Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le bellicisme de gauche : arme paradoxale en faveur de l’extrême droite

Ce qu’il en est des élections tchèques confirme cet article. Même si l’on ne peut pas comparer la situation des ex-pays socialistes où les électeurs ont un mélange de rancœur face aux promesses non tenues par l’UE et la « démocratie », une colère impuissante face aux trahisons de la gauche, avec la France et les pays de l’ouest où l’anticommunisme et l’atlantisme sont l’idéologie officielle depuis au moins le plan Marshall, et ont connu une nouvelle vigueur depuis Mitterrand, l’eurocommunisme et la chute de l’URSS. Il n’en demeure pas moins que de ce fait, alors que les positions du RN évoluent de plus en plus vers un alignement sur les positions de Bruxelles, il y a la vague idée que ce parti est le seul à s’opposer à la politique de la commission européenne et à celle du très belliqueux Macron dans une guerre avec la Russie. (note d’histoireetsociete)

20/07/2024

Par Dimitris Scarpalezos

 J’étais choqué de voir qu’un de mes amis ex-maoïste a voté R.N. aux dernières élections. Sa justification était la suivante: Quand j’entends Glucksmann et ses tirades moralisatrices pour continuer la guerre à tout prix et à tout risque contre la Russie avec le sang des Ukrainiens (et peut être pas seulement) et quand je vois les prises de position plus réservées du R.N., je conclus qu’au moins avec ceux-là nous n’irons pas vers la guerre mondiale. J’avais beau lui signaler le changement progressif des positions du R.N. vers une “démonisation” de la Russie (qui, fût-elle plus modérée que celle des macronistes ou des bellicistes de “gauche”, montre qu’il ne faut pas s’y fier!) mais l’insistance des “politiquement corrects ” en faveur de la guerre “jusqu’à la défaite de la Russie et pour la condamnation de Poutine par un tribunal international l’a convaincu de voter R.N.

   Le sien est un cas isolé dans les milieux “intellectuels”, mais cette opposition à la guerre est peut-être plus forte dans les couches populaires qui ont une méfiance plus grande  “à ce qu’on nous raconte!” et que les injonctions de “solidarité” avec les Ukrainiens ne touchent pas tellement. 

  La gauche de Jaurès avait une solide tradition pacifiste et se distinguait de la gauche colonialiste ou patriotarde belliciste complice du grand massacre des jeunesses européennes en 1914-18. Mais depuis la chute de l’URSS les manipulations avec les “good guys” et les “bad guys” ont émoussé tous les reflexes pacifistes constitutifs même de la notion de “gauche”  (allant du refus, par Robespierre, des guerres  étrangères jusqu’à Jaurès et les mouvements de protestation contre la guerre du Vietnam).

  En ciblant le “méchant ” Milosevic on a fait avalé la dissolution (plus ou moins provoquée) d’une des fédérations qui respectait le mieux les droits de toutes ses composantes ethniques, le bombardement des infrastructures de la Serbie et la mort de quelques milliers de civils, la purification ethnique violente de la Krajina et la transformation du Kosovo en une des plus grande bases américaines en Europe.

 Avec la démonisation de Saddam,  on a fait avalé une des attaques impérialistes les plus meurtrières de la fin du vingtième siècle.  En ciblant le “méchant Kadhafi ” (pourtant présenté comme un “ami” de Sarkozy qui l’a assassiné) et en assumant la position  “Ni-Ni”    ” Ni Kadhafi  – ni l’Otan”  la gauche politiquement  correcte  a une lourde responsabilité dans la destruction complète d’un pays et la déstabilisation d’un continent qui en a découlé.  Après la mort de Kadhafi le “ni OTAN” a été complètement oublié!

 Aujourd’hui la plus grande partie de la gauche, pour ne pas paraître “poutinienne” , se fait complice enthousiaste d’une des guerres les plus “immorales ” et cyniques de notre siècle qui aurait pu être évitée ou arrêtée plusieurs fois, et que la complicité “moralisatrice” de cette gauche prolonge sans raison compréhensible et avec des risques grandissants de dérapage! 

La fracture qui sépare la gauche européenne de celles du reste du monde, et l’abandon “politiquement correct” de ses réflexes pacifistes  est une catastrophe dont profitent les extrêmes droites rien qu’en laissant croire qu’elles sont moins va-t-en guerre que leurs opposants de gauche. 

Ceci est très probablement faux car on ne voit pas les médias qui favorisent le R.N. se démarquer tellement des désinformations bellicistes qui prolongent l’image “morale” de la “solidarité avec l’Ukraine” (jusqu’à la mort du dernier ukrainien?).

 D’ailleurs, pour ne pas mettre en cause le mariage avec les composantes plus atlantistes de la droite traditionnelle, le R.N. rentre chaque jour davantage dans les rangs sur la question de la guerre en Ukraine ! 

 Ce bellicisme de gauche aura peut-être été un des facteurs importants d’un renforcement extrêmement dangereux de l’extrême droite raciste,  ex-colonialiste et  antisémite en France (son soutien à Israël n’est pas contradictoire avec un certain antisémitisme d’une partie de cette extrême droite  comme le montre le sionisme “chrétien” des “born again Christians” qui promettent aux juifs d’être brûlés par le feux du ciel s’ils ne se convertissent pas au christianisme lors de la deuxième apparition du Christ qui ne peut avoir lieu qu’en Israël)

 Pour la gauche européenne, l’alternative est plus que jamais : “retour à Jaurès, ou la mort”…

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1 Commentaire

  • Xuan
    Xuan

    Le bellicisme social-démocrate était déjà apparu à la mort de Jaurès, mais nous ne sommes plus dans le même cadre historique.
    Je dirais plutôt que le choix est barbarie ou socialisme, et non retour à Jaurès.
    Le Hyaric défend le retour à Jaurès dans « Un monde à la renverse ».
    Il reconnaît que le monde multipolaire existe déjà mais n’en tire aucune conclusion sur la fin de l’hégémonisme.
    Or Poutine a déclaré dans la dernière réunion de Valdai et à propos des USA que « nos pays avaient des intérêts stratégiques divergents, et que cela serait probablement toujours le cas. Mais un échange d’opinions approfondi et l’établissement de liens entre nos pays dans divers domaines et à différents niveaux sont un processus bénéfique pour la Russie, les États-Unis et le monde entier. »
    C’est la seule issue pour la paix, mais Le Hyaric met dans le même sac Poutine et Trump, une « internationale brune », et rêve que les peuples investissent les bancs de l’ONU pour assurer définitivement la paix.
    Sur le plan intérieur, le « retour à Jaurès » passe d’une « évolution révolutionnaire » déformant le marxisme au « communisme déjà là » de Friot, revient à la constitution « au dessus des classes » de la république bourgeoise, pour aboutir à la 6e république de Mélenchon.

    Notre camarade Jean Paul Legrand publie ce billet à propos de :

    JEAN JAURÈS ET LE MARXISME
    Depuis que je vis dans le Tarn qui est son département natal et dont il fut élu, j’ai été frappé par l’importance que Jaurès a dans la pensée de nombreux militants, figure souvent idéalisée, mais peu critiquée ce qui en un sens se comprend étant donné le rôle de combattant conséquent qu’il fut pour la paix. Cependant si Jaurès a lu Marx cela n’en fait pas un marxiste, loin de là car il me semble que son interprétation du marxisme est une forme de déviation de celui-ci.
    La lecture que Jean Jaurès propose de Karl Marx est marquée par une formule clé, qu’il attribue à ce dernier mais que Marx n’a en réalité jamais employée : « l’évolution révolutionnaire ». Cette association de mots est en elle-même révélatrice d’une profonde divergence d’interprétation.
    Une inversion conceptuelle
    La structure même de l’expression est significative. Le substantif dominant est « évolution », tandis que « révolutionnaire » ne vient qualifier que la nature ou l’intensité de ce processus graduel. Cette construction reflète la vision de Jaurès, qui envisageait une transition vers le socialisme par la conquête progressive des institutions républicaines. Autrement dit exactement ce qui a été tenté par la gauche française depuis plus de 50 ans et qui a échoué. Et c’est justement ce sur quoi bute aujourd’hui la gauche francaise profondément marquée par le jauréssisme du Parti socialiste au PCF en passant par la France insoumise.
    Deux logiques du changement social
    Chez #Marx, le changement historique ne procède pas d’une simple évolution qui s’accélère ou se radicalise. Il relève d’un processus dialectique où les contradictions internes du mode de production capitaliste (comme l’opposition entre le capital et le travail) génèrent à la fois des phases de continuité et des ruptures brutales et nécessaires. Pour Marx, la révolution est la résolution de ces contradictions accumulées, un saut qualitatif qui s’appuie sur des ruptures qui transforment radicalement les continuités. Ainsi le communisme est la continuité du capitalisme dans l’accumulation des forces productives et leur expansion mondiale mais en rupture totale avec la propriété privée des moyens de production qui devient sociale. L’accumulation quantitative transforme la qualité de cette accumulation expansive par des ruptures avec l’ancien ordre sans conciliation possible.
    Adoucissement ou trahison ?
    Privilégier le terme d’« évolution » revient ainsi à adoucir la radicalité de la pensée marxienne originelle. Marx ne décrit pas un simple mouvement graduel, mais une logique de conflits dont l’issue est la transformation révolutionnaire du système. C’est pourquoi le vocabulaire de l’évolution peine à rendre compte du terme central et dynamique chez Marx : la contradiction dialectique.
    Le projet politique de Jaurès
    La formule de Jaurès ne doit donc pas être vue comme une simple interprétation déformée de la pensée de Marx , mais comme le reflet d’une lecture subjective et stratégique. Elle est marquée par sa volonté d’articuler le socialisme français avec l’héritage républicain et parlementaire. Pour ce faire, il interprète Marx à travers un prisme qui atténue la portée conflictuelle entre continuité et rupture de la dialectique, lui préférant une vision plus continue, idéaliste et finalement plus conciliante de l’histoire.
    Cette réinterprétation, qualifiée d’éclectique par ses détracteurs marxistes, servait son projet réformiste : utiliser la démocratie existante pour faire émerger la société nouvelle, plutôt que d’en prôner la destruction révolutionnaire.
    Lénine qui fut le théoricien marxiste le plus conséquent de la social-démocratie russe a quant à lui saisit la profondeur de la pensée de Marx et n’a pas cherché à l’amoindrir. Au contraire il a mené une bataille idéologique acharné contre des « marxistes » qui réduisait Marx à un évolutionniste social alors que toute son œuvre est marquée du sceau philosophique de la dialectique de Hegel remise sur ses pieds.
    L’écart entre la « révolution » dialectique de Marx et l’« évolution révolutionnaire » de Jaurès illustre de manière frappante la tension entre les deux pensées. D’un coté celle de Marx qui ne nie pas la nécessité de réformes mais qui la rattache à la rupture politique indispensable sous la forme de dictature du prolétariat sur la classe capitaliste sous peine d’échec de la révolution (enseignements de la Commune de Paris) et de l’autre celle de Jaurès qui idéalise les institutions républicaines bourgeoises qui par l’influence que pourraient y conquérir les représentants du prolétariat mèneraient au socialisme.
    Ces questions théoriques ne sont pas anodines, elles sont au cœur des enjeux historiques actuels. Après des décennies de Jauressisme réformiste le mouvement populaire doit faire la part des choses : Jaurès fut un incontestable militant de la paix et précurseur de solutions progressistes pour aller vers un monde régulé par des organisations internationales, il fut un défenseur acharné des principes républicains et un militant remarquable de la laïcité, mais il ne fut aucunement visionnaire comme le fut Lénine à propos de la crise de l’impérialisme parce que Lénine disposait pleinement, contrairement à Jaurès qui l’avait amoindri, de l’appareil critique dialectique du marxisme pour comprendre que pour surmonter et résoudre les contradictions du capitalisme il faut que le monde du travail s’empare de la propriété des moyens de production stratégiques mais pour y parvenir transforme les institutions de l’Etat afin d’ assurer sa domination sur la classe capitaliste et la contraindre à se soumettre au nouvel ordre social.
    C’est aussi en ce sens que Jaurès qui réussit à unifier les socialistes n’eut pas cependant la vision de constituer un Parti socialiste organisé en parti d’avant-garde éduquant les travailleurs au marxisme c’est à dire les préparant eux-mêmes à prendre le pouvoir d’Etat afin de créer les conditions politiques et juridiques pour exercer leur volonté sur la classe capitaliste.
    Jean-Paul LEGRAND
    01-10-2025

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