Voici présenté par un auteur qui n’a rien de marxiste, un livre sur lequel je vais comme vous sans doute me précipiter comme d’ailleurs sur celui de notre camarade Jean Claude delaunay (note de danielle Bleitrach)
7 OCT. 2020
Selon Alice Ekman, il n’y a aucun doute : la Chine est encore communiste et tout concourt à le démontrer. Responsable de la Chine et de l’Asie à l’European Union Institute for Security Studies, la chercheuse a recueilli pendant sept ans la matière de son ouvrage : plus de 400 entretiens avec des acteurs chinois et étrangers très divers, l’étude minutieuse des paroles des dirigeants chinois, l’observation de l’atmosphère lors des rencontres et séminaires. Son diagnostic est sans appel et déconstruit l’idée trop répandue selon laquelle la Chine ne serait plus communiste.
De manière très pédagogique, l’auteur débute son ouvrage par une succession de constats. La double inspiration marxiste et maoïste du régime n’a jamais été reniée. Elle est même revendiquée par Xi Jinping dont les discours évoquent la « Campagne des 100 fleurs », la « Longue Marche », ou encore la « dictature démocratique du peuple ». Le parti communiste reste le fondement du système de gouvernance, et assure la supervision des ministères et administrations, entreprises, écoles et universités, médias. Son rôle s’est même renforcé avec l’augmentation du nombre de cellules au sein de ces institutions et la mise en place progressive d’une surveillance technologique des individus, avec l’expérimentation du système de crédit social.
En outre, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, le régime s’est durci et le parti fait lui-même l’objet d’une centralisation et d’un « recadrage disciplinaire et idéologique » : vaste « mouvement » anticorruption qui aurait sanctionné plus d’un million de fonctionnaires entre 2013 et 2017 ; campagne d’éducation sur « la pensée de Xi et le socialisme à caractéristique chinoise pour une nouvelle ère », dont les cadres doivent apprendre certains passages par cœur ; enfin, concentration du pouvoir aux mains de son dirigeant, dont le mandat présidentiel est devenu illimité suite à un amendement de la Constitution en 2018.
Selon Alice Ekman, la personnalité de Xi Jinping, sa ferveur marxiste et nationaliste, mais aussi la confiance que suscite l’accession du pays au rang de deuxième puissance économique mondiale, expliqueraient cette évolution. Mais une fois le diagnostic posé, quels enseignements en tirer pour les années à venir, du point de vue de la politique intérieure chinoise, mais aussi du point de vue des relations internationales ?
En matière de politique intérieure, l’auteur insiste sur le caractère pérenne du parti communiste chinois (PCC), véritable appareil politique qui est loin d’être une coquille vide. La capacité d’adaptation dont il a témoigné en recrutant des profils jusque-là honnis — entrepreneurs, « bourgeois »… —, combinée à des règles de recrutement sévères et des formations idéologiques soutenues, constituerait une des clefs de sa résilience. Dès lors, la probabilité qu’il soit délogé par des forces d’opposition semble extrêmement réduite. Mais sa force est aussi source de faiblesse, car la lourdeur bureaucratique, la « peur paralysante » liée à la campagne anticorruption, et la multiplication des séances d’études et de critiques génèrent l’immobilisme des cadres et la pauvreté des débats. À cet égard, l’auteur souligne que son emprise sur les think-tanks limite fortement leurs capacités d’analyse et de prospective.
Sur le plan international, la Chine n’est plus un acteur de second rang. Elle veut être reconnue à sa juste valeur pour effacer les « humiliations passées ». À cet égard, l’auteur précise que la confiance — dans sa « voie, ses théories, son système et sa culture » — a été érigée en orientation politique par Xi Jinping dans un discours de 2016. Depuis, le pays n’hésite plus à revendiquer la supériorité de son modèle politique et économique. Son ton est devenu virulent et sa posture offensive, avec le rejet explicite des valeurs occidentales et la mise en œuvre d’une stratégie de riposte systématique. Ainsi, la politique étrangère de Pékin marche incontestablement sur deux jambes (conformément au slogan de Mao) : l’idéologie dans la motivation des orientions, le pragmatisme dans leur application !
Plus qu’un « prédateur » — comme la qualifie François Heisbourg dans son dernier ouvrage [1] — la Chine serait donc un pays qui cherche à promouvoir son système comme une alternative au libéralisme. Pour cela, tous les moyens sont bons : formations destinées aux fonctionnaires, diplomates ou journalistes étrangers, organisation de forums multilatéraux, création d’infrastructures (projet des nouvelles routes de la soie) qui lui permettent d’imposer progressivement ses propres normes techniques, investissement dans la gouvernance mondiale afin de peser sur la teneur des débats ou remettre en cause certains grands principes de politique étrangère tel le droit d’ingérence…
Pour cela, elle s’appuie sur un « cercle d’amis » dans le but de constituer un réseau de partenaires économiques, technologiques, et possiblement militaires et sécuritaires. Au premier plan, la Russie avec qui elle n’a cessé de renforcer sa coopération militaire, technologique — contrat entre Huawei et MTS (Mobiles TéléSystèmes) pour le développement du réseau 5G — et ses échanges commerciaux. Par leurs positions souvent communes dans les instances internationales, les deux pays constituent en outre un contrepoids sérieux au pôle occidental. Viennent ensuite les pays en développement, dont elle se considère le porte-voix au titre d’une solidarité Sud-Sud héritée de la conférence de Bandung. Enfin, Pékin reste proche des régimes autoritaires asiatiques, dont elle partage l’héritage idéologique. Selon Alice Ekman, la détermination du PCC à promouvoir « le grand renouveau chinois » est inébranlable. En allouant à sa politique étrangère un budget deux fois plus élevé qu’il y a cinq ans, elle mène une stratégie cohérente et intégrée pour être à terme numéro un dans les secteurs d’avenir — 5G, intelligence artificielle, big data — où le jeu reste ouvert.
La Chine sera-t-elle la référence du XXIe siècle, comme les États-Unis l’ont été pour le XXe siècle ? Selon Alice Ekman, il est encore trop tôt pour évaluer l’attractivité de son modèle. Néanmoins, la réduction progressive de l’interdépendance économique ouvre la voie vers une bipolarisation du monde, qui oppose non seulement deux systèmes politiques, mais aussi deux conceptions de l’individu dans la société. Et de conclure : « de nouvelles questions fondamentales se posent alors pour l’avenir des relations internationales mais aussi des hommes — de l’usage des nouvelles technologies à l’évolution des organisations multilatérales ».
[1] Heisbourg François, Le Temps des prédateurs. La Chine, les États-Unis, la Russie et nous, Paris : Odile Jacob, 2020.
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Xuan
Alice Ekman est farouchement anti communiste comme le démontre une récente vidéo sur Arte.
Mais elle fait partie d’un certain nombre d’occidentaux qui s’aperçoivent que le discours “la Chine est capitaliste” conduit les pays impérialistes dans une impasse.
Inversement s’opposer à la Chine parce qu’elle est socialiste les conduit à se placer sous la domination US, car il n’y a pas de 3e voie entre la RPC et les USA.
Baran
Excellent livre! Je pars du principe que tous les anticommunismes ne se valent pas. Ekman est une anticommuniste certes mais son approche intellectuelle est dans son contenu supérieur à ce qu’ont l’habitude de nous servir quotidiennement les experts des relations internationales… Leurs considérations sont généralement très pauvres et ont tendance à totalement nier les représentations des sujets au profit des « droits de l’homme » (qui écrase tout). Ce n’est pas le cas dans ce livre. Ce qui en fait la force, je l’identifie à sa filiation à R. Aron et à ce qu’il reste de wébérien dans son approche des relations internationales, à savoir : vouloir comprendre les représentations des sujets et leurs forces d’actions (idéalisme objectif). Autrement dit ce n’est pas de la pure propagande. Elle réalise un travail analytique honnête. Sa prise au sérieux du contenu des entretiens ou des discours politiques est là pour en témoigner.
Néanmoins, malgré ce sérieux, elle porte un maximum de conscience possible lié à son background et sa méthodologie. Même s’il faut le répéter son essai est loin d’être écrasé par la focale « human rights » vs Léviathan communiste, ses considérations sur les partis communistes restent particulièrement surdéterminées par les données idéologiques véhiculées par les Courtois, Aron, etc… Ainsi, il ne faut pas s’offusquer du fait que lorsqu’elle évoque le PCC, ses relations au peuple et ce qu’il réalise dans la formation sociale concrète chinoise, se réfléchissent les limites traditionnelles de la bourgeoisie intellectuelle.
Cette faiblesse socialement typique s’exprime quand elle cherche à saisir le soutien populaire (majoritaire) au PCC. Elle ne le nie pas mais elle oppose de manière assez artificielle besoins fondamentaux des masses et libertés individuelles. Elle suppose en gros que le peuple Chinois sacrifie sa liberté aux mains du léviathan pour un plat de lentilles et des smartphones… Un peu à la manière de la mouvance gauchiste reprochant aux ouvriers de sacrifier le grand soir à leurs luttes économiques. Sur ce point la focale de droite “antitotalitariste aronienne” et le gauchisme « idéaliste révolutionnaire » se rejoignent dans un mépris commun des conditions matérielles d’existence. Leurs concepts de liberté et de révolution s’unissent dans leurs pures négativités, en tant que refus des déterminations. C’est pour cela que je conseillerais pour compléter la lecture de ce livre, le dernier ouvrage de Delaunay sur le socialisme. Ce dernier ajoute aux données empiriques de Ekman, un matériel critique plus profond, problématisé par les enjeux de la construction socialiste face au « Capitalisme Monopoliste Financier ». D’ailleurs je serais très curieux de lire une recension critique de Rouge Vif venant de J-C Delaunay (économiste vivant depuis plus de 10 ans chine rappelons-le).