Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Souvenez-vous de John Garfield, une victime du maccarthysme…

En fait, il faudrait reprendre chacun des noms cités pour voir à quel point ils ont été victimes de ce que sont fondamentalement les Etats-Unis et Hollywood. Quand on pense à tous ceux que le système capitaliste pour asseoir son hégémonie a massacrés on se dit que Walter Benjamin, une autre victime du fascisme, contraint au suicide par la peur et le harcèlement, quand il décrit l'”ange de l’histoire” parle de tout cela. Cet ange de l’histoire qui avance à reculons et tente de rattraper tous les vaincus qui sont tombés et qui aspirent encore même défunts à cet autre monde, parmi eux il y aura John Garfield qui en tant qu’acteur annonce Marlon Brando, James Dean et tant d’autres… C’est aussi la présence de ces vaincus qui m’empêche de détester la société américaine, parce que toutes les sociétés capitalistes y compris la France sont bâties sur la défaite et le drame de ceux qui ont lutté et perdu… et que l’on veut ignorer. Pourtant ces gens-là sont un plaidoyer pour ce que nous sommes et que nous avons rendu insupportable au reste de l’humanité (note de Danielle Bleitrach).

Fils de David et Hannah Garfinkel, Julius Garfinkel fait son apparition en ce monde le 4 mars 1913, à New York City (New York, U.S.A.) au sein d’une famille juive de petite condition installée dans les bas quartiers de l’East Side new-yorkais. Il décrira plus tard son géniteur comme “… un ignorant et un fanatique religieux”. Dans ce milieu défavorisé, Julius n’avait assurément aucune chance de devenir une vedette de cinéma.

Sa mère décède alors que l’enfant n’a que sept ans. La famille déménageant, celui-là passe son enfance dans les ghettos du Bronx, une jungle dans laquelle il doit littéralement se battre pour exister, avant d’être interné dans un institut pour adolescents “difficiles”. Heureusement, une bonne âme, en la personne d’un éducateur public, le Dr. Angelo Patri, va l’aider à sortir de cette ornière qui aurait dû être définitive.

Sous la conduite de ce dévoué psychologue, Julius s’oriente vers l’art oratoire, remportant dès 1927 un concours organisé par le New York Times. Avec l’aide financière de son mentor et l’apport des maigres ressources de ses premiers petits boulots, il s’inscrit aux cours de la Heckscher Foundation, une école qui lui fait découvrir les rudiments de l’art dramatique, sous la houlette de la comédienne Maria OuspenskayaNadia Ouspenskaya et du metteur en scène Richard BoleslawskiRichard Boleslavsky.

Membre de la troupe de la comédienne Eva LeGallienneEva Le Gallienne (1932), il fait ses premières apparitions au théâtre («Lost Noy»«Counsellor-at-Law»…) sous le nom de Jules Garfield.

Peu satisfait de l’évolution de sa carrière artistique, Julius travaille quelques mois dans un centre de vacances en compagnie d’une jeune femme, Roberta Seidman. En 1935, le couple convole en noces que l’on qualifie généralement de justes. De cette union naîtront trois enfants : l’aînée, Katharine, mourra à l’âge de cinq ans d’une réaction allergique, les deux suivants, David et Julie GarfieldJulie Garfield, auront une courte carrière de comédiens.

Jules Garfield, Clifford Odets et le théâtre…

John GarfieldJohn Garfield / Clifford Odets

À cette époque, Jules rencontre le jeune écrivain Clifford OdetsClifford Odets, originaire comme lui du Bronx new-yorkais. Celui-ci l’entraîne vers le Group Theater, une troupe dirigée par Lee StrasbergLee Strasberg, dans la continuïté des méthodes imposées par son maître, Constantin StanislavskiConstantin Stanislavski. Cette collaboration lui vaut enfin de tenir des rôles plus intéressants.

En 1937, Clifford Odets écrit spécialement pour lui le rôle principal de sa nouvelle pièce, «The Golden Boy», située dans ce milieu de la boxe dont le jeune acteur avait tâté dans sa jeunesse. À l’affiche également apparaît la jeune actrice Frances Farmer, qui reprendra le rôle au cinéma (et dont l’esprit d’indépendance tout autant que la destinée ne sont pas sans points communs avec ceux de son partenaire). Se voyant finalement distribué dans un rôle de moindre importance, Jules quittera la troupe après les dernières représentations.

La collaboration des deux amis reprendra à l’aube des années cinquante, lorsque John Garfield créera le rôle principal de la pièce de Clifford Odets, «The Big Knife» (1949), avant de tenir enfin celui qui lui avait été promis dans une reprise tardive de «Golden Boy» (1952).

Hollywood, quand tu nous tiens…

John Garfield«Flowing Gold» (1940)

Alléchés par ses premiers succès, les “talents scouts” hollywoodiens avaient approché Jules Garfield dès 1933. Mais sa prétendue apparition dans «Footlight Parade» souffre de la plus grande incertitude.

Toutefois, sa rupture avec le Group Theater consommée, le comédien se montre plus accueillant envers les producteurs du septième art et signe un contrat de sept ans avec la firme Warner Bros, adoptant à cette occasion son pseudonyme définitif.

Après avoir pris ses marques sous la direction de Michael Curtiz («Rêves de jeunesse», 1938, lui vaut une nomination à l’oscar du meilleur second rôle), il tient le rôle titre d’un boxeur traqué dans l’oeuvre de Busby Berkeley, «They Made me a Criminal» (1939).

En 1940, il retrouve Frances Farmer pour «Flowing Gold», une réalisation d’Alfred E.Green peu connue outre-Atlantique.

«Le vaisseau fantôme» (1941) demeure sans doute l’œuvre la plus célèbre de cette première période de sa carrière cinématographique. Dans cette quatrième des cinq collaborations qu’il entretiendra avec Michael Curtiz, John Garfield retire courageusement Ida Lupino des griffes du méchant Edward G. Robinson.

En 1942, John SteinbeckJohn Steinbeck, le célèbre auteur des «Raisins de la colère», pouvait encore prétendre au qualificatif d’écrivain “de gauche”. Dans cette lignée, «Tortilla Flat» fait également l’objet d’une adaptation au cinéma dans laquelle John Garfield donne la réplique à Spencer Tracy et Hedy Lamarr.

Une maladie cardiaque qu’il traîne depuis l’enfance empêche John de prendre part à la Seconde Guerre Mondiale. Il apportera sa contribution à l’effort national par ses participations à des spectacles pour le soutien des troupes, ses actions pour soutenir la vente de bons de guerre et son association avec Bette Davis dans l’animation de la célèbre «Hollywood Canteen», où des vedettes du spectacle servaient gratuitement à des permissionnaires ravis nourriture et “entertainment”.

En 1946, libéré de son contrat avec la Warner, l’acteur tourne pour la Metro-Goldwyn-Mayer le célèbre film de Tay Garnett, «Le facteur sonne toujours deux fois». Parfaitement immoral, et choquant pour l’époque, il y devient l’amant d’une femme plus que jamais fatale, incarnée par Lana Turner, qui le pousse à éliminer son brave mari pour partager rançon et amour en toute liberté. Mais la justice divine veille, qui rappelle chacun à ses devoirs.

Les insurgés…

John Garfield«Les insurgés» (1949)

En 1945, la fille aînée des Garfinkel, Katharine, qui souffrait de différentes allergies, décède à la suite d’une insuffisance respiratoire. Ce drame, on le comprend, bouleverse définitivement le comédien, qui ne retrouvera jamais l’apaisement dans son cœur et la stabilité dans son couple.

Désormais décidé à avoir plus d’emprise sur son travail, il crée sa propre compagnie, Enterprise Productions, et choisit d’incarner à nouveau un boxeur. «Sang et or» (1947), réalisé par Robert Rossen sur un scénario d’Abraham Polonsky, lui vaut une nouvelle nomination à l’oscar, pour le meilleur acteur cette fois-ci. La célèbre statuette sera accordée pour 1948, au titre du meilleur film, à «Le mur invisible», une mise en scène d’Elia Kazan (1947) dans laquelle notre vedette chasse les démons antisémites sur le point de naître dans l’esprit de Gregory Peck.

Cette année-là, l’acteur refuse la proposition que lui fait la productrice Irene Mayer (la fille de Louis B.Mayer et l’épouse de David O.Selznick) de créer la pièce de Tennessee Williams, «A Streetcar Named Desire», laissant le champ libre à l’avènement d’un jeune acteur, Marlon Brando.

En 1948, il est de la distribution de «Force of Evil», à la production duquel participe la compagnie Enterprise. Ce film “noir” constitue la première réalisation du scénariste Abraham PolonskyAbraham Polonski. Porté très bientôt sur la “liste des dix de Hollywood”, celui-ci ne pourra plus travailler qu’anonymement pour le cinéma américain, devant attendre 1969 pour reprendre place derrière la caméra («Tell Them Willie Boy is Here»).

En 1949, John Garfield tourne un film au titre représentatif, tant dans sa version américaine que française, de sa position et celle de ses plus proches amis au sein de la société hollywoodienne. «Les insurgés», réalisé par John Huston et dans lequel Jennifer Jones tient le principal rôle féminin, retrace les aventures d’un groupe révolutionnaire opprimé par un régime autoritaire.

En 1951, en pleine époque de la “chasse aux sorcières”, John Garfield est lui-même accusé de communisme par la Commission des Activités Anti-Américaines présidée par le sénateur Joseph McCarthyJoseph McCarthy. Niant son appartenance au Parti Communiste à laquelle Roberta fut inscrite, il refuse de donner les noms de collègues comédiens dont il aurait connaissance de l’affiliation. Tout le monde n’eût pas ce courage.

Boycotté par les studios, abandonné par son épouse, John Garfield sombre dans la déchéance et l’acoolisme. Après avoir été victime d’une première alerte en 1945, il décède d’une crise cardiaque dans l’appartement newyorkais d’une jeune actrice, le 20 mai 1952. Sa dépouille fut accompagnée par des milliers de jeunes admirateurs qui saluèrent en lui le premier rebelle du cinéma américain.

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