Mais en dehors de satisfactions diplomatiques, quel intérêt la Chine aurait-elle à voir l’Europe et le Japon se battre à ses côtés en affrontant les USA ? La Chine poursuit des objectifs économiques et elle est mieux placée que les USA pour les atteindre mais surtout des objectifs politiques et là il est périlleux mais moins dramatique qu’une guerre militaire de réduire l’hégémon étasunien. Cet article qui se situe du point de vue en gros des investisseurs asiatiques et du Japon témoigne assez bien de la manière « réaliste » dont le « multipolaire » est abordé actuellement. Il est évident qu’avec le « vide » macronien, celui de Macron et de tout le monde politicien français, nous sommes loin de cette lucidité et plus encore de la moindre perspective qui ne soit pas celle de coller aux errances de Trump ou aux délires suprématistes de l’Allemagne. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
par Bill Emmottavril 29, 2025

Il ne pourrait pas y avoir de plus grand contraste entre la réaction de Pékin à la déclaration de guerre commerciale de Donald Trump et les réactions des autres grandes puissances commerciales de la Chine, le Japon et l’Union européenne.
La Chine a répondu tout de suite par des représailles, en faisant correspondre les droits de douane de Trump sur les produits chinois avec des droits identiques sur les produits américains. Le « découplage » des économies chinoise et américaine, dont on parle depuis des années, est en train de se produire.
Cependant, le Japon et l’UE ont choisi de suspendre toute mesure de rétorsion jusqu’à ce que des pourparlers aient eu lieu avec Trump et son équipe. On pourrait même dire que le Japon et l’UE se cachent derrière les représailles chinoises, et considèrent que cette riposte leur élimine l’urgence pour eux de riposter aussi. La Chine prouve qu’il est possible de résister à l’intimidation américaine, réduisant ainsi la nécessité pour d’autres d’ajouter à cette preuve.
Néanmoins, l’une des grandes questions est maintenant de savoir si les positions chinoises, japonaises et européennes pourraient bientôt converger. Ces trois grandes puissances commerciales disent qu’elles ont besoin de se parler davantage, et certaines de ces conversations ont déjà commencé.
L’Union européenne et le Royaume-Uni ont tous deux de nombreuses inquiétudes en matière de sécurité à l’égard de la Chine, notamment le fait qu’elle soutient la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Le Japon, lui aussi, ne va pas sacrifier ses intérêts en matière de sécurité pour le commerce. Mais il serait parfaitement possible de séparer le commerce et la sécurité.
Les gouvernements européens ressentent un profond sentiment d’éloignement de l’Amérique de Trump. Et le Japon a tout à fait le droit de se sentir trahi par Trump, compte tenu de tous les efforts coûteux qu’il a déployés pour contribuer davantage à la défense et à la sécurité dans l’Indo-Pacifique, que l’administration Trump affirme être sa priorité absolue.
Avant de se demander si le Japon et l’Union européenne devraient ou vont collaborer avec la Chine en matière de commerce, nous devons d’abord nous demander quel intérêt la Chine pourrait avoir à collaborer.
En termes diplomatiques, les dirigeants chinois pourraient se sentir heureux si davantage de pays, en particulier occidentaux, étaient poussés dans leurs bras par l’intimidation américaine. Mais la Chine a un intérêt encore plus grand à démontrer sa propre force et sa propre résilience.
L’une des plus grandes aspirations de la Chine est d’être considérée comme l’égale de l’Amérique, sur toutes les dimensions : puissance militaire, technologie, influence géopolitique et bien sûr puissance économique.
Certains pourraient penser que la Chine veut surpasser les États-Unis, et il ne fait aucun doute qu’un rêve ultime pourrait être de le faire, mais la direction du Parti communiste a toujours fait preuve d’une approche très réaliste et pragmatique. Pour l’instant, être l’égal de la plus grande superpuissance du monde est une ambition suffisante.
Ce que Trump a fait, c’est donner à la Chine une grande chance de prouver sa force. Mener une véritable guerre avec une superpuissance dotée de l’arme nucléaire serait extrêmement destructeur et potentiellement catastrophique.
En revanche, mener une guerre commerciale avec la plus grande économie du monde est beaucoup moins risqué. Et quand votre adversaire est quelqu’un comme Trump, qui change de politique tous les jours et montre peu de compréhension de l’économie, du commerce ou de la finance, il y a de bonnes raisons de croire que vous pouvez sortir triomphant.
En vérité, personne n’est gagnant d’une guerre commerciale, car toute bataille contre les droits de douane à l’importation et les interdictions d’exportation impose des coûts élevés aux deux parties. Ce que la Chine peut viser, cependant, c’est une victoire politique, même si le prix à payer est une douleur économique. Et il est fort probable que les dirigeants de Pékin pensent actuellement que la Chine sera plus en mesure de résister à cette douleur économique que l’Amérique.
Trump semble croire que, parce que les exportations de biens et de services de la Chine vers les États-Unis en 2024 ont totalisé 462,5 milliards de dollars, tandis que les exportations américaines vers la Chine ont totalisé 199,2 milliards de dollars, la Chine doit avoir plus à perdre.
Mais la démonstration se fait à l’envers, surtout compte tenu de la guerre commerciale simultanée de Trump contre le reste du monde. Les énormes tarifs douaniers de Trump signifient que l’Amérique perd l’accès bon marché à de nombreux biens dont elle a besoin et qu’elle veut, et rend les sources alternatives pour ces biens plus chères en même temps.
La Chine aura simplement perdu des ventes en Amérique, une perte à laquelle elle peut s’adapter à la fois en trouvant d’autres marchés et en utilisant la politique budgétaire pour stimuler une plus grande demande intérieure.
Le fait que, quelques jours seulement après avoir imposé des droits de douane de 145 % sur les importations en provenance de Chine, Trump ait soudainement exempté les smartphones et de nombreux autres produits électroniques de la plupart de ces taxes a servi à le prouver. Il ne fait aucun doute que le lobbying d’Apple aura aidé, mais Trump a également semblé réaliser ce qui aurait dû être évident : les prix élevés de produits dont il est difficile de trouver des substituts frapperont durement et immédiatement les consommateurs.
La Chine dispose également d’une autre arme puissante. À la fin de l’année 2024, les entités chinoises détenaient 759 milliards de dollars d’obligations du Trésor américain, soit la deuxième plus grande participation étrangère après le Japon.
En les vendant progressivement, probablement aux côtés d’autres pays qui considèrent désormais les actifs américains comme risqués, la Chine peut faire grimper les coûts d’emprunt américains, ce qui sera particulièrement douloureux pour un gouvernement fédéral détenant 36 000 milliards de dollars de dette publique. Et la menace d’une vente rapide, même si elle reste implicite plutôt qu’explicite, enverra les milliardaires de Wall Street se précipiter pour persuader Trump de reculer.
L’économie chinoise a besoin d’exportations, tout en s’appuyant sur les importations de nombreux produits de base clés. Mais elle s’est rendue plus autonome ces dernières années. Et bien que la stabilité sociale ne soit pas toujours fiable, même dans la Chine autoritaire, lorsque la cause de la douleur est une guerre commerciale initiée par les États-Unis, il devrait être facile de rallier le soutien du public.
Cela signifie que ce dont la Chine a besoin de la part du Japon, de l’UE et d’autres pour gagner cette guerre commerciale est assez limité, du moins à court terme. Le principal besoin sera d’éviter tout détournement de marchandises chinoises en provenance d’Amérique et de provoquer de nouveaux conflits commerciaux : une forme de surveillance et de mesures de gestion des échanges devra donc être négociée avec ces autres grands marchés. À plus long terme, il faudra que tous les pays se mettent d’accord sur des règles et des institutions pour maintenir le commerce ouvert sans la participation des États-Unis.
Les arrangements multilatéraux pour de telles négociations existent déjà sous la forme de
- l’Union européenne,
- en Asie, le Partenariat transpacifique global et progressiste et le Partenariat économique régional global,
- en Amérique latine, le Mercosur et
- la Zone de libre-échange continentale africaine.
Pour que ces groupes travaillent ensemble à la construction d’un monde libre-échangiste en réponse à l’auto-exclusion américaine, il ne sera pas nécessaire d’impliquer un alignement dangereux avec la Chine.
Plutôt que de laisser la Chine diriger ce processus, il serait préférable qu’il soit dirigé par un pays comme le Japon, tout comme pendant la première présidence Trump, le Japon a travaillé aux côtés de l’Australie pour redessiner le CPTPP.
La stratégie qui se dessine est claire : parler à Trump, même en lui offrant des cadeaux symboliques tels que des investissements dans les infrastructures gazières, mais ne le faire jamais au détriment du commerce ouvert ou de la sécurité économique et énergétique.
Certaines idées sont trop précieuses pour être abandonnées. Et – comme le regretté Shinzo Abe l’a montré à propos du CPTPP – il existe d’autres moyens de protéger ces idées, même face à l’hostilité américaine.
Ancien rédacteur en chef de The Economist, Bill Emmott est actuellement président de la Japan Society of the UK, de l’International Institute for Strategic Studies et de l’International Trade Institute.
Cet article est l’original anglais d’un Chronique Jidai no Kaze (Les vents de notre temps) publiée en japonais et en anglais par Mainichi Shimbun. Il est republié avec autorisation.
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