Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Coppola ne peut pas sauver Megalopolis…

Voilà je vous invite à voir réellement un film en vous donnant et en lui donnant toutes ses chances : comme résumé du film je n’ai rien trouvé de mieux que celui de Richard Brody, un de mes critiques préféré celui du New Yorker. Il dit : “L’imagination de Francis Ford Coppola est avant tout stimulée par le pouvoir, et son nouveau film spectaculaire « Megalopolis » offre une prémisse audacieuse et palpitante pour explorer l’idée – et l’afficher. Dans une ville futuriste corrompue appelée Nouvelle Rome, les personnages et les conflits de l’Empire romain se greffent sur les amusements criards, les batailles politiques et les enchevêtrements romantiques d’une quasi-dystopie. Un génie civique, Cesar Catilina (Adam Driver), s’efforce de transformer son monde en une utopie, un monde d’abondance et de beauté, mais son plan puissant – qui mélange la science, l’art et l’urbanisme – se heurte à l’opposition du maire Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito) et est compliqué par une relation avec la fille du maire, Julia (Nathalie Emmanuel). La vision passionnément triomphaliste de Coppola d’un visionnaire solitaire donne lieu à des images et des performances d’émerveillement trépidant et extravagant.—Richard Brody (En grande diffusion.)

Maintenant essayons ensemble de le voir et de laisser en nous, entre nous ses échos en éveiller d’autres.

Oui le cinéma de Coppola s’intéresse d’abord au “pouvoir”. Quand il est question de “pouvoir” aujourd’hui la seule question qui est pertinente et singulièrement quand il s’agit de la fin de l’empire américain, de l’occident… c’est en quoi est-il ou non fasciste ou voie inexorable vers le fascisme ? A ce titre, je vous propose de lire un petit opuscule de 73 pages publié par Delga, Luciano Canfora : Le fascisme tel qu’en lui-même. (1)

Le noyau du fascisme peut être considéré, indépendamment d’autres caractéristiques contingentes comme le suprématisme raciste, en tant que point final de l’exaltation de sa propre nation perçue comme une communauté naturelle”. Cette façon de penser et malheureusement d’agir s’est répandue bien avant que le fascisme ne prit forme. Mais, ajoute-t-il, beaucoup de choses changent lorsque cela devient une doctrine d’Etat et si l’Etat utilise la force pour l’imposer. Megalopolis ou l’impérialisme occidental, celui dont les Etats-Unis sont le fondement c’est aussi un méga-Etat qui aujourd’hui menace de son effondrement.

Il faudrait ajouter que ce suprématisme n’est jamais gratuit et qu’il introduit au sein des races considérées comme supérieures ses propres critères d’auto exploitation, d’exclusion, le suprématisme n’est que la forme la plus caricaturale du pouvoir d’une classe et il produit immanquablement une censure, une hiérarchisation, une interdiction de mettre en question de quelque manière que ce soit cette domination de classe devenue “naturelle”. Il vous suffit de considérer ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, comment la démocratie occidentale est devenue un “permis de tuer” et le silence des élites politico médiatique autour de ce fait pour mesurer que la fascisation de notre monde est là, Macron et tous ses complices (quel que soit le niveau ou la forme de complicité) nous conduisent vers l’acceptation du fascisme au nom d’un suprématisme de classe devenu naturel par la race, que celle-ci soit “arabe”, africaine, russe, chinoise, etc tout repose sur la communauté naturalisée, le droit au pillage voire à l’anéantissement. La débauche n’est que la parodie ultime de ce traitement par camisole chimique autant que par peur des corps.

Quelle que soit alors l’utopie ou l’idéologie qui prétend lui répondre fut-elle aussi apparemment cultivée, esthétisante, généreuse qu’il puisse paraître elle doit être considérée à l’aune de sa manière de révéler ou non la nature du mal et de mobiliser contre lui. L’utopie de Coppola ne convainc pas mais elle va jusqu’au bout de la mise à nu de l’impuissance.

Maintenant on peut parler de Megalopolis et de son utopie généreuse, de la manière dont on voudrait soutenir Coppola et comment parfois il arrive presque à nous convaincre de son rêve d’enfant généreux et comment on le voit partir lui et son décor monté de toute pièce du côté d’Atlanta dans quelque chose de l’ordre d’Alice au pays des merveilles, Harry Potter ou Peter pan, même pas le merveilleux Brigadoon de Minnelli. Ce village enchanté d’Ecosse qui ne se réveille que tous les cent ans pour une journée de danse, chant et amour pur et désintéressé. Le tout avec des citations dignes des réseaux sociaux avec Hamlet, les poèmes saphiques, les pensées de Marc Aurèle, la conjuration de Catilina, la lutte du procureur Cicéron confondue avec les affrontements du triumvirat autour de César, un sacré salmigondis.

Pourtant Il y a là quelque chose qui mérite qu’on s’y arrête à la fois dans le domaine du cinéma et celui de la générosité qui se voudrait encore adolescente, humaniste de l’auteur d’Apocalypse Now : dans Megalopolis tout tourne autour du temps, le héros du film un architecte designer, utopiste César Catilina (Adam Driver) a le pouvoir d’arrêter le temps. Il intime l’ordre et tout à coup dans de grandes plongées vertigineuses nous voyons la ville se figer, les voitures, les gens et l’effondrement d’un immeuble lui-même est suspendu mais c’est un faux pouvoir parce qu’à chaque fois tout repart et mène de plus en plus New York et l’Amérique vers la fin de l’empire romain. C’est là ce qui vous prend dans un film dont la première demi-heure vous laisse de marbre. Les acteurs, Adam Driver en particulier paraissant éprouver les mêmes difficultés à comprendre pourquoi il est là en train de déclamer… Puis peu à peu justement parce qu’on ne peut adhérer au happy end pas plus qu’à cet espoir de voir les artistes arrêter le temps, on mesure à quel point le gâchis va se renouveler, avec ce plan sur cette fusée de l’Union soviétique, dans cette accumulation d’images allégoriques où se résume l’essentiel, l’amour conjugal force rédemptrice à la débauche décadente. L’amour est aussi un tissu extraordinaire, le Megalon qui peut vous habiller, vous transformer vous et tout le décor y compris les immeubles devenus des fleurs, des feuillages…

Vous pouvez subir le choc et l’émotion de certaines images, simplement au premier degré mais aussi reconnaitre de quel film, tableau, photo elle est issue et donc la démultiplier…

La parodie alors devient, sinon totalement convaincante, en tous les cas le rêve est là, celui des contes pour que Lewis Caroll l’emporte sur la débauche orgiaque de Pétrone. Le capitalisme dans tous ses excès Crassus Hamilton (Jon Voight), les latinistes, espèce disparue à laquelle j’appartiens trouveront là une illustration du festin de Trimalcion de l’écrivain Pétrone… pas celui aseptisé de Quo Vadis, non celui qui a inspiré Boccace, pasolini… Crassus le capital omnipotent et gâteux, ne meurt jamais et sur ce qui devrait être son lit d’agonie, tel Volpone, il se réveille en perçant de flèches d’arbalète les êtres vénaux qui l’entourent en particulier son neveu Clodio qui endosse le rôle d’anarchiste populiste lubrique de Donald Trump mais qui survit très bien à une flèche qui lui a percé les fesses. Crassus qui a endossé le déguisement d’Errol Flynn dans Robin des Bois peut maintenant se faire élever une statue à sa philanthropie… Le peuple, celui dont on détruit les taudis et qui de ce fait refuse d’adhérer au rêve d’urbaniste de Catilina est désormais en effet une masse de manœuvre pour Clodio Trump, cet être puéril, vicieux et dévoré par son imagination comme le sont tous les membres de la famille toute puissante, richissime de Catilina, ceux qui détiennent la banque, cette planche à billets. Tout se joue au sein de ladite famille et les forces qu’elle peut jeter pour détruire ou construire. C’est le parrain et sa familia, puissance des milliards et des milliards de fois… Le “parrain” Coppola assagi pour le profit holywoodien retrouve sa monstrosité d’Apocalypse Now, étonnez vous que la troupe des critiques et les festivaliers aient hurlé devant ce film, dénoncé son incohérence.

Il y a dans ce film à la fois l’utopie la plus vaine qui se puisse imaginer et une sincérité si fabuleuse que vous vous dites vous mêmes avec vos vains combats ceux de votre propre civilisation encore plus épuisée que Crassus, que vous souhaitez désespérément la sauver: excusez l’analogie, vous avez vous aussi versé votre obole à l’illusion en allant voter pour le Nouveau Front populaire et en laissant croire aux masses que Lucie Castets peut représenter autre chose qu’une marche nouvelle vers l’irrésistible fascisation…

Megapolis est une débauche dans laquelle un espèce de priape, Cassius dont la fortune dit le film n’a pas plus de limite que sa bitte, voit se multiplier autour de lui les jeux du cirque et une orgie allusive dans ses motifs abstraits d’un saphisme militant ponctué de pugilats très professionnels, jusqu’à une scène dans laquelle la monstrueuse héroïne, la jouissance incarnée, l’équivalent de la femme robot de Metropolis, s’approprie Clodio, le neveu efféminé, un Trump puéril. Un moment d’anthologie érotique et bien au-delà, la séduction du mal, l’équivalent de la scène de la conquête de l’épouse dont il a tué le mari par Richard III de Shakespeare, ce monstre absolu repris par Brecht dans Arturo UI, Hitler devenu gangster monopoe du chou fleur, séduisant l’Autriche après la mort du chancelier Dolfuss. Coppola, en fait multiplie les allusions mais point n’est besoin de les connaitre pour retrouver la force de ces allégories, l’image les renouvelle dans leur puissance.

Au milieu de cette débauche tout à coup, il y a la tendresse, la pureté de Coppola capable de mettre toute sa fortune personnelle dans cette ultime aventure… Ce n’est pas du bidon, et il y a quelque chose de poignant dans les plaidoyers qui se multiplient y compris par les membres de sa propre famille comme Talia Shire (la sœur du réalisateur), si les acteurs principaux nous sont apparus en distance (comme chez Bresson, ou même Straub) accentuant notre et leur gêne, en revanche on voit passer des rôles jouant eux-mêmes comme Dustin Hoffman, tous ces gens qui s’apprêtent une fois de plus à espérer dans Harris contre Trump mais ils appartiennent au même monde, à la même famille… Pourtant, le personnage réellement porteur de sens est celui de Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, qui tout en aimant passionnément son père Cicero, a rejoint la cause de César, d’abord en tant qu’employée, puis en tant qu’amante, plus qu’amante, muse, force vitale et qui peu à peu arrache César à une mère incapable d’aimer comme le reste de la famille, et surtout à son engloutissement periodique hors du temps réel dans des images lumineuses d’une défunte épouse… Julia Cicero l’arrache à ce temps en boucle sur le néant, sur la mort, lui une nouvelle force vitale, un pacte échangé sur une poutrelle en plein ciel (illustration) dans laquelle on peut reconnaitre la célèbre photo des bâtisseurs de gratte-ciels… ce pacte de la création est scellé par la naissance d’une enfant, lorsque l’enfant parait, le grand père… on a envie de sourire devant tant de clichés et puis on se dit que cette croyance-là vaut mieux que bien d’autres surtout quand on sait que le film est dédié à l’épouse bien aimée de Coppola, morte en avril dernier: Eleanor Coppola.

Coppola a d’abord conçu « Megalopolis » au début des années quatre-vingt, dans l’espoir de suivre « Apocalypse Now » avec quelque chose de tout aussi épique. Mais le projet a été sabordé par l’échec critique et commercial de « One from the Heart », en 1982, après quoi une série de crises personnelles et professionnelles croissantes a maintenu « Megalopolis » en veilleuse pendant des décennies : les acteurs allaient et venaient, et le 11 septembre a forcé une refonte sérieuse du matériel. Coppola a fini par financer lui-même une grande partie de la production, vendant une partie de son entreprise de vin et apportant cent vingt millions de dollars de son propre argent.

Voilà ce qu’il m’en reste et croyez-moi ce n’est pas rien dans le fatras, la saloperie je pèse mes mots de la vulgarité qui s’organise autour de la fascisation de notre monde alors avoir un Coppola qui nous revient de la guerre du Vietnam pour nous dire à tous que la ruine est imminente, que l’artiste peut l’arrêter le temps d’une image mais qu’à chaque fois l’histoire reprend plus catastrophique, plus inexorable et que seule la capacité à aimer, à créer peut sauver l’humanité toute l’humanité.

Ce ne sont que deux heures et dix minutes dans lequel le temps suspend son vol et la fin nous laisse encore plus désenchantés sur cette photo d’enfant qui vagit : ce n’est pas possible de croire que ce monde-là sera sauvé de l’anéantissement, ce serait grotesque… Coppola a réussi à nous faire mesurer à quel point l’universelle réconciliation sur ces bases est dérisoire, d’une manière poignante.

Danielle Bleitrach

1) Voilà je vous conseille de prendre ce petit livre qui ne fait pas 80 pages que vient de publier Delga, traduit de l’italien par Aymeric Monville, Luciano Canfora (un formidable érudit sur la relation entre le fascisme et la Rome antique) et de le lire avant ou après ce film sur Megalopolis, New York, Rome, la ville empire dans son déclin. laissez-vous prendre dans la divagation des images, mais enrichissez le pouvoir de celle-ci selon les conseils de Walter Benjamin, lui aussi victime connaissant de l’intérieur le fascisme, entre l’histoire ce qu’elle recèle de menaces et les allégories…

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2 Commentaires

  • Gori
    Gori

    gisou1362@gmail.com

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  • Gori Gisèle
    Gori Gisèle

    Merci pour cette publication. Voir le film et lire les bouquins conseillés font partie de mes objectifs à venir.

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