Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

la vague de colère de l’extrême-droite latino-américaine

2 décembre 2025

Il y a dans la faiblesse des analyses et de l’action de la gauche et des communistes eux-mêmes la vanne ouverte à une colère autodestructrice… Je prends très au sérieux la tolérance à la présence d’Azov dans l’Humanité, il ne s’agit pas d’une erreur, c’est le choix de ce journal derrière son responsable aux questions internationales, il reste là parce qu’il a partout des « obligés », des « groupes tampons » au sein même de « l’appareil de direction », parce que le meeting de Marseille a prouvé les limites de la volonté de lutter contre le fascisme et le crime organisé, la guerre, quand on s’appuie sur ces « groupes tampon » en excluant par censure ceux qui se battent … en les rejetant et en refusant les discussions pour mieux asseoir la démission, la désorganisation et les divisions au sein de ce qui devrait être uni. C’est la complaisance au sein même de ce qui devrait être le rassemblement populaire à une « cinquième colonne » qui organise l’absence de crédibilité d’une telle union de sommet… Il y a à la fois un bougé et celui-ci devrait bénéficier des efforts de tous, il n’en est rien, les divisions dominent et laissent la place à la colère.. Ce qui se passe au Chili doit nous éclairer sur les limites de ce qui n’arrive même plus à rassembler tous ceux qui vont être pourtant confrontés à une aggravation de la situation. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Vijay Prashad

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Source de la photographie : Mediabanco Agencia – CC BY 2.0

La vague de colère de l’extrême droite latino-américaine

L’extrême droite en Amérique latine est enragée. Jair Bolsonaro, au Brésil, et Javier Milei, en Argentine, affichent une colère incontrôlable et s’expriment toujours avec force et agressivité. Leur virilité transpire, une sueur toxique qui s’est répandue dans toute la région. Il serait facile d’attribuer cela à la version néofasciste de Donald Trump, mais ce serait une erreur. L’extrême droite a des racines bien plus profondes, liées à la défense des familles oligarchiques dont les liens remontent à l’époque coloniale, à travers les vice-royautés, de la Nouvelle-Espagne au Rio de la Plata. Certes, ces hommes et femmes d’extrême droite sont inspirés par l’agressivité de Trump et par l’arrivée de Marco Rubio, fervent défenseur de l’extrême droite en Amérique latine, au poste de secrétaire d’État américain. Cette inspiration et ce soutien sont importants, mais n’expliquent pas le retour en force de l’extrême droite, cette vague de colère qui déferle sur l’Amérique latine.

À première vue, l’extrême droite semble avoir subi quelques revers. Jair Bolsonaro est emprisonné pour une longue durée en raison de son rôle dans la tentative de coup d’État manquée du 8 janvier 2023 (inspirée par la tentative de coup d’État manquée de Trump le 6 janvier 2021). Au Chili, lors du premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Parti communiste, Jeannette Jara, a remporté le plus grand nombre de voix et mènera le bloc de centre-gauche au second tour (14 décembre). Malgré toutes les tentatives de renversement du gouvernement vénézuélien, le président Nicolás Maduro reste au pouvoir et a mobilisé une large partie de la population pour défendre la révolution bolivarienne contre toute menace. Enfin, fin octobre 2025, la plupart des pays du monde ont voté en faveur d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies exigeant la levée du blocus de Cuba. Ces indicateurs – de l’emprisonnement de Bolsonaro au vote sur Cuba – suggèrent que l’extrême droite n’a pas réussi à imposer son programme partout et par tous les moyens.

Cependant, sous la surface, certains signes indiquent que l’Amérique latine ne connaît pas la résurgence de ce qu’on a appelé la « marée rose » (après l’élection d’Hugo Chávez au Venezuela en 1998), mais qu’elle est confrontée à l’émergence d’une vague de colère qui a lentement commencé à déferler sur la région, de l’Amérique centrale jusqu’au Cône Sud.

Élections en Amérique du Sud

Le premier tour de l’élection présidentielle chilienne a donné un résultat inquiétant. Si Jara, du Parti communiste, a recueilli 26,85 % des suffrages sur un taux de participation de 85,26 %, José Antonio Kast, candidat d’extrême droite, est arrivé deuxième avec 23,92 %. Evelyn Matthei, de la droite traditionnelle, a obtenu 12,5 % des voix, tandis que Johannes Kaiser, candidat d’extrême droite autrefois allié à Kast et désormais situé à sa droite, a recueilli 14 %. Il est probable que Jara parvienne à capter une partie des voix du centre, mais pas suffisamment pour compenser l’avantage de l’extrême droite, qui semble recueillir au moins plus de 50 % des suffrages. Franco Parisi, candidat social-libéral arrivé troisième, avait soutenu Kast en 2021 et devrait vraisemblablement le faire à nouveau. Cela signifie qu’au Chili, la présidence sera entre les mains d’un homme d’extrême droite dont les origines plongent dans le nazisme allemand (son père était membre du parti nazi et a échappé à la justice grâce à l’intervention du Vatican) et qui estime que la dictature chilienne de 1973 à 1990 était, au final, une bonne idée.

Au nord du Chili, en Bolivie, le nouveau président Rodrigo Paz Pereria, fils d’un ancien président, a battu le candidat d’extrême droite Jorge Tuto Quiroga (lui-même ancien président) au second tour d’une élection qui ne comptait aucun candidat de gauche (après que le Mouvement vers le socialisme ait gouverné la Bolivie sans interruption de 2006 à 2025). Le parti de Paz étant minoritaire au Parlement, il devra s’allier avec la coalition Libre de Quiroga et adoptera vraisemblablement une politique étrangère pro-américaine et une politique économique libérale. Le Pérou tiendra ses propres élections en avril, où l’ancien maire de Lima, Rafael López Aliaga, est pressenti pour l’emporter. Il rejette l’étiquette d’extrême droite, mais adopte toutes les politiques caractéristiques de ce courant (catholique ultraconservateur, partisan de mesures sécuritaires strictes et défenseur d’une politique économique libérale). Iván Cepeda, Colombien, est le candidat probable de la gauche à l’élection présidentielle de mai 2026, la Colombie n’autorisant pas le second mandat (le président Gustavo Petro ne peut donc pas se représenter). Cepeda devra faire face à une forte opposition de l’oligarchie colombienne, qui souhaitera reprendre le pouvoir. Il est encore trop tôt pour dire qui sera son adversaire, mais il pourrait s’agir de la journaliste Vicky Dávila, dont l’opposition d’extrême droite à Petro trouve un écho inattendu dans certaines franges de la société colombienne. Il est probable que d’ici mi-2026, la plupart des États de la côte ouest de l’Amérique du Sud (du Chili à la Colombie) seront gouvernés par l’extrême droite.

Même si Bolsonaro est en prison, son parti, le PL (Parti libéral), reste le plus important bloc du Congrès national brésilien. Il est probable que Lula soit réélu président l’année prochaine grâce à son lien personnel très fort avec l’électorat. Le candidat de l’extrême droite – qui sera soit Tarcísio de Freitas, gouverneur de l’État de São Paulo, soit l’un des proches de Bolsonaro (son épouse Michelle ou son fils Flavio) – aura du mal à le battre. Mais le PL gagnera des sièges au Sénat. Sa mainmise sur le Parlement a déjà renforcé son emprise sur le gouvernement (lors de la COP30, le représentant de Lula n’a présenté aucune proposition pour lutter contre la catastrophe climatique), et une victoire au Sénat consolidera encore son emprise sur le pays.

Programme commun de la marée en colère

Les politiciens de la « Vague de la colère », qui font sensation, ont beaucoup de points communs. La plupart d’entre eux sont aujourd’hui quinquagénaires : Kast (né en 1966), Paz (né en 1967), la politicienne vénézuélienne María Corina Machado (née en 1967) et Milei (né en 1970). Ils ont atteint l’âge adulte dans la période post-dictature en Amérique latine (la dernière dictature à s’être effondrée fut celle du Chili en 1990). La décennie 1990 a prolongé la stagnation économique qui avait caractérisé les années 1980 – la « décennie perdue » – qui a secoué ces pays, caractérisés par de faibles taux de croissance et des avantages comparatifs peu développés, les contraignant à la mondialisation. C’est dans ce contexte que ces politiciens de la « Vague de la colère » ont élaboré leur programme commun.

L’anticommunisme. L’extrême droite latino-américaine est marquée par un agenda anti-gauche hérité de la Guerre froide, ce qui explique que ses formations politiques cautionnent généralement l’ère des dictatures militaires soutenues par les États-Unis. Les idées de gauche, qu’elles proviennent de la Révolution cubaine (1959) ou de la vague rose (après 1998), sont inacceptables pour ces forces politiques ; parmi ces idées figurent la réforme agraire, le financement public de l’industrialisation, la souveraineté de l’État et l’importance des syndicats pour tous les travailleurs et paysans. L’anticommunisme de cette vague de colère est rudimentaire, une simple formule pour les politiciens, habilement utilisée pour dresser les segments de la société les uns contre les autres.

Politiques économiques libertariennes. Les idées économiques de la « Marée en colère » sont façonnées par les « Chicago Boys » chiliens (dont Miguel, le frère de Kast, qui dirigea la Commission de planification du général Augusto Pinochet, fut son ministre du Travail et son gouverneur de la Banque centrale). Elles s’inscrivent directement dans la tradition de l’École autrichienne libertarienne (Friedrich Hayek, Ludwig von Mises, Murray Rothbard et Milton Friedman). Ces idées ont été développées au sein de think tanks bien financés, tels que le Centre d’études macroéconomiques d’Argentine (fondé en 1978) et le Centre d’études publiques du Chili (fondé en 1980). Leurs partisans estiment que l’État doit être une force disciplinée envers les travailleurs et les citoyens, et que l’économie doit être entre les mains d’intérêts privés. Les célèbres provocations de Milei avec une tronçonneuse illustrent cette politique, qui vise non seulement à réduire les prestations sociales (œuvre du néolibéralisme), mais aussi à saper les capacités de l’État lui-même.

Guerres culturelles. S’appuyant sur la vague d’idéologies anti-genres et de rhétorique anti-immigration, l’extrême droite a su séduire les chrétiens évangéliques conservateurs et une grande partie de la classe ouvrière désorientée par des changements perçus comme venant d’en haut. Elle affirme que la violence dans les quartiers populaires, engendrée par le trafic de drogue, est alimentée par le « libéralisme » et que seule la violence brutale (à l’image de celle du président salvadorien Nayib Bukele) peut y remédier. C’est pourquoi elle souhaite renforcer l’armée et la police et s’affranchir des limitations constitutionnelles à l’usage de la force (le 28 octobre, le gouvernement de Cláudio Castro, allié de Bolsonaro, à Rio de Janeiro, a envoyé des policiers qui ont tué au moins 121 personnes lors de l’opération « Confinement »). L’extrême droite a également adopté diverses théories du complot selon lesquelles les « élites » auraient propagé des idées « mondialisées » pour nuire à la « culture » de leurs nations et la détruire. Cette idée est absurde, émanant de forces politiques d’extrême droite et de droite traditionnelle qui prônent l’intégration massive des entreprises américaines dans leur société et leur culture, et qui ne respectent pas l’histoire des luttes menées par la classe ouvrière et la paysannerie pour construire leurs propres univers culturels nationaux et régionaux. Pourtant, ce courant radical a réussi à se présenter comme un rempart culturel, défendant son héritage contre les méfaits de la « mondialisation ». Cette guerre culturelle passe notamment par la promotion de l’entrepreneur individuel comme acteur de l’histoire et la dévalorisation de la nécessité de la reproduction sociale.

Ce sont ces trois éléments (l’anticommunisme, les politiques économiques libérales et les guerres culturelles) qui fédèrent l’extrême droite en Amérique latine. Ils lui fournissent un cadre idéologique solide pour galvaniser une partie de la population et lui faire croire qu’elle est la sauveuse du continent. Cette extrême droite latino-américaine est soutenue par Trump et le réseau international de l’extrême droite espagnole (le Forum de Madrid, créé en 2020 par la Fundación Disenso, le think tank du parti d’extrême droite Vox). Elle est largement financée par les anciennes élites sociales, qui ont peu à peu délaissé la droite traditionnelle au profit de ces nouveaux partis d’extrême droite agressifs.

Crise de la gauche

La gauche n’a pas encore réussi à analyser correctement l’émergence de ces partis et n’a pas su mettre en œuvre un programme dynamique. Une profonde crise idéologique la secoue, incapable de choisir entre former un front uni avec la droite traditionnelle et les libéraux pour les élections, ou construire un front populaire regroupant la classe ouvrière et la paysannerie afin de renforcer le pouvoir social en vue d’une véritable campagne électorale. L’exemple de la première stratégie (l’alliance électorale) nous vient du Chili, où la Concertación de Partidos por la Democracia (Concertación), créée en 1988 pour empêcher les partis de la dictature d’accéder au pouvoir, et Apruebo Dignidad, formé en 2021, qui a porté Gabriel Boric, du Front large centriste, à la présidence. Mais hors du Chili, rien ne prouve l’efficacité de cette stratégie. La seconde est devenue plus difficile à mettre en œuvre avec l’effondrement du taux de syndicalisation et l’ubérisation qui individualise la classe ouvrière et érode sa culture.

Il est révélateur que l’ancien vice-président socialiste bolivien, Álvaro García Linera, se soit tourné vers New York pour y puiser son inspiration. Lorsque Zohran Mamdani remporta l’élection municipale, García Linera déclara : « La victoire de Mamdani montre que la gauche doit faire preuve d’audace et bâtir un avenir nouveau. » Difficile de contester cette affirmation ; pourtant, le programme proposé par Mamdani vise davantage à sauver les infrastructures new-yorkaises vétustes qu’à faire progresser la ville vers le socialisme. García Linera n’évoqua pas son propre passage en Bolivie, lorsqu’il tenta, avec l’ancien président Evo Morales, de construire une alternative socialiste. La gauche devra faire preuve d’audace et définir un avenir nouveau, un avenir qui devra puiser dans sa propre histoire de luttes et de construction du socialisme.

Cet article a été produit par Globetrotter .

Le dernier livre de Vijay Prashad (avec Noam Chomsky) est intitulé The Withdrawal: Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (New Press, août 2022).

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1 Commentaire

  • Etoilerouge
    Etoilerouge

    Sans dictature du prolétariat l’extrême droite a un champ ouvert. D’abord ces gauches latino américaines st décérébrés par l’anticommunisme ensuite lorsque parti communiste il y a il a trempé ds des formes non leninistes de recherche du pouvoir. Le résultat est là : l’extrême droite poussée par la peur de l’impérialisme en crise est leur dernière solution. Que vont faire les communistes du continent est ma seule question. Seuls ils peuvent apporter sous des formes renouvelées lieees à l’analyse de la crise impériale et de celle qui a amené la chute de l’URSS, seuls les communistes cherchant là une réponse révolutionnaire peuvent apporter d’abord la résistance ensuite porter le fer au coeur du fascisme terminal. Les élections n’y suffiront pas.

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