Nous sommes, et ce texte de COMAGUER nous confronte à la situation actuelle, à un moment où l’impérialisme prétend en finir avec les tabous générés par la deuxième guerre mondiale, le plus jamais ça avec la banalisation du nazisme, mais aussi de l’usage de la bombe. Faut-il abandonner “le tabou” ? Anders a l’immense mérite de lier la Shoah non seulement à Hiroshima, à Nagasaski, mais au bombardement de Dresde par les Américains, et donc d’attribuer à l’impérialisme ce qui lui revient en matière de crime contre l’humanité, seul le capitalisme, en particulier celui des USA a été et sera capable de tels actes, la démonstration demeure nécessaire. Quant à la limite du positionnement métaphysique de la bombe comme le mal absolu, ce marxiste athée qui n’a pas été élevé religieusement a donné selon moi une des meilleures définition de ce qu’est être juif : c’est s’assumer comme descendant d’une lignée qui a préféré tout subir plutôt que de renoncer à cette filiation, c’est par le biais de cette filiation assumer l’espèce au delà de toute forme sociale contingente. C’est sans doute la chose la plus difficile à faire comprendre à certains amis communistes, pourtant même après l’herem, la rupture totale avec la communauté juive, Spinoza refuse toute conversion. L’abandon de l’obscurantisme de la synagogue rend caduque toute affiliation et revendique la liberté “métaphysique”, mais qui est aussi un pas vers le rôle des masses et la citoyenneté. Et le positionnement d’Anders qui érige un tabou, comparable au refus d’une partie du Japon, n’est pas sans mérite, on la retrouve chez Einstein, Edgard Morin aujourd’hui, même et surtout si nous sommes dans le temps de la rupture des tabous de la IIe guerre mondiale. C’est pourquoi COMAGUER est partiellement injuste envers lui, même s’il a raison dans son texte de souligner que l’URSS et Staline vont en tirer une analyse politique et qu’aujourd’hui où les Etats-Unis, notre gouvernement français prétendent nous entraîner vers cet apocalypse, il est indispensable d’insister sur la matérialité de la situation, et celle des choix politiques. (note de Danielle Bleitrach, pour histoireetsociete)
Après avoir soutenu sa thèse avec Husserl, Günther Anders a participé au séminaire de Heidegger dans les années 30, été marié pendant dix ans avec une autre élève de Heidegger beaucoup plus célèbre que lui : Hannah Arendt mais sa vie et sa réflexion philosophique ont été marquées par un évènement majeur du XX° siècle : les bombardements atomiques d’Hiroshima 6 août 1945 et Nagasaki 9 août 1945. Il a alors 43 ans.
Pour lui, juif allemand, il s’appelle Günther Stern et il est le fils d’un psychologue renommé, Anders est un nom de plume qu’il a utilisé tardivement. Fuyant le nazisme il est d’abord exilé en France puis aux Etats-Unis et il revient après guerre s’installer en Autriche.
La seconde guerre mondiale qui a vu se produire avec les camps d’extermination nazis et les 2 bombardements atomiques sur la Japon deux moments où les fabrications de l’espèce humaine ont d’abord été selon sa propre expression des moments de « stupeur » qu’il n’a d’ailleurs pas relié immédiatement mais qui rassemblés obscurcissent selon lui l’avenir de l’espèce humaine, moments où la technologie : soit sous la forme du bombardement atomique soit sous celle de l’extermination raciale de masse industrialisée dépasse la raison humaine. A ce titre Eichmann se présente au cours de son procès comme un logisticien, un chef de service bien organisé et performant, donc un humain aliéné par le nazisme.
La première stupeur est celle provoquée par les deux bombardements atomiques et il accorde beaucoup d’importance au second bombardement, celui de Nagasaki, moins médiatisé que le premier car il souligne que par cette décision les Etats-Unis voulaient non pas vaincre le Japon déjà écrasé sous les bombes classiques depuis le printemps 45 et prêt à capituler mais à démontrer qu’ils maitrisaient les deux filières de production de la bombe : celle à l’uranium et celle au plutonium.
Mais ce sur quoi à aucun moment Anders ne s’arrêtera c’est sur l’aspect politique de cette décision alors que cette démonstration de puissance terrifiante s’adresse très précisément à l’Union Soviétique pour lui signifier que l’alliance antinazie était passagère et laissait la place à l’affrontement entre deux systèmes politiques inconciliables. La guerre dite froide a commencé dans l’énorme « bûcher » de 200 000 civils japonais.
Submergé par l’émotion devant cet acte horrible Anders stupéfait et silencieux va quand il se met à écrire sur le sujet à partir de 1950 tout en se rendant au Japon pour rencontrer les survivants, se réfugier dans la métaphysique, les rapports du bien et du mal et considérer que l’arme atomique est le mal absolu qui interdit tout dépassement et clôt l’histoire humaine. Il refuse toute lecture politique de la situation créée par les deux bombardements.
Or cette lecture politique a été faite immédiatement à Moscou et dés le mois de Juillet 1945 à la suite d’une réunion des vainqueurs à Potsdam au cours de laquelle Truman a glissé dans le tuyau de l’oreille à Staline que les Etats-Unis possédaient désormais « l’arme absolue ».
Staline qui n’est pas un métaphysicien mais un marxise matérialiste en tire aussitôt la conclusion que l’URSS doit se doter au plus vite de la bombe A pour ne pas être menacée, voire disparaitre. Analyse d’autant plus pertinente qu’entre Août 45 et le premier essai soviétique réussi en 1949 les programmes de bombardement atomique massif de l’URSS ont fleuri chez les stratèges étasuniens et ont été rendus publics ce qui démontre le recours à une technique psychologique de sidération de l’adversaire appliquée continûment par la puissance hégémonique.
A partir de cette date de 1949 les Etats-Unis n’abandonnent pas leur volonté de domination mais l’alimentent sans discontinuer tant par l’augmentation considérable de la capacité de destruction de chaque bombe – passage à la bombe H – que par la sophistication des trois types de vecteurs pour la transporter : bombardier, missile aérien ou missile lancé depuis un sous marin à propulsion nucléaire que par la multiplication du nombre de chacun d’entre eux.
Pour qui observe cette course haletante de plus d’un demi-siècle où à aucun moment les Etats-Unis n’ont été en capacité d’avoir un avantage décisif sur l’URSS et donc n’ont pas pu oser sur l’adversaire la première frappe décisive interdisant toute riposte qui constitue encore aujourd’hui le cœur de leur stratégie, il est impossible de dire comme l’écrit Anders que la perspective de la fin du monde n’a pas fait l’objet de la part de l’URSS et à sa suite de la Russie d’une opposition rationnelle, décidée, opiniâtre et au total gagnante.
Cette opposition a réfuté la vision tragique d’Anders d’une humanité arrivée en fin de vie et candidate au suicide. De fait ceux chez qui l’émotion et la peur conduisaient à attendre pour une date de plus en plus rapprochée l’auto exécution de l’humanité, la fin des temps, l’apocalypse ou Armageddon en ont été pour leurs frais. La fameuse horloge de la Fédération des scientifiques des Etats-Unis (FAS) approchant du minuit fatidique de la mort collective s’est trouvée être un épouvantail facile à brandir mais qui n’a jamais freiné les investissements massifs de leur propre pays pour tenter de gagner la course à la bombe et au vecteur nucléaire invincible qui n’était en fait que l’expression militaire de la domination impérialiste totale après la défaite du Japon et de l’Allemagne et la soumission des puissances coloniales affaiblies France et Royaume Uni, la France ayant été simplement un peu plus longtemps récalcitrante.
Le philosophe français Jean-Pierre Dupuy qui a consacré en logicien un livre à analyser les raisonnements des stratèges US pour justifier de nouveaux développements techniques qui assureraient la victoire grâce à une première frappe définitive écrasant l’adversaire n’a pu conclure qu’à l’inanité de ces raisonnements, marqués par des impasses logiques se succédant les unes aux autres. Il en conclut et c’est à la fois la conclusion et le titre de son livre « La guerre qui ne peut pas avoir lieu. Essai de métaphysique nucléaire » 2019 – Desclée de Brouwer. Or c’est exactement à la même conclusion que sont arrivés par d’autres voies dans une déclaration commune publiée le 3 Janvier 2023 cinq personnages détenteurs du pouvoir du crime de meurtre de masse à savoir par ordre décroissant de l’ampleur de ce pouvoir : Vladimir Poutine, Jo Biden, Xi Jinping, Emmanuel Macron et Boris Johnson. La version française de cette déclaration est lisible sur le site de l’Elysée.
Cette conclusion tardive et métaphysique n’a évidemment pas entamé la marche en avant de la machine militaro-industrielle et les présidents ont suivi bon gré mal gré le mouvement. Matériellement et dialectiquement ce qui a rendu la guerre atomique impossible c’est uniquement la possibilité sans cesse maintenue d’une riposte soviétique, possibilité actée de temps en temps par un traité qui ralentissait temporairement l’énorme machine militaro industrielle dédiée qui inclut désormais non seulement l’industrie nucléaire stricto sensu mais l’aéronautique, l’astronautique (missiles) la construction navale (les sous marins), et l’ensemble des techniques de guidage et de télécommunication. Le premier traité portant sur l’interdiction des essais nucléaires remonte à 1963. Il n’est pas signé par la France et par la Chine qui ont alors des programmes d’essais en cours. D’autres suivront jusqu’à ce que GW Bush d’abord et Trump ensuite suspendent leur application ou refusent de les renouveler au point que ne reste en vigueur et seulement jusqu’en 2026 que le traité Start II. La Russie a aujourd’hui de bonnes raisons de s’inquiéter de l’impossibilité actuelle de retrouver la voie d’un dialogue rationnel dont elle a l’expérience et la maitrise.
Pourquoi donc en septembre 2022 trente ans après la mort du philosophe les Presses universitaires de France ont-elles publié un petit livre attribué à Günther Anders et intitulé DIX THÈSES SUR TCHERNOBYL ?
Première observation ce retard à la traduction et à la publication des œuvres de Günther Anders a été permanent et à part un petit livre consacré à un échange de correspondance avec le commandant d’un des avions étasuniens qui assuraient la couverture météo des deux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki (les bombes n’étaient pas guidées donc il fallait que les pilotes des bombardiers voient la cible avant de lâcher la bombe) publié en 1962 tous ses autres livres ont été publiés en français longtemps après sa mort.
Pour s’en tenir aux ouvrages portant sur la question de la fin de l’humanité car Anders qui n’a pas commencé à écrire à 50 ans a beaucoup écrit par ailleurs : sur Kant, sur Heidegger, sur Brecht, sur Rodin et d’autres et une partie de ses œuvres conservée aux archives nationales n’est pas encore accessible au public. Retenons que les deux tomes de son principal ouvrage sur « l’obsolescence de l’homme » publiés en France en 2002 et 2011 ont été publiés en Allemagne en 1956 et 1959, le livre « Hiroshima est partout » publié en 2008 rassemble plusieurs textes publiés en 1958, 1961 et 1964 et regroupés dans un volume unique « Hiroshima ist überall » publié en 1982.
« Nous fils d’Eichmann » où il interroge le fils d’Eichmann et à travers lui la jeunesse allemande d’après guerre en lui demandant comment peut-on vivre avec un père pareil est publié en 1988 en Allemagne et en France en 2003. Il semble ignorer le fait que la jeunesse allemande s’est largement mobilisée contre l’arme atomique dans les années 80 au moment où le face à face des missiles soviétiques SS20 et des missiles Pershing étasuniens déployés en Europe faisait craindre que la guerre atomique ait lieu sur le sol de l’Allemagne divisée.
Quant aux « dix thèses sur Tchernobyl » elles sont publiées en 1986 peu après la catastrophe, Anders a 84 ans, et pour certaines d’entre elles écrites bien avant. Elles reprennent les positions du philosophe sur la fin probable d’une l’humanité dépassée par les techniques qu’elle a elle-même développées. Il rassemble dans ses thèses en un seul ensemble ses critiques de l’arme atomique, l’Holocauste et plus tardivement l’énergie nucléaire puisque les premiers accidents mineurs survenus dans des centrales nucléaires à Windscale (Angleterre) et Wacksdorf (Allemagne) et plus grave à Three Mile Island (Etats-Unis) ne suscitent pas de réactions chez lui pas plus d’ailleurs que d’autres catastrophes industrielles non nucléaires comme celle de Bhopal en Inde. Il commet donc l’erreur épistémologique de ranger dans la même catégorie un bombardement délibéré et un accident industriel mais en cela il est à l’unisson des divers mouvements antinucléaires existants et il ignore le fait que la sécurité industrielle a un coût et que la loi du profit capitaliste impose de réduire ce type de coût, l’accident éventuel ne faisant des victimes que chez les prolétaires et pas chez les actionnaires. Certes la centrale de Tchernobyl était installée dans la République socialiste d’Ukraine mais le pourrissement extrêmement rapide de ce régime dès l’indépendance sans changement de l’équipe dirigeante démontre que l’Ukraine en 1985 n’avait déjà plus rien de socialiste.
Se pose donc la question de republier ces dites thèses en septembre 2022 chez un éditeur académique qui n’est pas marginal. Première observation : dans ce livre de petit format qui compte 103 pages, bibliographie comprise, les thèses elles-mêmes tiennent sur 14 pages. Dans ce livre de « Gunther Anders » comme il est écrit sur la couverture, 89 pages soit 85% du texte ne sont pas de lui et pour cause Anders est mort depuis 30 ans. L’auteur du livre s’appelle Bruno Villalba que la 4° de couverture nous présente comme professeur de science politique à AgroParisTech école de l’université de Paris Saclay. Sur la page d’accueil internet de présentation de cette école s’inscrit en gras la devise suivante :
« Aux cordées de la réussite, la jeunesse aide la jeunesse, et nous sommes les facilitateurs de ces rencontres »
ce qui démontre qu’on y parle couramment le macron, la langue amphigourique du marketing idéologique, superstructure langagière du mépris de classe, seule réalité ruisselante et à gros bouillons du macronisme. La carrière du professeur Villalba est peu documentée sur Internet et ses livres et publications portent sur les questions écologiques autour de problématiques très actuelles : développement durable, transition énergétique. Bruno Villalba a donc écrit la présentation (pages 7 à 23) qui sans être exhaustive contient les principaux éléments de la biographie de Günter Anders et le corps de l’ouvrage (pages 41 à 98) qui constitue son commentaire des 10 thèses.
Présentation des thèses
La première rédigée ne 1957 s’intitule « l’invisibilité du danger ». Relue par notre professeur de science politique qui semble ignorer la déclaration historique du 3 Janvier 2022 ce qui est bien fâcheux et presque un an après le début du conflit en Ukraine alors que la propagande occidentale n’arrête pas de hurler à la menace nucléaire russe vient vraiment à contre emploi.
La seconde présente les critiques radicaux de l’arme atomique et au premier chef Anders lui-même qui en est un porte-parole très actif comme des « semeurs de panique ». Là encore les semeurs de panique ne sont pas une minorité héroïque proclamant les dangers des armes atomiques mais les médias de masse occidentaux qui agitent depuis le 24 février 2022 le spectre d’un recours de la Russie à l’arme atomique mais qui sont très discrets sur l’arrivée aux frontières de la Russie des bombes étasuniennes de dernière génération dans plusieurs pays de l’Union européenne : Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie et probablement maintenant en Pologne et en Roumanie, sans oublier leur présence à l’autre extrémité de la Russie au Japon et en Corée.
Dans la thèse 3 « se moquer de l’adjectif émotionnel c’est faire preuve de froideur et de bêtise » Anders s’en prend à ceux qui l’ont accusé d’être profondément ému par l’horreur des bombardements atomiques, émotion sincère qu’il a ressentie pendant ses visites à Hiroshima et Nagasaki. Est-ce faire preuve de bêtise que de considérer que la réaction soviétique a été de transformer cette émotion en réaction politique concrète de blocage de toute réitération possible des deux bombardements sur le Japon ? Mais Anders s’est refusé à tout raisonnement politique et s’est figé sur sa position idéaliste : l’atome c’est le mal absolu, les deux bombes ont obstrué l’avenir de l’espèce.
La thèse 4 : « distinguer un usage guerrier et un usage pacifique de l’énergie nucléaire est fou et mensonger » est écrite après Tchernobyl premier accident avant Fukushima classé au niveau 5 le plus élevé dans le classement mis au point par l’AIEA et généralement admis, mais ne pas distinguer un acte de guerre délibéré visant tuer 100 000 civils ennemis en un quart de seconde d’un accident industriel dans une activité de très haut niveau technologique est une faute de raisonnement : le risque industriel zéro n’existe pas, le réduire le plus possible est un effort collectif considérable orchestrant des organes scientifiques normatifs à tous les niveaux international et national, des comités d’éthique, des organes de contrôle, des débats parlementaires, des réglementations et doit descendre au plus près de la base industrielle à travers les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il reste que la loi du profit entrave en permanence ces mécanismes complexes et quelquefois les annihile permettant la fabrication et la mise sur le marché de produits dangereux ou le recours à des procédés de fabrication dangereux. A lire Anders on a dans l’oreille la phrase phare du film d’Alain Resnais « Tu n’as rien vu à Hiroshima ! ».
La thèse 5 est intitulée « l’aide impossible ». Elle n’est pas plus raisonnée que les précédentes. Dans le cas de la bombe la mort est instantanée à l’épicentre de l’explosion mais des personnes éloignées de l’épicentre et irradiées ont pu être soignées et certaines ont survécu longtemps. L’apocalypse d’Anders suppose un tapis de bombe H détruisant toute vie sur des centaines ou des milliers de km2. Dans le cas des accidents nucléaires il peut y avoir des victimes immédiates ou quasi immédiates comme le cas des équipes de secours soviétiques qui sont quasiment mortes à la tâche en intervenant pour arrêter la centrale en feu mais des populations irradiées à une certaine distance ont pu être soignées. Souvenons-nous des enfants de Tchernobyl envoyés et soignés à Cuba.
La thèse 6 : « nous ne sommes pas des briseurs de machines ». Critiqué par un militant syndical, Anders répond qu’il n’est pas opposé au machinisme comme les luddistes du XIX° siècle mais à la production d’électricité par des centrales nucléaires, mais son raisonnement s’arrête là puisqu’il n’entre pas dans un débat qui était alors balbutiant sur les énergies de remplacement.
La thèse 7 « L’industrie nucléaire est la réponse au pétrole ». Une analyse sommaire basée au mieux sur la presse de l’époque où on peut lire sans chercher beaucoup loin le nucléaire venant se substituer au pétrole dont on annonçait le prochain épuisement des réserves. Le pays du monde le plus vorace en énergie est celui qui exploite le plus grand nombre de centrales nucléaires du monde et qui en même temps depuis l’extraction du pétrole de schiste se retrouve bon an mal an premier ou parmi les 3 premiers producteurs de pétrole au monde.
La thèse 8 « Révolution » prenant argument de l’étymologie latine « revolvere » veut dire retourner en arrière Anders affirme qu’il faut faire rétrograder le nucléaire et sauvegarder donc « conserver » l’humanité. Ce faisant il brouille les pistes, mélange les concepts en cherchant à se justifier.
La thèse 9 s’intitule « Notre prétendue paix est une guerre » et Anders y redécouvre non pas Clausewitz mais par antiphrase le fait que « la paix actuelle est la continuation de la guerre par d’autres moyens ». Il ne fait qu’observer qu’au moment où il écrit, la paix impérialiste aux Etats-Unis et en Europe n’empêche aucune guerre ailleurs en Palestine au Liban au Vietnam ni aucun massacre de masse comme celui des communistes indonésiens.
La thèse 10 s’intitule « ce dont il est vraiment question » et il appelle à l’action dans l’intérêt des hommes d’aujourd’hui et de ceux de demain, on ne doit plus donner d’ordre comme celui à cause duquel on a causé Hiroshima et Nagasaki il y a quarante ans, très bien. Mais il exonère le « naïf Truman » de toute responsabilité et charge ceux qui ont construit Tchernobyl. Le philosophe devient politiquement aveugle. Que Truman n’ait pas été un président de grande envergure a été reconnu mais laisser croire qu’il a été autre chose que l’expression de la toute puissance impérialiste à son acmé c’est reconnaitre implicitement que l’éclair d’Hiroshima a fait perdre la vue à Günter Anders.
Quel peut être l’intérêt d‘exhumer en 2022 ces textes et de laisser croire aux lecteurs et clients potentiels qu’ils y trouveront un aliment substantiel pour leur réflexion, en ignorant que les Etats eux-mêmes ont avancé dans leur réflexion avec le Traité de non prolifération des armes nucléaires qui encadre le nucléaire civil mais ne l’interdit pas, organise l’étanchéité entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil et ensuite le récent traité d’interdiction des armes nucléaires qui officialise le refus de l’arme atomique par la très grande majorité des Etats.
Le commentaire de Bruno Villalba
Voyons si la réponse ne se trouverait pas dans les 40 pages de commentaire de Bruno Villalba ?
D’emblée l’auteur du livre se situe dans la lignée du philosophe et d’un philosophe idéaliste et moralisant. Il explique et d’une certaine façon défend la radicalité d’Anders par rapport à celle d’autres intellectuels comme Jaspers, Hannah Arendt elle-même, Raymond Aron, Jacques Ellul ayant dans les années 50-60 réfléchi et écrit sur l’arme atomique. Plus près de nous il mentionne le livre de Jean-Pierre Dupuy dont la conclusion intéressante n’est qu’une démonstration de l’aporie philosophique de la théorie de la dissuasion.
Mais il ignore délibérément l’histoire concrète de l’arme atomique telle qu’elle a été écrite et continue à l’être par les puissances que la détiennent comme celle des traités signés à son sujet et leur mise en œuvre (inspections, instauration de l’AIEA…). La véritable intention du livre se révèle dans sa dernière page :
[Günther Anders] le philosophe de circonstance : [il] est imprégné de la profonde responsabilité de l’homo faber et son impossibilité à échapper à l’héritage de l’atome. Il est le penseur de la technique à l’époque des camps et de !a guerre froide.
On peut aussi critiquer son pessimisme (« le sinistre Anders ») et sa radicalité. Mais la crise ukrainienne montre que nul ne peut écarter le risque d’escalade jusqu’à l’extrême, c’est-à-dire une guerre nucléaire, ciblant prioritairement les centrales nucléaires. Face à cette situation, l’intention et les engagements d’Anders sont loin d’un quelconque renoncement au monde : au contraire, elles expriment une résistance constante face au « décalage », afin de reconquérir l’autonomie de l’homme. Il est bien conscient de la fragilité de notre place dans le monde, mais au nom de cette dignité, il faut se battre : « ce qui nous attend, c’est donc une incertitude infinie. Notre tâche infinie consistera à faire au moins en sorte que cette incertitude ne prenne jamais fin » Car si cela prenait fin, « nous n’aurions finalement jamais existé ».
(Thèse 10).
- Günther Anders, La Menace nucléaire, op. cit., p. 114.
Chacun a pu constater que la bombe et les centrales nucléaires et leur potentiel de sidération psychologique ont été puissamment réintroduits dans la fabrication de l’opinion publique occidentale depuis le 24 Février 2022 avec un unilatéralisme de circonstance.
Passer sous silence le fait fondamental que les armes nucléaires des Etats-Unis sont beaucoup plus proches du territoire russe que les armes russes sont proches de celui Etats-Unis puisqu’elles ne sont déployées que sur le sol russe à l’exception de celles embarquées sur les sous-marins est la première manifestation de la vision unilatérale impériale mais elle est constante.
Ce qui est propre à la situation de 2022 et ignoré du professeur Villalba c’est :
- l’oblitération de la déclaration publique de Zelenski à Munich le 19 février devant la vice présidente des Etats-Unis et les représentants des autres puissances européennes de l’OTAN annonçant que l’Ukraine allait devoir se doter de l’arme nucléaire.
- l’envoi dès le 25-26 février de troupes russes depuis le territoire très proche du Belarus à Tchernobyl où la centrale ne fonctionne plus mais où des « recherches » sont poursuivies dans un périmètre interdit. Ces troupes après avoir neutralisé les forces de sécurité ukrainiennes sur place sont reparties 3 jours après.
- l’envoi de troupes russes à la centrale nucléaire d’Energodar, dite centrale de Zaporojie qui y sont restées depuis et dont la direction est maintenant assurée par un cadre russe de Rosatom de très haut niveau.
- l’AIEA ne peut rien ignorer de ce qui se passait dans ses deux sites nucléaires ukrainiens d’abord parce que l’Ukraine étant membre de l’AIEA devait lui laisser par principe le libre accès à ses installations mais surtout puisque la Russie qui en est aussi membre a pu lui communiquer après le 24 février l’état de ses découvertes sur place concernant en particulier les stocks de matière fissile et leur usage possible à des fins militaires. La Russie a d’ailleurs laissé l’AIEA installer sur place à demeure à Energodar des inspecteurs internationaux qui sont donc à même de juger si la Russie serait assez stupide et criminelle pour faire de l’énorme centrale un deuxième Tchernobyl.
Toutes ces informations non secrètes sont ignorées par le professeur Villalba qui participe avec la modération policée de l’universitaire à l’opération de russophobie orchestrée par l’OTAN et dans laquelle la Macronie excelle. Il démontre dans son opération éditoriale « sous faux drapeau » que l’idéologie verte dont il est porteur est un idéalisme dangereux non respectueux des faits qui comme l’illustrent les verts allemands au gouvernement peut sombrer dans le bellicisme impérialiste le plus classique.
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