Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Ernst Bloch, visionnaire de notre temps, par Azoumano Ouattara

L’enjeu essentiel du concept de non-contemporanaité (Ungleichzeitigkeit), proposé par le philosophe allemand E. Bloch, porte sur  l’imagination historique qui doit être analysée à partir d’une temporalité  multiple et synchronique dans la mesure où les acteurs sociaux ne sont pas présents de la même façon dans l’histoire en train de se faire. Ce texte indique les raisons pour lesquelles la pensée de Bloch est apte à décrire l’expérience sociale des crises de notre temps : elle est attentive aux formes de réinvention  des identités sociales, conduits essentiels de la praxis sociale, qui trouvent à se nourrir aussi bien des symboles du passé que des chiffres de l’utopie, avec tous les risques de falsification et de violence.

 « Puisse-t-on au contraire arracher au diable l’arme de ses mensonges et de ses chimères 1 »

 Héritage de ce temps du philosophe allemand Ernst Bloch est un dispositif philosophique iconoclaste. Entre une reconstruction critique de l’histoire de la philosophie moderne, une esthétique du montage et une théorisation politique des conflits mondiaux du siècle dernier, le livre, écrit dans les années vingt, fut  publié après la prise du pouvoir par les nazis. Le secret de cette reconstruction philosophique, d’une crise qui s’observe depuis le concept-clé de non-contemporanéité (Ungleichzeitigkeit), se trouve dans la réflexivité de la post-face de 1962  qui conjoint en une seule critique les totalitarismes renvoyés aux mécanismes de leur négation de la liberté, de la vérité et finalement de la vie. L’ouvrage de E. Bloch est un texte politique dans lequel sont explicitées, philosophiquement, les logiques transversales de la crise des fondements ontologiques d’une société. Les concepts qui y sont élaborés, en particulier celui de non-contemporanéité, ont pour enjeu essentiel de retrouver, sous les contradictions sociales, les traces d’une utopie négligée par une sécularisation qui s’est débarrassée, à moindre frais, de l’imagination. C’est la raison pour laquelle, le philosophe s’efforce de faire apparaître les constellations utopiques du sens qui permettraient de construire de nouveaux plans cognitifs, esthétiques et politiques pour faire face à la barbarie.2

La thèse défendue dans le présent texte est la suivante : Bloch est un visionnaire pour avoir insisté, à partir de l’exemple du nazisme, sur l’imaginaire comme la ressource essentielle des conflictualités modernes.  Il a croisé trois facteurs qui n’ont cessé d’être présents dans les crises avenir : 1) l’emboîtement synchronique de temporalités différentes qui participent à fonder les représentations identitaires des groupes sociaux. 2) l’existence de courants irrationalistes entretenus par des « intellectuels », véritables entrepreneurs identitaires, qui jouent l’enracinement contre l’altérité. 3) l’existence d’une crise économique, synonyme de raréfaction des ressources et de multiplication des frustrations.  

Le motif récurrent de Héritage de ce temps est politique : «  Il est temps de faire sauter ces armes des mains de la réaction3 ». Bloch fait allusion aux symboles, aux mythes, aux allégories, aux archétypes instrumentalisés par les courants politiques irrationalistes qui, sous le couvert d’une critique de la modernité, jouent sur la force d’attraction de l’imaginaire pour le retourner contre les valeurs de l’émancipation. La thèse de Bloch est extrêmement forte. Elle porte sur la captation violente de l’ « héritage », la perversion de  tous les symboles d’identification et de connexité, principalement celui de foyer (Heimat), leur imposition violente contre les figures de l’Autre. L’ « héritage » est un espace de lutte pour s’emparer d’éléments imaginaires qui, autrement, pourraient servir politiquement contre les figures de la liberté. Bloch démontre que le corps politique et historique est travaillé par cette dialectique paradoxale de l’imaginaire qu’il faut porter au jour et médiatiser, à l’issue d’ « un travail de corps à corps » avec les forces régressives qui jouent sur l’ambiguïté du symbole. Cette lutte difficile continue d’être l’enjeu essentiel du monde contemporain parce qu’elle est résistance aux les formes nouvelles de la barbarie.

   « A Dieu l’utopie ? » Tel est le titre d’un livre de Bloch.4 La pensée contemporaine ne peut congédier l’utopie. Elle doit mettre au travail le concept  de non-contemporanéité comme l’indice de la vitalité de la philosophie de Bloch qui est elle-même non-contemporaine, hier comme aujourd’hui, par un excédent philosophique qui se défie de tous les temps présents. Dans son étagement des concepts, elle dégage un surplus de sens qui peut nous aider à lire les temps troublés d’aujourd’hui.

1 – Les dialectiques de la non-contemporanéité

La problématique de Héritage de ce temps est construite autour d’une réflexion sur les formes d’opposition au rationalisme instrumental avec les types de temporalité qu’elles enveloppent. Bloch appelle cette opposition « la pulsion anticapitaliste ». Il suit le tracé des oppositions non- contemporaines, qu’elles soient authentiques ou non authentiques, à ce qu’il appelle «  la machine de mort du capitalisme 5 ». L’entreprise blochienne se donne pour tâche de rendre compte de l’agir historique et des dysfonctionnements objectifs des structurations symboliques qui se manifestent dans l’éclatement du continuum temporel. Elle a son versant politique qui consiste à mobiliser les matériaux symboliques de la Kulturpessimismus, pour autant qu’ils symbolisent aussi la tentative de retrouver une vie non mutilée, pour les soustraire à la réaction et les réorienter dans une perspective révolutionnaire.

Les groupes sociaux sont écartelés entre des temporalités différentes dans un présent insatisfaisant : « Tous ne sont pas présents dans le même temps présent »6. Le temps historique est un composé de temporalités vécues qui ne sont pas toutes orientées de la même façon. La non-contemporanéité est le nom du mode d’être du temps dans le monde moderne. Son concept effectue, en effet, le problème d’une dialectique historique résultant de l’emboîtement d’une temporalité multiple source d’une multiculturalié problématique. Il indique, dans le même mouvement, les formes nouvelles de la conflictualité politique dont la ressource essentielle est le temps multidimensionnel qui fonde désormais les identités. Les crises modernes montrent que le travail de la différence est réduit, en son fond, à un face-à-face des dispositifs identitaires qui deviennent confligènes dans certaines situations historiques. Les annotations de Héritage de ce temps sur ce que Bloch appelle le « carcan du sang » sont nombreuses pour souligner les effets dévastateurs des modes de représentations de soi qui prétendent à la pureté. Les « saxons sans forêt » sont, justement, un nouveau type d’hommes aux « identités meurtrières » qui veulent défaire l’entrelacement des temporalités, les mélanges, les métissages7.      

Il y a des temporalités qui n’ont rien de contemporaines mais leurs effets n’en continuent pas moins d’informer la praxis des hommes. Cette co-présence du passé est d’autant plus importante qu’elle concerne la praxis politique à l’inflexion de la symbolisation et de la technique. La praxis est confrontée à l’héritage des symboles imaginaires qui permettent à une société de se maintenir mais aussi de changer.

La méthode blochienne de l’Héritage montre que le présent contient du passé : traditions qui se maintiennent ou qui sont réinventées, anachronismes des styles de vie, obsolescence de modes de vie, modes de productions dépassés. Le passé devient problématique dans la temporalité brisée de la crise de la modernité Les groupes sociaux ne sont pas tous au diapason de la modernité. Les espaces d’expérience sont brisés cependant que les horizons d’attente se multiplient sans rendre l’avenir possible. Les processus de déclassement sociaux  condamnent certains groupes à végéter et finalement périr comme « détruits » par la vitesse de la modernisation qui les fait exploser. Les formes de résistance sont elles aussi plurielles, souvent régressives (ethnonationalisme, replis identitaires), quelques fois utopiques.          

Ainsi, la non-contemporanéité désigne l’éclatement ou la désarticulation du continuum historique d’une société qui aboutit à une coexistence de temporalités. Ces dernières  sont, soit indifférentes les unes des autres ou elles sont dans des rapports de tension. L’idée de temporalité schizophrénique dérive du phénomène de clôture des groupes supposés constituer des totalités sociales fermées les une aux autres. Les crises sont les moments d’écarts maxima entre ces temporalités, essentiels à la formation des identités symboliques ou participant à leur effondrement passager. Il ne faut pas s’y tromper : l’absence d’un lieu unique de centration ou d’un temps dominant ne signifie pas l’évacuation des tentations hégémoniques portée par la technique, le marché ou l’Etat ou encore le Parti. L’idée de contradiction principale exprime le centre par défaut (le procès hégémonique  du mode de production) qui renvoie à la dynamique d’une histoire avec ses changements économiques, techniques, démographiques et politiques.

L’héritage est la méthode sociale de conversion ou de médiation de ces temporalités différenciées par quoi est possible les formes de l’intégration sociale, la communication sociale, la réinvention continue de l’identité collective8. Cette méthode alchimique, qui est mécanisme de symbolisation, est fragile. Les crises en portent le constat. Mais en même temps si l’héritage est passage, il est méthode de l’utopie. Ce point est important. L’utopie est le non-contemporain par excellence. Elle est au prise avec le présent vivant tout comme le passé qui contient de l’avenir entravé, sans être lestée des obscurités et des irrationalités du passé. Ainsi, contester la modernité sans la détruire ne peut se faire que du point de vue de l’utopie qui est figuration d’un autre temps et d’un autre espace qui organise, secrètement, l’agir politique9.

La théorisation de la contemporanéité présente les stratifications suivantes : 1)  L’objectivement non-contemporain est ce qui n’appartient pas au présent, comme ce vide qui nous habite encore alors qu’il n’est l’ombre d’aucun être. Il est une forme du passé qui touche au travail, à l’organisation sociale, à des modes de représentation détachés de leurs structures logiques d’origine. 2) Le subjectivement non-contemporain oppose à la vie d’aujourd’hui une vie fantasmée qu’une « anthropologie de la colère » permet de débusquer comme opposition à cette vie qui nous écarte, et contre laquelle on réagit avec cette violence qui peut nous jeter dans les bras du pire 3) La contradiction objectivement contemporaine nous oppose, de façon valable, à la société d’aujourd’hui, à ses inégalités, à sa dévalorisation des normes malgré sa rhétorique des droits, ses formes astucieuses d’exclusion. Cette contradiction peut prendre une forme objectivement révolutionnaire ou, au contraire, être  subjectivement et objectivement réactionnaire. La contradiction contemporaine porte, avant tout, sur le mode de production lui-même et les formes de domination qu’il induit. La force de contestation de cette domination, dont la figure éminente est le prolétariat, représente le lieu véritable de la contradiction contemporaine10. 4) La non-contemporanéité métahistorique  présente dans l’histoire inassouvie du Royaume et dans la nature dont les chiffres nous orientent vers la « question inconstructible » : « Le fondement de la contradiction non-contemporaine est le conte irréalisé du bon vieux temps, du mythe resté sans solution du vieil être de la nature. Ici, par moments, se trouve un passé non dépassé du point de vue des classes, mais, matériellement aussi, un passé qui n’a pas encore été tout à fait honoré »11. Bloch l’appelle « le passé non encore réglé »12.

Ces différents niveaux de la non-contemporanéité ne doivent pas faire oublier que la technique est essentielle à la compréhension de leur concept. La non-contemporanéité technique, symbole d’une tension temporelle au cœur de la contradiction contemporaine, est un des aspects méconnus de la philosophie de Bloch.  La technique imprime aux sociétés une mutation de leurs régimes temporels. Bloch est très attentif au rapport ambigu à la technique qui permet à la fois de réaliser certains aspects de l’utopie humaine,  mais qui, en même temps, ne cesse de défaire les réseaux symboliques par lesquels se maintiennent les communautés humaines. La technique décale, détruit, rend obsolètes des pans entiers de la culture, des façonnements productifs, des manières d’être ensemble. Elle pousse à une symbolisation régressive ou à un surinvestissement des formes rapides d’une production technique faussement ouverte, incapable de porter les constellations de sens de l’agir humain. La déstructuration technique du symbole porte atteinte à l’ancrage symbolique mais surtout elle ouvre la voie à la perte des capacités éthiques de l’homme.13 Ce mouvement de tension entre la technique et le signe est porteur de risques. Il laisse les communautés humaines sans direction. La violence est, de ce point de vue, la tentative désespérée d’une symbolisation partisane qui ne peut plus faire l’histoire. Symboliser le temps ne vaut que dans la mesure où est préservée la dialectique du passé et de l’avenir distinguée de ses caricatures régressives.

Le concept de non-contemporanéité enveloppe une implication politique, nous l’avons vu, qui appelle quelques remarques terminales. On ne peut qu’être frappé par le peu d’attention portée à la place de la guerre dans la philosophie de E. Bloch dont le mérites aura consisté à en penser la genèse dans une modernité aliénante, et à en mesurer les effets dans l’apparition de figures nouvelles d’un éclatement des communautés politiques, désormais prises au piège des mouvements contradictoires de la déstructuration symbolique et de la technique. Or tout l’arrière plan de  L’esprit de l’utopie, du  Thomas Münzer  et de  Héritage de ce temps  est constitué par la guerre sous les formes d’une crise de la modernité, d’une guerre ayant pris le visage de la guerre totale, des convulsions d’une révolution devenue impossible. Bloch s’intéresse, en philosophe, à construire une herméneutique de ces conflits. Il  thématise les liens entre les nouveaux modes de la conflictualité politique et une temporalité non-contemporaine qui éclairent les formes modernes de symbolisation d’une politique de la violence. La cruauté des temps modernes réside dans l’héritage d’une multiplicité de symboles du passé retournés contre l’altérité. Les formes imaginaires d’inscription dans une société en crise, où les identités se trouvent fragilisées, sont ici décisives. Elles sont les ressources politiques d’une conflictualité dont les enjeux ne sont pas seulement économiques mais correspondent à la construction d’une citoyenneté ouverte, contemporaine ou restrictive et raciale.

En effet, tous les conflits, à caractère identitaires, impliquent une reconstruction imaginaire de l’autre. Bien qu’elle fasse couramment appel au passé, une telle réinvention est tentée par une suppression de l’histoire. Son caractère non-contemporain naît de ce qu’elle mise sur la permanence des motifs d’une conflictualité qui aurait toujours fait la distinction originaire entre « eux » et « nous ». La non-contemporanéité est l’ensemble des mécanismes sociaux de production de cette tentation de réinvention régressive de soi. Son objectivité renvoie aux contradictions temporelles d’une praxis non homogène. Son caractère subjectif est politique, et correspond à une liquidation de l’avenir par des constructions abracadabrantes du passé qui appelle une interrogation sur les formes modernes de l’idéologie. Parmi celles-ci,  il en est une qui est particulièrement dangereuse que Bloch a appelée l’idéologie de l’ « enivrement »14. L’aliénation, celle que combattait Hegel, était encore un moment de la dialectique de l’émancipation. L’ « enivrement » en est la dissolution. L’expressionnisme philosophique de Bloch est une manière de se battre contre les formes sournoises du dessaisissement de soi. Elle est une invitation au travail de ré-appropriation du passé contre les miroitements de la manipulation des mythes et des symboles, des mots par les « producteurs d’idéologie ».  

La rémanence historique d’un discours de la révolte, avec ses différents travestissements,  ne cesse de travailler l’histoire d’une conflictualité en vue de mettre fin à la domination. Bloch est attentif à ces luttes ambiguës contre l’ordre. Le discours anti-révolutionnaire peut se saisir des symboles révolutionnaires pour les retourner dans un autre sens, pour plier la « défection » dans le sens d’une révolution conservatrice. On voit donc que la vision de Ernst Bloch est profondément historique : ressaisir les ressources imaginaires à partir desquelles un ordre social rentre en crise en raison de la contestation de son ordre de domination. Ces ressources ne sont pas seulement conjoncturelles mais elles sont aussi des constituants de l’agir historique qui obéit à des logiques contextualisables.

Le fascisme exploite les ambiguïtés et les contradictions de l’idéal d’émancipation de la modernité. Le paradoxe veut qu’un mouvement régressif utilise les techniques hyper-contemporaines pour produire une esthétique sociale peu commune, avec ses parades qui sont une démonstration de force, tenant lieu de la vérité. Il s’agit d’une esthétisation de la violence présentant le corps sain en opposition à l’esprit vicié. Il y a aussi l’utilisation de la radio comme nouveau médium de la mobilisation politique qui rend plus facile la transmutation du passé dans le présent et la construction de nouvelles mythologies qui ne craignent pas d’annexer les formes anciennes de la cité idéale. Le symbole technologique, qui réapparaîtra dans des contextes génocidaires à venir, est justement la radio abondamment utilisée par les « propagandistes archaïques ». C’est la raison pour laquelle, Bloch insiste aussi sur le rapport entre la rhétorique faussement contemporaine des nazis et la publicité.15 La rhétorique de la publicité politique est le nouvel instrument de la violence dès la première guerre mondiale. La souffrance des hommes devient, par là même, inaudible et muette. Elle est renvoyée à elle-même, comme étant insignifiante, par l’investissement des mots et des symboles abandonnés que de nouveaux acteurs  du champ politique, qui savent miser sur le passé, font renaître sous ses pires perversions.

2 – L’imaginaire à l’épreuve de la crise

La crise de l’imaginaire est un moment central de non-contemporanéité parce que ses antonymes les plus redoutables s’emparent alors du potentiel d’expression sociale par lequel une société figure son propre devenir. L’éclatement de la contemporanéité historique produit  des figures temporelles hybrides de la socialité parce que le noyau même de l’expérience présente fait problème.

De ce point de vue, la théorie de la non-contemporanéité renouvelle l’approche de la question de l’imaginaire social  sur un point décisif, à savoir qu’une crise des procédures de médiation des fonctions symboliques d’une société signifie que les débris qui en sont issus participent désormais au processus de sa dissolution. L’aspect le plus étonnant des conflictualités modernes, à caractère identitaire, réside en ceci que les usages des symboles et des mythes se retournent contre les hommes pour les détruire, alors que la médiation symbolique avait pour but de les soustraire à la violence des stimuli diffus d’un environnement naturel souvent hostile ou de les protéger en construisant un cosmos médian. Ce retournement nocif de la symbolisation est à l’origine d’une exigence que le texte Bloch ne cesse de présenter sous différentes formes : « Ne pas contourner de façon abstraite « l’irraison » à l’intérieur de l’insuffisante « raison » capitaliste » mais l’examiner, dans son mouvement d’accaparement et d’anesthésie sociale pour en occuper la contradiction.               

Bloch utilise un mot tombé en désuétude, tant les entrepreneurs des guerres de purification ethnique d’aujourd’hui ont innové : propagande. Cet usage ne manque pas de pertinence parce qu’il indique le niveau d’abaissement de la communication sociale qui appelle, en retour, de nouvelles ressources du langage, quand le mensonge devient indiscernable de la vérité. Bloch appelle imagination politique (Politische Phantasie), les processus sociaux « partisans » de la restitution du sens dont le médium est le langage,  dans la multiplicité de ses expressions. Cette restitution exige un travail pragmatique de symbolisation politique pour reconstruire les médiations défaites de la coopération sociale, entre les membres d’une même communauté, jusque dans ses niveaux les plus élémentaires.

Une telle exigence éclaire les enjeux d’une imagination rouge (Rote Phantasie) ainsi que la propagande qu’elle appelle. La surdétermination sémantique de cette dernière la rend inapte à dire l’enjeu de la théorie de Bloch qui porte sur la temporalité différenciée de la communication intersubjective, et des distorsions qui s’y produisent. On peut formuler la chose autrement en disant que le  noyau de la temporalité historique de la vérité est le centre du questionnement philosophique. La formule selon laquelle la « vérité s’ouvre d’elle-même un chemin » n’est rien moins qu’évidente relativement au champ de l’historico-politique. Les dictions de la vérité, en temps de crise, sont si éloignées de cette évidence qu’elles continuent de travailler les formes improbables de la réconciliation comme si les acteurs sociaux en conflit parlaient de lieux différents, de temporalités  différentes, au point de rendre la communication intersubjective aléatoire.

Une herméneutique de l’agir social suppose de concevoir, de façon nouvelle, la fonction historique des « structures spirituelles », qu’on les range ou non sous le vocable d’idéologie. Le problème de Bloch est de savoir si une compréhension réductrice des analyses marxistes de l’idéologie en termes de reflet de la matérialité économique n’équivaut pas à la liquidation « des contenus les plus profonds de l’histoire humaine en plein bouillonnement » ? On se souvient encore des termes de la critique formulée par Luckás  à l’encontre de Bloch : Une théologisation de la raison historique est-elle tenable ? L’ « espace obscur et vide » présente dans l’utopisme révolutionnaire, qui fascine tant Bloch, est-il autre chose qu’une intériorité anhistorique ? L’interprétation blochienne de la révolte des paysans de Thomas Münzer, peut-elle seulement constituer autre chose qu’une lecture approximative des fondements du matérialisme historique qui, de surcroît, reste aveugle au fait qu’une théologie de la révolution est déjà dépassée par les luttes réelles du prolétariat impossibles à identifier à celles des « fanatiques de l’apocalypse ». Les contestations modernes sont sans Dieu. La critique de Luckás est précise.16 Elle porte sur le risque d’une lecture non historique de la lutte des classes. La réponse de Bloch est, elle aussi, argumentée : les luttes et les contestations modernes de l’ordre socio-économique, malgré leur caractère historique, reconduisent des motifs très messianiques quand elles sont au cœur de la crise d’une société qui passe par un démaillage de ses liens symboliques. Il ne faut pas seulement lire l’histoire à partir de la contestation « pacifiée » dans l’Etat, avec ses modes de représentation et de mobilisation, même s’il est vrai que la naissance de l’Etat moderne a aussi signifié un tarissement, par des moyens coercitifs, du champ d’expression des prophéties religieuses capables de manipuler le futur quelle qu’en soit la forme17. Cette exigence de désactivation des attentes religieuses tente justement de faire barrage à l’imaginaire prophétique, ferment tenace des crises et des guerres. Or la crise d’une société réintroduit ce que la contestation avait d’apocalyptique en ouvrant, à nouveau, les vannes des visions fantasmées du futur. Tout d’un coup, les niveaux d’expression de la révolte rencontrent des justifications imaginaires ou religieuses qui peuvent la structurer ou la pervertir. Il y a des ressources imaginaires messianiques latentes qui réapparaissent dans les temps de crise pour être des voies d’expression de la révolte. Les modes conventionnels de la contestation ne résistent pas et explosent dans ces nouvelles configurations historiques. La force de l’argumentation de Bloch porte sur un point décisif qu’il est un des rares à faire ressortir avec autant de netteté : la structure temporelle de la contestation politique. Ce qui est fascinant dans Héritage de ce temps, et qui nous instruit sur les dialectiques des conflictualités contemporaines, c’est la manière dont les groupes sociaux revendiquent pour eux-mêmes la réinvention de leur histoire, construite sur un passé imaginé, tenue pour un vecteur de l’avenir avec toute la « mauvaise foi » et la violence qui peuvent accompagner cet appel au passé18.         

La méthodologie développée, dans le texte de Bloch, permet de comprendre l’articulation immanente des violences des temps modernes qui ne sont plus redevables d’une dialectique de la servitude, avec ses exigences d’émancipation, mais d’une cruauté qui assume son inhumanité. Les rhétoriques  identitaires, les nouveaux discours de guerre, trouvent à s’alimenter à une théâtralisation des symboles devenus instruments de guerre. Bloch le dit clairement : la guerre se joue toujours d’avance sur le champ symbolique. Aussi, parcourt-il les lieux symboliques de la production de la violence qui sont des manières de défaire les dispositifs de la raison, de relativiser les tabous, donc de contribuer à les lever, d’accélérer le processus d’assèchement de l’empathie sociale : les romans, la philosophie (« les ontologies de la précarité »), les revues, la peinture, les médias naissants, les manifestations esthétiques, la prolifération des discours de haine, avec leur reconduction des préjugés, autrement dit, les formes discursives qui sont les vrais arsenaux de la guerre. Le formidable décalage entre les causes et les effets d’une crise induit de nouvelles pratiques de la violence qui ne peuvent plus être référées aux causes objectives parce que désormais, ce sont les formes imaginées et exclusives de la vie sociale qui poussent à agir quand la crise libère ses effets les plus nocifs. Tout se passe comme s’il était possible de relire le passé à l’aune des besoins politiques présents. Les constructions hétéroclites, nées des fantasmes sociaux, correspondent, en même temps, à un processus de discrédit jeté sur ce qui permet la vie commune.

Le combat contre le nazisme devait mobiliser, non seulement les formes de la rationalité bourgeoise, mais aussi les formes de l’expressivité symbolique y compris les plus quotidiennes. Ce qu’on ne fait pas compte plus que ce qu’on fait : « Car ce que le parti a fait avant la victoire d’Hitler était parfaitement juste. C’est seulement ce qu’il n’a pas fait qui était erroné 19 ». Seule une « belle âme »  peut  rester sourde au travail souterrain de l’irrationnel. Les forces de mobilisation sont inséparables des intérêts dont elles sont les masques infidèles. Il y a des schèmes, des images, des archétypes qui sont des conduits de l’imaginaire social dont le travail d’attraction, de regroupement, de scission sociale, est décisif dans les périodes de crise parce qu’ils sont des lieux d’inversion d’une temporalité multiforme.20  Les rêves éveillés et les images sociales de la reconnaissance de soi jouent un rôle important dans l’articulation du vouloir et des intérêts. La rationalité politique doit être abordée, loin des dénégations puériles, en fonction de ses enjeux réels mais aussi des mécanismes de son effectuation. Les enjeux du problème de la non-contemporanéité sont considérables : faire apparaître la capacité de mobilisation des forces négatives qui ne reculent pas devant les symboles désertés, sous lesquels on peut encore dissimuler sa haine de la vie d’aujourd’hui, sa haine de l’altérité. Cette expression ambiguë, qui laisse sans voix ou provoque une dénégation effrayée, doit, au contraire, appeler une réplique politique.          

Bloch insiste, d’abord, sur la nécessaire théorisation des mécanismes de la croyance parce que la conviction s’impose, contre la logique et la preuve, tant il est devenu difficile de démêler le fantasme de l’argumentation, que les logiques de la représentation sociale sont le cœur d’une historicité rétive à la sagesse. La violence des crises actuelles, comme celles d’hier, n’est pas sans rapport avec les modes de construction et de réinvention des figures de l’altérité. Or la mise en forme idéologique précède toujours l’action qu’elle informe. La logique de déstructuration des dominations libère l’imaginaire dont la maîtrise  est un enjeu politique essentiel. Il milite, ensuite, pour une « propagande » capable de réinvestir l’expression romantique de la différence que l’on retrouve dans les classes moyennes, chez les paysans. L’imagination, les sentiments, les rêves de ces classes sont des non-contemporanéités d’une opposition aux formes d’aliénation produites par le capitalisme. Leurs caractères ambigus, anachroniques et hors de saison font partie de la dynamique politique des temps de crise. L’imaginaire doit être saisi dans son efficace propre, qui est d’autant plus dangereux qu’il est détourné par les forces réactives et régressives.

Bloch cherche à mettre en évidence les régimes imaginaires qui donnent sens à l’expérience humaine, soit qu’ils y inscrivent les figures utopiques de l’émancipation, soit qu’ils entravent son progrès. Il ne situe son argumentation ni sur le plan de l’analyse psychologique d’une pulsion de mort déguisée qui sévirait en période de crise, ni sur celui d’une recherche sociologique des processus d’acculturation, mais sur celui plus politique de la non-contemporanéité qui porte sur les tensions de l’être social et de la conscience. Marx  a expliqué comment les moments de crise historique d’une société modifiait son régime imaginaire au point de donner l’impression de marcher la tête en bas, comme dans une camera obscura, puisqu’elle semblait abolir toute temporalité qui serait capable d’excéder  l’opacité et l’intrication des intérêts en conflit21. Dans le meilleur des cas, on invoque les spectres du passé qui deviennent les forces d’impulsion de l’action historique. La proposition fondamentalement matérialiste de la détermination de la conscience par l’être n’exclut pas les contenus irrationnels de la praxis, sous la forme d’une dialectique social d’inversion, dans laquelle s’inventent les modes imaginaires de l’agir social.

Les crises, comme les guerres civiles, permettent de saisir, sur le vif, le travail de l’imagination qui distend l’expérience du temps présent, puisqu’il fait appel aux sédimentations du sens historique. Les classes sociales, les institutions, sont analysées du point de vue de l’imagination historique qui leur offre les ressources politiques de l’affirmation sociale de soi, en décalage avec la réalité historique. Comprendre la praxis exige donc de prendre en considération les différents régimes de l’imaginaire socio-idéologique. La fonction de travestissement de l’imaginaire ne doit pas masquer ce qu’il est, dans son noyau central. Bloch propose de penser ensemble l’historicité du réel et le fonctionnement de l’activité représentative, appréhendée dans son efficace propre, pour assurer l’intelligibilité d’une praxis historique rentrée dans une phase critique. Cette méthode n’a rien d’une psychologisation des phénomènes sociaux. On se tromperait de beaucoup, si on considérait l’imagination comme une faculté subjective. Elle est la dénomination sous laquelle on range les processus différenciés de l’effectuation idéologique dont le sens s’inscrit dans le processus historique lui-même22. Elle est « le mode de la structuration de la praxis et le révélateur éminent de l’affection des agents historiques par leur propre praxis. »23 .

Dans Héritage de ce temps, Bloch analyse les imbrications contradictoires de la praxis historique dont le cours est déterminé par les mutations de la modernité. Mais cette histoire effective n’échappe pas aux formes de la médiation propre à la fonction symbolique surtout quand la société rentre en crise. Il  est important de saisir comment « l’entendement collectif » informe les perceptions qui président aux pratiques politiques. Bloch attire l’attention sur un phénomène d’inversion, qui est au cœur des crises contemporaines, dont il détecte le modèle dans les formes d’aliénations du nazisme : la manipulation de la  « perception » sociale, confrontée à ses angles morts,  est le déclencheur de la violence.  

Une crise historique produit une scission  par laquelle les acteurs sociaux, qui agissent dans le temps présent, sont dessaisis d’eux-mêmes par la violence des contradictions réelles de la dynamique sociale, le caractère écrasant des enjeux politiques et l’incertitude de l’issue. Ils font appel à d’autres qu’à eux-mêmes : à des mots et des symboles, à des masques, pour agir. Ils ont besoin de la médiation des formes symboliques parce qu’ils se trouvent à la lisière de ce qui n’est plus et de ce qui n’est pas encore. Marx décrit le cas favorable d’une crise révolutionnaire qui oblige à évoquer les spectres du passé pour faire naître une société nouvelle. Mais ce travail d’évocation ou de convocation du passé peut se faire sur un mode totalement régressif, dans l’effacement de l’avenir. Dans ce cas, la fonction symbolique est pour ainsi dire confisquée, manipulée aux fins d’une propagande qui n’exclut pas la violence.

Les idéologies sont en rapport avec les stratégies des groupes sociaux défendant leurs intérêts, non pas en les travestissant, mais en essayant de les maximiser. Leur caractère irréel, ethnocentrique et affectif ouvre un surplus de sens qui ne s’épuise pas dans l’action instrumentale. Cette idéologisation  touche à des contextes et à des histoires spécifiques qui donnent à la dynamique politique son caractère ambigu. Une crise est le meilleur révélateur des fonctions d’une idéologie dans les situations historiques vécues de manière problématique. Les idéologies apparaissent alors comme la mise en mouvement de certains aspects de la mémoire collective qui servent de ressources aux groupes sociaux pour comprendre et agir dans la société. Ces ressources sont, à chaque fois, historiquement déterminées. Généralement, elles épousent la logique des justifications d’un conflit passé qui continue à faire sens dont les formations imaginaires sont des éléments de résolution ou de blocage des tensions sociales. On peut les définir comme des facteurs d’accélération ou de freinage des crises politiques, quand les structures normatives d’une société sont fragilisées ou éprouvées au point de rendre opaques les processus politiques contradictoires.       

Conclusion

Notre lecture de Héritage de ce temps s’est efforcée d’être attentive à la manière dont E. Bloch organise son analyse de la crise des années 30 autour du concept de non-contemporanéité parce qu’une crise est un « chaos d’expérience »  du temps qui porte le risque d’un « ensauvagement » de la société.24 Bloch utilise le terme d’ « ensauvagement » pour rendre compte de ce qui  est au principe des crises du monde moderne.25 La déshumanisation impliquée par les nouveaux conflits repose sur une confiscation partisane des symboles partagés. Ce que Bloch appelle une « Grande propagande » part du constat que désormais, la lutte se joue d’abord dans ce que nous appelons aujourd’hui l’information ou la manipulation des mots et des symboles. Le choix de l’utopie est un choix politique pour tenter de donner une place à l’humain, alors que la première guerre mondiale venait d’en nier les traits singuliers, et que la seconde guerre, avec le nazisme, allait conduire à la négation du « Visage ». La « brutalisation » de la vie politique allemande, l’insensibilité croissante pour « le sort des autres » ou l’indifférence à l’égard de la vie, est la constante de la période étudiée par Bloch dont L’Esprit de l’Utopie, Thomas Münzer, Héritage de ce temps sont les jalons26.

Le mythe est, d’une certaine manière, plus fort que le réel puisqu’il joue un rôle de conversion ou d’amplification de certaines dimensions de la crise. Sa force d’acceptation de l’exclusion, de la violence et de la guerre contre les évidences des contradictions de la société qui détruisent toutes « les politiques de l’amitié » mérite d’être mentionnée. L’ethnonationalisme, dans la multiplicité de ses manifestations, se nourrit, avant tout, des symboles de l’imagination qui est le médium de la continuité ou de la discontinuité d’une temporalité « explosée » par les spasmes d’une crise dont la maturation est porteuse des pires télescopages. Le « bourrage de crânes » devenu, aujourd’hui, névralgique dans les crises que nous traversons, appelle une « grande propagande » qui est dénonciation et résistance.   

L’apport de Bloch porte le sens de sa philosophie politique : toutes les mythologie modernes sont des réinventions construites qui apparaissent comme des ressources politiques dans la luttes pour l’hégémonie. L’ethnicité, les formes du nationalisme, le populisme, sont des ressources réelles de l’action politique. Bloch attire l’attention sur les réversions de la symbolisation qui préparent les manifestations de l’ « ensauvagement » des sociétés. Comment comprendre la violence née de l’incertitude ou des flottements de la symbolisation, de la perte des repères, sinon comme une dislocation du temps désormais vécu selon les lignes d’une non-contemporanéité qui disjoint des communautés devenues « inimaginables »27 ?

Bibliographie

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                  , Héritage de ce temps, trad. J. Lacoste, Paris, Payot, 1978.

                  , L’esprit de l’utopie, trad. A-M Lang et C. Piron-Audard, Paris, Gallimard,  1977.

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Ricœur (P), Du texte à l’action. Essais d’herméneutiques II, Editions du Seuil, 1986.  

Notes

1 E. Bloch, Héritage de ce Temps, trad. J. Lacoste, Paris, Payot, 1978, p.10.2 La troisième  partie de Héritage de ce temps, consacrée à l’expressionnisme, à Joyce, au surréalisme, participe du vouloir philosophique de montrer les lignes de fuites d’une réalité au travail  de sa propre transformation ; cf. p.189 et suivantes.3Héritage de ce temps, p. 8.4Abschieded von der Utopie ?, Suhrkamp, 1980.5Héritage  de ce temps, p.94.6Héritage de ce temps, p. 95.7 Héritage de ce temps, op.cit, p. 43.8 Le concept de non-contemporanéité  indique qu’il n’y a pas un seul plan temporel mais un entrelacement de multiple de rapports au temps dont la praxis sociale est le lieu d’intelligibilité. Il est donc particulièrement apte à décrire les moments de crise dans les sociétés multiculturelles. On pourrait s’en servir aussi pour analyser des phénomènes sociaux  comme la transculturalité ou hybridation dans une modernité qui fait plus de place au rhizome qu’à la racine.  9 Cf. G. Raulet (dir.), Weimar ou l’explosion de la modernité, Anthropos, 1985.10Héritage de ce temps, p. 110.11Héritage de ce temps, p. 111.12  Ibidem, 112. Sur le concept de non-contemporanéité, cf. G. Raulet, dir. Weimar ou l’explosion de la modernité, Paris, Anthropos, 1985. Le concept blochien de « différenciations du concept du progrès », qui élargit celui de non-contemporanéité, attire l’attention sur le caractère polyrythmique du développement historique aussi bien endogène qu’exogène. Bloch  conteste la légitimité d’un « centre » qui se soumettrait les espaces socio-nationaux, sur la base d’une conception homogène du progrès. La totalité est éclatée. Elle est un réseau de sphères et de médiations sans lieu légitime de centration. Ce qu’on appelle un processus historique n’est rien d’autre qu’un processus temporel non homogène de temporalités reliées mais distinctes. L’histoire est processus expérimental avec ses formes de dominations, ses récits, grands et petits, qui font croire à l’unicité des récits pourtant hétérogènes. On appelle démocratie, non pas la domination d’un modèle, mais la mise en forme fragmentaire d’une humanité à venir.

 13 G. Hottois, Entre symboles et technosciences, Paris, Champ Vallon, PUF, 1996, p. 82.14Héritage de ce temps, p. 37.15Héritage de ce temps, p. 70-72.16 Cf. Histoire et conscience de classes, Paris, Les Editions de Minuit, 1960, p.238.17 Reinhart Koselleck, Le future passé, trad. J. Hoock, M-C Hoock, Editions EHESS, Paris, 1990.18 La position de Bloch est plus nuancée si on la compare à celle de Norman Cohn qui rangeait les totalitarismes modernes parmi les formes messianiques et apocalyptiques de la contestation. Bloch analyse ces dernières  en termes  de lutte et de risque, pour la liberté,  afin d’imposer les figures de l’émancipation. Cf. N. Cohn, Les fanatiques de l’Apocalypse, Paris, Juliard, 1962.19Héritage de ce temps, p. 11.20 O. Negt, “The Non-Synchronous Heritage and the Problem of Propaganda”, in New German Critique, 9 : 46-70, 1976. Oskar Negt souligne, à juste titre, le changement méthodologique introduit par Bloch : « Plus qu’aucun autre, Bloch est parvenu à concevoir les modes d’expériences spécifiques qui sont ceux des masses. Le fantasme, la banalité, les superstitions qui habitent la conscience des petites gens sont autant d’éléments constitutifs d’une conception matérialiste de la science, aussi inséparables des formes d’expériences des masses que la co-productivité de la nature. »21 S. Kofman, Camera obscura. De l’idéologie, Paris, Les Editions Galilée, 1973.22 Paul Laurent Assoun, Marx et la répétition historique, Paris, PUF, 1978,  p. 156.23 Idem.24 Les lectures de Bloch se sont multipliées qui prennent en compte le concept de non-contemporanéité comme une clé de compréhension des crises contemporaines. Cf. Daryush Shayegan, « L’incongruité de la situation iranienne », Le Figaro, 02 Janvier 2006.  25Héritage de ce temps, p. 108.26 G. L. Mosse, De la grande guerre au totalitarisme, Paris, Hachette, 1999,  p. 186. Bloch lui aussi insiste lui aussi sur le devenir violent des rapports aussi bien privés que publiques durant cette période.27 Arjun Appadurai, “Dead Certainty : Ethnic Violence in Era of Globalization”, in Alexander Laban Hinton (ed.), Genocide : an Anthropological Reader, Malden, Blackwell, 2002, pp. 286-304.

Pour citer cet article

Azoumana Ouattara , « Ernst Bloch visionnaire de notre temps », Le Portique [En ligne] , 5-2007 | Recherches , mis en ligne le 13 décembre 2007, Consulté le 10 décembre 2011. URL : http://leportique.revues.org/index1399.html

Auteur, Azoumana Ouattara

Azoumana Ouattara est enseignant-chercheur  à l’université de Bouaké (maître-assistant, directeur du département de philosophie (2003-2006) (Côte d’Ivoire). Il est membre du Comité Consultatif National de Bioéthique (CCNB). Principales recherches : “Violences et crises du processus démocratique en Afrique”, “Gouvernance et  prospective dans les reconstructions post-crise”, “Enjeux éthiques dans la construction des droits (recherches sur la gestion de la crise écologique suite au déversement des déchets toxiques à Abidjan  en 2006). Il a notamment publié : « La crise de la violence instrumentale en Côte d’Ivoire », in Poamé Lazare (dir.),  Penser la crise, Repère international, Editions Maïebuc, 2007. « La réconciliation au défi du tiers absent », in Laurence Dahan-Gaida (dir.), Logique du tiers. Littérature, culture, société, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007. « Micro-philosophie hégélienne des pratiques administratives », in Le cahier philosophique d’Afrique, 2007. « Discours et pratiques de la médiation : Sous l’arbre à palabre », in Mosaïque, N° 5-6, 2

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