Jean-Luc Picker qui a traduit pour histoire et societe ce texte considérable nous le présente ainsi : “CN a été attaqué par Newsguard, l’embryon d’une police de la pensée aux USA. La réponse préparée par son rédacteur en chef présente un double intérêt : 1/ elle montre comment se met en place le narratif officiel de l’empire et comment s’opère la mise au pas des médias dissidents. Derrière ces tentatives encore timides de censure de la liberté d’expression, pointe la fascisation en cours des régimes de la démocratie libérale. 2/ elle apporte un récapitulatif des principaux événements des dernières décades en Ukraine qui permet de mieux saisir la responsabilité première de l’impérialisme US dans la crise actuelle.
(1) pour ceux qui l’ignoreraient : Consortiumnews.com a été fondé en 1995 par le journaliste d’investigation Robert Parry en tant que premier magazine d’investigation sur Internet. Parry était surtout connu pour son rôle dans la couverture de l’affaire Iran-Contra pour l’Associated Press (AP) et Newsweek, y compris la dénonciation des opérations psychologiques dans la guérilla (manuel de la CIA fourni aux contras nicaraguayens) et l’implication de la CIA dans le trafic de cocaïne Contra aux États-Unis. un grand scandale en 1985.Après le décès de Robert Parry le 27 janvier 2018, le site a continué avec Joe Lauria comme rédacteur en chef. Le site considéré comme excellent dans ses informations est célèbre pour la participation de journalistes et écrivains de haut vol, y compris John Pilger, Alexander Mercouris, Ray McGovern, Gareth Porter, Max Blumenthal, Caitlin Johnstone et bien d’autres.
Newsguard accuse Consortium News et rejette sa réponse.
Réponse publiée par Joe Lauria le 16 octobre 2022 dans Consortium News
Le 3 juin, Consortium News a envoyé sa réponse aux allégations de Newsguard qui l’accusait de publier de fausses informations sur l’Ukraine. Newsguard, une organisation liée au Pentagone et au département d’état et qui compte un ex directeur de la NSA et de la CIA dans son comité de direction, a rejeté les arguments développés dans la réponse et a décerné une marque rouge à CN.
Newsguard, liée au gouvernement des Etats-Unis est une organisation qui cherche à imposer son narratif sur l’Ukraine et à discréditer les points de vue dissidents. Elle a décidé d’inspecter Consortium News. Newsguard accuse le site d’information créé en 1995 par le reporter Robert Parry d’avoir publié de « fausses informations » sur l’Ukraine. Elle désigne comme fausses information des faits essentiels qui ont été largement passés sous silence dans les grands médias : 1 / le coup d’état soutenu par les Etats-Unis en 2014 et 2 / le rôle significatif des groupements néo-nazis en Ukraine. La mission fondamentale de CN est de porter à l’attention du public ce type de faits essentiels mal couverts par les médias des grands groupes. Mais Newsguard considère ces faits comme des « mythes » et demande à CN de « corriger » ces « erreurs ».
A propos de Newsguard
Michel Hayden, ancien directeur de la CIA et de la NSA, en 2015 (Gage Skidmore, Flickr CC BY-SA 2.0)
Créée en 2018, Newsguard se veut être un outil de jugement de la crédibilité des journaux et sites d’information. En tant qu’organisation privée, elle peut s’affranchir des obligations que le 1er amendement impose à l’état (ndt : l’interdiction de limiter la liberté d’expression).
Pourtant, la page d’accueil de Newsguard fait état de son « partenariat » avec le département d’état et le Pentagone, ainsi que d’autres grandes entreprises telles que Microsoft. La nature de ces « partenariats » n’est pas précisée. On trouve également dans son comité de direction d’anciens hauts fonctionnaires tels que : le général Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et de la NSA ; Tom Ridge, le premier directeur de Homeland Securities (contre-espionnage intérieur) et Anders Fogh Rasmussen, ancien secrétaire général de l’OTAN. Newsguard explique que ses « conseillers ont seulement un rôle de conseil sur leurs sujets d’expertise et ne jouent aucun rôle dans le classement et l’attribution du Label ‘Nutritionnel’ lors de l’évaluation des sites, sauf si précisé différemment. Ils n’ont pas non plus de rôle dans la gestion ou la gouvernance de l’organisation ».
L’organisation est dirigée en tandem par l’ex-éditeur du Wall Street Journal, Louis Gordon, et Steven Brill qui publiait dans les années 90 le Brill’s Content, un magazine qui se voulait outil de surveillance de la presse et qui mettait en question le rôle des médias comme juges de l’action gouvernementale.
Newsguard est donc une organisation affiliée au gouvernement qui juge des médias totalement indépendants du gouvernement ou des multinationales tels que CN.
Après avoir évalué un média, Newsguard lui attribue un label vert ou rouge. Fox News et d’autres grands médias, par exemple ont reçu un label vert. Les internautes qui ont installé Newsguard sur leur browser verront apparaitre les labels attribués aux sites évalués sous la forme d’une marque rouge ou verte sur les résultats de leur moteur de recherche que ce soit en utilisant les réseaux sociaux ou Google search. Les internautes qui n’en disposent pas par défaut sur leur browser Microsoft, peuvent l’acquérir pour 4.95 dollars, livres sterling ou Euros.
Si l’on en croit Newsguard, des bibliothèques aux Etats-Unis et au Royaume-Uni l’ont fait installer sur leurs ordinateurs, et il serait en cours d’installation pour tous les militaires d’active dans l’armée US. En janvier 2019, Slate révélait que Newsguard « a signé un accord avec Microsoft pour incorporer ses labels directement dans leur brower Edge avec activation optionnelle. C’est ainsi que le Guardian a pu constater que Mail Online avait été tagué en rouge par Newsguard avec un score de 3 sur 9 et l’avertissement suivant : ‘A consulter avec prudence. Ce site ne répond pas aux standards de base en matière d’exactitude et de responsabilité’. Les utilisateurs de Microsoft Edge ayant activé la fonction ‘évaluation des informations’, voyaient cet avertissement apparaître sur tous les liens conduisant vers Mail Online, que ce soit sur Google search, Facebook, Twitter et jusque sur sa page d’accueil »
Le Pentagone est un des partenaires de Newsguard (Joe Lauria)
Comment Newsguard a contacté Consortium News
Le premier contact avec CN a été pris par Zachary Fishman, analyste chez Newsguard. Dans sa demande initiale pour interviewer un responsable de CN, il affirme catégoriquement que CN a publié de « fausses informations » et que l’interview sera versé au dossier. « J’aimerais parler à quelqu’un qui serait en mesure de répondre à mes questions concernant la structure de l’organisation et ses processus éditoriaux – particulièrement en termes de propriété, de processus de correction et de publication de fausses nouvelles » écrit-il dans son e-mail.
En tant qu’éditeur en Chef, je l’ai informé que notre fondateur (ndt : Robert Parry, qui mis en lumière le scandale Iran-Contra), nos éditeurs et contributeurs sont tous des journalistes venant de médias largement respectés. Je lui ai dit que, après avoir participé à des milliers d’entretiens journalistiques au cours de pratiquement un demi-siècle, je n’avais jamais rencontré de situations où, d’entrée de jeu, l’on accusait la personne que l’on cherche à interviewer de conduite frauduleuse en lui imposant que l’interview soit enregistré. Il est d’usage que les conditions de l’interview soient déterminées par l’interviewé lui-même.
Dans sa réponse mail, Fishman s’en est excusé en disant que sa conviction n’était pas encore faite à propos de CN : « je vous prie de m’excuser si la tournure de mon e-mail insinuait que j’avais décidé à priori de la question de savoir si votre site publie de fausses nouvelles. Il n’en est rien et soyez certain que je suis intéressé par vos réponses ».
Le profil LinkedIn de Fishman indique qu’avant de rejoindre Newsguard, il est resté 15 mois dans son premier emploi dans une société du nom de Fastinform aujourd’hui disparue. Le mois dernier, tous les liens attachés à sa liste de publications renvoyaient vers un site qui n’existe plus. Ces liens ont maintenant été retirés de son profil. Fishman a un diplôme de maîtrise en journalisme de la santé, de l’environnement et des sciences et un diplôme de licence dans les Sciences de l’Ingénieur. Il n’a pas d’expérience dans le reportage politique et en particulier dans le cadre de l’Europe de l’Est et des relations Russie – Etats-Unis.
Selon le site de Newsgard, le jugement final sur les organisation qu’ils examinent est établi par l’analyste et « au moins un éditeur en chef. Un des co-directeurs général revoit tous les ‘labels Nutritionnels’ avant leur publication afin de s’assurer que la note finale est aussi juste et précise que possible ».
Accusation N°1 : Il n’y a pas eu de « coup d’état soutenu par les US »
Scènes de violence pendant le coup d’état de Maidan en Ukraine, 2014 (Wikipedia)
Newsguard accuse CN d’avoir publié des « fausses informations » en écrivant qu’il y avait eu un coup d’état soutenu par les Etats-Unis en 2014 en Ukraine et que les néo-nazis avaient une influence significative dans le pays.
En particulier, Fishman s’appuie sur « un article de février 2022 : ‘Ukraine : guides pour la réflexion’ qui affirme : ‘d’où l’aggravation du comportement Russe en Ukraine (où Washington a organisé un coup d’état contre un gouvernement élu démocratiquement parce que nous n’aimions pas ses penchants politiques)’ ». Fishman nous éclaire : « Les US ont soutenu la révolution de Maidan qui a renversé le Président de l’Ukraine Viktor Yanikovych (sic) -y compris la visite de John McCain à Kyiv en support aux manifestants- mais il n’y a pas d’indications que les US aient ‘organisé’ un ‘coup’. Les faits ont tous les marqueurs d’un soulèvement populaire, engendré par les manifestations bien documentées en protestation contre la décision de Yanukovych de mettre fin aux négociations en vue de la signature d’un accord d’association et de libre commerce avec l’Union Européenne ».
En 2010, Viktor Yanukovych a été démocratiquement élu président de l’Ukraine au cours d’un scrutin qui a été certifié par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, un fait qui n’est pas mentionné dans le narratif de Newsguard sur le changement de gouvernement en Ukraine. Alors même que Yanukovych avait donné son aval à un règlement politique proposé par l’UE incluant des élections à court terme, il a été forcé par la violence à s’enfuir de la capitale le 21 février 2014. Un peu plus tôt dans la journée, Le New York Times publiait un reportage sur la présence du mouvement néo-nazi Secteur Droit à l’avant-garde des violences où il soulignait que « Dmytro Yarosh, le dirigeant de Secteur Droit, une coalition de groupes nationalistes extrémistes, a décrié l’accord, s’attirant les ovations de la foule. ‘La proposition de règlement ne répond pas à nos aspirations’ a-t-il dit. ‘Secteur Droit ne baissera pas ses armes. Secteur Droit ne lèvera aucun blocus des bâtiments administratifs avant que notre exigence centrale n’ait été acceptée : la démission de Yanukovych’. Il a ensuite ajouté que lui et ses supporters ‘étaient prêts à prendre la responsabilité de la suite de la révolution’. La foule a répondu par des cris : ‘c’est bien ! c’est bien !’ ».
Le professeur de Sciences Politiques à l’Université de Baylor, Serhiy Kudelia, dans son étude sur les violences qui ont abouti au renversement du gouvernement, écrit que ce sont « les groupes violents infiltrés » dans les manifestations non-violentes qui ont permis ce résultat. Les violences ont commencé en décembre 2013 quand ces groupes virulents ont attaqué la police avec « des chaînes métalliques, des fusées, des pierres et des cocktails molotov » et ont essayé de percer les lignes de la police à l’aide d’un bulldozer. La police a répondu avec férocité ce jour-là.
L’International Business Times (label vert) écrit que : « selon un membre de l’Union Antifasciste Ukrainienne qui surveille et combat le fascisme en Ukraine, ‘il y a beaucoup de nationalistes ici (Euro Maidan, note de l’auteur) y compris des nazis. Ils sont venus de toute l’Ukraine et représentent environ 30% des manifestants’. Selon un autre membre de cette organisation : ‘Plusieurs groupes (anarchistes, note de l’auteur) sont arrivés sur la place Maidan pour y tenir un meeting. Un groupe de nazis en nombre supérieur est arrivé, casqué, avec battes de baseball, haches et bâtons et leur ont dit que ce territoire leur appartenait. Ils ont traité les anarchistes de juifs, de nègres et de communistes. Il n’y avait pourtant pas de communistes, c’était des insultes gratuites. Les anarchistes ont été pris au dépourvu et sont partis. Les gens avec des idées politiques différentes ne peuvent pas rester à certains endroits, ils sont interdits’ »
Le sénateur John McCain a donné son aval à cette violence des groupes d’extrême-droite lors d’un discours prononcé devant les manifestants du Maidan le 15 décembre 2013 où il a affirmé son soutien aux émeutiers. La sous-secrétaire d’Etat Victoria Nuland et l’ambassadeur des Etats-Unis Geoffrey Pyatt ont eux aussi honoré la place Maidan de leur visite après que les violences aient éclaté.
La version que Newsguard donne des événements du 21 février 2014 énonce que, bien que Yanukovych ait accepté le principe de nouvelles élections « les manifestants en colère ont demandé la résignation immédiate de Yanukovych » et il s’est enfui le même jour « après que des centaines de policiers en charge de la garde des bâtiments gouvernementaux aient abandonné leurs postes » (ndt : l’accord signé le 21 février stipulait que les forces de l’ordre devaient se retirer du centre de la ville de Kiev, et que les manifestants devaient désarmer. Si l’on en croit Yanukoviych, c’est lui qui a en conséquence ordonné à la police de se retirer). Selon Newsguard « les manifestants ont pris le contrôle de plusieurs bâtiments gouvernementaux le jour suivant »
Occupation des bâtiments gouvernementaux
Les manifestants occupent l’hôtel de ville de Kiev, rempli de drapeaux des partis néo-fascistes et de drapeaux des confédérés (YouTube)
En réalité, les manifestants avaient déjà pris possession de bâtiments gouvernementaux dès décembre 2013. Le 24 janvier les manifestants s’étaient même emparés du Ministère de l’Agriculture à Kiev qu’ils ont occupé. Le même jour, des barricades ont été érigées près du bâtiment présidentiel. Des bâtiments gouvernementaux étaient aussi occupés dans l’Ouest du pays. Un reportage du Guardian (label vert) paru le 24 janvier note que « d’importants développements ont pris place dans l’ouest du pays ce jeudi : plusieurs centaines de personnes sont entrées de force dans les bureaux du gouverneur général de la ville de Lviv, Oleh Salo, qui avait été désigné par Yanukovych pour occuper ce poste dans une ville où le président a recueilli moins de 10% des voix. Ils l’ont forcé à signer une lettre de démission. Après sa libération, il a déclaré qu’il avait été contraint par la force à signer et qu’il n’avait nullement l’intention de démissionner. Selon l’agence Unian News, ce même jeudi, des milliers de personnes ont aussi pris d’assaut le siège de l’administration régionale à Rivne, démolissant les portes et exigeant la libération des protestataires en détention. Dans la ville de Cherkasy, à 200 km au sud de Kiev, environ mille manifestants ont occupé les deux premiers étages du bâtiment de l’administration locale et ont allumé des feux à l’extérieur. Selon le Parti des Régions, des actions similaires ont pris place à Ternopil, Ivan-Frankivsk et Khmelnytsky en Ukraine occidentale et centrale, ainsi que dans certaines localités du Nord-est ».
Dès le mois de décembre, les manifestants occupaient l’hôtel de ville de Kiev, où un portrait géant de Stepan Bandera, un fasciste du temps de la 2ème guerre mondiale, avait été accroché au balcon. Dans la nuit du 21 février, Andriy Parubiy, dirigeant du parti néo-fasciste Secteur Droit, a annoncé que la Verkhovna Rada (Parlement ukrainien), les bâtiments de l’administration présidentielle, du cabinet ministériel et du ministère de l’intérieur étaient tous sous le contrôle des protestataires.
Il apparaît donc que Newsguard a publié de « fausses informations » en affirmant que les bâtiments gouvernementaux avaient été occupés le jour suivant le départ de Yanukovych de la capitale. Il doit donc publier une correction à ce sujet.
Le jour suivant la fuite de Yanukovych, la Rada a voté sa destitution en l’absence des députés de son parti – le plus important d’Ukraine – entérinant ainsi son renversement par la violence. Newsguard omet de mentionner le fait capital que le vote de la Rada était biaisé en l’absence du parti de Yanukovych et était en fait superfétatoire vu qu’il avait été forcé de s’enfuir devant les violences.
En principe, on ne peut mettre fin au mandat de dirigeants démocratiquement élus qu’à travers une défaite électorale, un processus constitutionnel de destitution ou une motion de défiance, pas par la violence. Newsguard écrit que « des centaines de policiers qui gardaient les bâtiments gouvernementaux ont abandonné leurs postes le jour ou Yanukovych a été chassé, mais n’explique pas pourquoi. Comme le relate le magazine Jacobin (label vert) :
« Quoiqu’on puisse penser des manifestations du Maidan, l’escalade de la violence des protestataires a été déterminante pour leur victoire finale. Les manifestants ont répondu aux brutalités policières en s’armant de chaînes, de bâtons, de pierres, de cocktails molotov et même d’un bulldozer, et finalement… d’armes à feu. Cette spirale a débouché en février sur une véritable bataille armée. 13 membres de la police et près de 50 manifestants y ont laissé la vie. Comme l’a écrit l’expert en sciences politiques Sergiy Kudelia, la police ‘ne pouvait plus se défendre des attaques des protestataires’. Ils ont été obligés de se retirer et c’est ce qui a provoqué la chute de Yanukovych ». (NdT : voir ma note précédente sur une interprétation différente du retrait des forces policières)
Newsguard veut présenter ces événements comme une « révolution ». Mais les révolutions dans l’histoire sont en général dirigées contre des monarques ou des dictateurs, pas contre des dirigeants élus démocratiquement. On citera pour exemple la révolution américaine de 1776, la révolution française de 1789, la révolution russe de 1917, la révolution égyptienne de 1952, la révolution iranienne de 1979 et d’innombrables autres révolutions contre des monarques. A l’inverse, des coups d’état ont été organisés contre des dirigeants élus ou non. Les révolutions changent le système politique, habituellement de monarchie en république. Le système ukrainien n’a pas été changé, seul le dirigeant a été éliminé.
Un lecteur, Adrian E., a posté le commentaire suivant sous l’article : « quand un mouvement qui a le support d’environ la moitié de la population s’oppose à l’autre moitié de la population pour renverser par la violence un gouvernement élu démocratiquement, on peut lui donner différents noms (par exemple, un coup d’état), mais on ne peut certainement pas appeler ça une ‘révolution populaire’. Le mouvement du Maidan n’a jamais été supporté par plus de la moitié de la population ukrainienne. Il avait un large soutien, majoritaire, dans les provinces occidentales, mais restait extrêmement minoritaire dans celles de l’Est et du Sud, le centre/nord étant plus partagé. Il ne s’agissait clairement pas d’un gouvernement qui avait perdu la confiance de la population à tel point qu’il existait un consensus général pour qu’il démissionne. Il s’est agi en fait d’un camp politique représentant environ la moitié de la population qui, ayant perdu les dernières élections, a imposé sa volonté par la violence ».
Indéniablement, le renversement du gouvernement de Yanukovych était inconstitutionnel. Sa ‘destitution’, en l’absence de son parti lors du vote, est intervenue après que les bâtiments gouvernementaux aient été saisis par les émeutiers et après que la violence l’ait conduit à fuir la capitale.
Les preuves de l’implication des Etats-Unis
John McCain haranguant la foule à Kiev, le 15 décembre 2013 (U.S. Senate/Office of Chris Murphy/Wikimedia Commons)
Dans sa version des événements, Newsgard présente les preuves qu’un coup d’état à bien eu lieu en les interprétant comme le « soutien » que les Etats-Unis ont apporté à une « révolution » contre un président démocratiquement élu. Newsguard se garde bien de rapporter que McCain, ainsi que le Senateur Christopher Murphy (démocrate, Connecticut) et Victoria Nuland sont montés sur la scène devant les foules du Maidan en compagnie de Oleh Tyahnybok, dirigeant du parti néo-fasciste Svoboda (antérieurement connu sous le nom de Parti national socialiste).
Newsguard ne se risque pas non plus à disserter sur la question de savoir comment des événements similaires auraient été considérés par les Etats-Unis si un haut responsable du ministère des affaires étrangères russe accompagnés de l’ambassadeur russe aux Etats-Unis et deux dirigeants de groupes parlementaires russes étaient montés sur une scène installée sur la place de Washington en compagnie d’un leader d’extrême-droite états-unien pour haranguer une foule cherchant à renverser un président en place. Si le président en question avait finalement été renversé, n’est-il pas probable que cela soit présenté comme un coup d’état organisé par la Russie ?
Newsguard parle bien du discours prononcé par Nuland en 2013 où elle révèle que depuis 1991 les Etats-Unis ont investi 5 milliards de dollars pour aider l’Ukraine à réaliser ses « aspirations ». Mais il ne va pas jusqu’à expliquer que les Etats-Unis, eux, aspiraient dans le même temps à détourner l’Ukraine de la sphère d’influence russe pour l’ancrer à l’occident. Et il y avait du travail à faire ! En 2008, 17 ans après le début de ses efforts, l’année où les Etats-Unis déclaraient que l’Ukraine rejoindrait un jour l’OTAN, un sondage montrait que 50% des ukrainiens étaient opposés à ce projet, contre seulement 24,3% qui se déclaraient en faveur. En 2010, un sondage Gallup révélait que 40% des ukrainiens considéraient que l’OTAN était plus une menace qu’une protection, avec seulement 17% de l’avis contraire. Changer l’opinion de la société civile représentait un véritable défi pour les Etats-Unis, qu’ils ont relevé en finançant de multiples ONGs favorables à leurs vues. Newsguard ne mentionne pas non plus la part des 5 milliards qui a été allouée à l’organisation des manifestations. Il y avait bien sûr un réel mécontentement populaire contre Yanukovych, que la NED (National Endowment for Democracy, qui finance des ONGs dans les pays ciblés par les US pour un changement de régime) a nourri et canalisé. Jacobin, dans un article sur les événements de 2014 développe : « Pour les dirigeants US, frustrés par la renonciation à l’accord avec l’UE, les manifestations de la place Maidan offraient une nouvelle chance. A peine 2 mois avant que les troubles ne commencent, le président de la NED écrivait en parlant de la décision de Yanukovych : « cela ouvre de grandes possibilités, et Washington dispose de puissants moyens pour aider ». En pratique, cela se traduisait par le financement de groupes tels que Nouveau Citoyen, un groupe dirigé par un membre en vue de l’opposition pro-UE et présenté par le Financial Times comme « ayant joué un rôle central dans la mise sur pied des manifestations ». Le journaliste Mark Ames a révélé que cette organisation avait reçu plusieurs centaines de milliers de dollars des officines états-uniennes pro-démocratie ».
Dans un article paru dans CN six jours après la chute de Yanoukovych, Parry écrit que, au cours de l’année précédente, la NED avait financé plus de 65 projets en Ukraine pour un total supérieur à 20 millions de dollars. Parry présentait l’action de la NED comme la mise en place « d’une structure politique dissimulée alliant médias et groupes activistes en mesure d’être déployés au cas où le gouvernement ukrainien prendrait une direction insatisfaisante ». Le 25 février, au lendemain de l’invasion par la Russie, la NED a effacé de son site tous les projets qu’elle avait financé en Ukraine, mais ils sont archivés ici. La NED a interféré avec les processus politiques en Ukraine depuis 2004 et la ‘révolution orange’.
En 1991, le Washington Post (label vert) écrivait que la NED faisait maintenant ouvertement ce que la CIA faisait hier en secret : déstabilisations et renversements de gouvernements. Les coups d’état menés par la CIA ou par la NED ne sont jamais fabriqués de toutes pièces. Les USA s’appuient toujours sur des mouvements d’opposition existant dans les pays visés, parfois sur des soulèvement populaires, auxquels ils offrent financement, formation et qu’ils peuvent diriger. Les Etats-Unis ont une longue pratique de ces opérations de renversement de régimes étrangers. On citera parmi les exemples les plus fameux l’Iran en 1953, Le Guatemala en 1954, le Chili en 1973. En septembre 2013, plusieurs mois avant le début des manifestations sur la place Maidan, Carl Gershman, un dirigeant historique de la NED, s’exprimait dans un article d’opinion pour le Washington Post. Il parlait de l’Ukraine comme « du premier prix à décrocher». Il pressentait que « les Russes seraient confrontés à un choix difficile et Poutine pourrait bien se trouver en difficulté pas seulement dans son voisinage immédiat mais jusque dans son opinion publique ». En 2016 il confirmait que la NED avait bien été impliquée en Ukraine depuis les années 1980 et se félicitait du « renversement de Yanukovych ».
Un oubli d’importance : l’enregistrement Nuland-Pyatt
De manière très significative, les tentatives de Newsguard de réfuter l’implication des USA dans le coup d’état passent sous silence l’enregistrement de la conversation téléphonique entre Nuland et Pyatt (l’ambassadeur US de l’époque) qui a été interceptée et fuitée dans les médias. Dans cette conversation, tenue plusieurs semaines avant la chute de Yanukovych, les deux protagonistes discutent de la composition du gouvernement qui doit lui succéder. Ils évoquent leur rôle de ‘sage-femme’ dans l’enfantement de ce nouveau gouvernement, le rôle de Joe Biden et l’organisation de meetings avec les politiciens ukrainiens de l’opposition po. Nuland insiste pour que Yatseniuk devienne premier ministre, et c’est bien sûr ce qui est finalement arrivé à l’issue du coup d’état. Au moment où l’enregistrement a été révélé, la BBC (label vert) écrit à son propos : « Les Etats-Unis ont dit qu’ils travaillaient avec toutes les parties impliquées dans la crise pour arriver à une solution pacifique, insistant que ‘en dernière instance, c’est le peuple ukrainien qui doit décider de son futur’. Mais cet enregistrement suggère plutôt que les Etats-Unis avaient des vues bien arrêtées sur ce qui devait sortir de cette crise et travaillaient à les réaliser ».
Le département d’état des USA n’a jamais remis en cause l’authenticité de cet enregistrement et a même présenté ses excuses à l’Union Européenne pour la sortie maintenant légendaire de Nuland pendant la conversation : « J’enc…. l’Union Européenne ». Les grands médias se sont immédiatement focalisés exclusivement sur cette remarque incongrue pour cacher le plus important de ce que cet enregistrement révélait : la façon dont les USA interféraient directement dans les affaires intérieures de l’Ukraine.
Ils n’ont pas non plus voulu mettre en évidence la raison sous-jacente à ce cri du cœur de Nuland. A l’époque, la France, l’Allemagne et la Pologne négociaient pour le compte de l’UE avec la Russie un règlement de la situation qui laissait Yanukovych à la tête de l’état. Ce règlement prit finalement forme avec l’acceptation par Yanukovych d’élections anticipées, de la restauration de la constitution de 2004 et une amnistie pour tous les protestataires qui aurait permis que personne ne soit tenu pour coupable des violences. Yanukovych a annoncé cet accord le 21 février, avec les représentants de l’UE à ses côtés. Les violences ont immédiatement redoublé, conduisant à sa fuite de Kiev.
Laisser de côté le rôle historique de la NED et la signification essentielle que revêt l’enregistrement Nuland-Pyatt équivaut à une omission de preuves caractéristique des médias aux ordres. Omettre des éléments cruciaux d’une série d’événements en change le sens et, dans ce cas, sape la crédibilité du narratif développé par Newsguard.
Il s’agit là d’un excellent exemple des raisons qui ont poussé Parry à fonder Consortium News : afin de pouvoir mettre à la disposition du public des informations clés qui sont parfois omises volontairement et mensongèrement par les grands médias pour pervertir le sens des faits. Nous invitons Newsguard à corriger son narratif du coup d’état plutôt que de nous demander de passer sous silence des faits avérés. Newsguard invite ses utilisateurs à proposer des correctifs par e-mail sur corrections@newsguardtech.com.
Les raisons probables du coup d’état
Les Etats Unis ont favorisé la réélection de Eltsine en 1996
Après la dissolution de l’URSS en 1991, Wall Street et Washington se sont précipités en Russie sous la présidence de Boris Eltsine. Considéré comme compliant dans l’entreprise de dépossession des biens industriels de l’état qui leur permettait de s’enrichir, d’enrichir une nouvelle classe d’oligarques et au passage d’appauvrir la population de l’ancienne Union Soviétique, Eltsine devait même recevoir une aide directe des Etats-Unis pour sa réélection de 1996. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine le 31 décembre 1999 a entamé le début d’une tentative de freiner l’influence grandissante des US dans la Russie post-soviétique. Ces efforts se sont accélérés en particulier après le discours de Poutine en 2007 à la Conférence sur la Sécurité à Münich où il a dénoncé les agressions unilatérales des Etats-Unis, en particulier en Irak. En fin de compte, Poutine a restauré la souveraineté sur la plus grande partie de l’économie russe, ce qui lui a attiré les foudres de Washington et de Wall Street. Comme le président US Joe Biden l’a exprimé clairement à plusieurs reprises, le but des Etats-Unis est devenu le renversement de son régime.
Dans son livre de 1997 : Le grand échiquier : la primauté états-unienne et ses impératifs géostratégiques, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale, écrit : « l’Ukraine est devenue une case essentielle sur l’échiquier eurasien, un pivot géopolitique, dû au fait que son existence même comme pays indépendant participe à la transformation de la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasien. La Russie sans l’Ukraine peut encore prétendre au statut impérial, mais seulement en tant qu’empire asiatique ». Ainsi, selon lui, l’objectif de « primauté », ou de domination mondiale, qui reste la motivation essentielle de la politique de Washington n’est possible qu’à travers le contrôle de l’espace eurasiatique et implique donc de contrôler l’Ukraine par l’élimination de l’influence russe (objectif du coup d’état de 2014) et de contibuer à dominer Moscou comme c’était le cas lorsqu’il écrivait son livre.
La puissante implication occidentale dans la politique ukrainienne et son économie n’a pas faibli depuis ces années post-soviétiques. Quand Yanukovych a rejeté le pacte d’association avec l’EU (comme il en avait le droit, après l’approbation du parlement) en faveur d’un accord avec la Russie qui offrait de meilleures conditions, l’Occident y a vu une menace directe pour ses intérêts économiques. Yanukovych est devenu l’homme à abattre.
Yanukovych avait déjà rétabli la langue russe comme langue officielle (ndt : cette affirmation de CN n’est pas tout à fait exacte. Yanukovitch n’est pas revenu sur la loi de 1989 faisant de l’ukrainien la seule langue officielle, mais a signé une loi favorisant l’utilisation du russe dans plusieurs secteurs et autorisant que le russe soit ajouté comme langue officielle à l’échelon local. Cela a néanmoins provoqué des réactions épidermiques dans les rangs nationalistes), il avait rejeté l’entrée dans l’OTAN et remis en cause les politiques de ses prédécesseurs glorifiant les anciens collaborateurs nazis (son prédécesseur direct, Viktor Yuschenko, avait réhabilité Stepan Bandera, en ‘héros de l’Ukraine’, ndt : voir plus bas notice sur Bandera). Une désaffection authentique contre Yanukovych était apparue, principalement en Ukraine occidentale, qui s’est aggravée et est devenue violente après le rejet de l’accord.
La réalité après le coup d’état
Le nouveau gouvernement installé par les Etats-Unis à Kiev a rapidement interdit plusieurs partis politiques, en particulier le parti communiste, et répudié le russe comme langue officielle. Le Parti des Régions de Yanukovych a été interdit dans plusieurs provinces et a finalement disparu. Un citoyen états-unien est devenu ministre des finances (ndt : ce qui n’est pas sans rappeler une mesure similaire résultant de la seconde guerre de l’opium en Chine) et le vice-président Joe Biden a été fait vice-roi virtuel par Barak Obama. Des vidéos montrant Biden donnant ses instructions au président de l’époque, Petro Poroshenko ont circulé.
De son propre aveu, Joe Biden a demandé, et obtenu, quelques mois à peine après le coup d’état, la démission de Viktor Shokin, procureur général de l’Ukraine. Shokin a témoigné sous serment qu’il s’apprêtait à enquêter sur Burisma Holdings, une société où le fils du vice-président occupait un poste très lucratif au conseil d’administration. Biden, couvert par des responsables états-uniens et les médias, a menti délibérément en affirmant que Shokin avait été démis de ses fonctions pour cause de corruption. Des mémos du département d’état récemment déclassifiés et publiés par Just The News (label vert) complimentaient au contraire Shokin pour son travail anti-corruption. La question de savoir si un dirigeant d’un pays tiers à le droit de démettre un procureur général du pays a été reléguée aux oubliettes.
Huit jours plus tard, le 2 mai 2014, 50 manifestants contre le coup d’état étaient brûlés vifs à Odessa par des contre-manifestants d’extrême droite organisés par Secteur Droit. Les provinces de Luhansk et Donetsk, opposées au coup, déclaraient leur indépendance de l’Ukraine, avec le soutien de la Russie. Après une visite à Kiev par le directeur de la CIA John Brennan, le président Poroshenko devait lancer une guerre contre les séparatistes qui devait durer 8 ans et coûter la vie à des milliers de civils, jusqu’à l’intervention de la Russie en février 2022.
dès le coup d’état de 2014, l’OTAN avait commencé à armer, à former et à organiser des exercices avec l’armée ukrainienne, qui est devenue de facto un membre de l’OTAN. Ainsi, le coup d’état ne servait pas seulement les intérêts d’une partie de l’Ukraine, mais bien ceux de puissants acteurs étrangers, dans un style rappelant les prises de contrôle de l’époque coloniale.
Accusation N°2 : Exagération de l’influence nazie
Marche aux flambeaux derrière le portrait de Bandera le 1er janvier 2015 pour l’anniversaire de sa naissance (Wikimedia Commons)
Les Etats-Unis ont entretenu des relations avec les fascistes ukrainiens dès la fin de la seconde guerre mondiale. Pendant la guerre, des unités de l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN-B) ont pris part à l’holocauste, éliminant plus de 100.000 juifs et Polonais (ndt : le nombre total de juifs, polonais et autres populations visées par l’épuration ethnique nazie en Ukraine, mise en place avec l’aide ou la participation directe de l’OUN-B et autres groupes nationalistes ukrainiens tels que l’OUN-M a dépassé les 2 millions. On se référera à l’article paru dans ce blog. Le chiffre de 100.000 pourrait concerner les éliminations directes par balle perpétrées par les milices nationalistes).
Après la guerre, Mykola Lebed, lieutenant de Stepan Bandera, le dirigeant fasciste de l’OUN-B, a été recruté par la CIA selon une étude des Archives Nationales US. Cette étude gouvernementale juge que : « la faction de Bandera (OUN-B) était une organisation fasciste militante ». Le premier lieutenant de Bandera, Yaroslav Stetsko, déclarait sans ambages : « j’… appréhende parfaitement le rôle indubitablement pernicieux et hostile des Juifs, qui aident Moscou à garder l’Ukraine en esclavage… Je soutiens donc la destruction des Juifs et l’utilité d’importer les méthodes allemandes d’extermination de la juiverie en Ukraine ».
Plus loin, la même étude établit que : « au cours d’un meeting le 6 juillet 1941 à Lwow (Lviv) les partisans de Bandera ont résolu que les Juifs ‘devaient être traités avec sévérité. Nous devons les éliminer…. En ce qui concerne les Juifs, nous adopterons les méthodes les plus appropriées pour les détruire ». Lebed lui-même proposait de « nettoyer entièrement le territoire révolutionnaire de la population polonaise afin d’empêcher qu’un état polonais qui pourrait renaître ne réclame la région comme il l’a fait en 1918 ». Lebed avait le titre de ‘ministre des affaires étrangères’ du gouvernement bandérite en exil, mais s’est éloigné ensuite de Bandera qu’il traitait de dictateur. Le renseignement militaire US qualifiait Bandera d’« extrêmement dangereux » mais ajoutait qu’il était « considéré comme le héros spirituel national de tous les Ukrainiens ».
L’étude (p.81-82) indique que la CIA ne souhaitait pas travailler avec Bandera, contrairement au MI6. « Le MI6 argumentait que le groupe de Bandera était ‘la plus puissante des organisations ukrainiennes à l’étranger, capable de former des cadres du parti et de construire une organisation moralement et politiquement saine’ ». Une note du MI6 au début de 1954 indique que « la collaboration [britannique] [avec Bandera] évolue à notre satisfaction. Peu à peu nous établissons un contrôle plus complet sur les opérations d’infiltrations »
Lettre du député directeur de la CIA Allen Dulles demandant aux services de l’immigration US d’autoriser Lebed à rerentrer aux Etats-Unis malgré sa condamnation pour meurtre (ndt : du ministre polonais des affaires étrangères en 1934) (rapport Hitler’s Shadow Cliquez sur la photo pour agrandir)
Le Royaume Uni a mis fin à la collaboration avec Bandera en 1954. Le contre-espionnage d’Allemagne de l’Ouest, sous la direction de l’ex-nazi Reinhard Gehlen, a repris cette collaboration jusqu’à l’assassinat de Bandera par le KGB en 1959 à Münich à l’aide de poudre de cyanure.
A défaut d’être intéressée par Bandera, la CIA a utilisé Lebed, malgré son passé fasciste. Ils lui ont procuré un bureau à New York d’où il pouvait organiser pour le compte de l’agence sabotages et opérations de propagande à l’intérieur de l’Ukraine soviétique. Toujours dans cette étude, on apprend que : « les opérations de la CIA avec ce groupe ukrainien ont commencé en 1948 sous le nom de code CARTEL, changé ensuite pour AERODYNAMIC. … Lebed a été rapatrié à New York où il a acquis le statut de résident permanent, puis obtenu la nationalité états-unienne. Cela lui a offert une garantie contre des tentatives d’assassinat, et lui permettait de communiquer avec les groupes de l’émigration ukrainienne. Il pouvait aussi regagner confortablement les Etats-Unis après ses voyages opérationnels en Europe. Lebed était ainsi le principal contact de la CIA dans l’opération AERODYNAMIC. Ses gestionnaires faisaient état de son ‘caractère rusé’ ainsi que de ses ‘relations avec la Gestapo et… sa formation par la Gestapo’ et le qualifiait d’ ‘opérateur sans pitié aucune.’ »
Les opérations de propagande et les sabotages en collaboration avec Lebed ont continué jusqu’à l’indépendance de l’Ukraine en 1991. « La relation de la CIA avec Mykola Lebed a duré pendant toute la guerre froide » conclue l’étude. « Alors que la plupart des opérations utilisant d’anciens criminels des temps de guerre se sont retournées contre l’agence, les opérations de Lebed ont contribué à déstabiliser l’Union Soviétique ».
Le retour de Bandera
Monument à la gloire de Bandera à Lvov (Lviv) (Wikimapia.org)
Les US ont donc secrètement maintenu en vie les idées fascistes à l’intérieur de l’Ukraine au moins jusqu’à son indépendance. « Mykola Lebed… est mort en 1998. Il a été inhumé dans l’état du New Jersey et on peut trouver ses papiers à l’institut de recherches ukrainiennes de l’université d’Harvard » nous informe l’étude.
L’organisation issue de l’OUN-B au sein même des Etats-Unis n’est pourtant pas morte avec Lebed. Elle opère aujourd’hui sous le nom de Comité du Congrès Ukrainien des Amériques (UCCA) selon IBT (International Business Time) (label vert) : « à partir du milieu des années 1980, l’administration Reagan était infiltrée par des membres de l’UCCA. En 1983, Reagan a personnellement accueilli à la Maison Blanche [Yaroslav] Stetsko le dirigeant bandériste qui a supervisé le massacre de plus de 7000 Juifs à Lviv » « Après l’écroulement du régime de Yanukovych, l’UCCA a aidé à organiser des manifestations dans de nombreuses villes des États-Unis en soutien aux protestations de l’Euromaidan ».
Un lien direct entre les manifestations du Maidan et le fascisme ukrainien de la deuxième guerre mondiale est donc bien établi.
Malgré la préférence des USA pour le personnage moins extrême de Lebed contre Bandera, ce dernier reste la figure de proue en Ukraine. En 1991, l’année même de l’indépendance de l’Ukraine, a été formé le Parti National Socialiste, d’inspiration néo-fasciste qui sera plus tard renommé Parti Svoboda (Parti de la Liberté), se revendiquant de l’héritage de Bandera. Une rue de Lviv fut rebaptisée du nom de Bandera et il y eut même une tentative de rebaptiser l’aéroport à son nom. Svoboda a obtenu 10% des sièges à la Rada (parlement ukrainien) aux élections de 2012, avant que Mc Cain et Nuland n’apparaissent en compagnie de son dirigeant et avant le coup d’état.
En 2010 le président pro-occidental Viktor Yushenko a octroyé le statut de héros de l’Ukraine à Bandera, une décision annulée par Yanukovych avant d’être renversé. Plus de 50 monuments, statues et musées commémorant la mémoire de Bandera ont été érigés en Ukraine, dont plus des deux tiers ont vu le jour après (ndt :la révolution orange de 2014 et) la victoire électorale de Yuschenko. Une étude universitaire suisse rapporte que « le 13 janvier 2011, le Conseil de la province de Lviv, réuni en session extraordinaire aux abords du monument à la gloire de Bandera à Lviv ont réagi à la décision d’abrogation du statut de héros national octroyé par Yuschenko en affirmant que, ‘pour des millions d’Ukrainiens, Bandera était et reste un héros de l’Ukraine, quelques soient les décisions pitoyables et sans valeur des tribunaux’ et annonçant leur décision de renommer la ‘Rue Stepan Bandera’ en ‘Rue du Héros National Stepan Bandera’ ».
Les marches aux flambeaux derrière le portrait de Stepan Bandera sont choses communes dans les villes ukrainiennes, particulièrement les 1er janvier, date anniversaire de sa naissance, y compris cette année.
Les néo-nazis et les grands médias
Dès le début des énénements de 2013-2014 en Ukraine, le fondateur de CN, Robert Parry ainsi que d’autres journalistes ont commencé à apporter les preuves qui sont aujourd’hui niées par Newsguard, rapportant en détail les événements qui ont conduit au coup d’état et le rôle déterminant joué par les néo-nazis ukrainiens. A cette époque, les grands médias se permettaient aussi de parler du rôle essentiel des néo-nazis dans les événements. Le New York Times, par exemple, a publié un qrticle sur le rôle clé du groupe néo-nazi Secteur Droit dans les violences qui ont conduit au renversement de Yanukovych. Dans l’ensemble, le rôle des groupes néo-fascistes dans l’insurrection et leur influence sur la société ukrainienne était correctement mentionnés par la plupart des grands médias. La BBC, le NYT, le Daily Telegraph et CNN ont tous détaillé le rôle joué par Secteur Droit, C14 et autres groupes extrémistes dans la chute de Yanukovych.
Par exemple, la BBS a diffusé un reportage une semaine après la chute de Yanukovych
Et celui-ci en Juillet 2015
Après le coup d’état, plusieurs individus issus des partis néo-fascistes ont été nommés comme ministres au sein du nouveau gouvernement. NBC News (label vert) rapporte en mars 2014 que : « Svoboda, qui signifie ‘Liberté’ a obtenu presqu’un quart des postes au sein du cabinet du gouvernement intérimaire formé après le renversement du président Viktor Yanukovych en février ».
Le dirigeant de Svoboda, Tyahnybok, avec qui McCain et Nuland se sont affichés sur la scène d’EuroMaidan, était connu pour avoir appelé à la libération de l’Ukraine de « la mafia judéo-moscovite ». L’IBT écrit que : « en 2005, Tyahnybok a signé une lettre ouverte au président de l’époque, Viktor Yuschenko, l’implorant d’interdire toutes les organisations juives, y compris la Ligue Contre la Diffamation, qui, écrivait-il, était responsable des ‘activités criminelles de la juiverie organisée’ et dont le but ultime était le génocide du peuple ukrainien ».
Avant que McCain et Nuland n’adoube Tyahnybok et son parti national socialiste, ce dernier avait été condamné par le parlement européen dans une motion de 2012 : « Le parlement rappelle que les vues racistes, antisémites et xénophobes vont à l’encontre des valeurs et des principes fondamentaux de l’UE et appellent donc tous les partis pro-démocratie de la Verkhovna Rada [le parlement ukrainien] à ne pas s’associer avec, ni à donner leur aval à ou former une coalition avec ce parti »
L’information sur le bandérisme et les forces néo-fascistes a été bannie des colonnes des grands médias occidentaux depuis que Poutine a fait de la « dénazification » un des objectifs de l’invasion.
Le bataillon Azov, qui est apparu au moment du coup d’état, est rapidement devenu une force d’importance dans la guerre contre les populations russophones du Donbass qui se sont opposées au coup d’état. Son commandant, Andriy Biletsky, dans une déclaration légendaire, a expliqué que la mission de l’Ukraine était de « conduire les races blanches du monde dans leur croisade finale pour la survie…. contre les Untermenschen (ndt : en allemand dans le texte : sous-hommes) dirigés par les sémites ».
En 2014, le bataillon était devenu régiment Azov et a été officiellement incorporé dans la garde nationale ukrainienne sous le contrôle du ministère de l’intérieur. Son intégration dans l’appareil d’état a été renforcée par les liens étroits qui ont été établis avec les services secrets du SBU. Azov est aujourd’hui le seul exemple au monde connu d’une composante ouvertement néo-fasciste dans une armée nationale.
Même au sein de l’armée ukrainienne, les membres d’Azov continuent (au moins jusqu’à cette semaine) à porter les brassards jaunes frappés de la Wolfsangel, l’insigne des troupes allemandes de la SS pendant la deuxième guerre mondiale. Si l’on considère les atrocités dont le régiment Azov a continué à se rendre coupable, on verra que son intégration dans l’appareil d’état ne l’a en rien dénazifié. Bien au contraire, il lui a permis d’accroitre son influence au sein même de l’appareil d’état.
Les Etats-Unis et l’OTAN ont aussi entraîné et armé les forces Azov, bien que Barak Obama ait refusé de fournir des armes létales à l’Ukraine, en partie par peur que ces armes finissent dans les mains de ces extrémistes d’extrême-droite. Si l’on en croit le New York Time (label vert) : « les doutes de Mr Obama se font jour à travers ses questions : ‘OK, et qu’arrive-t-il si nous envoyons ce type d’équipement ?- Est-ce que nous devons aussi envoyer des formateurs ?’ nous rapporte une personne sous couvert d’anonymité. ‘Et qu’arrive-t-il s’ils finissent dans les mains des bandits ? Et si Poutine escalade ? »
Les objections de Newsguard
Collage montrant le dirigeant néo-fasciste Oleh Tyahnybok, ses rencontres avec McCain, Biden et Nuland (image facebook par Red, White and You extraite du film Ukraine on Fire)
Pour nier toute influence significative des groupes néo-nazis en Ukraine, Newsguard avance l’argument selon lequel les partis néo-fascistes n’ont eu qu’un succès très limité aux élections. Cet argument fait l’impasse sur le fait que ces groupes ont en réalité une activité essentiellement extra-parlementaire. Dans sa lettre accusant CN de publier de fausses nouvelles sur le sujet du néo-fascisme en Ukraine, Fishman écrit que : « Il n’y a aucune preuve que le nazisme ait une influence substantielle en Ukraine. Le rapport de 2018 de Freedom House mentionne la menace que les groupes d’extrême droite font peser sur le développement de la démocratie en Ukraine. Mais il établit aussi que les extrémistes de droite n’ont qu’une faible représentation en Ukraine et qu’on ne voit pas comment ils pourraient prendre le pouvoir. Par exemple, aux élections de 2019, le parti de l’extrême-droite nationaliste Svoboda n’a obtenu que 2.2% du vote, et le candidat de Svoboda à l’élection présidentielle, Ruslan Koshulynskyy seulement 1.6%.
Cet argument électoral a pourtant été écarté par plusieurs grands médias, et même par le Conseil de l’Atlantique, qui est peut-être le plus russophobe des think tanks dans le monde. Dans un article de 2019, un de ses rédacteurs avertit : « Pour être clair, les partis d’extrême-droite tels que Svoboda n’ont que des résultats dérisoires dans les élections ukrainiennes, et les Ukrainiens ne montrent aucun désir d’être gouvernés par ce parti. Mais cet argument est un peu un leurre. Ce n’est pas les résultats électoraux de ces extrémistes qui devraient inquiéter les amis de l’Ukraine, mais bien plutôt le fait que l’état ne veut ou ne peut pas les affronter et mettre un terme à leur impunité. Que ce soit dû à un sentiment de dette vis-à-vis de certain de ces groupes qui ont combattus les Russes, ou à la peur qu’ils se retournent contre l’état lui-même, c’est un vrai problème et nous ne rendons pas service à l’Ukraine en essayant de le camoufler sous le tapis. » [Italiques ajoutés par l’auteur]. La « peur qu’ils se retournent contre l’état lui-même » rend bien compte de la puissance que ces groupes peuvent exercer sur les leviers de l’état et du gouvernement. L’article du Conseil de l’Atlantique souligne la véritable influence de ces groupes : « On pourrait croire qu’il s’agit de la propagande du Kremlin, mais ce n’est pas le cas. La semaine dernière, la radio Hromadske a révélé que le ministère ukrainien de la jeunesse et des sports finançait le groupe néo-nazi C14 pour soutenir des ‘projets d’éducation patriotique et nationale’. Le 8 juin, le ministère a annoncé qu’il allouerait près de 17.000 $ pour un camp de jeunesse. Il a aussi alloué des fonds pour la ‘Retraite Holosiyiv’ et ‘Rassemblement Educatif’ ayant tous les deux des liens avec l’extrême-droite. Cette révélation est un exemple alarmant des pouvoirs légaux encourageant des groupes d’extrême droite qui utilisent la violence contre ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis en s’affranchissant toujours plus de la loi. Depuis le début de 2018, C14 et d’autres groupes d’extrême droite comme la Milice Nationale affiliée à Azov, Secteur Droit, Karparska Sich ont attaqué des groupes de Roms à plusieurs reprises, ainsi que des rassemblements antifascistes, des meetings de conseils municipaux, un séminaire organisé par Amnesty International, des expositions artistiques, des rassemblements de la communauté LGBT et des activistes écologistes. Le 8 mars, ils ont lancé des attaques violentes contre les cortèges pour la Journée Internationale de la Femme dans plusieurs villes d’Ukraine. Sauf dans de rares cas, la police n’a rien fait pour empêcher ces attaques, et dans plusieurs cas a même arrêté des manifestants pacifiques plutôt que les attaquants. »
Le Conseil de l’Atlantique n’est pas la seule organisation russophobe à s’inquiéter des dangers que représente le pouvoir des groupe néo-fascistes en Ukraine. En 2018, Bellingcat a publié un article alarmant sous le titre de « Des combattants d’extrême-droite et des suprémacistes blancs sont entraînés par une société de sécurité européenne de premier plan »
L’OTAN a aussi entraîné le régiment Azov, liant ainsi directement les USA avec les extrémistes de droite ukrainiens.
Dans un article de 2017 intitulé « Au-delà de la propagande du Kremlin, la réalité des groupes néo-nazis en Ukraine », The Hill publie que : « certains observateurs occidentaux prétendent qu’il n’y a pas d’éléments néo-nazis en Ukraine, assignant le discours contraire à la propagande de Moscou. Malheureusement, ils se trompent massivement. Il y a bien des formations néo-nazies en Ukraine. Ce fait a été amplement confirmé par pratiquement tous les grands médias occidentaux. Le fait que les experts soient capables de faire passer cette information pour de la propagande colportée par Moscou est très inquiétant . Le logo d’Azov est composé de 2 emblèmes : le Wolfsangel (tête de loup) et le Sonnenrad (soleil noir) qui sont tous les deux sur la liste des symboles néo-nazis de la Ligue contre la Diffamation. Le Wolfsangel est utilisé par le groupe suprémaciste Nations Aryennes, et le Sonnenrad faisait partie ds symboles nazis repérés lors de l’attaque mortelle du défilé de Charlottesville cet été. Le caractère néo-nazi d’Azov a été montré entre autres par le New York Times, le Guardian, la BBC, le Telegraph et Reuters. Les journalistes des grands médias envoyés sur le terrain ont décrit les runes SS, les Svastikas, les marches aux flambeaux et les saluts nazis. Ils ont interviewé des soldats d’Azov qui n’ont pas caché leur identification néo-nazie. Ils ont fait remonter des rapports avec des titres aussi peu ambigus que ‘Combien de néo-nazis reçoivent le soutien des Etats-Unis en Ukraine ?’ et ‘Les unités de volontaires ukrainiens incluent des néo-nazis’. Est-ce de la pure propagande russe ? Les Nations Unies et Human Rights Watch ont accusé Azov et d’autres bataillons de Kiev d’une litanie de crimes contre les droits de l’homme».
Le néo-fascisme a aussi pénétré la culture populaire ukrainienne. Une demi-douzaine de groupes musicaux néo-nazis ont organisé un concert en 2019 pour commémorer l’invasion de l’Union Soviétique par l’Allemagne nazie.
Un rapport d’Amnesty International de 2019 prévient que « l’Ukraine est en train de sombrer dans un chaos de violence hors de contrôle créé par les groupes radicaux à l’impunité totale. Pratiquement personne ne peut se sentir en sécurité dans ces conditions. »
Zelensky et les néo-nazis
Zelensky s’adresse au parlement grec en compagnie d’un membre d’Azov (à droite) en avril. (TV du parlement grec)
Un des plus puissants oligarques issus des privatisations de 1990, Ihor Kolomoisky, a été un des premiers à financer le bataillon néo-nazi Azov. Selon un rapport de Reuters (label vert) paru en 2015 : « beaucoup de ces groupes paramilitaires sont accusés d’exactions contre les citoyens qu’ils sont censés protéger. Amnesty International a rapporté que le bataillon Adar – lui aussi financé en partie par Kolomoisky – s’était rendu coupable de crimes de guerre, dont des abductions illégales, de détention illégale, de vols, d’extorsion et même vraisemblablement d’exécutions. Dans le même rapport AI accuse les bataillons privés de Kiev d’affamer les civils comme tactique de guerre, empêchant les convois d’aide humanitaire d’atteindre les territoires contrôlés par les séparatistes.
Quelques un des bataillons privés au service de l’Ukraine ont noirci la réputation internationale du pays par leurs visées extrémistes. En plus de leurs insignes nazis, beaucoup de membres du bataillon Azov professent leurs vues néo-nazies et anti-sémitiques. Des membres du bataillon ont parlé « d’apporter la guerre à Kiev », et déclaré que l’Ukraine avait besoin « qu’un vrai dictateur prenne le pouvoir, qui puisse unir la nation en versant beaucoup de sang. »
En avril 2019, le FBI a initié une enquête sur Kolomoisky pour des délits financiers qu’il aurait commis dans le cadre de ses activités commerciales dans l’acier en Virginie de l’Ouest et dans le nord de l’Ohio. En août 2020, le département de la justice Etats-Unien a enregistré une action de confiscation civile contre lui et un partenaire : « La plainte accuse Ihor Kolomoisky et Gennadiy Boholiubov, propriétaires de PrivatBank, une des plus grosses banques ukrainiennes, de détournement et d’escroquerie aux dépens de la banque à hauteur de plusieurs milliards de dollars. Le duo a obtenu des prêts et des lignes de crédit frauduleux d’environ 2008 à 2016, quand le stratagème a été découvert et la banque nationalisée par la Banque Nationale d’Ukraine. La plainte les accuse également d’avoir blanchi une partie de ces gains criminels à travers une ribambelle de comptes bancaires de sociétés écrans, essentiellement enregistrés dans la branche chypriote de PrivatBank avant de transférer les fonds aux Etats-Unis. Selon la plainte, les prêts étaient rarement remboursés, sauf à travers de nouveaux prêts frauduleux. »
Pendant ce temps, la chaîne de télévision du financier d’Azov diffusait l’émission à succès ‘Serviteur du Peuple’ (2015 à 2019) qui propulsait Volodymir Zelensky vers la gloire et ultimement vers la présidence et la formation du nouveau parti ‘Serviteur du Peuple’. De nombreuses voix se sont accordées sur le fait que la campagne présidentielle de l’ancien acteur et comédien a été financée par Kolomoisky, une thèse reprise dans un reportage de Free Europe (sans label ni vert ni rouge).
Pendant la campagne présidentielle, Politico rapporte que : « les médias de Kolomoisky apportent aussi à la campagne du comédien leurs services de sécurité et le soutien logistique, et il est récemment apparu que l’avocat de Zelensky, Andrii Bohdan était aussi l’avocat personnel de l’oligarque. Des journalistes d’investigation ont également découvert que, au cours des deux dernières années, Zelensky avait visité à 14 reprises Genève et Tel Aviv où Kolomoisky est en exil ». Avant leur compétition électorale, Petro Poroshenko a affublé Zelensky du titre de « marionnette de Kolomoisky ». Les Pandora Papers indiquent également que Zelensky a placé offshore les fonds reçus de Kolomoisky.
Pendant la campagne électorale, interrogé à propos de Bandera, Zelensky a déclaré que c’était « cool » que de nombreux ukrainiens le considèrent comme un héros.
Zelensky a été élu président sur la promesse de mettre un terme à la guerre dans le Donbass. Sept mois après son élection, il s’est déplacé sur la ligne de front, où Azov a une forte présence, pour demander aux troupes ukrainiennes de déposer les armes. Il a été renvoyé dans ses filets. Le Kyiv Post écrit sur cet épisode : « Lorsque le vétéran Denys Yantar lui a répondu qu’ils n’avaient pas d’armes et qu’ils voulaient plutôt discuter des manifestations en cours à travers l’Ukraine contre le désengagement, Zelensky s’est fâché. ‘Ecoutes bien, Denys, je suis le président de ce pays. J’ai 41 ans et je ne suis pas un loser. Je suis venu vers vous pour vous dire : déposez les armes. N’essaie pas de détourner la conversation vers de quelconques manifestations.’ L’échange est enregistré sur vidéo qui montre Zelensky s’avançant menaçant vers Yantar, dirigeant du Corps National, la branche politique du bataillon Azov, à Mykolaiv. ‘Mais nous avons déjà discuté de ça’ répond Yantar. ‘J’espérais voir de la compréhension dans tes yeux, mais à la place, je vois un type qui pense qu’il a un loser en face de lui’ reprend Zelensky ». Ce fut une démonstration du pouvoir des militaires et du bataillon Azov sur le président civil.
Après l’invasion par la Russie, en avril, Fox news a questionné Zelensky sur Azov, qui devait se faire battre un peu plus tard à Marioupol. « Ils sont ce qu’ils sont » a-t-il répondu. « Ils ont défendu notre pays ». Il s’est ensuite perdu en essayant d’expliquer que, puisqu’ils étaient intégrés dans l’armée, ce n’était plus des néo-nazis, même s’ils continuaient d’arborer des insignes nazis. Fox You Tube post a effacé la question de l’interview, mais l’intégralité est préservée ici : https://youtu.be/bltsSD8QtU4
Les responsables grecs outragés
Toujours en avril, Zelensky s’est mis à dos deux anciens premier ministres grecs et d’autres hauts responsables politiques en invitant un membre du régiment Azov à s’adresser au parlement Grec. Alexis Tsipras, ex-premier ministre et dirigeant du principal parti d’opposition, Syriza-Alliance Progressiste, a dénoncé la présence des combattants d’Azov devant le parlement. « Il ne s’agit pas de remettre en cause la solidarité avec le peuple ukrainien. Mais les nazis ne peuvent pas être autorisés à s’adresser au parlement » a-t-il écrit sur les réseaux sociaux. « Leur prise de parole était un provocation ». Il a accusé le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, d’en « porter l’entière responsabilité… Il a parlé d’un jour historique, mais ce fut un jour de honte historique ».
Un autre ex-premier ministre grec, Antonis Samaras a qualifié la vidéo d’Azov retransmise au parlement de « grossière erreur ». L’ex-ministre des affaires étrangères Nicos Kotzias a lui déclaré que « le gouvernement grec a sapé le combat du peuple ukrainien de façon totalement irresponsable, en donnant la parole à un nazi. Il s’agit d’une lourde responsabilité. Le gouvernement doit publier un rapport détaillé de la préparation et des contacts pris pour organiser cet événement ». Le parti de l’ex-ministre des finances Yanis Varoufakis, MeRA25 a dénoncé l’apparition qui a tourné à la « fiesta nazie ».
Zelensky s’est aussi abstenu de dénoncer son ambassadeur en Allemagne, Andrij Melnik, qui est allé se recueillir sur la tombe de Bandera à Munich, provoquant la réaction acérée d’un parlementaire allemand : « quiconque qui, comme Melnik, décrit le collaborateur nazi Bandera comme ‘notre héros’ et fait un pèlerinage sur sa tombe ou défend le bataillon Azov comme des ‘braves’ ne peut être décrit que comme ‘un sympathisant nazi’ pour rester gentil »
Zelensky a fermé de nombreux sites d’information et banni 11 partis politiques, dont le plus large d’entre eux, la Plateforme Eurosceptique d’Opposition pour la Vie (OPZZH). Dans la liste des partis interdits, il n’y en avait aucun de l’extrême-droite.
Donald Trump a été fustigé avec raison pour ses remarques sur les suprémacistes blancs de Charlottesville. Mais que Zelensky soit financé par un oligarque qui est en même temps le principal soutien d’Azov et ait permis à un néo-nazi de s’adresser à un parlement européen, lui vaut un satisfecit de l’administration démocrate et des médias US aveugles au problème autrement plus sérieux du néo-fascisme en Ukraine.
« Infesté »
Fishman s’élève aussi contre une phrase écrite par notre éditorialiste Patrick Lawrence dans CN, et que l’on trouve pratiquement identique sous la plume du journaliste légendaire John Pilger. Lawrence décrit le gouvernement ukrainien comme « un régime infesté de nazis », et Pilger parle du « régime issus du coup d’état, infesté par les néo-nazis ». Newsgard s’oppose à cette formulation parce que l’aile politique des groupes néo-nazis violents ont enregistré de faibles scores électoraux. Fishman écrit : « L’article de Patrick Lawrence : ‘Infantilisme impérial’ paru en mars 2022 écrit : ‘les noms dont nous affublons Poutine tournent maintenant comme les boules sur un billard électrique. La comparaison avec Hitler, par contre, semble passée de mode, peut-être parce que trop caricaturale, à moins que cela ne soit dû au fait que l’OTAN arme maintenant un régime infesté de nazis’, en référence au gouvernement ukrainien. En février 2022, John Pilger écrivait lui dans un article sous le titre de ‘Guerre en Europe et l’ascension de la propagande à l’état brut’ que ‘Vladimir Poutine parle d’un génocide dans le Donbass à l’est de l’Ukraine. Suite au coup d’état de 2014, orchestré par l’envoyée de l’ex-président Barak Obama à Kiev, Victoria Nuland, le nouveau régime, infesté par les néo-nazis, a lancé une campagne de terreur contre les populations russophones du Donbass, qui représentent environ un tiers de la population de l’Ukraine’. Cet article reprend les mêmes affirmations que celles déjà soulignées dans les articles précédents et semblent donc fausses pour les mêmes raisons »
On peut bien sûr disputer du choix du terme ‘infesté’ mais il est clair que l’état ukrainien protège depuis longtemps un néo-nazisme influent dans le pays. CN offre une grande latitude à ses éditorialistes et commentateurs comme Lawrence et Pilger, tous les deux journalistes expérimentés, pour exprimer leur point de vue. Il reste qu’il y a peu de doutes sur l’influence démesurée du néo-fascisme dans la société et le gouvernement ukrainien, en particulier depuis les événements de 2014.
Evacuer l’influence du néo-fascisme comme le fait Newsguard en se contentant de regarder les résultats électoraux passe complètement à côté du problème. Fishman a demandé à CN de corriger ses reportages sur le néo-nazisme en Ukraine. Mais c’est bien l’affirmation de Fishman selon laquelle « il n’y a aucune preuves que le nazisme ait une influence substantielle en Ukraine » qui devrait être corrigée.
Le mot en ‘G’
Fishman s’emporte également contre l’utilisation du mot ‘génocide’ dans deux articles de CN au sujet de l’Ukraine : « J’ai trouvé plusieurs exemples ou CN semble publier des affirmations fausses ou trompeuses, et j’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. J’ai listé quelques exemples et donné pour chacun une brève explication des raisons pour lesquelles ils semblent faux : un article de mars 2022 ‘Une solution est possible pour arrêter la guerre en Ukraine’ écrit que ‘le gouvernement de l’Ukraine a refusé aux peuples du Donbass les droits humains élémentaires et leur droit à l’autodétermination. Selon un bilan des Nations Unies, plus de 13.000 personnes sont mortes au cours des huit années qui ont suivi le coup d’état de 2014. Le gouvernement ukrainien a adopté une politique ouvertement génocidaire contre les minorités russes ». L’article de John Pilger ‘Guerre en Europe et l’ascension de la propagande à l’état brut’ écrit que ‘Vladimir Poutine parle d’un génocide dans le Donbass à l’est de l’Ukraine. Suite au coup d’état de 2014, … le nouveau régime…a lancé une campagne de terreur contre les populations russophones du Donbass, qui représentent environ un tiers de la population de l’Ukraine’. » Fishman nous explique que : « la Cour Criminelle Internationale, le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ont tous jugé qui’ils n’avaient pas trouvé trace de génocide dans le Donbass. Par exemple, un rapport publié en 2016 par l’ICC estime que les actes de violence perpétrés par les autorités ukrainiennes en 2013 et 2014 pourraient constituer une ‘attaque dirigée contre une population civile’mais indique dans le même temps que ‘au vu des informations dont nous disposons, il n’y a pas de base solide pour croire que ces attaques aient été systématiques ou largement répandues’. La mission états-unienne auprès de l’OSCE affirme dans un
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