4 octobre 2024
L’étude des fonctions cognitives s’est faite durant des siècles et même dans les récentes décennies sans référence obligée à la matérialité de leur support biologique, mais le développement des sciences du cerveau au cours des décennies récentes et la possibilité offerte par des technologies avancées (comme les méthodes de neuro-imagerie) d’accéder à des réalités structurales et fonctionnelles au sein du cerveau ont créé de nouvelles pistes dont certaines sont allées jusqu’à transformer le support biologique des individus en réceptacle comme un téléviseur d’énergies venant du cosmos et donc subsistant après la mort. Mais en général les sciences cognitives ne peuvent plus ignorer les contraintes que le substrat physique impose aux traitements cognitifs et donc on en arrive comme ici à la diversification des formes de conscience et à la reconnaissance de celles-ci de notre propre diversité. De plus, dans le domaine des sciences du cerveau, selon un phénomène de différenciation analogue à celui qu’a connu la psychologie elle-même, les disciplines les plus proches de la psychologie se sont progressivement rassemblées sous l’appellation « neurosciences cognitives » ou encore « neurosciences computationnelles […] On devrait assister à un essor tout à fait considérable de l’étude de ce qu’on désigne comme la “conscience” avec l’incitation à repenser les cloisonnements disciplinaires et même ce que Humbolt désignait comme la cosmologie à savoir l’hypothèse d’une énergie consciente du vivant comme poussière d’étoile qui lui faisait décrire les continents, les mœurs humaines, dans des paysages, des ressources animales à la manière d’un Darwin (1), cette appropriation compréhensive et active qui en fait se meut dans un cadre étroit et temporaire des rapports de classe, de “propriété” privée et des tentations théologiques pour les éterniser.
(1) je vais peut-être tenter de vous faire un compte-rendu du livre le plus divertissant et pourtant enrichissant que je viens de découvrir et qui est mon nouveau compagnon de promenades: Andréa Wulf. L’invention de la nature. Les aventures d’Alexander von Humboldt. ed. Libretto. 2024
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D’autres animaux ont-ils une conscience ?
Les humains ont des relations avec leurs animaux de compagnie depuis des milliers d’années, leur parlant, les dorlotant et les imprégnant d’attributs humains. Mais ces animaux « pensent-ils », et les animaux non humains ont-ils le même genre de sentiments que les humains ? La plupart des gens qui ont des animaux de compagnie diraient « oui ».
Que dit la science ? Au cours des dernières décennies, les chercheurs ont commencé à trouver des réponses scientifiques aux questions de conscience pour une variété d’espèces. Le large consensus est que de nombreux animaux sont sensibles (ont une pensée consciente), qu’il existe différents types de cognition, et qu’un plus grand nombre d’animaux ont besoin de protection et que davantage de recherches sont nécessaires pour un plus large éventail d’espèces.
Lors d’une réunion en avril 2024 à l’Université de New York, 39 éminents scientifiques de différentes disciplines ont publié la « Déclaration de New York sur la conscience animale », mettant l’accent sur « un fort soutien scientifique pour l’attribution de l’expérience consciente à d’autres mammifères et aux oiseaux » et « au moins une possibilité réaliste d’expérience consciente chez tous les vertébrés (y compris les reptiles, les amphibiens et les poissons) et de nombreux invertébrés (y compris, au minimum, des mollusques céphalopodes, des crustacés décapodes et des insectes).
La déclaration, signée par 480 scientifiques en septembre 2024, affirme en outre que les preuves devraient éclairer les décisions concernant le bien-être de ces animaux sensibles. Les défenseurs des animaux saluent la déclaration comme un progrès, mais notent qu’elle comprend un dilemme éthique en permettant la poursuite de la recherche sur la douleur sur les animaux et en autorisant la recherche en captivité.
Explorer l’esprit des animaux
Les animaux non humains ne parlent pas une langue que les humains peuvent comprendre, de sorte que les conceptions de recherche doivent trouver des moyens de mesurer la sensibilité sans rétroaction directe. Le défi, selon de nombreux chercheurs, est de concevoir une recherche qui soit appropriée à un organisme et à son environnement. Les expériences sont inventives et beaucoup de conclusions sont spéculatives. En voici quelques exemples :
Les pieuvres : De nombreuses expériences ont porté sur la sensibilité des pieuvres. Une étude de 2022 a montré que les pieuvres avaient « un comportement intentionnel », qu’elles avaient de la mémoire et qu’elles formaient des « cartes mentales » à des fins de navigation. La même étude indique que les pieuvres peuvent reconnaître leurs congénères et, en captivité, distinguer les manipulateurs qui leur apportent de la nourriture de ceux qui sont odieux, même lorsque tous les manipulateurs sont vêtus de la même manière.
Les pieuvres coopèrent également avec d’autres espèces dans le cadre d’expéditions de chasse mutuellement bénéfiques, comme le montre une étude d’observation réalisée en 2020. Les poissons des récifs coralliens, tels que les mérous, fouillent le fond marin à la recherche de proies, tandis que la pieuvre les suit et s’enfonce dans les crevasses des rochers pour les attraper. Les mérous rendent le même service aux murènes, en indiquant à la pieuvre ou à l’anguille où trouver la proie.
Parfois, la pieuvre donne un coup de poing à son assistant pour avoir un meilleur accès au prix, comme le révèle une vidéo sous-marine du coup de poing décrite dans un article de Nature datant de septembre 2024. Eduardo Sampaio, coauteur de l’étude, et ses collègues ont utilisé plusieurs caméras pour recueillir 120 heures d’images dans la mer Rouge. Eduardo Sampaio, de l’Institut Max Planck du comportement animal en Allemagne, a déclaré au magazine Nature : « La pieuvre joue essentiellement le rôle de décideur au sein du groupe. … Il y a un signe qu’une certaine cognition se produit ici, c’est certain ».
Les éléphants : Dans le nord du Bengale, en Inde, des scientifiques ont étudié cinq cas où un troupeau entier d’éléphants a participé à l’enterrement d’un jeune éléphant décédé. Les scientifiques ont rapporté que les éléphants ont transporté le corps de l’éléphanteau mort sur une certaine distance jusqu’à un endroit approprié près d’une plantation de thé, l’ont recouvert de végétation, puis le troupeau a observé le corps. Plus tard, les éléphants ont visité le site à plusieurs reprises alors que le corps se décomposait.
Le poisson-zèbre : Une équipe de scientifiques a exploré la curiosité du poisson-zèbre, en lui montrant 30 nouveaux objets qui étaient auparavant inconnus du poisson, selon un article de février 2023 dans The Frontiers. Les chercheurs ont défini la curiosité comme « la volonté d’obtenir des informations en l’absence d’objectifs instrumentaux clairs tels que la nourriture ou un abri ».
Les poissons-zèbres ont été filmés lorsque différents objets ont été placés dans leur réservoir, et les chercheurs ont ensuite analysé les résultats. La curiosité a été classée en fonction de la durée pendant laquelle le poisson a regardé l’objet lorsqu’il a été introduit pour la première fois, par rapport à l’attention accordée plus tard à l’objet lorsqu’il a été réintroduit.
Les chercheurs ont conclu que « … Les preuves que le poisson-zèbre a la capacité de s’engager dans la recherche d’informations pour son propre bien suggèrent que certaines formes de stimulation cognitive pourraient être bénéfiques pour l’enrichissement du poisson-zèbre. Il est connu que le fait d’offrir des possibilités de stimulation cognitive librement choisies augmente le bien-être d’autres espèces et peut contribuer à un bien-être positif. Les chercheurs suggèrent que leurs résultats ouvrent de nouvelles pistes d’investigation.
D’autres exemples abondent :
– Le labre nettoyeur se reconnaît dans un miroir.
– Les bourdons « jouent » avec des balles en bois.
– Les porcs domestiques peuvent distinguer les différents visages humains.
Un monde d’animaux conscients
Il n’est pas facile de déterminer scientifiquement si une espèce a une conscience. Comment savons-nous ce qu’est la conscience d’un autre animal ? Et dans quelle mesure imposons-nous des mesures anthropomorphiques dans l’évaluation de la cognition non humaine ?
Il existe un large éventail d’approches de la conscience animale, allant de l’examen d’un attribut particulier d’une espèce au panpsychisme, l’idée que toute matière a une conscience (des mots grecs pan signifiant tout, et psyché signifiant âme).
Ce dernier point de vue n’est pas aussi farfelu que certains pourraient le croire à première vue. Par exemple, l’éminent biologiste de l’Université Tufts, Michael Levin, a proposé un cadre appelé TAME (Technological Approach to Mind Everywhere) pour étudier rigoureusement la fonction cognitive à tous les niveaux. Le cadre établit des lignes directrices pour les tests empiriques des caractéristiques cognitives, telles que la résolution de problèmes, pour tout, des microbes aux robots. Cela aide également les enquêteurs à comprendre différentes formes de renseignement.
Soulignant qu’il existe différentes formes de cognition, une équipe de recherche interdisciplinaire allemande a soutenu dans un article de 2020 qu’il est important d’aborder la conscience animale dans une perspective selon laquelle il n’y a pas « une seule cognition » et que la recherche doit être « biocentrique ». Dans cette perspective, les expérimentateurs devraient rechercher l’environnement physique et social particulier de l’animal, et ce que l’animal a besoin de savoir, et pas seulement comparer la sensibilité animale à la conscience humaine.
En d’autres termes, les animaux n’ont peut-être pas un « ensemble de compétences » comme les humains, mais peuvent avoir des compétences uniques qui leur sont écologiquement pertinentes. Certains animaux sont plus aptes que les humains à des compétences particulières.
Évolution des connaissances et débats
En juillet 2012, une déclaration similaire à celle de New York a été publiée par un groupe éminent de scientifiques de l’université de Cambridge.
Axée sur la neurobiologie, la « Déclaration de Cambridge sur la conscience » affirme :
« L’absence de néocortex ne semble pas empêcher un organisme d’éprouver des états affectifs. Des preuves convergentes indiquent que les animaux non humains possèdent les substrats neuroanatomiques, neurochimiques et neurophysiologiques des états conscients ainsi que la capacité de manifester des comportements intentionnels. Par conséquent, le poids de la preuve indique que les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques qui génèrent la conscience. Les animaux non humains, y compris tous les mammifères et les oiseaux, et de nombreuses autres créatures, y compris les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques ».
En d’autres termes, l’absence d’un cerveau comme celui des primates n’est pas un obstacle à la sensibilité.
La déclaration de Cambridge a été critiquée pour avoir remis en question la raison pour laquelle il devrait y avoir un doute sur la conscience animale. Dans un article de 2013 intitulé « After 2,500 Studies, It’s Time to Declare Animal Sentience Proven », le biologiste Marc Bekoff a écrit : « Il est temps d’arrêter de prétendre que les gens ne savent pas si les autres animaux sont sensibles : Nous savons en effet ce que les autres animaux veulent et ce dont ils ont besoin, et nous devons accepter ce fait ».
Bekoff, professeur émérite à l’Université du Colorado à Boulder, est un éthologue cognitif qui a cofondé Ethologists for the Ethical Treatment of Animals avec Jane Goodall.
Le débat, cependant, se poursuit dans la communauté scientifique : combien d’animaux sont sensibles, et à quel degré ? Qu’est-ce que la cognition, quel type de cerveau est nécessaire pour être conscient, et comment les hypothèses humaines sur la conscience interfèrent-elles avec les expériences ? Il existe également un argument religieux selon lequel il existe une différence fondamentale entre les humains et toutes les autres bêtes en raison de la croyance que seuls les êtres humains ont une âme.
L’augmentation de la recherche stimule les lois sur le bien-être animal
L’intérêt du public et des scientifiques pour la sensibilité animale a augmenté au cours des dernières décennies, tout comme les publications de recherche. Une étude de 2022 a noté que les publications sur la recherche sur la sensibilité animale ont été multipliées par dix entre 1990 et 2011. Aujourd’hui, d’autres types d’animaux sont inclus dans les sujets de recherche.
De nouvelles recherches ont permis de fournir une base scientifique aux lois régissant la protection des animaux. « Plus de 30 pays ont officiellement reconnu d’autres animaux, notamment les gorilles, les homards, les corbeaux et les pieuvres, comme des êtres sensibles », indique un article d’octobre 2022 dans le MIT Technology Review.
Aux États-Unis, plusieurs États ont reconnu la sensibilité animale dans la loi dans une certaine mesure. Une publication de 2022 du Cornell Journal of Law and Public Policy préconise de rendre la législation plus explicite, en promulguant des lois sur le bien-être animal reconnaissant que de nombreux animaux peuvent ressentir de la douleur et que leur traitement humain devrait être réglementé.
L’article de Cornell note que les États-Unis ont été le premier pays à adopter une loi protégeant les animaux de la cruauté humaine – 1641 dans le Code de la colonie de la baie du Massachusetts. Le Massachusetts Body of Liberties se lit comme suit : « Aucun homme ne doit exercer de Tyrannie ou de Cruauté envers une créature bruyante qui sont habituellement gardées pour l’usage de l’homme. »
Il ne fait aucun doute qu’à mesure que les scientifiques étudient d’autres espèces, ils trouveront de nouvelles preuves de la conscience animale et de nouvelles façons de l’évaluer. Accepter la conscience des autres animaux nous obligera à repenser nos relations avec eux, de la recherche à l’agriculture, en passant par les animaux de compagnie et la façon dont nous vivons la nature.
Cet article a été produit par Human Bridges.
Marjorie Hecht est une rédactrice et rédactrice de magazine de longue date, spécialisée dans les sujets scientifiques. Elle est une écrivaine indépendante et une militante communautaire vivant à Cape Cod.
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MICHEL LEMOINE
Je ne ma souviens plus où, mais je crois avoir lu chez Marx la distinction entre conscience d’objet et conscience de soi. Marx écrivait “ma conscience est d’abord conscience d’objet” l’idée était que la conscience de soi ne se développe qu’à partir de la conscience d’objet quand dans l’échange avec l’autre elle se retourne sur elle-même pour se prendre pour objet. C’est à travers le regard de l’autre que je prends conscience de moi. Je suis d’abord pour l’autre avant d’être pour moi-même.
Un auteur contemporain dont j’ai oublié le nom a écrit “ma conscience n’est pas en moi mais entre nous”. L’idée semble la même.
C’est le travers de la philosophie de l’esprit de prendre l’homme hors de ses relations à l’autre. Elle voudrait comprendre l’homme à partir du cerveau comme celui qui voudrait comprendre le poisson en observant une tranche de saumon dans une assiette.
Lemercier Denis
Cet intéressant article est provocation à poursuivre l’approfondissement du concept de conscience. Les irremplaçables Editions Delga nous en donnent l’occasion grâce à la réédition de deux ouvrages du grand psychologue soviétique Léontiev : « Activité, conscience, personnalité » en 2020 et « Le développement du psychisme en 2024 ».
Je préciserai tout d’abord que Léontiev développe à travers ses œuvres le concept de psychisme en tant qu’il est le reflet individuel, subjectif, de la réalité objective au cours des processus d’activité. Il en a repéré quatre formes et niveaux dont la conscience. On perçoit aisément que Léontiev s’inscrit, notamment, dans le cadre de la théorie du reflet. Ces deux livres couvrent les questions soulevées ici : la question de la conscience et la question du psychisme animal.
Pour alimenter le débat sur ces points je propose ci-dessous, avec l’autorisation de l’éditeur, l’introduction au second ouvrage que j’ai rédigée.
Néanmoins je voudrais d’emblée dire que dans le texte que je commente il y a confusion, suivant les occurrences, entre conscience et psychisme, entre conscience et sensation, entre conscience et connaissance. Cette dernière confusion d’ailleurs étant constitutive très souvent de la psychologie cognitive qui, même si elle parle de la conscience, traite celle-ci en tant que connaissance. Avant de citer mon texte je voudrais énoncer ce que Léontiev a déclaré concernant la psychologie marxiste dont il fut un grand contributeur : la psychologie marxiste n’est pas un courant à côté de la psychologie traditionnelle, elle est une nouvelle étape de la psychologie scientifique.
« Alexis Léontiev (1903-1979) est un psychologue soviétique de renommée internationale. Il fut notamment professeur à l’université de Moscou à partir de 1941. Il y créa la faculté de psychologie qu’il dirigea jusqu’à sa mort. Par ailleurs, il reçut le titre de docteur honoris causa de l’université de Paris.
Le nom d’Alexis Léontiev est souvent associé à ceux de Lev Vygotski et d’Alexandre Luria. Ces trois psychologues sont parmi les fondateurs les plus importants de la psychologie soviétique. De Lev Vygotski plusieurs ouvrages ont été édités en France ; le plus connu d’entre eux est certainement : « Pensée et langage ».
Les PUF ont édité en 1978 un ouvrage de Luria : « Les fonctions corticales supérieures de l’homme », ouvrage de neuropsychologie dont Luria est un des fondateurs mondiaux. Cet ouvrage – véritable manuel – est maintenant daté, mais les éléments épistémologiques qu’il contient dans ses 50 premières pages sont toujours d’une grande validité. Luria fut également le président de la société psychanalytique de Kazan en 1922, société qui rejoignit l’Institut de psychanalyse de Moscou dont il fut également un des dirigeants.
L’ouvrage ici édité : « Le développement du psychisme » est certainement une de ses publications les plus riches, les plus passionnantes de Léontiev. Il a connu de nombreuses traductions. Il a reçu le prix Lénine en 1963.
Alexis Léontiev présente dans ce livre sa conception générale du psychisme, depuis l’apparition de l’irritabilité à l’égard des agents extérieurs jusqu’au développement de la conscience humaine. Il examine celle-ci depuis les prémices de l’humanité jusqu’au développement de sa structure interne, limitée et contradictoire, que détermine la division sociale du travail ; il évoque même le temps des rapports nouveaux qui engendrent une nouvelle conscience de l’homme dont il est « encore difficile d’imaginer les immenses perspectives de son épanouissement futur ».
C’est une conception de grande cohérence et largement ouverte. Ainsi l’ouvrage affirme la nature socio-historique du psychisme humain à travers un ensemble très diversifié d’articles.
Léontiev se montre tout autant capable de l’expérimentation la plus fine que de la théorisation la plus élaborée.
Ses montages expérimentaux, très astucieux, lui viennent sans doute de sa fascination enfantine pour la modélisation aéronautique et de sa vocation d’ingénieur, qu’il a abandonnée pour la psychologie. Ses recherches se sont rapidement appuyées sur le marxisme qu’il a enrichi par ses propres travaux psychologiques mais aussi pédagogiques, et qui, plus largement, embrassent toute l’amplitude de la culture, c’est-à-dire l’ensemble des acquis socio-historiques de l’humanité.
Léontiev étudie un certain nombre de processus qu’il a conceptualisés sous une forme originale.
Le premier de ces processus est le processus d’appropriation. Processus d’appropriation qui n’appartient qu’au genre humain et qui le distingue du genre animal dont l’activité est déterminée par le processus d’adaptation.
Le terme d’adaptation fait partie de ces concepts qui sont d’un usage courant en psychologie. Mais le terme d’adaptation, appliqué à l’homme, est pour le moins très ambigu. Le processus d’adaptation renvoie à la problématique générale de l’étude des rapports d’un organisme avec son milieu. Quel est contenu essentiel de ces rapports quand il s’agit non plus des animaux mais des hommes, quand il s’agit par conséquent du rapport homme-société ?
L’humanité a stocké ses savoirs, ses savoir-faire…, non pas sous forme biologique dans les individus, mais en dehors d’eux dans le monde social. Ainsi s’est accumulée un réseau d’objets, de signes, de rapports sociaux…, à partir desquels chaque être humain doit s’hominiser en se les appropriant au cours de son existence.
Ce processus d’appropriation n’existe pas chez l’animal. Comme le montre bien Léontiev, c’est par ce processus d’appropriation, qui fait donc défaut chez l’animal, tout comme d’ailleurs le processus inverse d’objectivation de ses facultés dans les produits de son activité, que le petit d’homme acquiert les caractéristiques d’espèce qui sont transmises sous forme génétique chez l’animal.
L’individu humain, comme tout être vivant, reflète dans ses particularités propres les caractéristiques de son espèce, c’est-à-dire les acquis du développement des générations antérieures.
Le développement de chaque individu humain ne peut être compris qu’en analysant le rapport qui existe entre d’une part, ce développement individuel et, d’autre part, les particularités et acquis résultant du développement des générations antérieures, c’est-à-dire du développement de la société.
Le milieu humain, le monde de l’homme, c’est un monde transformé et créé par l’activité humaine, qui objective les capacités humaines formées au cours du développement de la pratique sociale multiséculaire.
L’activité animale comprend des actes d’adaptation au cours desquelles l’animal, par apprentissage réalisé au sein de son expérience personnelle, règle ses rapports au milieu. Mais l’activité animale ne comprend jamais d’actes d’appropriation des acquis du développement phylogénétique qui se distinguent radicalement des premiers ; la confusion entre ces deux catégories d’actes, impliquant toutes deux en apprentissage, est fréquente : l’extension à l’homme du concept d’adaptation au milieu est très fréquente. Ce qui, fait sans précaution, peut déformer la véritable représentation du développement humain ainsi que le rôle et la signification de l’apprentissage. C’est le cas, par exemple, pour ce qui concerne Piaget, chez qui le tableau du développement de l’enfant, conçu sur le modèle biologique de l’adaptation, met en scène un enfant « naturel » aux prises avec des objets « naturels » aux seules propriétés physiques, et non pas porteurs d’opérations humaines qu’ils objectivent, dans un isolement qui ne prend pas en compte le rôle des générations antérieures dans le guidage de l’enfant au cours de ses activités d’appropriation.
Ainsi, comme le montre bien Léontiev, la différence fondamentale entre le processus d’adaptation, au sens propre, et celui d’appropriation consiste en ce que le processus d’adaptation biologique transforme les facultés propres de l’organisme ainsi que son comportement d’espèce. Le processus d’appropriation est tout autre : son résultat est la reproduction par l’individu des capacités et fonctions humaines historiquement formées.
Le travail tient une grande place dans les élaborations théoriques de Léontiev. Chez l’homme comme chez l’animal la satisfaction des besoins dépend du rapport entretenu avec la nature. Ce rapport à une forme spécifiquement humaine : le travail, qui permet à l’homme, fait historiquement nouveau, de produire ses moyens d’existence.
L’homme en agissant sur la nature par le travail la transforme et en la transformant se transforme, modifie sa propre nature, la crée en permanence. Ce n’est que l’étude historique du passage de l’animalité à l’humanité, et du développement de cette dernière, qui permet de mettre en évidence et d’interpréter cette caractéristique essentielle du travail ; d’où la nécessité pour le psychologue d’être attentif à l’anthropogenèse, et plus généralement à l’hominisation dont on n’a aucune raison de penser qu’elle est terminée : l’homme actuel, les sociétés actuelles, ne sont pas une fin.
Le travail présente deux autres caractéristiques interdépendantes. L’une d’elle est l’usage et la fabrication d’outils. L’autre caractéristique réside dans le fait que le travail s’effectue dans des conditions d’activités communes collectives qui apparaissent même, à l’époque actuelle, d’ordre planétaire.
L’homme entre donc dans un double système de rapports : avec la nature d’une part, avec d’autres hommes, membres d’une société donnée et, même, il faut le souligner pour ce qui concerne l’époque actuelle, membres de la société humaine tout entière, d’autre part.
Le rapport que l’homme entretient avec la nature est donc médiatisé, par l’outil et aussi par les autres hommes. Ces deux formes de médiatisation sont interdépendantes puisque l’outil est l’œuvre des hommes et que les relations aux autres hommes sont conditionnées par l’existence de l’outil.
Le concept d’activité est le concept central de la théorie psychologique de Léontiev. Chaque activité répond à un besoin du sujet, tend vers l’objet de ce besoin. Autrement dit, l’objet de l’activité est son motif réel ; objet qui peut être aussi bien matériel qu’idéel. Le concept d’activité est donc nécessairement lié au concept de motif : il n’y a pas d’activité sans motif.
Il s’agit maintenant de revenir sur le concept de besoin : la conception la plus répandue, selon laquelle les besoins déterminent l’activité de la personnalité, la tâche de la psychologie étant alors d’étudier quels besoins sont inhérents à l’homme, n’est pas celle que développe Léontiev. Sa conception consiste à comprendre comment le développement de l’activité humaine elle-même, de ses motifs, transforme les besoins humains et en engendrent de nouveaux, de sorte que la satisfaction de certains d’entre eux est ramenée au simple statut de condition nécessaire à l’activité humaine.
En effet, souligne Léontiev, l’objet capable de satisfaire un besoin n’est pas rigoureusement inscrit dans l’état de besoin. « Tant qu’il n’a pas été satisfait pour la première fois, le besoin “ne connaît pas” son objet, il lui faut encore le découvrir ». Ce n’est qu’après sa découverte que le besoin se concrétise dans l’objet et que l’objet acquiert sa fonction de stimulation et d’orientation de l’activité, c’est-à-dire devient motif. « Le besoin en tant que force intérieure ne peut se réaliser que dans l’activité. » Autrement dit, le besoin « n’est que la condition, la prémisse de l’activité mais, dès que le sujet commence à agir le besoin se transforme et cesse d’être ce qui était virtuellement “en soi”. » Plus l’activité se développe, plus sa prémisse – le besoin – se transforme en résultat de l’activité.
Dans les conditions de la production sociale par les hommes des objets qui leur permettent de satisfaire leurs besoins, bien plutôt qu’une donnée naturelle, les besoins proprement humains, et par exemple le besoin de connaissances, sont des produits historiques, des résultats de l’activité antérieure.
Au niveau individuel ces caractéristiques du besoin humain se manifestent dans le fait que les produits de l’activité peuvent dépasser les limites des motifs qui sont à sa source et faire apparaître ainsi de nouveaux besoins, de nouveaux motifs d’activité.
Ce point est important sur le plan éducatif. Si la finalité psychologique essentielle de l’éducation est le développement de la personnalité, on perçoit bien que cette assertion a le sens précis de développement des motivations, des motifs d’activité.
L’activité et l’action représentent des réalités qui ne coïncident pas entre elles : une seule et même action peut réaliser diverses activités, inversement une même activité peut être réalisée par des actions différentes.
L’objet de l’action, le but, n’a qu’un rôle d’orientation : le motif trouve à s’y réaliser, celui-ci est le seul à porter la fonction de stimulation, d’impulsion, outre sa fonction d’orientation.
Il est à noter que le but de l’action est toujours conscient. Le motif, lui, peut être conscient ou non.
Léontiev a fait faire des pas de géant à la connaissance de la forme spécifiquement humaine du psychisme : la conscience. Du point de vue psychologique « le mouvement de la conscience (constitue) un processus de passages réciproques entre les contenus immédiatement sensibles et les significations revêtant tel ou tel sens en fonction des motifs de l’activité ». La source de la conscience réside donc dans les sensations, les « contenus immédiatement sensibles ». C’est la forme sous laquelle se reflète le plus « immédiatement » le rapport que l’individu entretient avec le monde.
Si la source de la conscience réside dans les sensations, elle ne doit son contenu qu’à l’existence des significations (sociales) cristallisées dans les mots, et qui peuvent prendre notamment la forme de connaissances. Mais ces significations, ces connaissances, revêtent tel ou tel sens (personnel) en fonction des motifs de l’activité : sens qui est reflété dans la conscience et que la psychologie dominante, et particulièrement la psychologie cognitive, ne prend que très peu en compte ; cette dernière considère implicitement la conscience en tant que connaissance. Elle ne la considère pas, comme le fait Léontiev, dans l’unité de ses composantes objective et subjective, dans l’unité des significations sociales déterminées par la pratique socio-historique d’une part, et des sens personnels déterminés par la logique même de l’activité du sujet, d’autre part.
Un apport important de Léontiev à la psychologie concerne également ses développements sur l’aliénation. La psychologie dominante, notamment en France, se refuse à envisager ce phénomène qui est un des caractères spécifiques de la société capitaliste, de la société de classes développée. La grande masse des producteurs ne possède pas les moyens de production. La seule propriété de ceux-ci est leur aptitude au travail. Les conditions objectives de la production s’opposent désormais à eux en tant que propriété étrangère. Pour vivre, pour satisfaire leurs besoins vitaux, ils sont donc contraints de vendre leur force de travail, d’aliéner leur travail. Le travail étant le contenu le plus essentiel de leur vie, ils doivent aliéner le contenu de leur propre vie. Le résultat est que sa propre activité cesse d’être pour l’homme ce qu’elle est véritablement. Son travail, sa vie sont aliénés, il en découle une aliénation de sa personnalité et de sa conscience. Léontiev développe ces questions de manière inconnue dans la psychologie française.
Le dernier article de l’ouvrage aborde le problème des handicapés mentaux. La qualification de Léontiev concernant la question des handicaps a aussi trouvé un lieu d’expression lorsqu’il fut, près de Sverdlovsk, directeur de l’hôpital expérimental pour la restauration de la motricité pendant la « Grande Guerre patriotique », la seconde guerre mondiale. Cet article comprend notamment un paragraphe sur la formation des systèmes cérébraux fonctionnels qui concilient « l’idée que les fonctions psychiques supérieures de l’homme ont un fondement morpho-physiologique et l’affirmation selon laquelle ces fonctions ne se fixent pas morphologiquement et ne se transmettent que par hérédité sociale ».
Je terminerai en revenant sur le premier des documents consignés dans cet ouvrage qui a pour titre : « Essai sur le développement du psychisme ». C’est un développement de haute tenue intellectuelle et de grande originalité sur la formation et les transformations du psychisme à l’échelle du monde vivant. Il s’agit tout d’abord du développement du psychisme animal qui passe par les stades du psychisme sensoriel élémentaire, du psychisme perceptif et du stade de l’intellect. Léontiev établit, chez les animaux, la loi de non-correspondance directe entre la structure de l’activité et la forme du reflet psychique, la correspondance ne pouvant exister que comme moment signifiant le passage au degré supérieur de développement, par exemple du psychisme sensoriel au psychisme perceptif.
Un saut qualitatif se réalise avec l’apparition de la conscience humaine et son développement historique jusque dans la société de classe. Léontiev insiste bien sur le fait que, je cite : « Le passage à la conscience humaine, fondée sur le passage à des formes humaines de la vie et à l’activité de travail, qui est social par nature, n’est pas lié seulement à la transformation de la structure fondamentale de l’activité et à l’apparition d’une nouvelle forme de reflet de la réalité… l’essentiel, lors du passage à l’humanité, c’est la modification des lois qui président au développement du psychisme. Dans le monde animal, les lois générales qui gouvernent les lois du développement psychique sont celles de l’évolution biologique ; lorsqu’on arrive à l’homme, le psychisme est soumis aux lois du développement socio-historique. »
Un hommage fut rendu à Léontiev en URSS, notamment à travers un ouvrage paru en russe en 1983 : « Alexis Léontiev et la psychologie contemporaine ». On y trouve sous son nom une bibliographie de 86 titres. Mais, depuis cette date de nouvelles publications, posthumes, rédigées par Alexis N. Léontiev, ont été publiées. »
Falakia
Intéressante lecture de l’article autant les contributions de Michel LEMOINE , et de Lemercier Denis .
Très problématique la définition de la conscience
Conscience ou Raison
Conscience ou esprit
La conscience me fait penser à la fable
de la Fontaine ” la cigale et la foumie ” .
Certes certains résument la cigale comme une idéaliste , une distraite tout comme pour les artistes ce qui est faux .
Ce que nous disent d’autrui sur la conscience s’exprime chez les Poètes , les romanciers , les artistes peintres .
Sur la conscience l’ouvrage de ( Henri Bergson ) ” la finalité de l’art ” est captivant .
Olivier MONTULET
Il faudrait une définition pertinente de ce qu’est la conscience… hors celle-ci n’existe pas… même pas pour l’homme. Elle est indéfinissable de fait puisque c’est notre conscience qui doit s’autodéfinir… Un casse-tête.
Parler de la conscience n’a donc aucun sens. On peut analyser des comportements, pas la conscience.
La conscience, plus ont la creuse, plus elle est insaisissable.
Elle reste donc du domaine de la Philosophie.
Franck Marsal
La philosophie serait donc le domaine de ce qui ne peut être défini ? C’est une conception plutôt idéaliste. La conscience, comme toute chose se saisit dans son développement. Elle est insaisissable si on tente de la définir de manière abstraite et métaphysique. La multiplicité des stades de développement de la conscience est au contraire la preuve qu’on commence à en avoir une approche scientifique.
Lemercier Denis
On trouve déjà chez Marx des éléments importants permettant de caractériser la conscience . Léontiev, psychologue, sur les pas de Marx (et de Lénine ) a passé quelques dizaines d’années de sa vie à approfondir ce que sont les caractéristiques de la conscience. Pour donner une idée supplémentaire de ce qu’il a établi je citerai quelques extraits de son « Développement du psychisme » . Mais avant cela une remarque La conscience est absente de la psychologie dominante, de la psychologie pré-marxiste (« bourgeoise ») sauf en tant qu’elle est confondue avec la connaissance, qui n’est qu’un élément constitutif de la conscience Chez un grand contributeur à l’avancement de la psychologie comme Freud, aussi étonnant que cela puisse paraître puisque la psychanalyse a notamment pour objet l’inconscient il n’y a pas de théorie de la conscience C’est en fonction de ce fait que j’ai écrit dans un numéro de 1998 de « La Pensée » un article titré « Léontiev, Freud et la conscience ». Je cite maintenant Léontiev. Après avoir traité du psychisme animal Léontiev introduit l’étude de la conscience de la manière suivante : « Le passage à la conscience est le début d’une étape supérieure du développement psychique. Le reflet conscient, à la différence du reflet psychique propre à l’animal, est le reflet de la réalité concrète détachée des rapports existant entre elle et le sujet, c’est-à-dire un reflet distinguant les propriétés objectives stables de la réalité.
Dans la conscience, l’image de la réalité ne se fond pas avec le vécu du sujet : le reflète est comme « présent » au sujet. Cela signifie que lorsque j’ai conscience d’un livre par exemple, ou tout simplement conscience de ma propre pensée le concernant, le livre ne se fond pas dans ma conscience avec le sentiment que j’en ai, pas plus que la pensée de ce livre ne se fond avec le sentiment que j’ai d’elle.
La conscience humaine distingue la réalité objective de son reflet, ce qui l’entraîne à distinguer le monde des impressions intérieures et rend possible par là le développement de l’observation de soi-même.
.Le problème qui se pose à nous consiste à étudier les diverses conditions qui engendrent cette forme supérieure du psychisme qu’est la conscience humaine. »
Puis Léontiev traite les deux points suivants
II. Apparition de la conscience humaine
1. Les conditions d’apparition de la conscience
2. L’établissement de la pensée et du langage
Léontiev précise les éléments importants suivants:
La conscience humaine n’est pas quelque chose d’immuable. Certains de ses traits caractéristiques sont, dans des conditions historiques concrètes données, progressifs, avec des perspectives de développement, d’autres sont des survivances condamnées à disparaître. Donc, il faut considérer la conscience (le psychisme) dans son changement et son développement, dans sa dépendance essentielle du mode de vie, qui est déterminé par les rapports sociaux existants et par la place qu’occupe l’individu considéré dans ces rapports. Pour ce faire, il faut considérer le développement du psychisme humain comme un processus de transformations qualitatives. En effet, puisque les conditions sociales de l’existence des hommes se développent par modifications qualitatives et pas seulement quantitatives, le psychisme humain, la conscience humaine se transforme également de façon qualitative au cours du développement social et historique.
En donnant la conscience de l’homme de la société de classes comme éternelle et propre à tous les hommes, la psychologie bourgeoise la présente comme quelque chose d’absolu, sans qualités et « indéterminable ». Ce serait un espace psychique particulier (« la scène » de Jaspers) ; de ce fait, elle serait seulement « la condition de la psychologie et non son objet » (P. Natorp). « La conscience, écrivait Wundt, consiste simplement en ceci que nous pouvons toujours trouver en nous des états psychiques. »
De ce point de vue, la conscience, psychologiquement parlant, se présente comme une sorte d’« éclairage » intérieur, qui peut être plus ou moins fort, qui peut même s’éteindre, comme c’est le cas pour l’évanouissement profond (Ledd). C’est pourquoi la conscience ne peut avoir que des propriétés purement formelles ; ce sont elles qu’expriment les lois dites psychologiques de la conscience : unité, continuité, étroitesse…
Il n’y a pas de changement quant au fond, même si on considère la conscience comme « sujet psychique » ou, selon l’expression de James, comme le « maître » des fonctions psychiques. Mystifier ainsi le sujet réel en l’identifiant avec la conscience ne confère pas à celle-ci plus de contenu psychologique : il apparaît finalement que la conscience, en tant que sujet, est également « métapsychique », c’est-à-dire qu’elle sort des limites de la psychologie.
Ainsi, pour l’approche traditionnelle de la conscience de la psychologie bourgeoise, on ne peut étudier que ce qui « se trouve » dans la conscience ou ce qui « lui appartient », c’est-à-dire les phénomènes et processus psychologiques pris à part et leurs relations naturelles.
En fait, l’étude de la conscience a été principalement l’étude de la pensée. Il en résulte que, parlant de la conscience, on n’avait en vue que la pensée, la sphère des représentations, des concepts. Cela est juste quand il s’agit d’étudier le développement de la connaissance humaine. Mais, psychologiquement, le développement de la conscience ne se réduit pas au développement de la pensée. La conscience a ses propres caractéristiques de contenu psychologique.
Pour découvrir ces caractéristiques psychologiques de la conscience, il faut absolument rejeter les conceptions métaphysiques, qui isolent la conscience de la vie réelle. Il faut au contraire étudier comment la conscience de l’homme dépend de son mode de vie humain, de son existence. Cela signifie qu’il faut étudier comment les rapports vitaux de l’homme se forment dans telles ou telles conditions sociales historiques, et quelle structure particulière engendre des rapports donnés. Il faut ensuite étudier comment la structure de la conscience de l’homme se transforme avec la structure de son activité. Déterminer les caractères de la structure interne de la conscience, c’est la caractériser psychologiquement.
Nous nous sommes déjà efforcés de montrer qu’à un type donné de structure d’activité correspondait un type déterminé de reflet psychique. Cette dépendance se conserve par la suite aux différentes étapes de la conscience humaine. La principale difficulté consiste à trouver les « composantes » réelles de la conscience, ses véritables rapports internes, qui ne sont pas seulement cachés à notre introspection, mais contredisent parfois ce qu’elle nous découvre.
Il poursuit en dévelpoppant les points suivants
III. Sur le développement historique de la conscience
1. La psychologie de la conscience
2. La conscience primitive
3. La conscience humaine dans la société de classes
Et il conclut :
A un certain niveau de développement de la vie du sujet matériel, apparaissent nécessairement des phénomènes spécifiques qui reflètent les propriétés de la réalité objective dans leurs relations et rapports, c’est-à-dire qui reflètent la réalité dans sa matérialité. C’est la forme psychique du reflet.
Considéré dans le système des relations et rapports de la matière du sujet lui-même, le reflet psychique n’est qu’un état particulier de cette matière, une fonction de son cerveau. Considéré dans le système des relations et rapports du sujet avec le monde environnant, le reflet psychique est l’image de ce monde.
Ainsi il existe un processus réel, dans lequel le reflet engendre le reflet, l’idéel (selon l’expression de Marx, « il est transporté » dans l’idéel). Ce processus est précisément le processus matériel de la vie du sujet, il s’exprime dans les processus de son activité, qui le relient au monde objectif.
C’est par suite du fait que l’activité crée un lien pratique entre le sujet et le monde environnant en agissant sur lui et en se soumettant à ses propriétés objectives, qu’apparaissent chez le sujet des phénomènes qui constituent un reflet du monde de plus en plus adéquat. Dans la mesure où l’activité est médiatisée par ces phénomènes particuliers, et où elle les porte d’une certaine manière en soi, elle devient une activité mentalisée.
A une étape relativement tardive de l’évolution de la vie, l’activité peut être intériorisée, c’est-à-dire revêtir la forme d’une activité intérieure idéelle ; elle n’en demeure pas moins un processus réalisant la vie réelle d’un sujet réel, et ne devient pas « purement » spirituelle, opposée fondamentalement à l’activité extérieure, immédiatement pratique. Eriger, comme le fait la psychologie idéaliste traditionnelle, cette opposition en absolu, traduit idéologiquement la séparation de fait qui se crée au cours du développement de la société entre travail intellectuel et travail manuel. Cette séparation a en réalité un caractère aussi peu absolu, aussi transitoire que les rapports économiques qui l’ont engendrée.
La deuxième conception du psychisme rejette donc l’opposition et la séparation dualiste entre l’activité intérieure théorique et l’activité extérieure pratique. En outre, elle exige une nette distinction entre le reflet proprement dit comme image de la réalité (sous quelque forme qu’il apparaisse — sous forme de sensation, de concept, etc.) et les processus d’activité proprement dite, y compris d’activité intérieure.
Le refus de cette rupture et de cette confusion est en même temps refus de la conception idéaliste du psychisme qui les exprime. Ils rendent possible le dépassement de la conception du psychisme comme essence ayant sa propre existence, ce qui lui permettait d’entrer dans la composition des processus matériels, d’interagir avec eux, de contenir quelque chose, etc. Cela devait être souligné ; car le mode même d’expression des concepts et rapports psychologiques, auquel nous sommes habitués, porte en lui la marque de cette conception erronée. Ainsi, par exemple, nous disons habituellement que « quelque chose se passe dans notre conscience » ; il ne faut pas voir là autre chose que la rançon inévitable de la tradition linguistique.
Dans notre conception, l’histoire réelle du développement du psychisme est celle du développement du « dédoublement » de la vie, initialement une ; ce dédoublement a donné naissance au psychisme primitif de l’animal, et trouve sa pleine expression dans la vie consciente de l’homme. Cette histoire est, comme nous l’avons vu, le reflet de l’histoire de l’évolution de la vie elle-même, et obéit à ses lois générales : au stade du développement biologique, elle obéit aux lois de l’évolution biologique, aux étapes du développement historique, aux lois socio-historiques.
On trouve déjà chez Marx des éléments importants permettant de caractériser la conscience . Léontiev, psychologue, sur les pas de Marx (et de Lénine ) a passé quelques dizaines d’années de sa vie à approfondir ce que sont les caractéristiques de la conscience. Pour donner une idée supplémentaire de ce qu’il a établi je citerai quelques extraits de son « Développement du psychisme » . Mais avant cela une remarque La conscience est absente de la psychologie dominanante, de la psychologie pré-marxiste (« bourgeoise ») sauf en tant qu’elle est confondue avec la connaissance, qui n’est qu’un élément constitutif de la conscience Chez un grand contributeur à l’avancement de la psychologie comme Freud, aussi étonnant que cela puisse paraître puisque la psychanalyse a notamment pour objet l’inconscient il n’y apas de théorie de la conscience C’est en fonction de ce fait que j’ai écrit dans un numéro de 1998 de « La Pensée » un article titré « Léontiev, Freud et la conscience ». Je cite maintenant Léontiev.Après avoir traité du psychisme animal Léontiev introduit l’étude de la conscience de la manière suivante : « Le passage à la conscience est le début d’une étape supérieure du développement psychique. Le reflet conscient, à la différence du reflet psychique propre à l’animal, est le reflet de la réalité concrète détachée des rapports existant entre elle et le sujet, c’est-à-dire un reflet distinguant les propriétés objectives stables de la réalité.
Dans la conscience, l’image de la réalité ne se fond pas avec le vécu du sujet : le reflète est comme « présent » au sujet. Cela signifie que lorsque j’ai conscience d’un livre par exemple, ou tout simplement conscience de ma propre pensée le concernant, le livre ne se fond pas dans ma conscience avec le sentiment que j’en ai, pas plus que la pensée de ce livre ne se fond avec le sentiment que j’ai d’elle.
La conscience humaine distingue la réalité objective de son reflet, ce qui l’entraîne à distinguer le monde des impressions intérieures et rend possible par là le développement de l’observation de soi-même.
.Le problème qui se pose à nous consiste à étudier les diverses conditions qui engendrent cette forme supérieure du psychisme qu’est la conscience humaine. »
Puis Léontiev traite les deux points suivants
II. Apparition de la conscience humaine
1. Les conditions d’apparition de la conscience
2. 2. L’établissement de la pensée et du langage
Léontiev précise les éléments importants suivants:
La conscience humaine n’est pas quelque chose d’immuable. Certains de ses traits caractéristiques sont, dans des conditions historiques concrètes données, progressifs, avec des perspectives de développement, d’autres sont des survivances condamnées à disparaître. Donc, il faut considérer la conscience (le psychisme) dans son changement et son développement, dans sa dépendance essentielle du mode de vie, qui est déterminé par les rapports sociaux existants et par la place qu’occupe l’individu considéré dans ces rapports. Pour ce faire, il faut considérer le développement du psychisme humain comme un processus de transformations qualitatives. En effet, puisque les conditions sociales de l’existence des hommes se développent par modifications qualitatives et pas seulement quantitatives, le psychisme humain, la conscience humaine se transforme également de façon qualitative au cours du développement social et historique.
En donnant la conscience de l’homme de la société de classes comme éternelle et propre à tous les hommes, la psychologie bourgeoise la présente comme quelque chose d’absolu, sans qualités et « indéterminable ». Ce serait un espace psychique particulier (« la scène » de Jaspers) ; de ce fait, elle serait seulement « la condition de la psychologie et non son objet » (P. Natorp). « La conscience, écrivait Wundt, consiste simplement en ceci que nous pouvons toujours trouver en nous des états psychiques. »
De ce point de vue, la conscience, psychologiquement parlant, se présente comme une sorte d’« éclairage » intérieur, qui peut être plus ou moins fort, qui peut même s’éteindre, comme c’est le cas pour l’évanouissement profond (Ledd). C’est pourquoi la conscience ne peut avoir que des propriétés purement formelles ; ce sont elles qu’expriment les lois dites psychologiques de la conscience : unité, continuité, étroitesse…
Il n’y a pas de changement quant au fond, même si on considère la conscience comme « sujet psychique » ou, selon l’expression de James, comme le « maître » des fonctions psychiques. Mystifier ainsi le sujet réel en l’identifiant avec la conscience ne confère pas à celle-ci plus de contenu psychologique : il apparaît finalement que la conscience, en tant que sujet, est également « métapsychique », c’est-à-dire qu’elle sort des limites de la psychologie.
Ainsi, pour l’approche traditionnelle de la conscience de la psychologie bourgeoise, on ne peut étudier que ce qui « se trouve » dans la conscience ou ce qui « lui appartient », c’est-à-dire les phénomènes et processus psychologiques pris à part et leurs relations naturelles.
En fait, l’étude de la conscience a été principalement l’étude de la pensée. Il en résulte que, parlant de la conscience, on n’avait en vue que la pensée, la sphère des représentations, des concepts. Cela est juste quand il s’agit d’étudier le développement de la connaissance humaine. Mais, psychologiquement, le développement de la conscience ne se réduit pas au développement de la pensée. La conscience a ses propres caractéristiques de contenu psychologique.
Pour découvrir ces caractéristiques psychologiques de la conscience, il faut absolument rejeter les conceptions métaphysiques, qui isolent la conscience de la vie réelle. Il faut au contraire étudier comment la conscience de l’homme dépend de son mode de vie humain, de son existence. Cela signifie qu’il faut étudier comment les rapports vitaux de l’homme se forment dans telles ou telles conditions sociales historiques, et quelle structure particulière engendre des rapports donnés. Il faut ensuite étudier comment la structure de la conscience de l’homme se transforme avec la structure de son activité. Déterminer les caractères de la structure interne de la conscience, c’est la caractériser psychologiquement.
Nous nous sommes déjà efforcés de montrer qu’à un type donné de structure d’activité correspondait un type déterminé de reflet psychique. Cette dépendance se conserve par la suite aux différentes étapes de la conscience humaine. La principale difficulté consiste à trouver les « composantes » réelles de la conscience, ses véritables rapports internes, qui ne sont pas seulement cachés à notre introspection, mais contredisent parfois ce qu’elle nous découvre.
Il poursuit en dévelpoppant les points suivants
III. Sur le développement historique de la conscience
1. La psychologie de la conscience
2. La conscience primitive
3. La conscience humaine dans la société de classes
Et il conclut :
A un certain niveau de développement de la vie du sujet matériel, apparaissent nécessairement des phénomènes spécifiques qui reflètent les propriétés de la réalité objective dans leurs relations et rapports, c’est-à-dire qui reflètent la réalité dans sa matérialité. C’est la forme psychique du reflet.
Considéré dans le système des relations et rapports de la matière du sujet lui-même, le reflet psychique n’est qu’un état particulier de cette matière, une fonction de son cerveau. Considéré dans le système des relations et rapports du sujet avec le monde environnant, le reflet psychique est l’image de ce monde.
Ainsi il existe un processus réel, dans lequel le reflet engendre le reflet, l’idéel (selon l’expression de Marx, « il est transporté » dans l’idéel). Ce processus est précisément le processus matériel de la vie du sujet, il s’exprime dans les processus de son activité, qui le relient au monde objectif.
C’est par suite du fait que l’activité crée un lien pratique entre le sujet et le monde environnant en agissant sur lui et en se soumettant à ses propriétés objectives, qu’apparaissent chez le sujet des phénomènes qui constituent un reflet du monde de plus en plus adéquat. Dans la mesure où l’activité est médiatisée par ces phénomènes particuliers, et où elle les porte d’une certaine manière en soi, elle devient une activité mentalisée.
A une étape relativement tardive de l’évolution de la vie, l’activité peut être intériorisée, c’est-à-dire revêtir la forme d’une activité intérieure idéelle ; elle n’en demeure pas moins un processus réalisant la vie réelle d’un sujet réel, et ne devient pas « purement » spirituelle, opposée fondamentalement à l’activité extérieure, immédiatement pratique. Eriger, comme le fait la psychologie idéaliste traditionnelle, cette opposition en absolu, traduit idéologiquement la séparation de fait qui se crée au cours du développement de la société entre travail intellectuel et travail manuel. Cette séparation a en réalité un caractère aussi peu absolu, aussi transitoire que les rapports économiques qui l’ont engendrée.
La deuxième conception du psychisme rejette donc l’opposition et la séparation dualiste entre l’activité intérieure théorique et l’activité extérieure pratique. En outre, elle exige une nette distinction entre le reflet proprement dit comme image de la réalité (sous quelque forme qu’il apparaisse — sous forme de sensation, de concept, etc.) et les processus d’activité proprement dite, y compris d’activité intérieure.
Le refus de cette rupture et de cette confusion est en même temps refus de la conception idéaliste du psychisme qui les exprime. Ils rendent possible le dépassement de la conception du psychisme comme essence ayant sa propre existence, ce qui lui permettait d’entrer dans la composition des processus matériels, d’interagir avec eux, de contenir quelque chose, etc. Cela devait être souligné ; car le mode même d’expression des concepts et rapports psychologiques, auquel nous sommes habitués, porte en lui la marque de cette conception erronée. Ainsi, par exemple, nous disons habituellement que « quelque chose se passe dans notre conscience » ; il ne faut pas voir là autre chose que la rançon inévitable de la tradition linguistique.
Dans notre conception, l’histoire réelle du développement du psychisme est celle du développement du « dédoublement » de la vie, initialement une ; ce dédoublement a donné naissance au psychisme primitif de l’animal, et trouve sa pleine expression dans la vie consciente de l’homme. Cette histoire est, comme nous l’avons vu, le reflet de l’histoire de l’évolution de la vie elle-même, et obéit à ses lois générales : au stade du développement biologique, elle obéit aux lois de l’évolution biologique, aux étapes du développement historique, aux lois socio-historiques.
Franck Marsal
Passionnant ! Merci pour ces éclaircissements !