Hier à propos du vote de l’assemblée des Nations Unies dénonçant le blocus de Cuba, nous avons lu dans ce vote une photographie de l’évolution irréversible des rapports de force internationaux vers le monde multipolaire. Au même moment, avait lieu la rencontre entre le président Xi et Trump, ce dernier ayant tenté de rallier ses alliés et ayant joué le bluff jusqu’à ordonner la reprise des essais nucléaires puis ayant joué le triomphe de cette politique. Les seuls qui se sont prêtés réellement à cette comédie sont les Européens, et quelques subordonnés comme l’Argentine, le Paraguay sans parler d’Israël totalement intégré à l’empire. Aujourd’hui et dans le Week end, nous allons poursuivre la description de ce panorama et ce qu’il révèle . Le sens du vote face à Cuba montre qu’il ne s’agit plus seulement de dénoncer l’injustice, le crime de blocus et en fait d’appliquer la loi du maître Etats-Unis, il existe désormais la possibilité de refuser la dite loi et d’agir en ce sens pour les nations comme pour les forces politiques et même les individus. C’est là que chaque nation a sa propre histoire, l’état passé, présent de la lutte des classes la conditionne et nous avons proposé désormais d’étudier les affrontements politiques à travers ces dialectiques complexes. L’Inde, ce géant, est un des membres fondateurs des BRICS comme de l’OCS. L’article ci-dessous analyse les contradictions de la « démocratie indienne » et la politique de Modi. Pour ceux qui ont lu notre livre, l’opposition que Marx fait entre la Chine et l’Inde, cette dernière divisée et soumise de ce fait à l’impérialisme britannique sera selon lui incapable d’accomplir son émancipation, elle attendra l’ordre des Britanniques (aujourd’hui intégrés à leur rejeton US) alors que la Chine reviendra comme un boomerang dans un pivot avec les USA. Pourtant les luttes du peuple indien et la pression des peuples du sud symbolisée par le partenariat stratégique Chine-Russie ont changé la donne et si « la plus grande démocratie » reste une oligarchie aisément corrompue, la nation indienne évolue… (note et traduction de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
 par Ravi Kant28 octobre 2025
par Ravi Kant28 octobre 2025

Dans une démocratie, lorsque les politiciens prospèrent mais que le peuple ne le fait pas, ce dont le système a besoin, ce n’est pas d’une réforme mais d’un sauvetage
Lorsque le Bharatiya Janata Party est arrivé au pouvoir en 2014, il a surfé sur une vague de mécontentement alimentée par les scandales de corruption, l’inflation et le chômage. Narendra Modi a promis une nouvelle ère, construite sur Sabka Saath, Sabka Vikas (« Ensemble avec tous, le développement pour tous »). La promesse était celle de la gouvernance, du développement et de la fin de la « culture d’élite ».
Une décennie plus tard, le bilan montre une réalité plus complexe dans laquelle le slogan semble avoir profité à la classe politique plus qu’au peuple.
L’Association pour les réformes démocratiques a publié des données montrant que 93 % des membres élus en 2024 à la Lok Sabha, la chambre basse du parlement indien, sont millionnaires, chacun d’entre eux s’élevant à plus de 120 000 dollars américains.
La démocratie indienne bascule rapidement vers le règne des ultra-riches, une ploutocratie en devenir. À la tête de cette tendance se trouve le parti même qui prétend mettre fin à la culture de l’élite.
Une démocratie pour les privilégiés
Lors des élections générales de 2024, 34 (14 %) des 240 candidats sortis victorieux du BJP au pouvoir ont déclaré des actifs équivalents à 6 millions de dollars ou plus, 130 (54 %) ont déclaré une richesse comprise entre 120 000 et 1,2 million de dollars, tandis que 63 autres (26 %) ont déclaré des actifs entre 1,2 et 6 millions de dollars. Les actifs de seulement 13 vainqueurs du BJP (5 %) étaient inférieurs à 120 000 USD.
Dans le principal parti d’opposition, le Parti du Congrès, 93 % des 99 membres élus sont également millionnaires. Parmi les autres partis ayant plus de 20 sièges, environ 90 % des gagnants appartiennent également à la catégorie des millionnaires.
En 2024, les membres gagnants du BJP ont déclaré une richesse moyenne d’environ 6 millions de dollars, contre 2,8 millions de dollars pour les membres du Congrès.

En termes de croissance de la richesse individuelle, le député du BJP Tejasvi Surya a vu ses actifs passer d’environ 16 000 dollars en 2019 à environ 490 000 dollars en 2024, soit une multiplication par environ 30. De même, Ramesh Chandappa Jigajinagi du Bharatiya Janata Party (BJP) a fait état d’une multiplication par près de 100 en 20 ans. L’augmentation de la richesse ne s’est pas limitée aux seuls membres du BJP, mais s’est également étendue aux membres de leur famille immédiate.
Le fils du ministre de l’Union, Nitin Gadkari, Nikhil Gadkari, a vu son entreprise CIAN Agro Industries & Infrastructure Ltd se lancer dans la production d’éthanol en 2024, avec des revenus passant d’environ 210 000 dollars au cours du trimestre se terminant en juin 2024 à 61,5 millions de dollars en un an. Le cours de son action est également passé de 0,53 $ à 36,5 $ en octobre 2025.
De même, Jay Shah, fils du ministre de l’Intérieur Amit Shah, confident le plus proche de Modi, a connu une croissance explosive de son entreprise Kusum Polyplast Pvt. Ltd. Au cours de l’exercice financier se terminant en mars 2024. La valeur nette de l’entreprise a augmenté d’environ 141,5 %. La valeur nette de la société n’a pas publié ses résultats financiers pour l’exercice 2025. Au cours de la dernière décennie, la richesse des dirigeants politiques et de leurs familles a augmenté beaucoup plus rapidement que la moyenne nationale.
Un rapport récent montre que les députés élus aux élections indiennes de 2024 sont 27 fois plus riches que le ménage urbain moyen, avec un patrimoine moyen de 900 000 dollars, contre 33 000 dollars pour les citoyens ordinaires.
Cette disparité devient encore plus prononcée si on la compare à l’Inde rurale, où la majorité de la population réside encore. Le Bihar, l’un des États les plus pauvres et les moins industrialisés du pays, dirigé par l’alliance BJP-JDU, en est un excellent exemple.
Le revenu par habitant du Bihar n’est que de 650 dollars par an, l’un des plus bas de l’Inde. Pourtant, un rapport d’ADR montre que 80 % des 241 membres de l’Assemblée législative du Bihar sont millionnaires, avec des actifs moyens de 560 000 $ en USD. Même dans un État aussi pauvre, les actifs des dirigeants du BJP ont augmenté de 47 à 54 % au cours de la dernière décennie.
Selon des données récentes, les actifs du député Samrat Choudhary s’élèvent désormais à 1,33 million de dollars, ceux de l’ancien ministre Renu Devi à 843 000 dollars et ceux du ministre de la Santé Mangal Pandey à 282 000 dollars.
Malgré la croissance de 12,8 % du Bihar en 2023-24, les citoyens moyens ne gagnent qu’une infime fraction (650 $ par an) de ce que les dirigeants élus accumulent en richesse personnelle.
Cela démontre une nouvelle culture politique que le BJP a établie, qui place l’accumulation de richesses au-dessus du bien-être public.
Quand la politique devient un portefeuille
Dans les premières décennies qui ont suivi l’indépendance, la politique de l’Inde a été définie par l’engagement idéologique et l’austérité personnelle, avec des dirigeants comme Gandhi et Shastri valorisant le succès par le service et non par les atouts. Lorsque la richesse devient le prix de l’entrée en politique, la démocratie cesse d’être un terrain de jeu équitable. L’État socialiste nehruvien craignait le pouvoir de l’argent. Mais le BJP actuel embrasse et amplifie la tendance.
Aujourd’hui, les partis politiques favorisent les candidats qui s’autofinancent, remplaçant les travailleurs de base. Les données de l’ADR montrent que les candidats ayant des actifs supérieurs à 120 000 $ ont 28 fois plus de chances de gagner que les candidats plus pauvres.
Aujourd’hui, l’Inde est confrontée à un paradoxe démocratique : un électorat pauvre gouverné par des représentants riches. Avec des dépenses prévues de 160 milliards de dollars, les élections législatives de 2024 ont été les plus coûteuses de l’histoire de l’Inde, juste derrière les États-Unis. L’électeur indien moyen ne peut pas se permettre une seule campagne parlementaire, qui coûte entre 600 000 et 1,2 million de dollars.
Le résultat est un cycle qui s’auto-entretient : l’argent gagne les élections, et les élections multiplient l’argent. Une fois au pouvoir, la richesse est assurée de monter en flèche grâce à l’influence sur les contrats et les politiques, à l’accès aux dons des entreprises et au financement discrétionnaire. La politique n’est plus un outil de service public, mais d’accumulation de richesses. Le cycle argent-muscle-vote met à l’écart les pauvres, l’argent achète de la visibilité, la visibilité gagne des votes, et les votes achètent plus d’argent.
Mais une véritable démocratie ne se mesure pas à la richesse de ses dirigeants, mais à la façon dont ils représentent équitablement les pauvres. Les fondateurs de l’Inde envisageaient une démocratie d’égaux. Aujourd’hui, elle risque de devenir une démocratie d’investisseurs ou de privilégiés.
Views: 31
 
		 
		
 
                    

