Aujourd’hui dans ce week end qui débute nous vous invitons à une réflexion qui effectivement devrait se poser dans les termes de cet article: Toute guerre a une fin et il faudra bien négocier. Mais dans l’état de guerre permanente que l’occident “global” terme qui a remplacé celui d’impérialisme sans changer de nature mais en insistant sur sa dimension néocoloniale au stade du libéralisme, négocier avec qui et sur quelle base? Cette réflexion “politique” mais aussi philosophique dit l’auteur devrait être à la base de toute volonté réaliste de paix… Donc retenez cette importante pièce à verser au dossier. (note de danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)
https://vz.ru/opinions/2024/5/21/1268159.html
Il y a un moment où toutes les guerres ont une fin. Ce jour viendra et le conflit actuel se terminera par notre victoire. Après la victoire, il y aura un monde qui devra vivre selon de nouvelles lois et règles, y compris celles confirmées par la guerre. Ces règles devront être négociées. Ainsi, dans une perspective stratégique, des négociations de tout le monde avec tout le monde sont inévitables.
Mais la situation actuelle – avec ses conflits hybrides globaux sur plusieurs fronts et dans plusieurs directions – est tellement confuse que la question se pose inévitablement : avec qui, en fait, est-il judicieux de négocier ? Qui, chez l’adversaire, est autorisé à prendre des décisions dont il peut répondre ? Qui est responsable du respect des règles du jeu ?
En fait, il s’agit d’une question philosophique et juridique difficile à imaginer il y a un siècle : qui, parmi les États-joueurs actuels du côté de l’ennemi, a conservé sa subjectivité et peut être pleinement responsable de ses actes ?
L’ancienne sociologie marxiste établissait une distinction très claire : une classe en soi et une classe pour soi. Il en va de même pour les États. Il y a une grande distance entre l’État en soi, qui fait face aux défis actuels, et l’État pour soi, qui est capable de reconnaître et de défendre ses intérêts stratégiques. Il est logique de ne négocier qu’avec “l’État pour soi”, tout le reste n’étant que du vent.
Il est clair qu’il ne s’agit pas de l’Ukraine. L’État ukrainien n’existe plus depuis 2014. Il s’agit d’un élément opérationnel d’un vaste mécanisme occidental visant à affaiblir la Russie. Et Kiev n’a pas de subjectivité, de pensée stratégique, qui n’est pas liée à l’image de l’anti-Russie. Les déclarations occasionnelles des dirigeants occidentaux selon lesquelles l’Ukraine décidera de son propre sort, en temps de guerre ou de paix, les ambitions concernant les frontières de 1991 ou la reconnaissance des réalités existantes sont d’autant plus ridicules. Tout cela n’est que poussière dans les yeux de l’opinion publique naïve, qui s’amenuise d’heure en heure.
Mais l’adversaire dans les éventuelles négociations n’est pas l’Europe, encore moins l’Union européenne. Les Européens ont brouillé au maximum la question de la souveraineté nationale et étatique pour eux-mêmes. L’Union européenne, aussi ridicule que cela puisse paraître, ressemble de plus en plus au Saint Empire romain germanique qui existait avant les guerres napoléoniennes. Il n’y a pas eu, il n’y a pas et il ne peut pas y avoir – pratiquement et théoriquement – de volonté unifiée.
En outre, au sein de l’OTAN, les Européens sont de toute façon dépendants des États-Unis. Ce sont les Américains qui ont toujours eu et ont encore le dernier mot en dernière analyse. Les deux années de conflit ukrainien en sont la preuve irréfutable. Le Johnson de Londres, puis le Macron de Paris ont eu beau tenter de rappeler leurs anciennes ambitions, ils ont eu beau alimenter le conflit avec une rhétorique irresponsable, incluant la folie russophobe de la guerre de Crimée ou les appétits de Napoléon, ce tourbillon a continué à ressembler à un simple théâtre mis en scène pour l’approbation de l’oncle Joe. Washington a toujours le dernier mot dans la coalition anti-russe.
Il est donc logique de négocier dans tous les cas avec les États-Unis, où convergent tous les fils de contrôle économiques, politiques et militaires de la civilisation occidentale, notre seul véritable adversaire.
Les Américains sont le véritable acteur du conflit actuel. Après s’être autoproclamés seule superpuissance après l’effondrement de l’URSS, proclamant jusqu’à “la fin de l’histoire”, suivie d’une dystopie politico-financière appelée “marché mondial”, ils sont contraints de voir leurs opportunités se réduire progressivement et les frontières du pouvoir se rétrécir sous leurs yeux. Le défi posé par la Russie – quelle que soit l’issue immédiate du conflit – a déjà mis fin à une ère marquée par les événements de la fin des années 1980 et du début des années 1990.
Mais face à tous les acteurs mondiaux du futur proche – Russie, Chine, Inde, monde arabe, Afrique, Amérique latine – seuls les États-Unis restent pleinement capables de parler au nom d’un Occident postmoderne qui recule sur de nombreux fronts. Un Occident qui n’a plus grand-chose à voir avec l’Occident classique de la grande histoire de l’humanité.
Il existe une autre circonstance importante, et non des moindres, en rapport avec la confrontation actuelle. La plupart des “valeurs” [le mot russe ici est ‘smysl’, mot-à-mot ‘signification’, NdT] auxquelles la Russie, et avec elle la majorité du monde “non occidental”, est actuellement confrontée (l’affirmation de l’argent comme seul et ultime régulateur, la suppression sans précédent de la liberté individuelle à l’aide des technologies de relations publiques, la dictature des minorités, la destruction de la famille, la déconstruction de l’être humain) ont été formulées, comprises, introduites dans la conscience de masse, dans la pratique idéologique et politique dans les universités et les centres intellectuels américains. Leurs acteurs savent ce qu’ils sont et quelles forces ils servent. Mais l’Amérique elle-même est un pays vaste et vivant, où la contestation mûrit également, et son histoire est loin d’être terminée.
Nous vivons un moment historique très intéressant et, dans une certaine mesure, heureux pour nous. L’ennemi est tombé dans l’erreur bien connue de tous les inductivistes, décrite à maintes reprises dans leur propre philosophie anglo-saxonne (le fameux paradoxe de la dinde de Noël de Bertrand Russell). En observant comment, après l’effondrement des grandes idéologies du XXe siècle, les flux financiers et d’information régulent habilement les relations entre les personnes, les groupes sociaux et les États, nos adversaires étaient convaincus que “c’était comme ça et ce sera comme ça”.
Et dans le cas ukrainien, il leur semblait que tout était calculé. Cependant, ce calcul s’est heurté au choix des populations de Crimée et du Donbass et, surtout, à la volonté de l’État russe, fondée en fin de compte sur des principes complètement différents. Le problème, c’est que même les sanctions draconiennes – le dernier effort désespéré de l’ancienne logique – ont totalement échoué.
Les Américains ont déjà subi une défaite cuisante. Ils devront l’admettre. Les armes russes devraient les y aider. Il sera alors temps de négocier.
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Xuan
C’est un instantané assez fidèle de la situation actuelle, où l’hégémonisme US domine l’occident global et impose ses vues.
Par contre l’idée d’Etat en soi et pour soi mérite réflexion.
Selon la conception marxiste, une classe en soi existe de fait, objectivement parce qu’elle a des intérêts de classe commun, quelle que soit la représentation qu’elle s’en fait.
La classe pour soi est une classe dont les membres ont conscience de leur appartenance commune et de leurs intérêts propres.
Dans le cas des états de l’occident global, leur existence en soi « qui fait face aux défis actuels », c’est leur intérêt commun ou plutôt celui des monopoles capitalistes de ces états. Leur existence pour soi est leur conscience de cet intérêt commun.
Or « Les Européens ont brouillé au maximum la question de la souveraineté nationale et étatique pour eux-mêmes. »
C’est-à-dire que la conscience de leurs propres intérêts communs ne correspond pas à ces intérêts.
Selon l’auteur, ces pays dominés ont abandonné leurs propres intérêts monopolistiques bourgeois pour se placer sous la conduite des USA, et nous en avons déjà vu quelques exemples. Notamment ils se sont quasi unanimement placés sous la direction et le commandement de l’OTAN, c’est-à-dire de fait des USA.
Et effectivement « seuls les États-Unis restent pleinement capables de parler au nom d’un Occident postmoderne qui recule sur de nombreux fronts »
L’auteur ne prend donc pas en compte l’intérêt commun « en soi » de l’occident global.
Mais existe-t-il un intérêt commun de l’occident global ?
Il existe un intérêt commun des capitalistes de tous ces pays, mais leurs intérêts nationaux propres sont concurrents. Ainsi l’agriculture polonaise est lésée par la production du blé ukrainien. La destruction du nord Stream a pesé lourdement sur l’industrie allemande.
C’est-à-dire que la contradiction entre les USA et l’Europe est la plus dangereuse de toutes, et les sanctions dictées par les USA se sont retournées contre l’Europe, de sorte que l’intérêt commun « en soi » des pays européens n’est pas pris en compte par les USA non plus.
Et maintenant les USA pourraient laisser choir ces pays comme ils l’ont fait chaque fois qu’ils échouaient. Macron est un Matamore mais sa crainte de revoir l’OTAN en état de « mort cérébrale » peut être fondé.
Du point de vue de la paix régionale, d’une paix durable dans la région, vaut-il mieux que les USA négocient avec la Russie, c’est-à-dire que leur domination sur l’Europe soit encore entérinée par leur signature, ou bien que ce soient les pays de la région qui signent la paix ?
Bien qu’ils soient encore dans une situation d’aliénation, c’est avec les pays d’Europe et non avec les USA que la Russie devrait négocier.