Tout à fait d’accord sur le diagnostic, le monde multipolaire est là et pèse de tout son poids de réalité sur le capitalisme hégémonique occidental « virtuel » corrompu dont Trump est un syndic de faillite. Nous sommes déjà dans la phase 2, celle qui sera caractérisée par un affrontement de classe à la fois national et international avec comme enjeu la paix et la vie… L’urgence est bien celle de l’organisation et pas le campisme, la division dans cet affrontement entre factions de l’oligarchie. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Patrick Martin 7 juin 2025
L’éclatement d’un conflit public entre le président Donald Trump et son ancien conseiller budgétaire, Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, témoigne du niveau extraordinaire de crise et de conflit au sein de l’appareil d’État, généré par une crise économique qui s’intensifie et une opposition populaire montante à l’oligarchie financière et patronale.
Musk a officiellement quitté l’administration Trump vendredi dernier, son dernier jour en tant qu’« employé spécial du gouvernement » chargé du Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), qui a mené l’assaut contre les fonctionnaires fédéraux et la fermeture de toute une série d’agences gouvernementales. Lors d’une cérémonie au Bureau ovale, Musk et Trump ont échangé des éloges et des marques de soutien mutuels. Mais en l’espace de quelques jours, un conflit acharné a éclaté entre les deux gangsters milliardaires.
Dans des interviews accordées au cours du week-end et lundi, Musk a commencé à exprimer son hostilité envers le « Big, Beautiful Bill » de Trump, adopté par la Chambre la semaine dernière, qui prolonge les réductions d’impôts accordées par Trump en 2017 aux riches et qui devaient expirer à la fin de l’année. Le centimilliardaire ne s’est bien sûr pas opposé aux réductions d’impôts elles-mêmes, mais a dénoncé ce qu’il a qualifié de « gaspillage » excessif dans le projet de loi. Mardi, il a publié un commentaire sur X qualifiant le projet de loi d’« abomination répugnante » et exhortant les sénateurs à le rejeter.
Ce conflit met en évidence les divisions importantes au sein de la classe dirigeante quant à la manière de mettre en œuvre des coupes importantes dans les programmes sociaux, au détriment de la classe ouvrière – un objectif sur lequel toutes les factions de l’establishment politique s’accordent. Le PDG de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a mis en garde contre l’explosion du déficit fédéral et une « fissure imminente sur le marché obligataire ».
Musk a également dénoncé la politique tarifaire de Trump, qui menace à la fois ses propres intérêts commerciaux – fortement dépendants des marchés et des chaînes d’approvisionnement chinois – et les intérêts mondiaux plus larges du capitalisme américain. Les commentateurs financiers ont notamment souligné la flambée des prix de l’or et l’affaiblissement du dollar américain, des évolutions qui constituent une menace sérieuse pour Wall Street et la stabilité du système financier mondial.
Les conflits au sein de la classe dirigeante convergent avec les intérêts personnels corrompus des individus impliqués. Trump a menacé de prendre des mesures de rétorsion contre l’empire commercial de Musk, notamment en annulant des contrats fédéraux « valant des milliards et des milliards ». Jeudi, l’action Tesla a plongé de plus de 14 %, effaçant 152 milliards de dollars de valeur boursière et coûtant personnellement 20 milliards de dollars à Musk en une seule journée.
Samedi, Trump a retiré la nomination du milliardaire Jared Isaacman, client et ami de Musk, à la tête de la NASA. Isaacman était le choix de Musk, considéré comme un allié clé de son entreprise SpaceX, lucrative mais en difficulté au plan technique, qui dépend entièrement des contrats fédéraux.
Le magazine Rolling Stone a rapporté que deux responsables de l’administration Trump avaient déclaré que le gouvernement pourrait relancer les enquêtes sur les pratiques commerciales de Musk qui avaient été lancées sous l’administration Biden, l’une des principales raisons pour lesquelles il a injecté 275 millions de dollars dans la campagne de Trump et s’est joint à elle en personne pendant les derniers mois avant l’élection.
Trump a ajouté dans un autre message sur Truth Social : « “Ça ne fonctionnait plus” avec Elon, je lui ai demandé de partir, je lui ai retiré son mandat sur les véhicules électriques qui obligeait tout le monde à acheter des voitures électriques dont personne ne voulait (il savait depuis des mois que j’allais le faire !), et il est devenu FOU ! »
Musk, en réponse aux remarques de Trump, a déclaré qu’il était « temps de lâcher la bombe : @realDonaldTrump figure dans les dossiers Epstein. C’est la véritable raison pour laquelle ils n’ont pas été rendus publics. »
Cette déclaration, sans doute vraie, faisait référence au trafic sexuel criminel du multimillionnaire Jeffrey Epstein, retrouvé mort dans une cellule de prison à Manhattan en août 2019, un décès qualifié officiellement de suicide, ce que personne ne croit. Trump et Epstein entretenaient des relations amicales de longue date pendant toute la période où Epstein s’est fait connaître comme fournisseur de jeunes femmes à ses clients milliardaires.
Le message de Musk représente donc une menace sérieuse pour Trump, une escalade majeure de la guerre politique au sein de l’oligarchie américaine. Il a ajouté dans un autre commentaire sur X : « Notez ce message pour l’avenir. La vérité finira par éclater. »
Jeudi soir, Musk applaudissait les utilisateurs de X qui suggéraient que Trump soit destitué et remplacé par le vice-président JD Vance, et avertissait que les droits de douane imposés par Trump « provoqueraient une récession au second semestre de cette année ». En réponse, l’ancien conseiller de la Maison-Blanche Steve Bannon a appelé Trump à prendre le contrôle de SpaceX, car cette entreprise remplit des fonctions vitales pour l’armée américaine, et à expulser Musk vers son Afrique du Sud natale. Musk a répondu : « Bannon est un crétin fini. »
Dans le contexte de conflits violents au sein de l’État, la querelle entre Trump et Musk rappelle la Nuit des longs couteaux, le bain de sang de 1934 au cours duquel Hitler a consolidé sa dictature en massacrant des centaines de ses opposants politiques au sein du parti nazi, notamment Ernst Röhm, chef des chemises brunes SA, et Gregor Strasser.
Dans l’ensemble, on a l’image d’une oligarchie se vautrant dans la criminalité, la fange et la dégradation culturelle. Musk est l’homme le plus riche du monde, propulsé au sommet du pouvoir politique au cours des premiers mois du second mandat de Trump. Le New York Times a rapporté la semaine dernière que Musk était un consommateur régulier de kétamine, d’ecstasy, de champignons psychédéliques et d’autres drogues pendant la campagne électorale d’automne, et que son comportement et sa conduite en tant que dirigeant de DOGE suggéraient que cela continuait.
La stabilité de Trump lui-même est également remise en question. Un tableau établi par le Washington Post a révélé qu’il avait publié 2262 messages sur Truth Social au cours des 132 premiers jours de son mandat, dont 138 messages distincts en une seule journée. Au cours du week-end, Trump a retweeté une théorie du complot bizarre affirmant que Joe Biden avait été exécuté en 2020 et remplacé par une série de robots. En ce qui concerne la corruption, sa fortune personnelle a augmenté de 1,2 milliard de dollars depuis l’élection, selon une analyse du Wall Street Journal, principalement grâce à des opérations de cryptomonnaie sollicitées auprès de ses partisans.
La criminalité et la corruption de ce qui était l’administration Trump-Musk ne sont que l’expression la plus répugnante de la dégénérescence de la classe capitaliste américaine dans son ensemble.
La crise politique qui se déroule aux États-Unis révèle non seulement le caractère de l’administration Trump – un gouvernement de l’oligarchie, pour l’oligarchie – mais aussi celui de l’opposition officielle. Le Parti démocrate n’a rien fait pour résister à la marche incessante vers un régime autoritaire. Alors que les scandales de Trump se succèdent, les démocrates ne font que feindre l’impuissance, prétendant que Trump est tout-puissant et qu’ils sont incapables d’agir.
Certaines sections de l’appareil syndical, dont le président de l’UAW Shawn Fain, ont embrassé le nationalisme économique de Trump, présentant la démagogie d’« Achetez américain » comme une défense des intérêts des travailleurs. Bernie Sanders, supposément indépendant, a soutenu l’attaque de Trump contre les immigrants, et cette semaine encore, en réponse à la critique de Musk à l’égard du projet de loi fiscale de Trump, Sanders a répondu : « Musk a raison. »
La classe ouvrière n’a pas de camp à choisir dans cette querelle entre fractions rivales de l’élite dirigeante. Cependant, la fracture politique au sein de la classe dirigeante ouvre la porte à une intervention indépendante de la classe ouvrière, sur la base de ses propres intérêts et de son propre programme. Cette crise éclate au grand jour alors que les signes d’opposition se multiplient, avec la réaction populaire aux rafles contre les immigrés et les grèves dans le secteur de la santé et de l’industrie de la défense. L’effondrement du système politique officiel, l’aggravation de la crise économique et la montée de la colère sociale créent les conditions d’un mouvement de masse venant d’en bas. Ce qu’il faut, c’est la construction d’une direction consciente capable de donner une orientation et une perspective à ce mouvement.
(Article paru en anglais le 6 juin 2025)
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