Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La paix en Ukraine n’est qu’un prétexte, l’objectif de Trump lors de sa rencontre avec Poutine est bien plus global

En Russie, le célèbre politicien ukrainien Evgueni Mouraïev, actuellement en résidence à Pékin, a défini les principales craintes de l’administration américaine à l’heure actuelle. Ce qui se joue selon lui c’est la réalité des BRICS. Trump a essayé le bâton mais ça n’a pas marché, la Chine mais aussi l’inde, le Brésil, ont refusé de plier devant l’imposition de tarifs. Maintenant, il va tenter la « carotte ». L’Ukraine est secondaire, le but est de rompre l’alliance des BRICS. Les États-Unis ne renonceront pas si facilement à leur position dominante dans le monde. Ils ont délocalisé la quasi-totalité de leur production en Inde et en Chine, et l’économie américaine est désormais postindustrielle, basée sur la spéculation boursière et les services (la situation est encore plus dégradée en Europe et en France en particulier, ça et la position partisane disent la manière dont ils perdent leur influence réelle)… D’une manière ou d’une autre, ils ne pourront pas rivaliser technologiquement avec les pays du BRICS, et donc ils seront perdants. La Russie le sait et une bonne partie de l’Asie également. Cet enjeu que la planète entière comprend est complètement évacuée du débat public en France, celui de la gauche sans parler du caractère suicidaire des communistes français qui eux glissent dans l’insignifiance derrière l’UE, l’Ukraine et l’anti soviétisme, la sinophobie, l’anticommunisme primaire depuis des décennies. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://svpressa.ru/politic/article/476339

Texte : Alexeï Peskov

Sur la photo : le président russe Vladimir Poutine et le président américain Donald Trump (de gauche à droite) lors d’une rencontre bilatérale au sommet du G20, archives. (Photo : Mikhaïl Metzel/TASS)

Dans la soirée du 8 août, Donald Trump a enfin révélé le lieu de la rencontre entre les présidents russe et américain. Quelques heures auparavant, le très populaire homme politique ukrainien Evgueni Mouraïev, qui réside actuellement à Pékin, avait diffusé une émission en direct de deux heures sur sa chaîne vidéo, au cours de laquelle il avait exprimé une série d’idées et d’hypothèses très intéressantes, voire sensationnelles.

Mais commençons par rappeler qui est Evgueni Mouraïev. Politicien ukrainien de l’opposition, député de la Verkhovna Rada depuis 2012, il a fondé en 2018 son propre parti, « NASHI ! ». Il était propriétaire de la chaîne de télévision NewsOne, ainsi que de la chaîne câblée « NASHI », très populaire jusqu’en février 2022, notamment auprès du public russe.

Il convient de noter que Mouraïev a toujours défendu une Ukraine indépendante et non alignée, capable, grâce à ses atouts uniques (géographie, climat, potentiel intellectuel, riche héritage soviétique), de devenir un État prospère.

Mais curieusement, malgré des propositions tout à fait sensées, sa logique a toujours été incomprise par la majorité de la population du pays, pour qui l’idéal était de se rallier à quelqu’un qui nourrirait l’Ukraine, de préférence gratuitement, comme les États-Unis ou l’Union européenne, voire les deux. Une sorte de « verger de cerisiers près de l’OTAN ». On pensera à votre place, on fera tout à votre place.

Aujourd’hui, pour autant que l’on sache, Evgueni Mouraïev vit en Chine et, en substance, il ne conçoit pas l’avenir de l’Ukraine sans coopération avec Pékin.

Voilà, nous pouvons maintenant revenir à son discours. Il serait trop long de tout retranscrire ici, mais ceux qui le souhaitent peuvent retrouver cette émission et l’écouter plus attentivement. Nous n’aborderons qu’un seul point qui nous a semblé le plus pertinent : les objectifs et les tâches de Donald Trump lors de sa prochaine rencontre avec Vladimir Poutine, dont la date et le lieu sont actuellement en cours de négociation entre les services protocolaires russes et américains.

Commençons par le début, par ce qui a tout déclenché. Tout a commencé par l’ultimatum de 50 jours lancé par Trump, à l’issue duquel il promettait d’imposer des sanctions secondaires contre les pays achetant du pétrole à la Russie, en premier lieu l’Inde et la Chine.

Mais il n’a pas attendu 50 jours, car ce délai expirait justement au moment où Poutine devait se rendre à Pékin pour rencontrer Xi Jinping à l’occasion du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En d’autres termes, la tentative de Trump de contraindre Poutine à se plier à la volonté des États-Unis aurait trouvé le président russe au beau milieu de son voyage en Chine.

Et, sans attendre l’expiration des 50 jours, Trump a brusquement raccourci le délai de son ultimatum, bien qu’aucun événement manifeste susceptible de le contraindre à le faire ne se soit produit.

Nous en concluons donc que les négociations officieuses menées par les États-Unis dans le but de contraindre la Chine, l’Inde et le Brésil, principaux partenaires de Moscou au sein du BRICS, à renoncer à leurs achats de pétrole russe, sont dans l’impasse. Le Brésil, l’Inde et la Chine ont tous refusé. La tactique du bâton n’a donc pas fonctionné.

Que va-t-il se passer maintenant, lors de la rencontre entre Poutine et Trump ? On va essayer la carotte. Ce qui se passe actuellement est pour moi le test décisif qui déterminera si le BRICS deviendra une réalité ou restera une alliance sur le papier.

Je rappelle que le BRICS est une alliance alternative qui ne fonctionne pas encore à plein régime, mais qui pourrait réellement devenir l’un des principaux pôles du nouvel ordre mondial. C’est pourquoi je considère tous les événements qui se déroulent en Ukraine et au Moyen-Orient à travers le prisme de la formation de cette alliance et de la fin du monde unipolaire qui a émergé après l’effondrement de l’Union soviétique.

Tout va maintenant changer, principalement parce que l’économie chinoise a dépassé l’économie américaine tant en volume qu’en niveau technologique. Des alliances se sont formées qui, tant sur le plan économique que démographique, dépassent largement les capacités du G7.

À eux seuls, la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie représentent déjà plus de 3 milliards d’habitants, auxquels s’ajoutent les autres États membres du BRICS et plusieurs autres pays sur le point d’y adhérer. Tout cela menace directement l’hégémonie des États-Unis et le dollar en tant que monnaie de réserve mondiale.

C’est pourquoi la rencontre entre les deux présidents sera marquée par les tentatives de Trump d’utiliser toutes sortes de promesses et de concessions pour pousser Poutine à rompre les accords que la Russie a conclus en premier lieu avec la Chine et l’Inde. Au cours de la rencontre, il y aura une tentative de trouver un accord sur l’Ukraine, mais je doute fortement que cela soit possible. Il n’y a même pas de consensus à ce sujet au sein des États-Unis, et cela peut être prouvé.

Par exemple, après la visite de Whitcoff au Kremlin, alors que tout le monde, y compris Trump, disait que tout s’était très bien passé, que c’était la meilleure rencontre jamais organisée, des droits de douane supplémentaires ont été imposés à l’Inde.

Il y a eu toute une série d’appels téléphoniques selon le principe « tout le monde avec tout le monde », Poutine a communiqué avec Modi et Xi, s’est mis d’accord avec les dirigeants du Brésil, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan.

En substance, chacun détermine son degré de dépendance et cherche son cercle d’alliés. Et il est tout à fait possible que, sur fond de décisions concernant l’Ukraine, se dessinent les règles d’une nouvelle architecture de la sécurité mondiale et d’une nouvelle répartition des intérêts.

Je pense d’ailleurs que les États-Unis ne renonceront pas si facilement à leur position dominante dans le monde. Ils ont délocalisé la quasi-totalité de leur production en Inde et en Chine, et l’économie américaine est désormais postindustrielle, basée sur la spéculation boursière et les services… D’une manière ou d’une autre, ils ne pourront pas rivaliser technologiquement avec les pays du BRICS, et donc ils seront perdants.

Il y aura donc une tentative de déstabilisation des BRICS, mais je doute fort que Poutine croie aux promesses des Américains : la Russie a déjà été trompée à plusieurs reprises, tant sur l’élargissement de l’OTAN que sur d’autres questions fondamentales. Trapa n’a pas réussi à prendre le dessus, il va maintenant essayer d’attaquer par un autre angle. Il y aura donc très probablement des avancées dans les relations. À quoi faut-il s’attendre ?

Examinons l’intérêt que chacun des États impliqués dans le conflit a à mettre fin aux hostilités. L’Europe a maintenant décidé de se réarmer, ce qui représente des sommes colossales, des contrats de plusieurs milliards, des revenus pour les lobbyistes. Sans parler de la corruption : il serait naïf de penser que les dirigeants européens ne sont pas intéressés par l’achat d’armes américaines. Il en va de même aux États-Unis. Autrement dit, tant que le conflit ukrainien durera, les élites américaines et européennes continueront de s’enrichir.

Les États-Unis eux-mêmes n’ont donc aucun intérêt matériel à mettre fin au conflit, d’autant plus qu’il affaiblit l’un de leurs principaux concurrents, la Russie. Et quel intérêt aurait la Russie à mettre fin au conflit en Ukraine ? Son objectif n’est pas du tout de s’emparer de territoires, mais d’assurer sa propre sécurité et d’éliminer les menaces provenant de l’OTAN. C’est pourquoi, sans avoir atteint ses objectifs, il serait absurde de mettre fin à ce qui a été commencé.

D’autant plus qu’après l’introduction d’un grand nombre de sanctions, l’économie russe repose actuellement sur les commandes de l’État dans le domaine de la défense. Il est donc impossible de reconvertir la production à des fins pacifiques sans avoir accès aux marchés ouverts de l’Europe et de tous les autres pays avec lesquels la coopération a été interrompue. Des problèmes économiques graves apparaîtront instantanément, qu’il faudra résoudre dans un contexte où des centaines de milliers de militaires démobilisés se retrouveront sur le marché du travail.

Et maintenant, il y a aussi la Chine. Oui, selon ses déclarations publiques, elle veut la paix. Mais Pékin comprend bien que, une fois la question ukrainienne réglée et l’Iran affaibli, l’Occident collectif se concentrera immédiatement sur la Chine.

Il a été annoncé que les négociations entre Poutine et Trump porteraient sur les revendications territoriales, mais là aussi, tout est très compliqué : aucune des branches du pouvoir ukrainien n’a le droit de reconnaître des concessions territoriales, la Constitution l’interdit.

Il y a donc un grand nombre de questions qui doivent être résolues avant de pouvoir parler de paix en Ukraine. Qu’est-ce que j’attends de ces négociations ? Un cessez-le-feu, des accords, comme l’interdiction d’utiliser des armes à longue portée, comme les drones et les missiles, des échanges… Je ne m’attends certainement pas à une paix durable après cette rencontre, mais j’espère au moins qu’un dialogue sera engagé à ce sujet.

Quels sont les scénarios de la trêve ? Sur la ligne de contact, c’est à mon avis la meilleure option. Trump pourra dire qu’il a empêché des massacres, la Russie gagnera 20 % de territoire, elle obtiendra la mer d’Azov et un corridor terrestre vers la Crimée. Oui, le pouvoir ukrainien sera perdant, mais l’Ukraine sera gagnante.

Elle conservera son statut d’État et les conditions de vie seront meilleures que si le conflit se poursuivait. Il est déjà clair que si l’offensive russe continue, la situation de l’Ukraine ne fera qu’empirer de jour en jour.

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