Le dimanche est traditionnellement le jour le plus confidentiel de la semaine, celui d’une formule plus libre, moins soumise à l’événement. Aujourd’hui 24 novembre 2024, histoire et société vous offre en direct la naissance d’un livre et de sa problématique collective, non seulement de ses cinq rédacteurs : Danielle Bleitrach, Jean Claude Delaunay, Marianne Dunlop, Franck Marsal et Xuan (qu’il faudra peut-être finir par désigner par son nom qui est Jean Jullien) mais aussi le fruit de toutes les interventions et contributions des lecteurs d’Histoireetsociete).
Il y a là un vieux rêve. Le livre reste dans un système de production intellectuel basé sur la concurrence interindividuelle des “intellectuels traditionnels” pour reprendre le concept de Gramsci. Alors même que les intellectuels organiques du capital sont déjà dans un système collectif, type startup ou grandes bureaucraties du secteur privé financiarisé, ils sont en train de voir fondre sur eux un processus d’automatisation et de concurrence avec les machines assez semblable à celui qui a atteint les cols bleus, sans avoir la ressource nécessaire pour le comprendre et en tirer les leçons. Ils continuent désespérément à se vendre au système qui déjà les dévore… Ce qui se passe avec les “experts” sur les plateaux de télévision est parfois étonnant : comment un spécialiste de la Russie peut-il haïr à ce point son sujet d’étude ? le choc éprouvé à l’Université d’été du PCF devant une Clémentine Fauconnier, n’a d’égal que le spectacle des foucades de la LFI. Oui! là aussi nous sommes en plein bouleversement et dans le désordre ambiant il faut lire la fin d’un certain positivisme rassurant, comme la traduction dans le domaine de la connaissance en sciences sociales du fait qu’il ne s’agit plus seulement d’arracher des concessions de détail mais enlever la forteresse du capital. Cela suppose un parti et un fonctionnement collectif des intellectuels en lien fort, sincère et lucide avec les militants dont nous avons eu jadis la prescience.
Nous n’en sommes pas là mais si, mais si… au contraire, parce que quand la conflagration est là il est trop tard pour créer une organisation révolutionnaire. Celle-ci devrait être prête disait Lénine enfin de déployer immédiatement son activité. Certains pensent non sans raison (et j’en suis) qu’il est hasardeux d’écrire un livre sur un tel sujet puisque quand on croit avoir compris quelque chose sur la Chine et sur les avancées des BRICS, les divers champs de bataille, c’est déjà dépassé. Je peux toujours me rassurer en me souvenant que Lénine confirmait que si pour certains la situation exigeait de changer de tactique en 24 heures, pour changer de tactique en 24 heures encore faut-il disait-il en avoir une et une stratégie solide que donne seule une organisation rompue à bien des combats. Nous devons reconstruire tout cela, que nous avons laissé détruire …
Et nous sommes devant un empilement de temps sur lesquels nous pensons n’avoir plus prise : il y a par exemple toute chance que la situation ukrainienne soit telle qu’en janvier 2025 nous soyons devant une situation inédite.
Un livre collectif qui tout en se revendiquant comme produit de recherches et d’un travail intellectuel serait en même temps une contribution théorie-pratique à la construction d’un parti dans lequel les éléments les plus sérieux, les plus convaincus ne se perdraient pas dans des groupuscules mais s’attelleraient collectivement à la tâche véritable, la plus importante du moment : contribuer à cet agent incontournable de toute “révolution” à savoir le “parti”. Le parti tel qu’il devrait être, c’est aussi le parti tel qu’il est déjà, car il faut partir de l’existant pour le développer et le transformer, c’est ainsi que toute chose se fait. Si le parti dont nous avons besoin peut exister demain, c’est que le parti d’aujourd’hui contient en germe cette potentialité, que le travail et la lutte doivent révéler. Un livre, modeste contribution à sa nécessaire gestation, par cette lutte contre la dispersion d’individus mécontents prêts au combat et dont la faiblesse tient à cette dispersion. Se donner un tel but sur un sujet aussi mouvant que ce “basculement historique”, l’expérimentation de “l’absolument nouveau” a besoin d’ancrage théorique. La démarche marxiste n’est jamais un prophétisme. Elle ne part que de ce qui est déjà là mais que seule la théorie, cette carte d’état major, et une tactique de masse et de classe permet d’affronter cette réalité, celle de la mise en mouvement des masses dans le temps de l’impérialisme tel que l’a récemment défini Jean-Claude Delaunay:
Voici cinq traits majeurs de l’impérialisme contemporain :
1) Ce système est celui de l’ensemble des pays développés, y compris la France. Le capital financier, dont la forme actuelle est celle des multinationales et des fonds de pension, y domine les sociétés et les États.
2) Ce système est dépendant d’une direction nord-américaine, dont les multinationales et les fonds de pension ont pénétré toutes les économies. L’impérialisme n’est plus un impérialisme de nations, comme à l’époque de Lénine. Il est globalisé et contraint par l’hégémonie nord-américaine ainsi que par des formes de plus en plus puissantes et transnationales du capital financier.
3) Depuis les années 1980, ce système est devenu prédateur. Il tend à ne plus produire et absorbe, par l’achat et la vente des marchandises, des entreprises, la plus-value produite par ailleurs.
4) Cet impérialisme est donc monétaire (le dollar). Il est adossé à un impérialisme militaire, disposant d’environ 700 à 800 bases militaires dans le monde.
5) Les dirigeants de ce système croyaient avoir gagné le repos éternel et la fin de l’histoire en détruisant l’URSS et les démocraties populaires d’Europe, au début des années 1990. Il est aujourd’hui en crise profonde et générale.
Des intellectuels retrouveront ce temps où, dans le cadre des partis communistes, ils pouvaient dépasser le narcissisme et l’esprit de concurrence mondain dans lequel leur statut de “domestique” d’une classe dominante les enferme. Ils devraient se concevoir comme un Politzer, un Aragon au fait de leur potentialité et dans le même temps dans la modestie de savoir que si tu meurs, un autre sort de l’ombre pour prendre ta place et que le collectif du parti, le lien quotidien de lutte avec la classe sont la seule boussole fiable dans les phases de tension et d’extrême complexité … Cet idéal parait une utopie folle et pourtant les conditions matérielles et l’évolution de l’humanité tendent vers lui. Ce livre sera publié dans le premier trimestre de 2025 et nous le concevons dans un cadre de débat collectif avec les membres et dirigeants du PCF mais aussi tous ceux qui dans et hors parti sont concernés par un tel projet. Ce que résume notre futur éditeur Delga :
Le contenu du livre se dessine donc : la Chine, comme facteur de paix, de stabilité économique, de progrès scientifique pour le monde aujourd’hui ; pourquoi la France doit prendre le train des Brics et arrêter de parier irrationnellement sur un loser en chute libre, l’hégémonisme US dernier stade d’un Occident capitaliste qui siphonne les ressources naturelles et humaines du monde depuis plusieurs siècles ; le rôle du Parti communiste français comme parti d’avant-garde (voir le Manifeste du Parti communiste de Marx/Engels) ouvrant la voie à la nation vers ce monde multipolaire qui nait. Carte blanche donc à vous.
Pour ce qui est du contenant, je vous envoie ci-joint le projet de couverture que j’avais montré à Danielle à Vénissieux (à voir aussi s’il y a ou pas des problèmes de droits pour l’illustration).C’est dans ce contexte qu’il faut lire le point de Franck Marsal aujourd’hui sur ce qui unit les diverses contributions autour de ce projet…
Note de notre part : ajoutons que ce monde multipolaire qui naît, conscient de sa communauté de destin, est celui dans lequel la transition d’un grand nombre de nations vers un socialisme de nouvelle génération devient possible.
Je suis tout à fait d’accord avec le terme de “révolution numérique”. L’information a toujours existé. Elle est dans l’ADN, dans le langage, dans l’imprimerie, mais même dans toute structure. Une marchandise, même totalement “analogique”, matérielle, contient de l’information. L’élaboration du moindre outil résulte d’un long processus de travail et de test qui va se condenser dans une structure et une forme particulière, adaptée à un usage et à l’expérience qu’on en a. Il y a des milliers de formes de marteau, la répartition de la masse, la longueur et le bois du manche, tout cela nécessite énormément d’informations.
Ce qui change aujourd’hui, à un tout autre niveau que les changements déjà majeurs qu’ont été l’invention de l’écriture et celle de l’imprimerie, c’est la manière de capter, d’analyser, de stocker, d’utiliser et de diffuser l’information.
Je suis d’accord aussi avec l’idée qu’il faut accorder une grande importance à l’effort chinois pour accélérer et maîtriser entièrement cette nouvelle époque. C’est un des éléments qui me fait dire que cette révolution des moyens de productions prépare et appelle une évolution des rapports de production.
Parce que la Chine a compris que le système social ne peut pas changer si les forces qui portent ce changement ne parviennent pas à maîtriser les futurs développement des moyens de production, de manière à pouvoir bâtir la société future en dépassant les rapports sociaux et en franchissant des seuils qualitatifs dans le développement des forces productives.
C’est ce que fait l’URSS lorsqu’elle fait le choix de l’industrialisation et c’est pour cela qu’elle est victorieuse en 1945 sur les nazis. Mais elle n’a pas la force encore suffisante pour dépasser et vaincre la nouvelle citadelle de la réaction que sont les USA. Elle n’a peut-être pas non plus la base démographique et économique pour cela. Il est trop tôt pour que le “Sud” devienne une force productive industrielle. L’URSS va contribuer à émanciper politiquement les colonies. Elle va permettre l’éclosion d’une poignée d’états socialistes isolés les uns des autres et qui ont un long chemin de développement devant eux.
La situation actuelle est différente. La Chine franchit une à une les étapes de création du système de production supérieur. Elle a la capacité d’entraîner (et de faire profiter) plusieurs continents dans ce processus. De l’autre côté, les USA sont la dernière citadelle de la réaction. Personne n’est en situation de prendre le relais pour freiner l’évolution du monde. C’est pourquoi, nous sommes au devant d’un nouveau cycle de révolutions sociales, de l’établissement d’une nouvelle génération d’états socialistes, plus évolués et capables de faire basculer l’humanité dans un nouveau stade historique.
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