Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Positif : des réalisatrices soviétiques comme nulle part ailleurs

La revue de cinéma Positif de mars 2021 présente comme souvent des articles passionnants mais je retiendrai en particulier celui de Didier Bertrand : rétrospective – Pionnières du cinéma soviétique. Positif est une revue dont le directeur Michel Ciment ne cache pas ses réserves (c’est une litote) face au communisme. Pourtant comme souvent grâce à l’amour du cinéma cette revue ne peut ignorer tous les fantômes partagés entre cinéphiles et communisme. Ainsi ce mois-ci il y a des informations sur l’apport de l’URSS ici à l’émancipation féminine et ceci non seulement dans la période que l’on considère comme celle de la libération des mœurs mais durant tout le “stalinisme”. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

illustration : GÉNÉRATION DES VAINQUEURS
ПОКОЛЕНИЕ ПОБЕДИТЕЛЕЙ [POKOLENIE POBEDITELEÏ]

Vera Stroïeva URSS / 1936 / 110 min

Avec Boris Choukine, Nikolaï Khmelev, Ksenia Tarassova, Ossip Abdoulov, Gueorgui Tchernovolenko. D’un chahut à l’université en 1896 à la révolution de 1905 : l’histoire d’une génération qui prépare Octobre.

Cette rétrospective organisée par Irène Bonnaud et Bernard Eisenchitz a en effet été présentée fin aout 2020 au festival de Bologne et du 14 au 29 octobre 2020 à la cinémathèque française, entre les confinements. Les organisateurs l’indiquent : “jusqu’aux années 1960, il y eut plus de réalisatrices en URSS que dans aucun autre pays. Ce n’est peut-être pas une simple note en bas de page de l’histoire mais une question politique”.

C’est un phénomène totalement original, dans la plupart des cas en occident, à Hollywood, en Europe, il y a une femme par décennie qui fait réellement carrière dans le cinéma au meilleur des cas.

Cette exception URSS a été favorisée par des raisons politiques et sociales, même ajoute l’article “si la réalité restait en retrait de l’objectif idéologique, les valeurs d’émancipation et de libération des carcans de la société et de la morale bourgeoise portée par la Révolution de 1917 se traduisaient par une acceptation plus facile du rôle des femmes à la caméra. Curieusement, cet effort a été mal perçu à l’étranger pendant des années et le schéma de la réalisatrice isolée ‘cas particulier’ a eu tendance à être suivi dans les histoires du cinéma qui ne mentionnent que la seule Olga Preobrajenskaïa et, parfois, la documentariste Esther Choub, pour la période des années 1920 et 1930. Le mérite de la rétrospective est de montrer que cet arbre cache en réalité une petite forêt de créatrices.” (positif-n°721, p.72)

Même s’il nous met en garde contre tout triomphalisme et si l’auteur se croit obligé d’un rappel des œuvres critiquées, voire de créatrices interdites, déportées et s’il note que plusieurs carrières se sont déroulées dans le domaine de l’animation et des films pour enfants, si dans les couples comme dans le cas de Dovjenko et Ioula Solntseva, le pilier féminin a été occulté par le masculin, il n’en reste pas moins un fait majeur : “des femmes réalisatrices ont produit régulièrement des années 1920 à 1950, et sans discontinuer quelles que soient les vicissitudes du régime, des films de genres divers dont certains ont touché un public de millions de spectateurs.”

Notez que cet âge d’or de l’émancipation féminine en matière cinématographique se situe de 1920 à 1950.

Toujours dans le paradoxe cette revue donne fréquemment la parole à des cinéastes marxistes…

Je signale également dans le même numéro (721) un article de Mrinal Sen, sans doute le plus grand cinéaste Bengali (Inde) qui est communiste et il nous parle de l’un des héros Apu de Satyajit Ray (1), avec lequel il a polémiqué un temps en l’accusant de rester en dehors de la défense des couches populaires qu’il prétend représenter.

Mrinal Sen dans cet article reprend la trilogie et le héros en décrivant bien sûr la relation mère-fils, l’arrachement, mais aussi une errance, “un début mais pas de conclusion, le voyage du Bengale rural, du Bengale invisible, celui de l’Inde et du reste du monde. En fin de compte c’est le voyage de toute l’humanité

Comme ce mouvement qui a lieu en ce moment même. (p.40 à 43)

(1) Le Monde d’Apu (bengali: অপুর সংসার Opur Shôngshar), ou Apur Sansar, est un film indien réalisé en 1959. C’est le troisième et dernier volet de la célèbre Trilogie d’Apu de Satyajit Ray, qui raconte l’histoire d’un garçon bengali du début du xxe siècle.

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