Histoire et société

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La Suède dans l’OTAN, quelles conséquences pour la stratégie navale en Baltique ?

Donner la parole directement à ceux qui soutiennent l’expansion de l’OTAN est plus “parlant” que d’écouter les mises en garde de certains pacifistes qui dénoncent l’escalade sans mesurer qui en est responsable. Ici l’interview par un site de l’armée française de Lars Wedin, Capitaine de vaisseau (R) de la marine suédoise, ancien rédacteur du Tidskrift i Sjöväsendet (TiS) de l’Académie royale des sciences navales et membre associé à titre d’étranger de l’Académie de marine française. Il a notamment travaillé comme conseiller militaire auprès la délégation suédoise de l’OSCE, auprès du Ministère suédois des affaires étrangères, comme chef du bureau stratégique dans l’Etat-major de l’Union Européenne et comme directeur du Service Historique des Armées suédoises. Notez sa participation à l’OSCE dont les séparatistes russes ont dénoncé le rôle d’espion livrant leurs positions aux régiments type Azov, alors qu’ils étaient censés représenter un organisme de sécurité indépendant. Ce qu’il nous décrit est la manière dont la Suède est depuis de nombreuses années aux côtés de l’OTAN dans l’encerclement de la Russie. Il y a dans ce qui fut un bastion de la neutralité social-démocrate désormais des forces qui mènent une véritable croisade et exigent toujours plus de moyens. Lars Wedin le dit clairement: la seule chose qui freine le surarmement avec le prétexte tout trouvé de l’Ukraine c’est “la crise économique” et ce que les mécontents feront aux élections. En filigrane, on voit monter une fascisation dans laquelle le prétexte turc recouvre en fait la montée d’une extrême-droite avec une jeunesse de plus en plus militarisée, le conflit avec la Turquie sert de prétexte à une extrême-droite radicalisée. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

3 février 202311 238 vues10 mn de lecture

Comment voyez-vous la situation géostratégique de la région nordique après l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN ?

Lars Wedin : La zone nordique et baltique apparaît comme un ensemble géopolitique entouré de mers : la mer de Barents, la mer de Norvège, la mer du Nord et la mer Baltique. Une stratégie maritime, dans le sens de Corbett, serait donc naturelle. Il convient toutefois de distinguer trois sous-domaines.

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calotte nord, mer de Barents

La zone la plus septentrionale est la calotte nord avec la mer de Barents et la mer de Norvège. Stratégiquement, elle est liée à plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’Arctique, avec la navigation et l’extraction d’autres ressources, devient de plus en plus important à mesure que la glace polaire fond. Deuxièmement, c’est le « bastion » où la Russie a basé ses sous-marins nucléaires stratégiques. Troisièmement, et c’est peut-être le plus important, la mer de Barents et la mer de Norvège sont la voie d’accès à l’Atlantique pour les forces navales russes.

Région De La Mer Baltique Carte Politique Vecteurs libres de droits et ...
zone de la mer Baltique

D’un point de vue stratégique, la zone de la mer Baltique commence dans la mer du Nord et s’étend, via les débouchés de Baltique, dans la mer Baltique proprement dite, y compris la mer de Botnie. Tous les États de la région nordique et baltique dépendent de cette voie de communication. Il y a deux aspects principaux à cela : premièrement, la navigation marchande vitale et, deuxièmement, la capacité de l’OTAN à renforcer les États de la région en cas d’agression russe. Göteborg est le plus grand port de Suède et de Norvège, mais d’autres ports suédois importants sont Stockholm (Norvik), Gävle et Luleå. Pour la Finlande, les États baltes et la Pologne, le transport maritime via la région de la mer Baltique est vital.

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Kalingrad et la longue frontière avec la Russie

La troisième zone est la longue frontière avec la Russie, de la calotte Nord à Kaliningrad – avec une séparation pour le golfe de Finlande. En termes de stratégie continentale, la Pologne et l’Allemagne peuvent être considérées comme appartenant à l’Europe centrale. Si l’OTAN commande la mer Baltique, il sera possible de faire changer la direction principale militaire selon les circonstances.

L’ensemble de la zone est lié de plusieurs façons. La plus évidente est la communication par voie maritime et aérienne. Pour la Russie, il est manifestement important de pouvoir relier les bases du nord à Saint-Pétersbourg et à Kaliningrad. Les trois navires de débarquement qui ont visité la mer Baltique en route vers la mer Noire juste avant le déclenchement de la guerre le 24 février en sont la preuve. Mais en temps de guerre et de crise, il est également important que la Russie puisse déployer des sous-marins de la flotte du Nord contre nos lignes de communication en mer du Nord, dans la mer Baltique et ses débouchés. Les armes de longue portée sont un autre facteur d’unification. Une corvette avec des missiles Kalibr peut frapper Stockholm depuis la mer Blanche !

Lars Wedin

Stratégie des moyens en France : le milieu du gué ?

L’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN change le rapport de force en Baltique. Que peut-on dire de l’activité navale et aérienne russe dans cette région ces derniers mois ?

L’activité de la marine russe se concentre sur les exercices et les croisières d’essai, comme par le passé. Les troupes de marine de la flotte de la Baltique sont déployées en Ukraine et ont probablement besoin d’être renouvelées. L’aviation russe fait des manœuvres agressives, surtout contre les États-Unis. Il faut souligner que la marine et l’armée de l’air suédoises surveillent les activités russes très étroitement.

L’île de Gotland est une position stratégique. Peut-elle constituer le cœur d’un « A2/AD à la suédoise » ?

Carte de Suède - Voyages - Cartes

Oui, ce serait possible et souhaitable. Gotland peut constituer le noyau d’une stratégie suédo-finlandaise d’A2/AD – c’est-à-dire que nous pouvons créer une zone d’interdiction autour de l’île et ainsi contrôler le nord et le centre de la mer Baltique, y compris l’espace aérien au-dessus. Cela peut se faire à l’aide de capacités de défense aérienne et navale à longue portée : le Patriot de l’armée de terre suédoise, les capacités de défense aérienne et navale de l’armée de l’air suédoise, les corvettes des marines suédoise et finlandaise équipées de missiles antiaériens et antisurface, les missiles côtiers terrestres et les torpilles à longue portée des sous-marins suédois. Coordonnés, ils fournissent une capacité de projection de force difficile à vaincre.

Une adhésion à l’OTAN implique le développement d’une interopérabilité sur de très nombreux plans. La Suède peut-elle y faire face rapidement ?

La Suède a, depuis des années 1990, développé l’interopérabilité avec l’OTAN et nos unités participent régulièrement à des exercices et opérations de l’OTAN. Pour la marine, les réglementations de l’OTAN sont généralement respectées. Les ordres et les rapports sont rédigés en anglais, même lors des exercices et des opérations nationales. De grandes parties de la documentation de l’OTAN, même au niveau secret, sont disponibles. Les forces armées ne disposent pas actuellement de la capacité de se connecter au réseau de commandement et de contrôle de l’OTAN ; il nous manque, évidemment, des clés de crypto. Mais cela va se résoudre avec notre adhésion.

Les officiers de la marine jouent souvent le rôle de commandants de forces navales dans le cadre des exercices. En outre, l’OTAN met particulièrement l’accent sur la participation des corvettes suédoises aux exercices « Trident Juncture » et « Baltops ». La marine a également un rôle clair dans la Joint Expeditionary Force dirigée par les Britanniques et notre expertise, notamment dans les aspects de l’environnement sous-marin, est très appréciée.

Pour l’armée de terre, les systèmes de commandement, etc. sont essentiellement nationaux. L’interopérabilité est relativement peu développée, sauf avec la Finlande. L’interopérabilité de l’armée de l’air reste une capacité clé et a déjà atteint un niveau très élevé. Cette situation sera encore améliorée avec l’adhésion à l’OTAN. Des exercices conjoints très fréquents ont lieu dans la région de la mer Baltique avec toutes sortes d’acteurs, ainsi qu’avec la Bomber Task Force (B-1 et B-52 américains) qui opère au-dessus de la Scandinavie. La guerre de 2022 en Ukraine a renforcé les liens entre la Suède, la Finlande et l’AIRCOM de l’OTAN en matière de défense aérienne européenne.

Depuis 2014, la Suède a changé de posture : après avoir largement réduit ses forces après la guerre froide, elle cherche maintenant à remonter en puissance. Comment envisagez-vous l’évolution de sa marine dans les 15 prochaines années ?

Pour la marine, la loi de programmation de 2020 prévoit des améliorations telles que la rénovation des corvettes – les deux types Gävle ont déjà été mises à niveau – et l’introduction des missiles défense aérienne et autres mises à niveau pour les corvettes type Visby. Deux nouvelles corvettes seront délivrées avant 2030 et deux autres plus tard. Mais il s’agira plutôt du remplacement des anciennes corvettes. Deux sous-marins, type Blekinge (A26), sont en chantier et deux sous-marins type Gotland sont rénovés. Un nouveau concept amphibie sera adopté, dans lequel l’efficacité contre les cibles maritimes et la mobilité sont clairement établies. Puis il y aura une refonte du système logistique et une modernisation générale des équipements existants. Avec la guerre d’Ukraine, tous les partis politiques sont tombés d’accord sur un renforcement au plus tôt de nos forces armées. On parle d’un cinquième sous-marin, mais tout est suspendu à cause des élections générales du 11 septembre et de la crise économique.

Quelle marine dans 15 ans ? Le plus important sera une conscience politique de l’importance de la mer en général : communications, énergie, ressources naturelles et nécessité de pouvoir protéger nos intérêts à la mer. Comme membre de l’OTAN et de l’UE, la Suède et sa marine – en coopération avec celles des pays alliés – devraient être en mesure de protéger les lignes de communication dès la mer du Nord, via les débouchés de la mer Baltique, jusqu’à la mer Baltique proprement dite. Il faut aussi être en mesure de sécuriser les chenaux de navigation dans les archipels et les grands ports. Il faut aussi pouvoir défendre des champs d’éoliennes ainsi que des câbles électriques et de données sur le fond de la mer. Avec les nouveaux missiles antiaériens, nos corvettes deviennent des maillons importants dans le système national de défense aérienne.

Mais il faut aussi être en mesure de contribuer à la sécurité maritime commune de l’UE – y compris dans des parages lointains. Aujourd’hui, la Suède possède deux flottilles de surface, une près de Stockholm et une dans le sud, à Karlskrona, chacune avec des corvettes et des bâtiments de guerre des mines. Il nous en faut une aussi dans l’ouest, mais avec des bâtiments plus costauds compte tenu des exigences de la mer du Nord. Il nous faut aussi neuf sous-marins – trois pour chaque façade. Il faut absolument, et avec priorité, faire développer des drones pour des missions aériennes, sur la surface et au-dessous.

Nous avons un personnel excellent, mais bien trop peu nombreux. Il va falloir du temps pour redresser ce problème, surtout que beaucoup d’officiers vont prendre leur retraite dans les années à venir. Le but sera d’avoir deux équipages pour chaque bâtiment opérationnel. Il faut aussi mentionner les deux autres armées. Pour l’armée de terre, il y a surtout deux types de matériel qui seront renforcés : défense aérienne et artillerie. Pour la première, il s’agit d’introduire les missiles Patriot et IRIS-T. Le nombre de canons Archer sera augmenté de 48 à 72. Les véhicules de combat seront rénovés, mais il n’y aura pas de systèmes nouveaux avant 2030.

Sinon, il s’agit principalement du renouvellement des équipements : camions, armes à feu, etc., acquis pendant la guerre froide. Les deux brigades existantes deviennent trois – sans équipements nouveaux. Le nombre de conscrits va augmenter. L’armée de l’air va remplacer de nombreux systèmes d’aéronefs. Le Grob 120 devient le nouvel avion d’entraînement. La première division de quatre JAS-39E sera déployée en 2026, et deux divisions de JAS-39 C/D seront modernisées et conservées jusque dans les années 2030. De nouveaux missiles antiaériens sont acquis, ainsi que des missiles de croisière et antisurface. Il y aura aussi de nouveaux systèmes de veille aérienne. L’armée de l’air a la responsabilité du domaine spatial et nous avons des collaborations avec les États-Unis et la France dans ce domaine. Nous voulons d’abord accroître la capacité Space Situational Awareness, puis la Space Domain Awareness.

L’opinion publique suédoise a beaucoup évolué dans son rapport à l’OTAN depuis le début de la guerre d’Ukraine. Ce soutien va-t-il perdurer ? Au-delà, se traduit-il en termes de recrutement et de soutien à une politique de défense plus volontariste ?

Il n’y a pas véritablement de dissonances quant à l’adhésion à l’OTAN. Le problème ici est la Turquie et ses exigences qui sont très controversées, et même non constitutionnelles. Mais il est vrai que les débats en vue des élections ne touchent guère à la défense. L’intérêt pour la conscription ou l’engagement dans la défense territoriale volontaire (« home guard »), ou toute autre organisation de défense volontaire, ne cesse de croître. Le nombre de candidats à la formation d’officier et de soldat reste élevé.

Plus largement, la Suède avait appuyé la mise en place du NORDEFCO (Nordic defence cooperation), qui avait joué un rôle de « pont » entre les pays neutres de la région et l’OTAN. A-t-il encore un avenir après l’adhésion à l’OTAN ?

La coopération nordique restera importante à l’avenir, tout comme d’autres initiatives régionales au sein de l’OTAN. Il faut en particulier souligner la très étroite coopération entre les marines finlandaise et suédoise. Peut-être y aura-t-il un nouveau commandement Arctique-Nord-Baltique. Dans ce cas, l’importance du NORDEFCO diminuerait probablement.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 2 septembre 2022.

Note

(1) Je tiens à remercier le vice-amiral Ewa Skoog Haslum, cheffe de la marine suédoise, et le capitaine de vaisseau Per Edling ainsi que le général de division Karlis Neretnieks (R) et le lieutenant-colonel (air) Carl Bergqvist pour leur soutien.

Légende de la photo en première page : Une corvette de classe Visby. Au-delà de leur modernisation, deux nouvelles corvettes d’un type nouveau seront reçues à terme. (© Forsvarmakten)

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