Le “modèle soviétique de construction des relations interethniques” nous paraît de plus en plus pertinent, une expérience historique à étudier encore et encore. L’article de Youri Afonine réfute au passage quelques idées reçues au sujet des relations entre la Russie et l’Ukraine. (note et traduction de Marianne Dunlop)
Le 20 avril marque le 85e anniversaire de la résolution du Comité central du Parti communiste ukrainien et du Sovnarkom d’Ukraine sur l’étude obligatoire de la langue russe dans toutes les écoles de la République socialiste soviétique d’Ukraine. Le premier vice-président du Comité central du Parti communiste de la Fédération de Russie, Youri Afonine, évoque l’importance de cet événement historique.
Le décret a été adopté en application d’une décision de toute l’Union soviétique. Le 13 mars 1938, le Sovnarkom de l’URSS et le Comité central du Parti communiste de toute l’Union (b) ont décidé que la langue russe devait être enseignée à tous les écoliers de l’Union soviétique.
Nous devons comprendre que c’est en grande partie grâce à ces décisions que le monde russe, dont nous parlons aujourd’hui et pour lequel nous nous battons, a été créé. En effet, le monde russe n’est pas un territoire dirigé depuis Moscou. Ce n’est pas non plus un territoire sur lequel s’étend l’influence de la Russie. Le monde russe, ce sont des millions et des millions de personnes de différentes nationalités qui ont accepté la langue et la culture russes comme une grande valeur.
Aujourd’hui, beaucoup de gens essaient de calomnier la politique nationale des bolcheviks. Mais si nous prenons en compte les faits historiques, il apparaît clairement que cette politique était logique, efficace et qu’elle a créé un État multinational puissant qui n’a pas connu de guerres interethniques. Sans les traîtres de Gorbatchev, cet État existerait encore aujourd’hui.
Au cours de la guerre civile, les bolcheviks ont reconstitué un pays qui s’était déjà pratiquement désintégré. Ils ont dû le faire dans une situation où la conscience nationale des peuples peuplant l’ancien Empire russe avait été “réveillée”. Les nationalistes, soutenus par des forces extérieures, étaient actifs dans toutes les franges nationales. Dans de telles circonstances historiques, il n’était possible de recréer un État unifié qu’en donnant aux grands peuples la possibilité de créer leur propre État sous la forme de républiques. Mais ces républiques ont été réunies par les bolcheviks en une seule union.
Les communistes ont créé les conditions nécessaires au développement des cultures nationales, ont donné à chaque nation la possibilité d’éduquer ses enfants dans sa propre langue et de communiquer avec les autorités dans cette langue. Tel était le sens principal de ce que l’on a appelé l'”ukrainisation” de la RSS d’Ukraine dans les années 1920-1930 : tous les fonctionnaires devaient apprendre à communiquer avec la population locale dans leur langue. En fait, contrairement à ce que l’on raconte aujourd’hui, les bolcheviks n’ont inclus dans la RSS d’Ukraine que les provinces qui, d’après le seul recensement panrusse effectué avant la révolution, comptaient une population majoritairement de langue ukrainienne (rappelons que la Crimée n’a fait partie de la RSS d’Ukraine qu’en 1954). Oui, dans certaines villes de la RSS d’Ukraine, il y avait déjà plus de russophones. Mais les villes n’étaient alors que des îlots dans la mer de la population rurale (avant l’effondrement de l’Empire russe, seuls 18 % de la population vivaient dans les villes, et 82 % vivaient à la campagne).
Cependant, en donnant à tous les peuples de l’URSS d’énormes possibilités de développer leurs langues et leurs cultures nationales, les bolcheviks ont également pensé à renforcer l’unité de ce vaste pays et ont estimé qu’il avait besoin d’une langue de communication internationale comprise par tous. C’est pourquoi, en 1938, ils ont rendu le russe obligatoire dans toutes les écoles. Il s’agissait d’un progrès monumental par rapport à la Russie prérévolutionnaire, qui n’offrait pas à la majorité de la population une éducation scolaire décente, sans parler d’enseigner à l’ensemble du pays multinational à parler et à écrire en russe.
Au cours des 50 années suivantes, l’école soviétique, la culture soviétique et l’armée soviétique ont permis à des centaines de millions de personnes d’apprendre le russe. Et sans la “perestroïka”, nous vivrions aujourd’hui dans une vaste puissance multinationale, l’État le plus puissant du monde.
Nous sommes convaincus que le modèle soviétique de construction des relations interethniques doit devenir un modèle pour nous aujourd’hui, si nous voulons réaliser l’intégration politique et économique de l’espace post-soviétique. Et cette intégration est dans l’intérêt de tous les peuples qui vivent dans cet espace.
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Chabian
Je suis assez opposé à cet article qui met sur le même plan deux principes soviétiques :
1/ “Les communistes ont créé les conditions nécessaires au développement des cultures nationales, ont donné à chaque nation la possibilité d’éduquer ses enfants dans sa propre langue et de communiquer avec les autorités dans cette langue.” (1920-1930)
2/ “les bolcheviks ont également pensé à renforcer l’unité de ce vaste pays et ont estimé qu’il avait besoin d’une langue de communication internationale comprise par tous. C’est pourquoi, en 1938, ils ont rendu le russe obligatoire dans toutes les écoles. ”
Or les impositions d’une langue unique ont souvent caché une centralisation et une domination nationale ou impériale. Et donc une sélection sociale par la langue.
Je suis belge, donc baigné dans deux cultures, latine et germanique. Je suis conscient que le Français fut une langue d’une élite bourgeoise pour s’imposer dans nos deux ou trois régions (flamand, wallon, et brusseleir). Et que, aujourd’hui, un nationalisme régional dénonce cette domination au profit d’une nouvelle bourgeoisie nationale flamande, se présentant comme “victime conquérante”.
C’est exactement la grille de lecture qui permet de lire la guerre civile en Ukraine, grand pays mais mêlant deux cultures, mais où la langue russe dominait socialement, culturellement et politiquement. Le nouveau régime impose un régionalisme culturel à la totalité de la société, malgré une grande part russophone.
Par opposition, la France a toujours combattu les langues régionales, car l’unité nationale (factice, fabriquée) est à ce prix.
Je pense donc que, dans les sociétés bi- ou multiculturelles, il faut imposer l’apprentissage d’une langue commune de communication à un 2e ou 3e niveau d’intruction, qui ne s’impose pas aux niveaux inférieurs. Aujourd’hui nos classes supérieures se communiquent en anglais !
Jean-luc
@Chaban
Sans vouloir rentrer dans le vif de la discussion très intéressante que vous lancez, j’hésiterais à faire un parallèle entre la structure ‘ethnique’de la Belgique et celle de l’Ukraine.
L’opposition entre les populations occidentales et orientales de l’Ukraine est un fait relativement récent à l’échelle historique, et largement le résultat de la géopolitique au cours de l’ère capitaliste. Les langues russes et ukrainiennes sont proches parentes, ainsi que le substrat culturel et religieux. Les pays ingérents, en particulier Allemagne et Etats-Unis ont cherché avec succès à magnifier et instrumentaliser cette ´opposition’ pour leur objectifs propres.
Il me semble que l’opposition entre groupes ethniques en Belgique relève d’une toute autre problématique. Ne pourrait-elle pas être tracée à la période de décomposition de l’empire romain?
Ceci dit, la question de la langue comme outil d’unification ou de domination reste une question complexe!
Chabian
Je vise d’abord le fait que l’administration sortie de Maidan a réprimé l’usage de la langue russe. La scission du Donbass vient notamment de cela. Cette répression de la langue vient-elle uniquement de l’ingérence extérieure ? Ou de petits bourgeois hyper-nationalistes (selon le vécu actuel en Flandres) ?
Mais le principe soviétique tel que rappelé dans l’article d’imposer une 2e langue à tout l’URSS me parait problématique également.
etoilerouge
Avez vs visionner alors le soulèvement à karkov Donetsk lougansk et ailleurs? Il suit le massacre d’Odessa du 2 mai 2014. Présenté par le Figaro comme une action de supporters defoot! Au demeurant ces clubs de supporters financés par de gds patrons ont souvent des groupes nazis et en tt cas cultivent le fanatisme. Le soulèvement ds l’est et le sud s’est fait surtout avec de nombreux drapeaux soviétiques et non le canal tsariste de Poutine. Ce n’est donc pas qu’une affaire de langues. Le nationalisme? De quel nationalisme parle- t-on? Celui nazi que la presse capitaliste et impérialiste présente comme un ennemi des lumières ou celui de la nation républicaine de 1793? L’un n’est pas national c’est un théâtre d’ombres pour cacher les barons impérialistes Krupp Thyssen Opel Mercedes Porsche bayer etc. L’autre est le rassemblement du peuple contre les tyrannies européennes.
Franck Marsal
Dans quel pays l’unité nationale n’est-elle pas “fabriquée” ? Est-elle pour autant “factice” ? Le capitalisme est né d’abord dans des villes, dont les plus importantes furent des cités-états. Mais il s’est développé à une plus large échelle dans des états nations européens, dont Samir Amin expliquaient qu’ils résultaient globalement de l’effondrement de l’empire romain et donc d’une forme d’arriération par rapport aux grands empires du despotisme asiatique. Pour lui, c’est parce que le despotisme asiatique était trop solidement installé que le capitalisme ne si est pas développé.
De ce fait, le nationalisme est devenu un trait déterminant du capitalisme européen devenu impérialiste, ce qui a entraîné le colonialisme, les guerres mondiales et le fascisme.
Mais aujourd’hui, l’enjeu, c’est le développement mondial du socialisme. des formes socialisées de production et d’échange. L’impérialisme américain lui-même n’est pas tout à fait un état-nation au sens européen classique, comme la France, la GB ou l’Allemagne, mais plutôt une construction ad hoc, une tentative de dépassement du cadre de l’état-nation trop étroit par une structure fédérale et multinationale non égalitaire. Mais le plus frappant est de constater l’usage que fait cet impérialisme d’un nationalisme tout à fait réactionnaire, d’un identitarisme, comme outil de division pour maintenir son pouvoir.
Il y a ici aussi un double langage : dans le bloc pro-étatsunien, les souverainetés nationales doivent se dissoudre, chez ses adversaires, elles doivent triompher. Il y a quand même un paradoxe à dire que la France ne peut pas exister par elle-même et doit s’intégrer à l’UE de manière croissante au détriment de sa souveraineté, mais qu’il fallait dissoudre l’URSS (ou qu’il faudrait aujourd’hui dissoudre la Russie ou la Chine) pour permettre à l’Ukraine, au Xinjiang ou à la Tchétchnie de constituer des états souverains (je ne parle même pas du Kosovo, état artificiel livré purement et simplement à la mafia …).
Il y a une autre vision de la nationalité, comme ensemble culturel, comme valeur positive et non excluante de la citoyenneté mais y contribuant. On ne peut pas dissocier la question de la langue de cette vision de la nationalité et de la citoyenneté. Ce n’est pas du tout la même chose d’imposer le russe comme langue scolaire dans un contexte où tous les citoyens sont égaux et d’imposer le français dans un empire au sein duquel certains sont citoyens, et d’autres sont indigènes.
Chabian
Merci de ce renvoi à discussion. Je manque de références (Pour l’anedote, j’ai cherché ce matin le livre de Losurdo, sur le web, l’Intelligence artificielle me soumet des livres sur “Lourdes” !), sinon sur l’histoire belge et française. Oui la nation est une fabrication pour une cohésion sociale, pour faire société. Pas factice ? imaginaire, idéologique, mais nécessaire depuis les premiers hommes. (Le contenu évolue, mais la fonction est persistante). Votre première partie est historique. D’abord sur l’économie : Selon moi, il y a eu des empires anciens, comme des Royaumes anciens. Ce sont les marchands qui s’autonomisent (et les artisans) et il est prématuré de parler de capitalisme ou classe capitaliste, seulement de quelques familles ; la prédation royale et aristocratique s’exerce sur les paysans, les guerres et mariages sont les investissements étatiques marquants. Le protestantisme peut se lire comme une révolte des marchands contre la prédation catholique et la corruption, détournée en guerre civile religieuse et en pays de refuge comme les Pays-Bas (où le capitalisme va prendre corps). (Cfr pour la révolte des marchands et des villes : “Le procès des tailles en Dauphiné” par exemple). Les empires européens (surtout dominant leurs contrées voisines) s’écroulent en 1914-18 : le Tsar, les Habsbourg, la Conféd. germanique ou prussienne). Mais les bourgeoisies montent au pouvoir, par révolution 1789 ou par arrangement avec des rois modernes (Guillaume en Pays Bas Belges et hollandais 1815-1830, puis la Dynastie belge des “Saxe-Cobourg” et aussi en Angleterre — que je connais moins). Et aussitôt elles se lancent dans la recherche de colonies. Les belges en Amérique latine sous Léopold 1er (échec), Maximilien d’Autriche et son épouse princesse belge au Mexique, ensuite Léopold 2 et le Congo, les Français en Algérie et ailleurs. Les européens échouent en Turquie (port ottomane) et en Chine, début XXe. Dans le même temps le développement de l’industrie et des infrastructures étatiques nécessaires (canaux, trains) développe un autre marché européen.
Ensuite sur la nation. Le centralisme est d’abord lent, et aristocratique avant tout (cfr Louis XIV), les populations sont loin de la culture et de langues communes, seule l’Eglise les encadre et utilise la terreur du jugement dernier. C’est la Bourgeoisie au pouvoir qui a besoin de faire “unité nationale” avec paysans et petits artisans et qui vante la nation comme grandeur des grands pays, ou débrouillardise marchande des petits pays. Tout ceci pour éclairer votre phrase trop “contractée” et donc confuse à mon sens : “De ce fait, le nationalisme est devenu un trait déterminant du capitalisme européen devenu impérialiste, ce qui a entraîné le colonialisme, les guerres mondiales et le fascisme”. L’acteur, c’est une classe dominante et le nationalisme fait partie de sa prise de pouvoir (au détriment des populations qui renversèrent l’état ancien).
Oui les USA sont une fédération particulière, certains disent que c’est la guerre civile du Sud esclavagiste qui ressurgit, Etats du Sud très favorisés par la Constitution après leur défaite pourtant. L’idéologie nationale est un peu celle du chercheur d’or, du pionnier, sans référence à une grandeur historique. Et son impérialisme “non-colonialiste” débute surtout avec 1942, la guerre affaiblissant France et Angleterre. (Les négociations du futur après guerre, à Londres et Washington en 43-44 sont importantes, dont le rôle des financiers — dont le belge Gutt, mais aussi Schumann etc.). Mais je ne pense pas que ce soit une “tentative de dépassement”, et L’UE est aussi un projet de nations pour un impérialisme commercial (plus suiviste au plan militaire). plus tardif, plus lent et moins efficace.
Enfin, sur le socialisme, vous dites : “Mais aujourd’hui, l’enjeu, c’est le développement mondial du socialisme. des formes socialisées de production et d’échange”. C’est une partie des enjeux. Un enjeu majeur est aussi l’effondrement des sociétés par les perturbations climatiques, les immigrations climatiques, effondrement qui esquisse guerres civiles, racisme et fascisme (mise en jeu des identités, pas un unique bouc émissaire). Et l’enjeu est aussi le renversement du système capitaliste comme “hydre financière” presque autonome comme un casino. Et une pacification des sociétés par un progrès social commun nouveau, face à un état social actuel totalement pourri, inégalitaire, sans projet ni promesse. La “production” et “l’échange” doivent être réduits au nécessaire et au supportable pour la Terre ! J’entends souvent des communistes qui ont une vision un peu scientiste de votre premier enjeu, et donc un déni des autres que j’ai cité. Cordialement.