Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le tempérament versatile d’Ankara pourra-t-il conduire à une escalade en Syrie ? par Andre Vltchek

Jusqu’à présent, la Turquie, militairement le deuxième pays le plus puissant de l’OTAN, a pu s’en tirer avec pratiquement tout ce qu’elle a choisi de provoquer au Moyen-Orient nous dit André Vichek et il montre le jeu apparemment irrationnel de la Turquie, mais ce jeu comme celui des Etats-Unis revient toujours à ne voir que ses seuls intérêts, à faire tuer les autres à votre place et à adopter des conduites irresponsables avec un maximum de dommages collatéraux. Ce que certains appelaient “la diagonale du fou” qui ne se contente pas du Moyen orient, de l’Irak ou des côtes libyennes mais s’étend dans l’Asie centrale jusqu’à la Chine avec les ouïghours entraînés dans de pseudos camps de réfugiés. Quand nous étions Marianne et moi en Crimée, nous avions pu constater ce rôle de la Turquie qui se combinait avec l’organisation et le financement des pèlerinages à la Mecque pour les Tatars. Les russes savent tout cela mais continuent à tenter de limiter les dégâts par leur présence et le jeu diplomatique (note et traduction de Danielle Bleitrach)

La raison en est simple: affronter militairement l’intimidation et l’expansionnisme de la Turquie reviendrait à affronter les États-Unis ou Israël; des milliers de personnes innocentes en mourraient, voire des millions.

Moscou est bien consciente de la situation. Sa diplomatie est superbe. Et son désir de préserver l’identité intégrale de la Syrie a gagné l’admiration et le soutien dans de nombreuses régions du monde. Mais pas en Occident, ni en Israël ni à Ankara.

Périodiquement, la Russie et la Turquie peuvent trouver un terrain d’entente sur de nombreuses questions. Les gens des deux pays s’aiment beaucoup; il existe de grands liens culturels, économiques et stratégiques. Et pour se rendre de mutuels hommages là où il le faut, les deux gouvernements sont prêts à faire des compromis sur diverses questions essentielles.

Mais périodiquement, il arrive un moment où l’administration turque commence à agir de manière irrationnelle et imprévisible. Pendant ces moments, les accords commencent à s’effondrer et les gens meurent. La Russie est prise entre un rocher et la mer d’un bleu profond. La Russie veut résoudre les choses pacifiquement, mais elle est également déterminée à protéger son allié le plus important au Moyen-Orient – la Syrie.

Le problème est que si le gouvernement russe est extrêmement rationnel, le gouvernement turc ne l’est souvent pas. Et lorsque la logique et l’hystérie se rencontrent, les conséquences peuvent être très dangereuses.


À Damas, la plupart des gens analysent la situation avec lucidité. Mes contacts avec le gouvernement en Syrie ont écrit pour cet essai:

«La Russie a été invitée à lutter contre le terrorisme, à la fois par le gouvernement syrien et par le peuple syrien. Les forces turques sont des forces d’occupation. Elles n’ont été invitées par personne. Elles traversent notre territoire, quand elles le souhaitent, et c’est à la fois immoral et illégal. La Turquie soutient les terroristes ici. »

Mon collègue, un éminent intellectuel turc, Erkin Oncan, et un expert de la relation turco-russe, a commenté cette attitude d’Istanbul:

«Erdogan joue un« jeu d’équilibre »entre les États-Unis et la Russie depuis la tentative de coup d’État en 2016. Le gouvernement d’Erdogan a développé de bonnes relations avec la Russie. D’un autre côté, la Turquie n’a cessé d’envoyer des messages aux États-Unis: nous sommes vos vrais alliés au Moyen-Orient; nous, pas les Kurdes. ”

Depuis des années, les analystes turcs, russes et syriens le savaient: Erdogan joue sur les deux tableaux à la fois. Beaucoup à dépendu de l’implication de la Turquie, à la fois des choses négatives et positives; mais surtout du négatif. Même les États-Unis traitent Ankara avec des «gants de soie», par rapport à la façon dont ils traitent d’autres alliés rebelles.

M. Oncan poursuit:

«La Turquie n’a jamais été pourtant jusqu’à un niveau de tensions aussi élevé que maintenant.»

«Malgré tout, la Russie était la meilleure alternative à laposition « anti-américain »de l’AKP. La Turquie a développé de sérieuses relations économiques et politiques avec Moscou, et ce «jeu d’équilibre» était en faveur de l’alliance avec la Russie, du moins pendant un certain temps. »

«Mais la politique à l’égard de la Syrie a annulé le jeu d’équilibre d’Erdogan. Parce que les liens d’Erdogan avec «l’opposition syrienne» sont devenus l’essence de la stratégie syrienne de l’AKP. »

«Avec l’accord de Sotchi, il semblait qu’Erdogan changeait son approche envers Damas. Mais dès la signature de l’accord, il était évident que l’AKP ne respecterait pas Sotchi. Être contre Assad, soutenir «l’opposition musulmane», est devenu une question de politique intérieure, et pas seulement de politique étrangère. »

“Erdogan est soudainement coincé entre son jeu d’équilibre américano-russe et l’appétit pour la Syrie. Puis, un énorme problème est réapparu – le djihadisme.”

«C’est un fait connu que le gouvernement de l’AKP soutient les terroristes djihadistes depuis de nombreuses années. Et ces dernières années, la Turquie a ouvertement commencé à fonctionner avec la FSA. Et le gouvernement a continué à forger des relations de plus en plus étroites avec des cadres de plus en plus radicaux. »

«Si la Turquie se conforme à l’accord de Sotchi, elle devra laisser les forces syriennes tranquilles. Et si elle le fait, cela pourrait la conduire à devoir faire face de grandes représailles à la fois en Syrie (les groupes terroristes installéslà-bas) et en Turquie même. C’est parce que la Turquie n’a jamais hésité à laisser entrer les djihadistes dans le pays. »

«Si la Turquie commence à négocier officiellement avec la Syrie, beaucoup verront que son principal pilier de la politique au Moyen-Orient s’est effondré.»

“Au cas où la Turquie ferait la paix avec son grand frère – les États-Unis – elle devrait commencer à négocier avec les YPG, le plus grand ennemi de la Turquie et le plus grand allié des États-Unis en Syrie.”

«Dans cette situation paradoxale et ambiguë, alors que les« rêves ottomans »et le« jeu d’équilibre » sont au premier rang des objectifs d’Erdogan, la Turquie semble à nouveau en lévitation vers les États-Unis. Si un compromis est trouvé avec les États-Unis, Erdogan semble envisager d’accélérer ses plans pour envahir la Syrie. Parce que la Russie prône l’intégrité territoriale de la Syrie, les États-Unis préconisent l’occupation. »


La chaîne d’événements progresse à une vitesse vertigineuse. Le 16 février 2020, Alep, la plus grande ville syrienne, a finalement été libérée par les forces gouvernementales syriennes. Ou plus précisément: Alep est désormais hors du champ de tir des terroristes et des soi-disant groupes d’opposition, pour la première fois depuis des années.

Une de mes amies, une éducatrice syrienne, Mme FidaBashour, a expliqué pour cet essai:

«Le dernier épisode de l’occupation turque dans notre pays est très grave. Ils n’ont aucun droit de nous occuper, quoi que ce soit. L’ambiance dans le pays est celle de la victoire et du souci en même temps. ces Dix années ont été très longues et difficiles à supporter depuis le début de la guerre. Néanmoins, nous gagnons. Comme notre armée vient de sécuriser pleinement la ville d’Alep aujourd’hui (le 16 février), nous avons confiance en notre capacité à l’emporter et à nous rétablir pleinement. »


J’ai rencontré le président Erdogan il y a longtemps, alors qu’il était encore maire d’Istanbul, et je couvrais la guerre yougoslave, me rendant régulièrement en Turquie, afin de comprendre le passé des Balkans. Il était alors confus, comme il l’est maintenant. En tant que maire de l’une des plus grandes villes de la planète, il avait de bonnes intentions et des résultats extrêmement impressionnants.

Ses objectifs politiques apparaissaient cependant profondément déroutants, trop ambitieux et souvent régressifs.

Plus tard, pendant des années, j’ai travaillé à la fois en Syrie et en Turquie, visitant la région frontalière autour d’Attakya et de Gyazentep, à plusieurs reprises.

L’implication turque en Syrie, ses innombrables invasions et opérations transfrontalières ont détruit des villages et des villes entiers en Syrie et en Turquie. En Syrie, la destruction est à la fois physique et économique. En Turquie, des villages et des villes entiers ont été dépeuplés, car ils étaient auparavant entièrement tributaires du commerce transfrontalier, de l’amitié et des liens familiaux.

Erdogan ne semble pas s’en soucier. Peu lui importe que cette zone de conflit qu’il a contribué à enflammer soit l’un des berceaux de la civilisation humaine.

La Turquie, avec ses alliés occidentaux armés et entraînés, a ensuite injecté certains des cadres djihadistes les plus brutaux en Syrie. Les plus brutaux d’entre eux sont des Ouïghours du nord-ouest de la Chine, que l’Occident entraîne sur divers champs de bataille, dans l’espoir qu’ils reviendront un jour en Chine et contribueront à ruiner la RPC.

La formation a souvent été dispensée, cyniquement, dans les soi-disant camps de réfugiés. J’ai couvert cette barbarie, à la fois dans mes reportages et dans mon film pour le réseau latino-américain TeleSur.


Patrick Henningsen est un analyste des affaires mondiales de premier plan, cofondateur et rédacteur en chef de 21 Century Wire, avec une connaissance approfondie de la Syrie. Il a accepté de partager ses réflexions avec moi – sur les récents développements en Syrie, en particulier les opérations turques là-bas:

«Le comportement schizophrène apparent de la Turquie dans la région est un sous-produit des problèmes de sécurité nationale traditionnels du pays combinés avec le vaste programme réformiste national du parti au pouvoir, qui a également une forte composante revanchard. L’objectif principal de la Turquie en matière de sécurité, à savoir écraser toutes les enclaves kurdes du PKK / YPG en Syrie, ne peut être dissocié de la transition historique qui se déroule au niveau national. La coalition nationaliste de droite du Parti AKP d’Erdogan et du Parti des mouvements nationalistes (les Loups gris) sont en train de faire reculer la République kémaliste laïque – vers une “ Nouvelle Turquie ” qui est en fait un État islamiste. Cette renaissance néo-ottomane voudrait voir la Turquie retrouver son ancienne position au centre du monde islamique, ce qui signifie qu’elle doit projeter son influence et son pouvoir au niveau régional, et aussi au niveau mondial. Cela suppose d’ à la fois parler et agir dur en Syrie. Il intervient également en Libye . Le soutien dévoué d’Erdogan aux Frères musulmans et la cooptation de militants islamistes fondamentalistes comme Jabat al-Nusra et l’Armée syrienne libre devraient être considérés comme un outil pour prendre le pouvoir par procuration sans avoir à sacrifier de véritables soldats turcs. La pieuse base nationaliste du président à la maison soutiendra les appels à la conquête et au changement de régime en Syrie, car ils voient Erdogan comme un leader populiste capable de transformer le régime pour ramèner la Turquie à la place qui lui revient dans le monde. Actuellement, la Turquie tente une danse compliquée entre la Russie, les États-Unis et l’OTAN, se pliant à toutes les parties comme cela est nécessaire, mais toujours avec les intérêts turcs à l’esprit. Bien qu’il bluffe souvent avec des menaces périodiques proférées contre la Syrie, La Russie et l’Amérique, savent qu’il le fait toujours avec sa base à l’esprit. Il s’agit de «La Turquie d’abord» et de «Rendre la Turquie encore meilleure». Tout cela rend la situation très compliquée pour la Turquie. Oserons-nous le dire, c’est byzantin.

Personne n’aurait pu mieux définir la situation!


En 2019, à un moment donné, lorsque je travaillais avec deux commandants syriens dans la province d’Idlib, nous avons été confrontés à la fois aux positions de l’Etat islamique et aux postes d’observation turcs.

Je me tenais sur l’un des sites d’artillerie syrienne. Des soldats russes étaient à proximité, clairement visibles. Et les maisons rurales étaient également utilisées comme le quartier général local de l’Etat islamique.

Tout cela semblait grotesque.

Les forces russes auraient pu anéantir ces intrusions turques en quelques secondes. Les forces armées syriennes auraient pu faire de même. Mais ils n’ont pas envisagé de le faire. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?

“Pourquoi?” J’ai demandé.

Un commandant syrien a répondu:

«Si nous le faisons, la Turquie attaquerait Alep ou Damas, ou du moins Homs. Ils ont une chose en commun avec les Américains et les Israéliens: ils ne se soucient que de leur propre vie et de leurs propres pertes. Ils croient qu’ils sont intouchables. Ils viennent ici, occupent des terres, et si nous ripostons, ils tuent des dizaines de personnes, voire des centaines. »

Fait révélateur, les positions turques à Idlib coexistaient pacifiquement avec Daesh.

Le rôle de la Turquie en Syrie, en Irak (région d’Erbil) et en Chine (soutien aux terroristes ouïgours) est extrêmement destructeur et bien au fait des questions locales.

La Syrie doit être totalement libérée des groupes terroristes. Cela arrivera bientôt. En fait, cela se produit en ce moment. La Turquie n’a aucune légitimité sur le sol étranger syrien. C’est fort, militairement. Mais il ne sera pas autorisé à brutaliser la grande nation syrienne pendant plus longtemps, simplement en raison de sa puissance militaire impitoyable.

Andre Vltchek est philosophe, romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il est un créateur du monde de Vltchek en mots et en images , et un écrivain qui a écrit un certain nombre de livres, y compris l’initiative de la ceinture et de la route en Chine: connecter les pays sauvant des millions de vies . Il écrit spécialement pour le magazine en ligne «New Eastern Outlook».

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