des élections ont lieu en Iran, le taux de participation est peut-être la seule inconnue du scrutin qui ne risque pas de réellement changer la direction du pays. Quand on parle de l’Iran on ne peut pas négliger le fait que c’est une civilisation très ancienne et que la nation est fortement ancrée dans les mentalités de ses habitants quel que soit leur choix politique, cette civilisation a ses spécificités y compris dans ses valeurs religieuses. il me semble que mieux connaître les peuples, leur histoire est indispensable au dialogue et à la paix. Dire que je n’ai aucune sympathie pour les dirigeants iraniens actuels que je déteste le fanatisme religieux qui masque de sordides intérêts et réprime le peuple ne signifie en rien une dépréciation de ce qu’à été y compris la Révolution islamique, sa volonté d’indépendance et même ses acquis. Et à ce titre, je voudrais que l’on comprenne mieux les fondements y compris religieux d’une civilisation millénaire. Peut-être y a-t-il dans mon approche l’influence d’un Max Weber qui cherchait l’esprit du capitalisme dans l’éthique protestante et moi je cherche l’esprit du socialisme dans les choix éthiques y compris religieux des peuples. Plus simplement, je suis simplement marxiste: en 1874, Friedrich Engels épinglait ceux qui avaient « la prétention de transformer les gens en athées par ordre du mufti ». Et, l’année suivante, Karl Marx écrivait : « Chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels sans que la police y fourre son nez. » En fait les connaissances peu à peu acquises sur des civilisations et sur l’histoire de pays ne sont en rien celle d’un expert ou celles d’un chercheur ayant beaucoup travaillé un terrain mais le choix d’une “honnête femme” cherchant à respecter ses contemporains.
Chiites et communistes, y a-t-il un lien ?
Il apparaît que c’est souvent dans les pays chiites où l’implantation communiste a été la plus forte. Fallait-il voir dans Bassorah la rouge où traditionnellement le parti communiste irakien était plus fort que dans le reste du pays l’influence chiite ou le fait que ce port pétrolier était celui des résistances ouvrières ? Les deux sans doute avec une petite préférence néanmoins pour l’influence ouvrière.
Il n’empêche qu’un regard sur l’organisation religieuse en Iran et la manière dont la République islamique a bouleversé cette tradition peut nous aider à entrevoir la complexité d’une société et par delà le fait qu’une intervention armée sous le prétexte d’en finir avec une dictature n’est certainement pas la solution.
L’islam chiite ou la démocratie de base
L’islam chiite a un côté contestataire qui fait plus songer au talmud judaïque qu’à la tradition de l’Islam sunnite. L’islam chiite était organisé selon les principes de la démocratie populaire.En gros deux principes assimiler un savoir et le confronter aux croyants et ce dès le premier niveau celui du talaba (celui qui cherche) où on fréquentait une université théologique sans examen d’entrée, ni de sortie, ni à quelque niveau que ce soit. Il fallait acquérir l’arabe classique, celui du coran. L’apprentissage allait de pair avec l’enseignement de ce qu’on avait acquis dès le semestre suivant. celui qui s’estimait prêt annonçait son cours qui pouvait avoir lieu n’importe où, à la mosquée mais aussi tel un précheur de hyde park au coin de la rue. L’assentiment de l’auditoire, d’abord sa présence attestait des qualités de l’ensiegnant-étudiant. Cela durait dans une première étape cinq ou dix ans et il s’agissait de commenter des textes simples. A la seconde étape les textes devenaient plus difficiles et portaient sur le droit et sur les principes. Encore quelques années et on accédait au troisième pallier charej, là on passait le reste de son existence à l’interprétation sans l’appui d’un quelconque texte écrit. Là tout l’enjeu était dans la critique des maîtres ayatollahs les plus renommés. Il ne s’agissait pas de les flatter mais de les contredire avec hardiesse et parfois les participants de ces joutes oratoires en venaient aux mains sans parler des insultes et autres malédictions. ce qu’il faut bien comprendre c’est puisqu’il n’y avait pas de diplômes, pas de note, pas d’examen il fallait que chacun fasse la preuve de ses capacités devant un public (masculin) apte à apprécier et qui faisaient et défaisaient les prestiges.
C’est fou ce que ce système de démocratie théologique ressemblait au judaïsme y compris hélas dans la place réservée aux femmes : un strapontin au paradis pour celles qui avaient obéi à leur père époux, et l’interdiction de participer aux débats sur l’interprétation de la thora et du Coran. Une ségragation au coeur de la démocratie populaire qui a fait que l’un d’un éléments de la Révolution iranienne fut le refus de la consultation des femmes par les urnes qu’avait proposé le chah. Bref! c’était comme toutes les démocraties populaires basées sur les beaux parleurs dans les agoras, elles concernaient déjà seulement la moitié de l’humanité. A ce titre on peut souligner que la Révolution iranienne est allée plus loin que ses propres bases puisqu’aujourd’hui il y a plus d’étudiantes à l’Université de Téhéran que d’étudiants et un grand nombre de femmes fonctionnaires parfois à des postes élévés. Même le port du voile imposé d’une manière tatillonne par la République islamique (il ne s’agit pas seulement du voile mais les gardiens des moeurs refusent les bottes en cuir) n’a pas eu que des inconvénients puisque si jadis les femmes n’avaient pas le droit de se mêler à ce monde d’iniquité où les femmes se balladaient habillées à l’occidentale, on les a laissé sortir à partir du moment où elles acceptaient de ressembler à Belphgor et elles ont conquis des places qu’elles n’avaient pas auparavent.
Maus pour revenir au recrutement des religieux, chargés de dire le droit, d’être les arbitres et d’aider les pauvres, il faut noter que les seules instances de contrôle étaient non seulement les enseignants mais aussi les étudiants et les croyants. Les universités étaient financées par le don que le Coran impose à chaque fidèle (un cinquième de ses revenus) pour les pauvres, les descendants du prophète et les institutions religieuses. Des trésoriers recevaient les dons et chacun d’entre eux en faisait ce qui lui plaisait. Aucun contrôle public ou privé n’était exercé sur les sommes mais chacun voyait bien ce qu’il en était. Il n’existait pas plus de hiérarchie, seul l’assentiment des croyants décidait de l’influence d’un religieux. Il n’y avait aucune centralité, pas de pape, là encore cela ressemble au judaïsme ou à la psychanalyse. On attendait de surcroît le retour du messie, je veux dire celui du Madhi, l’imam caché et dans l’espérance de ce moment béni on supportait le pouvoir et de petits groupes se formaient autour de religieux, chacun d’entre eux étant reconnu pertinent dans l’interprétation du Coran poivait recruter, expliquer, juger, etc…
En fait cette situation n’était pas aussi égalitaire qu’il n’y paraît, la concurrence et les rivalités entre mollahs étaient fort âpres surtout quand ils habitaient la même ville et se disputaient public et ressources qui leur permettait d’avoir des étudiants pauvres et nécessiteux, élèves domestiques. Ils attendaient aide, secours et conseils judicieux et pouvaient à chaque moment changer de maître. N’importe qui ayant un peu d’imagination peut aisément entrevoir ce qu’un religieux- demeuré un être humain- éprouve face à la concurrence que d’autres décriront comme une saine émulation à rester proche de la base.
Un autre aspect de ce “basisme” était le caractère contestataire face au pouvoir laïque, celui du chah par exemple. ” le désordre est notre ordre” a dit le fameux érudit seyed Abolhassan esfahani en décrivant ce qui était pour lui la caractéristique essentielle du chiisme. de toute manière quelle que soit l’autorité elle n’était qu’usurpation et devait être renversé lors de la venue de l’Imam caché. Mà encore comment ne pas penser au messianisme judaîque et la manière dont ce dernier a engendre une masse de révolutionnaires. C’est à cause de ces caractéristiques qu’il me semblait qu’un lien devait être établi entre le chiisme et l’implantation communiste. Comme d’ailleurs la manière dont les potentats arabes considèrent avec suspicion les chiites et leur indépendance.
L’Etatisation de la république Islamique
Khomeiny et sa prétention à exercer le pouvoir politique en s’appuyant sur le clergé bouleversa la donne une première fois. Khomeiny était une sorte de stalinien qui voulait réellement s’appuyer sur le peuple, renverser l’ordre capitaliste et lui substituer la justice pour le peuple simplement c’était sur le modèle chiite transformé en étatisme. Il inventa un compromis avec le clergé chiite qu’il attira dans sa vision et tout de suite il eut à coeur de transformer le recrutement des religieux, l’université théologique qu’il plaça sous le seul contrôle d’une assemblée religieuse. Ainsi il nationalisa la quasi totalité des institutions religieuses et donc il balaya la démocratie populaire en créant une nouvelle unité entre l’Etat et la religion non seulement dans l’idéologie et les institutions. Il y eut des examens et les religieux devinrent des fonctionnaires avec prebendes et faveurs suivant la fidélité au pouvoir.
Si l’on, ajoute à cela un système financier particulièrement opaque parce qu’il faut encore compter avec “les fondations” qui contrôlent une part importante de l’économie iranienne. Ces fondations reçoivent des dons privés mais aussi des subventions publiques (en particulier à partir du pétrole et de l’import-export) ont à charge des missions étatiques, des sortes de ministères mais ont le privilège de se livre à un juteux commerce, à des transactions financières sur lesquelles l’Etat ne perçoit aucun impôt. C’est une sorte de monstruosité capitalo-théocratique qui domine le pouvoir politique. la plupart des conflits de clans et des antagonismes de personnes comme ceux qui opposèrent le président Ahmadinejad à l’Ayatollah Ali khameneion, le guide suprême se déroulent sur fond de lutte pour le pouvoir politique mais aussi économique et dont le peuple fait les frais, ce qui aggrave encore la rigueur de l’embargo et des sanctions. La répression est trés dure et il y a à la fois des centres concurrentiels qui se paralysent mutuellement et une architecture politique qui unit l’armée, les gardiens de la Révolution, la milice des bassidjii et de nombreuses organisations paramilitaires qui ont éliminé tout autre forme de vie collective.
Une bonne partie des nord-américains table d’ailleurs sur les divisions à l’intérieur de ce système de pouvoir et l’entente avec un clan contre un autre. C’est possible mais ce sur quoi il faut compter est une forme d’unité historico-religieuse qui fonde la nation. Le terme mellat qui est en général traduit par nation signifie aussi communauté religieuse même si un autre grand héros de l’Indépendance iranienne Mossadegh est célèbre pour avoir prononcé un discours sur l’indépendance pétrolière de l’Iran en réclamant un verre d’eau en plein ramadam. le chiisme est à la fois structurant de la conscience nationale mais celle-ci ne se limite pas aux aspects religieux. le paradoxe là encore est que je crois que nul mieux qu’un juif parce que pour une part sa culture appartient au même univers pourrait percevoir cette relation entre peuple, nation et religion par le biais de la famille. Et la relation est encore plus forte si l’on considère le chiisme, cette absence de centralité, ces groupes de base autour d’un sage reconnu… Il serait temps que chacun perçoive ces ressemblances, ces formes possibles de dialogue au lieu de s’enfermer dans de micro-identité narcissiques hostiles…
Une forte conscience nationale
Mais il y a des choses que l’occident un peu trop préoccupé des jeux de sérail a du mal à percevoir: l’iran est une des plus vieilles civilisation du monde, toute pression venue de l’extérieur aura pour effet de renforcer la stabilité intérieure non seulement parce que le pays fera front uni face aux envahisseurs mais parce qu’il n’y a pas d’autre alternative à celle qui pourra se construire à partir de ce qu’est le peuple iranien. En tout temps, la seule chose sur laquelle ce peuple a réussi à concilier des oppositions internes a été le refus de la main mise de l’étranger qu’il s’agisse de l’épisode de Mossadegh ou de la révolution menée par khomeiny. Il existe de fortes traditions démocratiques dans ce monde chiite et ce n’est donc pas en prétendant instaurer de l’extérieur la démocratie que l’on avancera , on risque fort de se heurter à un peuple fondamentalement hostile à toute intervention et en prétendant détruire le pouvoir des mollahs on sera confronté au vide laissé par la répression du système des dits mollahs, donc à une anarchie regressive alors qu’il faut que les peuples trouvent en eux mêmes les formes de démocratie qui leur sont propres… A partir de leurs traditions culturelles mais aussi en faisant face dans la souveraineté aux problèmes de développement auxquels ils sont confrontés.
Un texte fondamental, celui du sermon de khomeyni le 27 octobre 1964 à Qom, lors d’un pélerinage, le religieux alors que les politiciens se taisaient osa dénoncer la loi qui accordait l’immunité diplomatique c’est-à-dire l’extraterritorialité juridique au personnel militaire américain en Iran :
“je narrive pas à exprimer l’émotion qui m’étreint. Mon coeur est oppressé (…) Les parlementaires ont approuvé cette loi avec un total cynisme; le gouvernement a approuvé cette loi honteuse avec un total cynisme, il a rendu la nation (mellat) de l’iran plus vile que des chiens américains! Si quelqu’un écrase un chien américain avec sa vpoiture, il sera arrêté. Même si c’est le chah d’iran qui écrase un chien américain, il sera poursuivi. Mais si un cuisinier américain écrase le chah d’iran, ou l’un de ses plus hauts dirigeants, personne n’a le droit d’intervenir (…) Nous ne reconnaissons pas comme loi ce qu’ils ont voté en lui donnant ce nom: nous ne reconnaissons pas comme parlement ce majles-là. Nous ne reconnaisson pas ce gouvernement, ce sont des traîtres à leur pays.”
Si un peuple s’est soulevé quand un religieux a été capable de prononcer ces mots que croyez-vous qu’il fera en cas d’invasion ?
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