian. De la prison. Ce n’était pas la première fois qu’il m’honorait profondément en utilisant les quelques appels que la prison lui permet de passer pour m’appeler. Comme à chaque fois, lorsque je suis surpris en reconnaissant sa voix, un torrent d’émotions me submerge. La culpabilité, principalement, à l’idée que, dès que la ligne sera coupée, il restera là – dans l’endroit extrêmement sombre où il a été confiné en raison d’une décision qu’il a prise il y a longtemps pour nous aider à comprendre ce que les pouvoirs en place ont fait en notre nom à notre insu et sans notre consentement.

Julian voulait parler des effets de Covid-19 sur le monde dans lequel nous vivons et, bien sûr, sur son cas. Il a fait remarquer que le manifeste électoral de Jeremy Corbyn, que l’establishment avait fustigé pour être trop radical, semble maintenant déraisonnablement modéré. Nous avons ri de l’audace de ceux qui disaient au peuple britannique qu’il était irresponsable de dépenser quelques dizaines de milliards pour fournir un financement adéquat au Système de santé britannique et à l’aide sociale pour tous, de considérer les connexions internet haut débit comme un service d’utilité publique, et re-nationaliser les chemins de fer afin qu’ils fonctionnent correctement – ces mêmes personnes qui, maintenant que les grandes entreprises et le capitalisme en général sont en grave difficulté, semblent avoir découvert une source inépuisable d’argent, annonçant que des milliards seront injectés dans l’économie. Julian ne savait pas (comment le pouvait-il, alors que les autorités carcérales lui refusent l’accès aux journaux, à Internet, et même à BBC Radio 4 ?) que Boris Johnson avait, plus tôt hier, annoncé la nationalisation temporaire des chemins de fer – après avoir constaté que le secteur privé n’arrive jamais à fournir un service correct au milieu d’une urgence nationale.

Après quelques minutes pendant lesquelles nous nous sommes permis de nous prélasser dans le Waterloo des néolibéraux, entre les mains d’un phénomène que le système ne pouvait tout simplement pas gérer sans abandonner toutes ses certitudes, nous avons discuté de ce que cela signifie pour l’avenir. Julian a dit, à juste titre, que cette nouvelle phase de la crise nous fait comprendre, à tout le moins, que tout a changé, que tout est désormais possible. J’ai ajouté que tout est possible, le meilleur comme le pire. La question de savoir si l’épidémie contribue à l’avènement d’une société meilleure ou pire dépendra, bien sûr, de nous – de la capacité des progressistes à se rassembler. Car si nous n’y parvenons pas, comme en 2008, les banquiers, les escrocs, les oligarques et les néofascistes prouveront, une fois de plus, que ce sont eux qui savent comment ne pas laisser une bonne crise se perdre.

Réussirons-nous ? Julian avait un commentaire plein d’espoir à ce sujet : Les organisations transnationales comme Wikileaks et DiEM25 avaient au moins perfectionné les outils numériques pour les débats et les campagnes en ligne bien avant l’arrivée de Covid-19. Dans une certaine mesure, nous sommes mieux préparés que d’autres.

Ensuite, nous avons parlé de son cas. Ses conditions de détention se détériorent. Maintenant que les visites ont cessé, son isolement s’aggrave. Ses avocats sont sur le point de demander à la cour une libération sous caution. Si la santé d’un prisonnier de la prison de haute sécurité de Belmarsh est menacée par une infection à Covid-19, c’est celle de Julian. Le tribunal lui accordera-t-il une libération sous caution ? Peu probable. La nouvelle crise changera-t-elle les chances de son extradition ? Nous avons convenu que la réponse à la dernière question est : probablement, mais seulement un peu – maintenant que le complexe de sécurité nationale aux États-Unis et au Royaume-Uni a des choses à craindre qui n’existaient pas il y a quelques semaines.

Notre conversation a duré dix minutes et une seconde. Puis le directeur de la prison a coupé la ligne. Le seul homme qui connaisse mieux que nous tous les dangers et les souffrances de l’isolement en était sorti pour me donner, à nous, une leçon de dix minutes sur comment garder le cap pendant le confinement.

Ne vous y trompez pas, cher lecteur : Julian lutte pour garder ses facultés, pour ne pas perdre la tête. Pendant des heures chaque jour, en isolement, il lutte contre l’obscurité et le désespoir. Lorsqu’il semble lucide, voire drôle, au téléphone, c’est parce qu’il a travaillé pendant 20 heures en prévision du moment où il devra communiquer sa version de l’histoire, ses pensées, au monde extérieur. Personne ne devrait avoir à vivre de cette façon.

Et c’est ainsi que, maintenant que nous sommes tous dans un certain état d’isolement, la situation critique de Julian – ainsi que ses réflexions – doit nous faire réfléchir et nous amener à découvrir en nous-mêmes le pouvoir et la solidarité nécessaires pour que cette crise ne soit pas gaspillée – pour que les pouvoirs ineptes et corrompus ne finissent pas, une fois de plus, par en être les bénéficiaires.

Yanis Varoufakis

Traduction “Assange président !” par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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