Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Oui la sécurité est une question populaire ! par Yvon Quiniou


Mardi 1er juin 2021, par Yvon.quiniou

La question de la sécurité dans les milieux populaires devient malheureusement une question grave. Une violence grandissante aux multiples formes s’y manifeste, ce qui réhabilite le rôle de la police dans les conditions sociales présentes, en attendant mieux, ce que la gauche doit admettre. Mais la police est soumise aux lois de la République que la justice applique et elle n’a pas à les juger.

« La sécurité est une question populaire » a déclaré Fabien Roussel, dirigeant du PCF pour justifier sa présence à la manifestation de soutien aux policiers victimes d’agressions, y compris mortelles ; et il a été rejoint sur cette position par Olivier Faure, dirigeant du PS, alors que la France insoumise faisait encore des siennes dans la démagogie libertaire. Or il faut bien comprendre cette affirmation pour ne pas la concevoir comme un soutien inconditionnel à la police, coupable parfois d’exactions inexcusables, sur fond, souvent, d’une sympathie idéologique pour les thèses du Rassemblement national.

« Question populaire », donc. Il ne faut pas voir dans cette expression la volonté démagogique de complaire à une revendication du « peuple » qui peut très bien se tromper, pour des raisons multiples, dans ses adhésions politiques comme on le sait (voir les intentions de vote en faveur de Marine Le Pen, y compris chez les Gilets jaunes !) ; et dans ces raisons l’absence de culture politique peut jouer un rôle. Non, il s’agit bien plutôt de voir dans ce souci de la sécurité une inquiétude profonde et relativement inédite des classes populaires, confrontées à une insécurité croissante dans leurs lieux de vie et que seuls ceux qui vivent bien, dans le 16ème arrondissement de Paris par exemple, ignorent au quotidien et font semblant d’ignorer intellectuellement à distance, alors que les médias en parlent régulièrement, à juste titre dans ce cas. Et prendre en charge ce souci officiellement pour trouver des moyens de le résoudre me paraît à la fois justifié sur le fond et courageux quand on se réclame d’une option politique clairement à gauche. Je m’explique.

Justifié sur le fond car depuis que la gauche d’origine socialiste a abandonné son identité ainsi que ses ambitions (et cela remonte au choix de l’Europe par Mitterrand en 1983) et que la déferlante libérale s’est abattue sur l’Europe et la France, donc, après la chute du Mur de Berlin, la situation des classes populaires s’est considérablement dégradée non seulement en termes de pouvoir d’achat mais d’assurance d’avoir un travail et un travail s’exerçant dans des conditions humainement dignes. S’y ajoutent des conditions de vie, cette fois-ci, dans les banlieues ouvrières, souvent insupportables : rivalités arbitraires de groupes, violences, trafic de drogue, incivilités multiples, vols, co-existence pénible (eh oui !) avec une population immigrée influencée et manipulée par des extrémistes musulmans, ce qui crée une division dommageable au sein du peuple ouvrier, etc.

Pour le dire clairement : on n’a (je n’ai) jamais vu un pareil délitement ou un tel fractionnement au sein du peuple, avec des moyens d’y faire face largement insuffisants, tant sur le plan de l’éducation que sur celui des forces policières, sans compter la dimension socio-économique qui est première dans l’ordre de la causalité.

Et surtout, pour revenir à la question policière, c’est ce climat délétère qui explique que quand la police intervient pour « mettre de l’ordre » comme on dit (régler un conflit violent entre bandes, intervenir auprès des dealers, etc.), la situation s’aggrave et ce sont les policiers qui deviennent des victimes. Or c’est la mission de la gauche, socialiste ou communiste, par définition, que de vouloir instaurer la paix entre les hommes au sein même de leur existence sociale quotidienne et, de ce point de vue, lui en vouloir de soutenir la police (même si elle peut commettre des abus eux injustifiables et si une partie importante de ses membres sont proches de l’extrême-droite) n’est absolument pas fondé et relève d’une démagogie libertaire dont J.-L. Mélenchon est malheureusement le héraut (mais pas le héros).

Mais la position de Roussel et d’autres est aussi courageuse. Car la gauche a toujours eu un rapport critique disons à l’ordre policier (et c’est mon cas), quitte y voir abusivement un soutien au capitalisme que, de fait et malgré tout, il soutient. Elle y voyait à la fois une force étatique au service du capitalisme, réprimant sur ordre du gouvernement en place les contestations populaires, ce que l’histoire nous a prouvé sans contestation, je n’insiste pas. Et elle a toujours imaginé une société où la liberté, alimentée par la justice sociale et le développement de l’éducation, règnerait, avec en prime, un épanouissement des individus qui les apaiserait et éliminerait le besoin d’une répression policière importante et donc celui d’agents nombreux pour l’exercer. Disons qu’elle avait une position « libertaire » ici, mais libertaire avec un ancrage social qui la rendait crédible et non utopique ou irréaliste. Souvenons nous même de Lénine mettant en avant le dépérissement de l’État pour caractériser le communisme dans la ligne de certaines notations de Marx, et même sa sympathie pour les anarchistes dans L’État et la révolution ! Mais cette position de principe, que je partage s’agissant du long terme, se heurte à la réalité actuelle telle que je l’ai présentée, avec une violence généralisée dans les rapports sociaux, spectaculaire ou pas, et dont il ne faut pas dire que les médias, en s’en faisant l’écho, l’exagèrent : ce serait se voiler la face et fuir démagogiquement nos responsabilités, quand on est de gauche. Et cette réalité consiste aussi dans les crimes qui ont visé des membres de la police, je ne les rappelle pas. Or un agent de police est un être humain à part entière, qui a droit lui aussi au respect de sa personne. D’où l’obligation, pour cette même gauche, de prendre ses responsabilités, quitte à modifier son image auprès de l’opinion et à mettre à distance ses convictions sur le long terme, à ce niveau précis.

Ce qui est en jeu c’est bien la sécurité de la vie dans les classes populaires aujourd’hui, sans attendre le « grand soir » qui l’instaurera en créant ses conditions sociales fondamentales, dont l’extrême-droite n’a que faire. En ce sens, la gauche n’a pas à laisser le monopole du thème de la sécurité à la droite, d’autant plus que celle-ci va la traiter d’une manière insuffisante : d’abord en termes de seule répression, oubliant la causalité profonde de l’insécurité dont sa politique économico-sociale est responsable ; ensuite en étant incapable de fournir à la police des moyens à la hauteur de ses besoins, à savoir des effectifs suffisants, une formation éthique sur son rôle au sein de la société, empêchant ses débordements, et des conditions de travail dignes de ce nom comme des locaux convenables, ce qui n’est pas toujours le cas, spécialement dans les banlieues ouvrières où les commissariats sont souvent crasseux et les policiers déprimés.

Il reste que la police non seulement ce n’est pas la justice mais qu’elle lui est subordonnée : la fonction de définir ce qui est juste ou pas relève des lois de l’État qu’elle doit prendre en compte ; et l’estimation de la responsabilité des coupables et donc des peines qu’ils doivent encourir ne relève pas des policiers ni de leurs syndicats comme quand on a pu les entendre le réclamer en se prononçant publiquement sur les « peines planchers » ou les peines pour les agressions visant les policiers ; c’est le rôle, terriblement exigeant, des juges. De ce point de vue, il faut rappeler que nous sommes tous égaux devant les lois de la République que la justice incarne et fait appliquer, en toute indépendance. Et les policiers doivent se considérer comme des citoyens, actifs et bénéfiques certes, de l’État républicain mais non comme ses juges !

Yvon Quiniou

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