Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La fuite des cerveaux américains confère l’attribution mondiale des talents à la Chine

Publié dans États-Unis-Chine

Les scientifiques chinois soumis à la suspicion quittent l’Amérique en masse, un exode qui fait pencher la balance mondiale de l’innovation en faveur de la Chine. L’auteur pose également la question de la capacité pour l’appareil gouvernemental communiste de ne pas avoir des abrutis imbus de leur pouvoir et ne sachant pas gérer une main d’œuvre aussi demandée. Que l’on se rassure, la connerie bureaucratique des cadres politiques en particulier intermédiaire est également répartie quel que soit le régime et ils sont susceptibles d’écœurer n’importe quelle bonne volonté. Ceux des Etats-Unis et de France ont de surcroit un régime devenu de plus en plus répressif et paranoïaque. Mais mon expérience personnelle me permet de dire que l’étroitesse nombriliste des cadres intermédiaires est plus difficile à supporter quand ils se prétendent communistes parce qu’il y a alors une telle distance entre l’idéal et la mesquinerie stupide et méchante que cela détruit de l’intérieur celui qui en est victime. Le mieux, si faire se peut, c’est de minimiser les contacts avec cette bureaucratie. C’est l’orientation qui est privilégiée semble-t-il en Chine où on développe les avantages du socialisme en laissant des bulles d’autonomie à la recherche et à l’innovation. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

par Tang Meng Kit 20 mai 2025

Les scientifiques chinois quittent les États-Unis en masse. Image : X Capture d’écran

La rivalité entre les États-Unis et la Chine n’est plus seulement un affrontement de droits de douane, de marines et d’affrontements diplomatiques. Un front plus discret et plus subtil a émergé – un front qui est néanmoins en train de remodeler l’ordre mondial et de décider des futurs gagnants et perdants. C’est un concours pour les êtres humains, en particulier les scientifiques, les ingénieurs et les pionniers universitaires qui façonneront l’avenir.

Dans cette lutte émergente, le talent est le nouveau pétrole et les pipelines se déplacent à mesure que le flux autrefois unidirectionnel de talents vers les États-Unis s’inverse, réoriente les carrières, rééquilibre l’innovation et redessine la carte de la puissance et de l’influence mondiales.

Des milliers de professionnels hautement qualifiés, en particulier ceux d’origine chinoise, quittent les institutions américaines pour de nouvelles opportunités en Chine et ailleurs. C’est plus qu’un renversement ; Il s’agit d’une redistribution de la matière grise mondiale, qui remodèle les écosystèmes de recherche et fait pencher sensiblement la balance de l’innovation mondiale.

Entre 2010 et 2021, près de 20 000 scientifiques d’origine chinoise ont quitté les États-Unis, une tendance qui s’est accélérée après 2018. Il ne s’agit pas de chercheurs de second plan : ils s’agit de personnalités comme le neuroscientifique Yan Ning, qui a quitté Princeton pour diriger l’Académie de médecine de Shenzhen, et Gang Chen, un ingénieur de haut niveau du MIT qui est retourné à l’Université Tsinghua après avoir été blanchi des accusations d’espionnage.

De plus en plus sous Trump, les politiques de visa restrictives, la géopolitique et la suspicion raciale repoussent les meilleurs talents au lieu de les attirer. L’initiative chinoise de l’administration Trump précédente est peut-être terminée, mais son effet dissuasif demeure.

Les scientifiques chinois et asiatiques s’inquiètent de la surveillance, d’un examen injuste ou même de poursuites. Dans le même temps, la réduction des budgets de recherche et l’instabilité des financements rendent les États-Unis moins attrayants.

À cela s’ajoute une atmosphère culturelle tendue par la montée du sentiment anti-asiatique. Pour de nombreux scientifiques, il ne s’agit pas seulement de financement, il s’agit d’un sentiment d’appartenance, et de plus en plus, ils ont l’impression qu’ils ne sont pas admis.

Les raisons personnelles comptent également : la proximité de la famille, l’affinité culturelle et le désir de construire quelque chose chez soi sont de fortes motivations pour beaucoup. Le choix n’est pas toujours idéologique ; Parfois, c’est juste pratique.

Pendant ce temps, des pays comme la Chine attirent activement les meilleurs talents. Des programmes comme le Plan des mille talents offrent non seulement des salaires et des budgets de recherche de premier ordre, mais aussi des logements, des rôles de leadership et du prestige.

Des institutions comme l’Université Westlake et l’Académie de médecine de Shenzhen promettent une autonomie et des installations de classe mondiale. Pour beaucoup, le retour en Chine n’est plus un pas en arrière, mais plutôt un pas en avant.

Contrôle, prestige et nouveau récit national

Le recrutement de talents en Chine est stratégique et politique. Les scientifiques sont accueillis en fanfare, mais aussi avec des attentes. La loyauté envers le Parti communiste chinois est importante. Les rapatriés sont intégrés dans des réseaux qui allient leadership scientifique et alignement idéologique.

Pourtant, même dans le cadre de ces contraintes, la Chine offre une marge de manœuvre. Le gouvernement sait que l’innovation ne peut pas être entièrement microgérée, c’est pourquoi il investit massivement dans la réduction de la paperasse et l’offre de trajectoires de carrière claires. Le résultat est un paradoxe : un système qui exige le contrôle mais dépend de la créativité.

Les rapatriés sont également des symboles puissants. Les médias chinois dépeignent leur retour comme une validation de l’ascension de la Chine et du déclin de l’Occident. Ces récits renforcent le nationalisme et légitiment le régime. Mais le gouvernement sait que ce soft power va dans les deux sens : les rapatriés désabusés peuvent devenir des critiques, donc l’intégration et le respect sont essentiels.

Ce moment soulève une question importante : la Chine est-elle en train d’atteindre un véritable point d’inflexion dans son ascension en tant que superpuissance scientifique ? Pour certains, le symbolisme est frappant. Mao Zedong a un jour déclaré l’ascension du peuple chinois sur la scène mondiale. Aujourd’hui, le retour de scientifiques de classe mondiale en Chine pourrait être considéré comme une réalisation de cette prophétie – non pas par la révolution, mais plutôt par la recherche.

L’écosystème croissant de laboratoires, de parcs de recherche et d’universités de la Chine produit une science de classe mondiale. Ses principales institutions de recherche grimpent dans les classements mondiaux. Ses chercheurs font des percées dans les domaines de l’informatique quantique, de l’intelligence artificielle et de la biomédecine. Si cette trajectoire se maintient, la Chine pourrait bientôt rivaliser ou dépasser les États-Unis dans les plus hauts niveaux d’innovation et de technologie.

Mais le chemin n’est pas garanti. Un véritable leadership scientifique exige de l’ouverture, de la confiance et de la liberté intellectuelle – des qualités qui ne conviennent pas aux dirigeants politiques de la Chine. La durabilité de l’essor scientifique de la Chine dépendra de la façon dont le Parti communiste gérera ces tensions.

S’agit-il du début d’un nouveau siècle scientifique chinois, ou d’un pic prématuré ? La réponse réside dans la façon dont la Chine équilibre ses ambitions nationales avec l’éthique mondiale et les normes de la science.

Pour les États-Unis, la perte de chercheurs de haut niveau est une menace évidente pour leur avantage en matière d’innovation, mettant en péril les futures percées dans les domaines de l’IA, de la biotechnologie et des technologies propres. Cela affaiblit également le soft power américain. L’université américaine était autrefois l’étalon-or mondial, mais cette aura s’estompe maintenant.

La Chine, en revanche, récolte de réels avantages, avec des rapatriés qui font progresser des secteurs clés de l’innovation. Les universités chinoises, quant à elles, grimpent dans les classements mondiaux. Tout cela donne à Pékin l’occasion de vanter ces succès comme une preuve de la supériorité de son système.

À l’échelle mondiale, les flux de talents sont de plus en plus fluides. La circulation des cerveaux, et pas seulement la fuite des cerveaux, crée de nouveaux pôles d’innovation dans des pays comme Singapour, l’Allemagne et les Émirats arabes unis. Ces pays bénéficient de chercheurs déçus à la fois par Washington et par Pékin. Le monde de la science devient ainsi décentralisé et plus compétitif.

Mais aussi plus fragmenté. Alors que la collaboration entre les États-Unis et la Chine s’effondre, l’Europe et d’autres pays sont de plus en plus contraints de choisir leur camp géopolitique. Le monde de la science se divise lentement mais sûrement en blocs compétitifs.

Les États-Unis sur la défensive

En réponse, les États-Unis se sont mis sur la défensive. Les politiques de sécurité nationale telles que le Projet 2025 et les contrôles à l’exportation visent à isoler les technologies critiques. Mais cette mentalité de forteresse pourrait se retourner contre lui si elle aliène de plus en plus de talents internationaux. S’ils vont trop loin, les États-Unis pourraient facilement se retrouver isolés dans la course mondiale à l’innovation.

Certaines universités et leaders technologiques américains s’y opposent, appelant à une réforme des visas et à un soutien accru aux étudiants et universitaires internationaux. Mais sans leadership fédéral et une vision claire, la dérive et l’aliénation des talents devraient se poursuivre sous Trump.

La Chine, quant à elle, redouble d’efforts pour attirer les talents dans son pays. Il considère les rapatriés comme des acteurs clés de ses initiatives « moonshot », allant de l’informatique quantique aux technologies vertes. Le défi pour Pékin est de maintenir une ouverture suffisante pour maintenir l’innovation en vie tout en assurant la fidélité.

D’autres pays saisissent également l’occasion. Le Canada, l’Australie et certaines parties de l’Europe rationalisent l’immigration pour les scientifiques. L’avenir ne sera peut-être pas bipolaire mais multipolaire, avec une mosaïque de centres d’innovation remplaçant l’ancien modèle centré sur les États-Unis.

Les États-Unis doivent agir de manière décisive. La réforme de l’immigration est essentielle, y compris des cartes vertes pour les diplômés en STIM, des processus de visa simplifiés et un message de bienvenue clair. La lutte contre le racisme anti-asiatique dans les espaces universitaires et professionnels est également essentielle.

Au-delà de cela, les États-Unis doivent se réengager dans l’investissement public dans la science, pas seulement pour des objectifs militaires mais pour le progrès humain partagé. Construire des collaborations mondiales, et non les détruire, aidera à maintenir la confiance et le talent.

La Chine doit aussi agir avec prudence. Trop politiser la science risque d’étouffer l’innovation qu’elle recherche et désire. Elle doit protéger la liberté intellectuelle, promouvoir la recherche interdisciplinaire et permettre une plus grande autonomie institutionnelle.

D’autres pays continueront probablement à cultiver des environnements où les scientifiques peuvent s’épanouir, indépendamment de leur origine nationale. La science est intrinsèquement mondiale, et les pays qui l’embrassent auront un avantage significatif dans les décennies à venir.

Le monde est témoin d’une révolution silencieuse alors que l’exportation des cerveaux mondiaux se transforme en circulation des cerveaux. L’ancienne hypothèse selon laquelle l’Occident est la dernière étape pour les talents ne tient plus.

La Chine réécrit les règles et les États-Unis risquent de s’exclure du jeu. Les gagnants seront ceux qui reconnaissent que les talents mondiaux recherchent la confiance, les opportunités et, tout aussi important, le respect.

Dans le nouveau monde de la concurrence mondiale, il ne s’agit pas seulement de savoir qui construit la puce la plus rapide ou qui trouve le prochain vaccin. Il s’agit de savoir à qui les gens font confiance pour construire un avenir vers lequel ils sont prêts à travailler.

Tang Meng Kit est diplômé du programme de MSc en Relations Internationales à la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS), Nanyang Technological University (NTU), Singapour. Ses intérêts de recherche englobent les relations entre les deux rives, la politique taïwanaise et les questions de politique, ainsi que la technologie aérospatiale. Il travaille actuellement en tant qu’ingénieur aérospatial.

Views: 216

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.