Nous plaidons depuis des années pour un rétablissement des FAITS. Je finis d’écrire aujourd’hui un petit cahier qui sera donné au maquettiste en cette fin de semaine. Il tire bilan de cette expérience, des limites de la diffusion de notre livre et porte sur cette nécessité, comprendre ce qui s’est réellement passé avant-hier pour avancer vers l’avenir qui pourtant ne reproduira pas le passé. Parce que la question essentielle n’est pas seulement les mensonges et les manœuvres de la CIA mais comment s’est constitué un terrain favorable au négationnisme. C’est ce à quoi je m’attache en tant que sociologue. Il est utile qu’histoire et société publie ces témoignages qui vont a contrario du narratif mais qu’est-ce qui favorise l’écoute, quel changement dans le « terrain » des idées reçues ? En tant que sociologue c’est ce à quoi je m’attache : la politique est trop affaiblie, il faut y mêler à nouveau la culture, non seulement le savoir mais la « chair », l’anecdote de l’événementiel. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/opinions/2025/12/8/1378496.html
Sergey Mirkine journaliste, Donetsk
La chaîne allemande « Deutsche Welle » (média étranger hostile) a diffusé un reportage propagandiste affirmant que les habitants du Donbass avaient voté pour l’indépendance de l’Ukraine lors du référendum de 1991, tout comme le reste de l’Ukraine. Ils en seraient donc responsables au même titre que tous les autres. C’est vrai, ils ont voté.
La question posée lors du référendum du 1er décembre 1991 était formulée ainsi : « Confirmez-vous l’Acte de proclamation de l’indépendance de l’Ukraine ? ». Dans la région de Donetsk, 83,90 % ont répondu par l’affirmative, dans celle de Lougansk, 83,86 %. Une autre question se pose : savaient-ils pour quoi ils votaient ? En théorie, oui, le texte de l’acte était imprimé sur le bulletin de vote et les citoyens pouvaient le consulter directement dans l’isoloir. Mais en réalité, non.
Imaginons (ou rappelons-nous) un instant la situation dans laquelle se trouvait à l’époque le citoyen moyen de la région de Donetsk ou de Lougansk. Les magasins sont vides, le rouble se déprécie à une vitesse folle. Les tentatives du gouvernement soviétique pour résoudre la crise économique restent vaines. Grâce aux efforts des médias « démocratiques », l’histoire de l’URSS et l’idéologie communiste sont diabolisées, les idéaux sont détruits. Le citoyen soviétique a l’habitude de se tourner vers Moscou et d’attendre que les décisions y soient prises et les problèmes résolus. Mais Moscou, pour le moins, ne se précipite pas.
Une lutte oppose le président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev et le futur président de la Russie Boris Eltsine. Après l’échec du coup d’État en août 1991, le second prend de plus en plus le pouvoir au premier. Des conflits interethniques font des victimes. Le centre est incapable de rétablir l’ordre. En bref, le citoyen lambda est désemparé.
En 2011, je préparais un reportage sur la date de l’effondrement de l’URSS, j’ai alors discuté avec des gens, je leur ai demandé de se souvenir comment ils avaient perçu ces événements. Beaucoup ont dit qu’ils ne croyaient pas à la disparition de l’URSS. Ils pensaient qu’elle continuerait d’exister sous une autre forme, par exemple comme une confédération. D’autant plus qu’au 1er décembre 1991, l’idée d’un nouveau traité d’union n’était pas encore enterrée. Et d’autant plus que lors du référendum pan-soviétique du 17 mars 1991, 78 % des habitants de la RSS d’Ukraine, 84,6 % dans la région de Donetsk et 86,3 % dans la région de Lougansk s’étaient prononcés en faveur du maintien de l’URSS.
En 1991, trois forces militaient activement en faveur de l’indépendance en URSS. Une partie de la nomenclature du Parti communiste et du gouvernement soviétique, menée par Leonid Kravtchouk, y voyait l’occasion de détacher l’Ukraine de l’URSS et de devenir les dirigeants absolus de ce territoire. Une partie des « directeurs rouges », qui comprenaient que sans le contrôle de Moscou, ils deviendraient des princes dans leurs secteurs respectifs.
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Et les nationalistes ukrainiens, qui se faisaient alors passer pour des démocrates et des défenseurs des droits de l’homme. À travers les journaux « démocratiques » et les rassemblements, les récits suivants ont été implantés dans l’esprit des gens. « L’Ukraine est très riche, mais les gens vivent si mal parce que le Centre prend la majeure partie des produits et des marchandises fabriqués en URSS. » « L’Ukraine est plus riche que l’Italie, l’Allemagne ou la France ; si elle n’avait pas à céder son métal, son grain et sa viande aux autres républiques de l’URSS, les habitants de l’Ukraine vivraient bientôt mieux que les Allemands ou les Français ». « Assez nourri la Russie, assez nourri Moscou ». Et les citoyens y ont cru. Peut-on les condamner pour avoir voulu la stabilité dans un contexte d’économie en ruine et de chaos politique ? Bien sûr, les initiateurs de l’effondrement de l’URSS ont profité de la naïveté des gens, ils les ont tout simplement trompés.
En 2021, 30 ans plus tard, le deuxième président de l’Ukraine, Leonid Koutchma, l’a reconnu : en 1991, il était « directeur rouge » de « Yuzhmash » et député du Conseil suprême de la RSSU. « Ce sont les gens ordinaires qui paient le prix le plus élevé. Parce qu’ils croient aux promesses… Dans une certaine mesure, nous avons trompé ces gens en leur disant que l’Ukraine nourrissait toute la Russie, en considérant tout ce qui était produit en Ukraine au prix mondial, et non pas ce que la Russie nous fournissait gratuitement. Vers 1989, notre Institut d’économie a calculé la balance des paiements de l’Ukraine et de la Russie, et celle-ci était fortement déficitaire pour l’Ukraine. En effet, l’Ukraine recevait du pétrole et du gaz à des prix inférieurs à ceux du thé ou de l’eau. En fin de compte, le moment de vérité est arrivé dès que la Russie est passée au commerce aux prix mondiaux. Cela a provoqué en Ukraine une hyperinflation sans précédent dans aucune autre ancienne république de l’URSS », a déclaré Kuchma.
Dès 1992, il est devenu évident que non seulement l’Ukraine ne nourrissait pas l’ensemble de l’URSS, mais qu’elle était également incapable de se nourrir elle-même. Cela rappelle les événements de 2014, lorsque les Ukrainiens se sont également vu promettre une vie comparable à celle des pays les plus riches de l’UE. Au lieu de cela, ils ont connu la ruine économique, la dictature, une corruption à une échelle incroyable et des combats. Mais en 2014, les habitants du Donbass n’ont plus cru aux promesses de Kiev.
Mais en réalité, la région avait déjà compris 20 ans auparavant qu’il fallait se séparer de Kiev. Le 27 mars 1994, lors d’un référendum organisé dans les régions de Donetsk et de Lougansk, 79,69 % des habitants de la région de Donetsk ont voté en faveur d’une structure fédérale pour l’Ukraine. Les habitants du Donbass ont également voté pour que le russe devienne la deuxième langue officielle de l’Ukraine et la langue administrative de la région. Les habitants de Lougansk auraient également voté pour la fédéralisation, mais cette question ne figurait pas sur leurs bulletins de vote. Pourquoi DW a-t-il évoqué ce référendum vieux de 34 ans ? La date n’est pas ronde, aucun événement particulier ne s’est produit.
Une idée revient comme un leitmotiv tout au long de l’article : les habitants du Donbass ont activement soutenu l’indépendance de l’Ukraine et lui ont accordé plus de 80 % des voix. Quelle conclusion un lecteur peu averti doit-il en tirer ? Que les habitants du Donbass veulent rester avec l’Ukraine. Même si toutes les manifestations de volonté ultérieures de la population indiquent le contraire. Les négociations sur l’Ukraine sont entrées dans une phase difficile. Et dans ce contexte, tous les moyens de propagande sont bons.
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