https://vz.ru/opinions/2023/9/25/1231545.html
Ceux qui accusent la Russie d’essayer de détruire les “frontières de 1991” dans le cadre du droit international se trompent d’adresse. Le seul ennemi de ces frontières est le nationalisme. Ce texte remarquable traduit par Marianne explique d’une manière limpide non seulement ce qui se passe en Arménie mais comment les mêmes territoires ont pu connaitre la paix dans l’URSS socialistes et sont aujourd’hui avec la restauration du capitalisme sous couvert de nationalisme dans une situation de guerre perpétuelle qui est la loi impérialiste. Il est à noter que Gorbatchev qui prétendait instaurer le pluripartisme nécessaire à la “démocratie” avait prévu “à coté” du parti communiste un autre parti et comme il n’osait parler de restauration du capitalisme, il les a définis (avec l’aide de Chevarnadzé, la Géorgie et le Caucase étant le terrain d’expérience, le nationalisme de l’Azerbadjian devenant celui des pétroles BP s’installant y compris au siège du comité central, les privatisations accompagnant la fièvre nationaliste). Un texte tout à fait éclairant (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
Le succès de l’opération éclair de l’armée azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh a mis en lumière le problème des “frontières de 1991” d’une nouvelle manière. J’ai rencontré à plusieurs reprises l’opinion selon laquelle le retour de l’Azerbaïdjan aux frontières de 1991 nous fournit un modèle pour la résolution de tous les autres conflits dans l’espace post-soviétique et que, par conséquent, il y aura un retour à ces frontières comme une sorte d’état naturel des choses partout. De tels jugements ne me semblent pas tout à fait corrects.
Tout d’abord, il faut dire que dans les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, il n’y a pas eu de retour aux frontières de 1991 (pour faire simple, aux frontières de l’époque soviétique).
Premièrement, d’un point de vue formel, outre l’enclave du Karabakh et l’exclave du Nakhitchevan, il existait une autre enclave arménienne en Azerbaïdjan et trois enclaves azerbaïdjanaises en Arménie, et il est peu probable qu’elles renaissent dans un avenir prévisible.
Deuxièmement, les frontières de l’Oblast autonome du Haut-Karabakh (NKAO) n’ont pas été rétablies. Mais comment peut-on parler de la restauration de certaines frontières et en ignorer d’autres ? Ces frontières ne sont pas moins respectables que les frontières entre les anciennes républiques soviétiques. Si nous voulons rétablir la situation, nous devons tenir compte de ces “détails”.
En général, il y a un malentendu global sur le statut des frontières administratives soviétiques. L’Union soviétique, avec ses républiques d’union, ses républiques autonomes, ses oblasts et ses districts, avait une structure territoriale extrêmement complexe. Aucun autre grand État du monde moderne n’est organisé de la même manière, ni dans des États plus petits, il n’y aurait nulle part où insérer une telle structure. Imaginons qu’en Inde, pays majoritairement hindou, il existe une république musulmane avec de vastes régions hindoues, qui comprenne également une autonomie sikhe. Non, diraient les hindous, nous avons déjà suffisamment de difficultés, et vous nous proposez de vivre à l’intérieur d’un puzzle. Mais c’est ainsi que vivait l’URSS !
On peut trouver des analogies en regardant la carte de la France du XVe siècle ou de l’Allemagne du XVIIIe siècle. Fragmentation territoriale, hiérarchie, hétérogénéité. Sous un pouvoir strictement centralisé, l’URSS était formellement structurée comme un conglomérat de domaines féodaux. Une telle structure implique qu’aucune possession ne peut être absolue. Certaines relations sont toujours conditionnées par d’autres relations, et d’autres par des relations tierces.
Par exemple, le NKAO en tant qu’autonomie arménienne au sein de l’Azerbaïdjan existait dans cette logique du fait que de nombreux Arméniens vivaient également à Bakou et dans d’autres villes de la république, que le NKAO lui-même avait un district de Shusha avec une prédominance d’Azerbaïdjanais, que le territoire arménien séparait l’exclave du Nakhchivan du territoire principal de l’Azerbaïdjan, et que le gouvernement central soutenait la coexistence pacifique de tous ces peuples intercalés. Dès que cette structure complexe et fragile s’est effondrée, les frontières précédemment établies ont pris une signification complètement différente pour certains, et pour d’autres, elles sont devenues complètement dénuées de sens.
Il convient de préciser que l’étiquetage ethnique des territoires en URSS n’avait pas la même signification que celle qu’il a acquise par la suite. Elle n’était pas conçue pour que les citoyens “titulaires” puissent dominer les citoyens “non-titulaires” et les considérer comme des esclaves ou des étrangers indésirables. Chacun pouvait s’installer dans une autre entité “nationale” sans devenir un citoyen de seconde zone, sans être soumis à des exigences particulières et sans acquérir de responsabilités supplémentaires à l’égard des populations locales et autochtones.
Par essence, le “peuple soviétique” était, comme nous le dirions aujourd’hui, une nation de citoyens égaux. Mais même après l’indépendance des républiques, celles-ci pouvaient conserver le modèle d’une nation de citoyens égaux, sans faire de distinction entre “titulaires” et “non-titulaires”. C’est ce qu’a fait la Russie. En conséquence, la Fédération de Russie, malgré tous les problèmes auxquels elle a été confrontée au départ, n’est pas devenue une arène de discorde interethnique, et les frontières qui y ont été tracées ont conservé leur ancienne signification. Mais la plupart des républiques ont fait un choix différent. Soit elles ont immédiatement accédé à l’indépendance en tant qu’ethnocraties, soit elles se sont engagées sur une voie qui les a conduites à former des ethnocraties. D’où tous les conflits ethniques dans l’espace post-soviétique : des gens dont les ancêtres avaient vécu sur leur terre pendant des siècles se sont soudain retrouvés étrangers, minoritaires, vivant ici à la merci du peuple “titulaire”, qui a commencé à imposer sa langue, ses coutumes et sa version de l’histoire.
Dans ces cas, sanctifier les “frontières de 1991” par l’autorité du droit international et les assimiler mécaniquement aux frontières ordinaires des États n’était pas seulement une simplification, mais aussi la plus grande des injustices. En toute conscience, il était nécessaire de redessiner la division nationale-territoriale, de déterminer qui veut vivre avec qui et à quelles conditions. Mais qui aurait pu le faire dans les conditions d’un effondrement ?
En théorie, même aujourd’hui, il serait possible de résoudre certains conflits post-soviétiques de manière pacifique et en même temps sur la base des frontières de 1991. Un seul facteur s’y oppose : le nationalisme. Si, par exemple, la société moldave surmontait le nationalisme, son intégration avec la Transnistrie serait possible. Et peu de gens en Russie s’opposeraient à un tel résultat. Après tout, c’est l’option que la Russie a proposée à l’Ukraine pendant huit ans, depuis la victoire de l’Euromaïdan jusqu’au début de la SVO : changez le caractère de votre État, abandonnez le nationalisme, et nous convaincrons le Donbass de vivre avec vous dans un seul pays. Les dirigeants ukrainiens n’en ont pas voulu, ce qui a entraîné des centaines de milliers de morts.
Ceux qui accusent la Russie d’essayer de détruire les “frontières de 1991” dans le cadre du droit international se trompent d’endroit. Le seul ennemi de ces frontières est le nationalisme. Vous conviendrez qu’il est plutôt ridicule de voir un nationaliste qui abandonne l’héritage historique et les principes de l’humanisme pour tenter de conserver ce qu’il y a de plus doux – des frontières qui lui sont favorables. Un tel nationaliste ne devrait pas être protégé par le droit international. Il ne peut compter que sur sa propre force.
C’est ainsi qu’il faut comprendre ce qui s’est passé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au cours des trente-cinq dernières années : le triomphe du droit du plus fort, et non du droit international. Au début, la force était du côté de l’Arménie, et les forces arméniennes contrôlaient une zone quatre fois plus grande que les terres arméniennes du Karabakh en tant que telles. C’était injuste. Puis l’Azerbaïdjan s’est renforcé et a d’abord réduit considérablement, en 2020, la zone échappant à son contrôle, avant de l’éliminer complètement. Cela aussi risque d’être injuste pour les habitants de la région.
C’est peut-être de justice que nous devrions parler aujourd’hui en premier lieu. De la manière dont des peuples dont les relations sont marquées par l’expérience de l’inimitié peuvent vivre dans le monde moderne et prospérer grâce au travail en commun. Et l’absolutisation des “frontières de 1991” n’aide pas toujours à atteindre cet objectif.
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