Le journal Marianne publie ce commentaire à propos d’un sondage réalisé sur la mémoire nationale française. Le clivage gauche droite à la fois subsiste et nous fait incontestablement résister aux séductions de la propagande hormis les verts qui eux visiblement sont “ailleurs” du côté de l’UE et de l’OTAN. Un sondage à bien des égards rassurant parce qu’il témoigne qu’il y a encore un espace dans lequel une politique de paix, de laïcité, de justice et de paix, autant que de souveraineté nationale est à cultiver. C’est l’hypothèse que nous avons toujours défendue ici en appelant à un renouveau du PCF (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Entretien
Propos recueillis par Etienne Campion
Publié le 18/11/2022 à 16:30
Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas et président du Conseil scientifique de la fondation Res Publica, analyse un sondage établi par l’institut Cluster 17 sur le rapport des Français à la mémoire nationale, l’Union européenne et la diplomatie du pays.
L’institut de sondage Cluster 17, en collaboration avec la fondation Res Publica, fait paraître une « Enquête sur le rapport des Français à l’Histoire, à l’Armée et à l’Europe », que Marianne relaie en exclusivité. Un sondage dont la notice technique passionnante, disponible ici, renseigne sur les clivages politiques des Français vis à vis de la mémoire, de leur rapport à l’Union européenne et à l’OTAN. Entretien avec Benjamin Morel, président du Conseil scientifique de Res Publica, qui a analysé les résultats du sondage dans une note disponible ici.
Pour découvrir le sondage Cluster 17.
Marianne : Ce sondage ne montre-t-il pas surtout à quel point la mémoire et le souvenir du passé sont marqués par les débats idéologiques du présent ?
Benjamin Morel : Absolument ! Les deux grands perdants dans l’approche historique développée par nos compatriotes sont le temps long et le roman national. Pour les Français, l’histoire semble commencer à la chute du mur de Berlin à 63 %. Trois sujets fortement ancrés dans l’actualité se trouvent également mis en avant ; l’abolition de l’esclavage (55 %), la loi de séparation de l’Église et de l’État (47 %) et la fin de la colonisation française en Afrique (30 %). Sans que cela soit une surprise, on assiste donc à une interprétation rétrospective de l’importance des évènements politiques eu égard à leur place dans les débats actuels. Deux évènements se détachent toutefois et semblent des marqueurs fondamentaux dans la perception de l’histoire par les Français : l’invention de l’écriture (51 %) et la Révolution française (54 %). Même si elle n’est pas citée parmi les premiers items, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est très présente parmi les sondés, notamment à travers les personnalités qu’ils disent préférer. C’est ainsi le cas de Gaulle, Jean Moulin ou Simone Veil.
Le général de Gaulle reste la personnalité préférée des Français avec 22 % des sondés. Il est toutefois talonné par Simone Veil, loin devant Jean Jaurès et Napoléon Bonaparte, tous deux à 9 %. Là aussi, on note l’importance de l’actualité dans la façon dont nous lisons le passé. La figure de Simone Veil est peu consensuelle chez les identitaires et les libéraux, mais marque moins un clivage politique que celle du général du Gaulle.
On note la persistance d’un clivage gauche-droite sur la mémoire. De là à dire qu’il y a une mémoire de gauche et une mémoire de droite ?
Il existe des mémoires de droite et de gauche. Le baptême de Clovis (12 %), le sacre de Napoléon (16 %), la chevauchée de Jeanne d’Arc (17 %) ne font guère recette dans la population générale. Néanmoins, il faut, sur ces sujets, noter une singularité de l’électorat zemmourien, qui les cite à respectivement 43 %, 38 % et 45 %. On retrouve cette tendance dans une moindre mesure dans l’électorat Pécresse et Le Pen. Là où l’électorat d’Éric Zemmour se distingue le plus, c’est toutefois sur la mémoire de la bataille de Poitiers, citée par 54 % contre 18 % de la population générale. De manière relativement étonnante, la figure de De Gaulle n’est pas si consensuelle et se rattache au même électorat issu de la droite. Le retour de De Gaulle et la Constitution de 1958 sont cités par 29 % des sondés parmi les évènements importants de l’histoire. Il l’est par 52 % de l’électorat Pécresse, 43 % de l’électorat Zemmour et uniquement 8 % de l’électorat Hidalgo.
Les évènements signifiants de l’histoire de la gauche ne sont guère plus cités que ceux revendiqués par la droite. La Commune de Paris et l’élection de François Mitterrand sont citées par 19 % des Français, Mai 68 par 28 %. Ce dernier évènement est évoqué par 55 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et 38 % de ceux de Fabien Roussel, il est moins structurant dans les électorats Jadot ou Hidalgo.
Même s’il s’agit d’un sujet qui traverse tous les électorats, on note une forte importance de la laïcité dans l’électorat de gauche. 80 % des électeurs d’Anne Hidalgo la citent, 65 % de ceux de Jean-Luc Mélenchon, 61 % de ceux de Fabien Roussel, 59 % de ceux de Yannick Jadot. Elle n’est au contraire mobilisée que par 43 % des électeurs de Valérie Pécresse et 27 % de ceux d’Éric Zemmour. À rebours de l’image d’un front renversé sur la laïcité, les électorats sont, en la matière, sujets à des orientations assez traditionnelles.
La mémoire de la gauche semble avoir tourné la page des années Mitterrand. L’ancien président n’est plus guère jugé comme la personnalité historique préférée que par une petite partie de l’électorat d’Anne Hidalgo (17 %), et s’y retrouve doublé par Léon Blum (18 %). Majoritairement, les électeurs de gauche lui préfèrent Jean Moulin et surtout Jean Jaurès. Ce dernier, plébiscité par 19 % des électeurs d’Anne Hidalgo à 23 % de ceux de Fabien Roussel, est celui qui semble représenter la figure la plus consensuelle dans ce camp politique.
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Les électeurs d’Emmanuel Macron semblent assez portés par les figures consensuelles, variantes mémorielles du « en même temps ». Ils plébiscitent de Gaulle et Simone Veil et leur opinion tranche peu avec celle de la moyenne des Français sur la plupart des sujets. La thématique de l’Europe les distingue toutefois. Ils sont 81 % à citer parmi les grands évènements de l’histoire la chute du mur de Berlin et 48 % le Traité de Rome. On retrouve des éléments similaires dans l’électorat EELV, qui se rattache en la matière bien plus au centre qu’à la gauche.
Il est intéressant de noter que les Français sont assez peu pour une intervention armée, dans une logique « va-t-en-guerre » et pour le maintien d’une singularité diplomatique française…
Une diplomatie indépendante est largement soutenue par l’opinion qui refuse notamment toute perspective de partage du siège français au Conseil de Sécurité avec l’Allemagne. Seuls 26 % des Français s’y déclarent favorables contre 61 % qui s’y opposent. 57 % des électeurs d’Emmanuel Macron ou de Jean-Luc Mélenchon s’y opposent, 68 % de ceux de Marine Le Pen. Seuls ceux qui ont voté Yannick Jadot lui accordent une majorité relative (45 % contre 38 % opposés).
Les rapports des Français à la guerre en Ukraine sont à la fois ambigus et très liés à leurs opinions politiques préalables. Une partie non négligeable de l’opinion est d’accord avec l’idée que nous devrions renforcer nos liens diplomatiques avec la Russie ; 43 % de favorables, contre 46 % de défavorables. On remarque toutefois sur ce sujet, comme sur celui de l’OTAN, une forte polarisation politique. Les groupes anti-Otan sont aussi les plus pro-dialogues (50 % des solidaires ; 64 % des identitaires ; 61 % des sociaux patriotes ; 75 % des électeurs d’Éric Zemmour ; 54 % de ceux de Marine Le Pen ; 48 % de ceux de Jean-Luc Mélenchon).
Au contraire, les groupes les plus atlantistes sont aussi les plus fermés à un renforcement des liens (72 % des centristes, 64 % des sociaux-démocrates ; 63 % des progressistes). Malgré ces divisions, l’engagement des troupes françaises en Ukraine est très majoritairement rejeté par les Français. 76 % des sondés s’y disent défavorables contre 18 % qui la soutiennent. Les électeurs d’Emmanuel Macron (25 %), d’Anne Hidalgo (27 %) et de Yannick Jadot (24 %) semblent les moins rétifs à une telle perspective. Ceux d’Éric Zemmour (92 %), Nicolas Dupont Aignan (87 %) et Jean-Luc Mélenchon (79 %) les plus opposés.
Qu’est-ce que ce sondage raconte du rapport à l’Otan et l’Union européenne ?
La sortie de l’Otan n’est envisagée que par 34 % des Français. 57 % s’y montrent défavorables. L’électorat zemmourien (66 %), mélenchoniste (53 %) et mariniste (48 % favorables contre 43 % opposés) soutient une sortie. Les électeurs de Yannick Jadot (89 %), Emmanuel Macron (88 %) et Anne Hidalgo (85 %), y semblent les plus opposés. On note en la matière donc bien un vrai clivage, assez stable et traditionnel, entre le centre et les électorats de droite et de gauche plus polarisé.
« Un nombre important de Français souhaiteraient donner moins de pouvoir à l’Union européenne. »
Les rapports des Français vis-à-vis de l’Union européenne sont assez ambivalents, alors que le dernier Eurobaromètre de l’hiver 2021-2022 indiquait qu’ils étaient parmi les plus défiants vis-à-vis de l’Union avec un taux de confiance de 32 %. Un nombre important de Français souhaiteraient donner moins de pouvoir à l’Union européenne (57 % contre 37 %). On retrouve sur ce sujet une forte polarisation. Ainsi, l’électorat de Marine Le Pen (à 80 %) veut donner moins de pouvoir à l’Union. Dans l’électorat Mélenchon, ce chiffre est de 61 %. Au contraire, 67 % des électeurs d’Emmanuel Macron refusent l’idée de reprendre du pouvoir à l’échelon européen. La mémoire européenne est également très clivante. Le Traité de Rome est cité comme un évènement important par 57 % des sociaux-démocrates et 59 % des centristes contre 1 % des Révoltés. À gauche par exemple, il est cité par 68 % des électeurs d’Anne Hidalgo contre 16 % de ceux de Jean-Luc Mélenchon. À droite, le sujet est structurant, bien que moins clivant : 35 % des électeurs Valérie Pécresse l’évoquent, contre 9 % de ceux d’Éric Zemmour.
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L’idée d’une défense européenne est en revanche majoritairement soutenue par les Français : 56 % sont favorables à l’idée d’une armée sous pavillon européen. S’il ne faut pas négliger le poids sur ce sujet de la guerre en Ukraine et du sentiment diffus d’une menace sur le continent, les chiffres n’en demeurent pas moins significatifs. C’est d’autant plus le cas que, à part dans les électorats de Nicolas Dupont-Aignan (54 % d’opposés) et d’Éric Zemmour (65 %), toutes les catégories électorales semblent majoritairement favorables à la proposition. Ces chiffres doivent néanmoins être pris avec précaution. Il n’est en effet pas certain que la notion d’armée européenne soit totalement univoque pour les répondants. Ainsi, 73 % des eurosceptiques sont favorables à la mesure, ce qui est pour le moins contre-intuitif, contre 52 % pour les multiculturalistes.
- Par Etienne Campion
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Robert Gil
a propos de l’union européenne :
https://www.youtube.com/watch?v=AYPOHC1_9TM&t=48s