Aucun candidat à la contre-hégémonie n’avait égalé la capacité de l’Amérique d’avant Trump à forger des alliances fortes et durables, c’est du moins ce que racontent les démocrates, la référence à l’après guerre masque le fait que la situation s’est dégradée durant la guerre froide et surtout à la chute de l’uRSS, quand l’hegemon s’est cru tout permis . Ce que ce journal de Hong kong ne cesse de réaliser c’est que la politique tarifaire de Trump est en train de créer les conditions du siècle hégémonique de la Chine avec une accélération que les communistes chinois eux mêmes n’avaient pas envisagée.L’art des chinois dans leur partenariat stratégique en particulier avec la Russie et avec le monde des non alignées se situe à la fois sur le plan économique, sur le plan politique où la Chine pratique une politique de paix et de souveraineté qui s’appuie sur de nouvelles institutions comme les BRICS mais aussi un renouveau des institutions existantes y compris l’ONU avec un retour à la Charte initiale en relation avec l’exigence égalitaire du sud. Ce qu’a accompi Trump c’est un effet idéologique, la prise de conscience de l’état réel de la puissance dominante et parce que cela s’appuie sur des réalités économiques et politiques de longue date c’est irreversible . (note et traduction de danielle Bleitrach histoireetsociete)
par Laurent Borzillo4 juillet 2025

Six mois seulement après le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, on a l’impression qu’il y a eu une rupture brutale avec l’héritage diplomatique de l’Amérique d’après-guerre.
L’administration Trump n’a cessé de faire des annonces qui ont bouleversé l’ordre établi, notamment la relance d’une proposition d’achat du Groenland sans exclure une action militaire. Les responsables américains ont publiquement diffusé des discours pro-russes et ont intensifié le protectionnisme en introduisant des tarifs douaniers, souvent annoncés unilatéralement et soudainement, qui fluctuent selon l’humeur du président.
Qu’est-ce que ces développements nous disent sur la capacité américaine à structurer l’ordre international à la lumière du fait que les États-Unis ont été l’acteur dominant du système mondial au cours des dernières décennies ?
En tant que chercheur à l’ENAP spécialisé dans la théorie des relations internationales, je pense qu’il marque une étape significative dans l’émergence de puissances contre-hégémoniques et, par extension, qu’il signale un affaiblissement de la puissance américaine.
Un déclin qui n’a rien de nouveau
Nombreux sont ceux qui voient dans les récents choix de l’administration Trump un signe du « début de la fin » de l’hégémonie américaine. Mais il n’y a rien de nouveau dans ce discours.
L’idée d’un déclin américain circule régulièrement dans les milieux universitaires et stratégiques depuis la guerre froide. Dès les années 1980, l’universitaire britannique Susan Strange a contesté cette vision « décliniste », insistant sur le fait que la véritable force des États-Unis ne résidait pas seulement dans leur puissance économique ou militaire, mais dans leur rôle central au sein des grandes institutions internationales et des alliances stratégiques.
C’est ce rôle structurant – plutôt que la seule supériorité matérielle – qui a garanti sa position dominante sur la scène mondiale. Après la fin de la guerre froide, la question du déclin a été largement mise de côté : le ministre français Hubert Védrine a déclaré que les États-Unis étaient une « hyperpuissance » pour la façon dont ils concentraient tous les moyens de domination mondiale.
Depuis le milieu des années 2000, le débat sur le déclin de l’hégémonie américaine est revenu en force, alimenté par la montée en puissance de pays comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, l’Iran et l’Afrique du Sud.
Cependant, depuis lors, aucun consensus n’a émergé au sein de la communauté universitaire sur la nature du système international (unipolaire, bipolaire ou même multipolaire).
Hégémonie libérale
L’hégémonie américaine s’est affaiblie dans certaines régions du monde. Les professeurs de sciences politiques Douglas Lemke de l’Université d’État de Pennsylvanie et Suzanne Werner de l’Université Emory l’ont montré dans leurs travaux sur les systèmes régionaux. Cependant, aucun candidat à la contre-hégémonie (ni la Chine, ni l’Inde, ni le Japon, ni même l’Union européenne) n’a jusqu’à présent réussi à égaler les États-Unis sur un point clé : leur capacité à nouer des alliances fortes et durables et à occuper une position centrale dans les grandes organisations internationales.
Ce rôle de chef d’orchestre, qui va au-delà de la simple accumulation de puissance matérielle, fait écho aux réflexions de Strange sur le « pouvoir structurel ».
Cela s’aligne étroitement sur les recherches de Daniel Nexon, professeur à l’Université de Georgetown, et de Thomas Wright, directeur du Centre États-Unis-Europe de la Brookings Institution. Ils distinguent deux grands types d’hégémonie :
- L’hégémonie classique ou impériale est basée sur la coercition, les menaces et les relations bilatérales déséquilibrées. Un pays avec ce type d’hégémonie impose ses préférences sans se soumettre à des règles partagées.
- L’hégémonie libérale est basée sur des institutions partagées et contraignantes, auxquelles même la puissance dominante accepte de se soumettre en échange d’une coopération plus stable et plus légitime.
De ce point de vue, l’ordre international dirigé par les États-Unis depuis 1945 relève clairement du deuxième modèle.
Pendant la guerre froide, son hégémonie s’exerçait principalement dans le monde occidental. Mais après la chute du bloc soviétique, cette influence s’est répandue dans le monde entier. Les États-Unis en sont venus à incarner une forme d’hégémonie institutionnelle, soutenue par des réseaux d’alliances comme l’OTAN et le G7 et des institutions multilatérales telles que les Nations unies, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce.
Cela a rendu la domination américaine plus acceptable, moins brutale et surtout plus difficile à concurrencer. Même si la position américaine a été affaiblie dans certains domaines, elle est restée centrale parce qu’elle garantissait une stabilité et une prévisibilité que ses rivaux – y compris la Chine et la Russie, qui privilégiaient une approche plus coercitive – ne pouvaient offrir.
C’est précisément ce modèle d’hégémonie libéral/constitutionnel qui a ralenti l’émergence de véritables contre-pouvoirs mondiaux.
Trump 2.0 : Le retour de l’hégémonie sans filtre
Par ses nombreuses déclarations et décisions, l’administration Trump rompt avec l’hégémonie libérale qui a structuré l’ordre international pendant des décennies.
À sa place, une position plus autoritaire et unilatérale est en train d’émerger, proche de ce que les chercheurs appellent l’hégémonie classique. Ce changement est suffisamment clair pour que certains analystes considèrent certains développements comme inquiétants.
Olivier Schmitt, professeur et spécialiste des alliances au Collège royal de défense du Danemark, a évoqué il y a quelques mois la possibilité d’une « Varsciisation » de l’OTAN, un scénario dans lequel Washington transformerait l’organisation en une sorte de contrepartie du Pacte de Varsovie, avec une structure rigide et asymétrique basée sur la peur plutôt que sur la coopération.
Ce retour à une forme d’hégémonie coercitive est problématique car il repose sur une vision à très court terme des relations internationales.
Contrairement à la Chine ou à la Russie, qui appliquent toutes deux une forme d’hégémonie autoritaire mais avec une certaine cohérence stratégique et une certaine prévisibilité, l’administration Trump agit comme si les relations internationales étaient un jeu non itératif, au sens de la théorie des jeux – en d’autres termes, un jeu dans lequel le refus de coopérer est la stratégie la plus gagnante.
Il adopte une stratégie où chaque mouvement est joué sans se soucier de représailles futures ou de l’impact à long terme sur sa réputation. Cependant, d’autres pays et partenaires se souviennent et ajustent leur comportement en fonction des précédents.
En agissant de la sorte, les États-Unis projettent l’image d’une entité opportuniste et instable dont les engagements n’ont plus de valeur durable. Ce changement de posture érode la confiance et sape le rôle stabilisateur que les États-Unis avaient autrefois incarné avec succès.
Une incertitude qui alimente la méfiance
L’Europe et certains de ses partenaires s’embarquent dans ce qui ressemble à un nouveau « schisme occidental », se positionnant comme un contre-modèle libéral à l’Amérique de Trump. Mais l’issue de cette dynamique dépendra en grande partie de la capacité des Européens à être des agents du changement plutôt que de simples spectateurs.
Néanmoins, les conditions sont aujourd’hui réunies pour l’émergence de véritables contre-hégémonies. Cette dynamique se poursuivra même si les démocrates reviennent au pouvoir en 2029 : l’intermède trumpiste aura fourni aux alliés de l’Amérique la preuve qu’une alliance avec les États-Unis n’est fiable que lorsque la Maison Blanche est démocrate, et qu’elle devient immédiatement précaire dès qu’un républicain l’occupe.
Les conditions sont désormais réunies pour l’émergence de véritables contre-hégémonies. Cette dynamique se poursuivra même si les démocrates reviennent au pouvoir en 2029 : l’intermède trumpiste aura fourni aux alliés de l’Amérique la preuve qu’une alliance avec les États-Unis n’est fiable que lorsque la Maison Blanche est démocrate…
Cette incertitude alimentera la méfiance et poussera à la consolidation des stratégies contre-hégémoniques. Même une restauration partielle de l’ordre libéral ne suffira probablement pas à endiguer la fragmentation du système international déjà en cours.
Par ailleurs, il convient de noter que l’administration Trump n’en est qu’au début de son mandat : à moins d’un renversement lors des élections de mi-mandat de novembre 2026, elle disposera encore d’une marge de manœuvre considérable jusqu’en janvier 2029. En d’autres termes, la trajectoire actuelle est susceptible de se poursuivre.
En ce sens, le second mandat de Trump ne marque pas simplement un changement, mais une rupture durable. Le slogan « Make America Great Again » semble aujourd’hui encore plus erroné : au lieu de restaurer la puissance américaine, cette politique accélère son déclin.
Laurent Borzillo est chercheur invité au CCEAE de l’Université de Montréal et chercheur associé au CESICE de l’Université de Grenoble, École nationale d’administration publique (ENAP).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original.
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