Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les objets d’une tombe exceptionnelle en Chine racontent le (curieux) destin d’un prince coréen otage des Tang

Explorer la manière dont s’est élaborée une civilisation marquée par l’influence de Confucius et qui s’avère toujours la référence commune de la Chine et des deux Corées à ce penseur politique y compris dans le choix du marxisme-léninisme ou celui d’un libéralisme autochtone. Que l’on nous comprenne, il n’est pas question de lire l’actualité entre la Chine et la Corée, plus largement la zone qui comprend également le Japon et le Vietnam, comme la simple évolution de cette histoire très ancienne. Il s’agit au contraire de partir du présent, des défis posés aux peuples pour donner sens aux dynamiques du passé. Il faut se méfier de ce regard rétrospectif et mettre en suspens bien des catégories de notre entendement, celui de notre ignorance mais aussi celle de notre scolarité. Il est bien que nous cherchions à résoudre les problèmes qui se posent à nous, mais quand ces problèmes restent dans notre réalité pratique au seul niveau de l’esprit, celui-ci se les pose en des termes qui lui sont familiers mais erronés. Aujourd’hui, nous découvrons nos propres racines dans des histoires méconnues et également l’existence de mondes qui se sont développés suivant leurs propres logiques politiques, économiques, culturelles, cela devrait surtout nous aider à nous méfier de notre réflexe de croire savoir ce que nous ignorons. Cette illusion d’un savoir immédiat n’est que notre propension néo-colonialiste, impérialiste à justifier l’injustifiable hier comme aujourd’hui et d’entretenir dans les masses des divisions et une inertie dont elles se flattent.

Mathilde Ragot  Histoire

[La photo du jour] Pourquoi un prince coréen du VIIIe siècle a-t-il été enterré avec les honneurs impériaux en Chine ? Les 83 objets funéraires ainsi que l’incroyable épitaphe exhumés d’une tombe souterraine dans l’ancienne capitale livrent peu à peu les secrets d’une vie entre exil, pouvoir et diplomatie.

Il y a environ 1 200 ans, un prince du royaume coréen de Silla (57 av. J.-C.-935 apr. J.-C.) vivait en tant qu’otage politique – ou zhizi (质子) – au cœur de l’ancienne capitale impériale de Chang’an, aujourd’hui Xi’an (province du Shaanxi, nord-est de la Chine). Sa tombe, la première d’un membre de cette royauté jamais découverte formellement dans le pays, a récemment été fouillée par les autorités spécialisées de la province chinoise du Shaanxi.

Leurs résultats, récemment publiés et relayés par le Global Times le 18 juillet 2025, offrent un éclairage inédit et fascinant sur le système des otages politiques sous la dynastie chinoise Tang (618-907), ainsi que sur les liens diplomatiques et culturels entre la Chine impériale et le royaume de Silla.

Objets funéraires exhumés de la tombe de Kim Young, otage du royaume de Silla (57 av. J.-C.-935 apr. J.-C.) à la cour des Tang (618-907 apr. J.-C.). Institut d’archéologie de la province de Shaanxi

Kim Young, « hôte » royal des Tang

Entre avril et juin 2022, l’Institut d’archéologie du Shaanxi a prospecté trente-huit sites historiques dans le village de Dongjiang, à environ deux kilomètres au nord de l’ancien site royal de Chang’an, capitale de l’empire sous les Tang. Parmi eux, un tombeau souterrain, intact malgré des signes de pillage, qui a livré un trésor d’objets funéraires et une stèle épigraphique inestimable. Ceux d’un dénommé Kim Young (747-794) de la lignée princière de Silla, ancien royaume qui a unifié la majeure partie de la péninsule coréenne au VIIe siècle. Il était plus exactement le petit-fils de Kim Yi-rang, cousin du roi Seongdeok.

Durant ce VIIe siècle, afin de renforcer ses relations diplomatiques et asseoir sa légitimité, le royaume de Silla a envoyé trois générations d’otages à la cour impériale de la dynastie des Tang. Ces séjours, loin d’être de simples captivités, servaient à former ces princes à l’administration et à la culture chinoise, tout en consolidant l’alliance stratégique avec l’empire voisin. Preuve de son importance dans les relations sino-sillanes, Kim Young, décédé à l’âge de 48 ans dans une résidence d’hôtes, a été enterré avec les honneurs impériaux.

Le « système des otages » vu de l’intérieur

En témoigne sa tombe, qui se distingue par son architecture en forme de couteau, typique des sépultures Tang : une chambre unique creusée en terre, avec un couloir incliné, un puits de lumière, ainsi qu’une riche collection de 83 objets funéraires ; figurines humaines et animales en terre cuite, jarres, pièces et, surtout, une stèle en pierre bleue gravée de 557 caractères chinois.

L’épitaphe révèle que Kim Young aurait participé à deux missions diplomatiques des Tang vers Silla, prenant part à des rituels officiels et agissant comme intermédiaire entre les deux États. Il aurait même atteint le rang de « chef des Sillans », plus haut grade connu pour d’un tel ressortissant dans l’empire chinois.

Autre découverte : Kim Young aurait épousé une femme issue du puissant clan Wang de Taiyuan, illustrant l’intégration des élites étrangères par les mariages stratégiques. Leurs descendants recevaient une éducation confucéenne, passaient les examens impériaux et s’intégraient dans la bureaucratie Tang.

Ces nombreuses trouvailles offrent ainsi un témoignage direct et rare sur le « système des otages » utilisé par la cour Tang pour consolider ses liens avec les États vassaux, comme Silla, s’enthousiasment les archéologues. Loin de se limiter à un rôle symbolique, les princes captifs comme Kim Young jouaient un rôle actif dans la diplomatie, l’administration et la vie culturelle de l’empire.

Views: 42

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.