Les Russes ont revu leur attitude à l’égard d’Ilyich, qui leur avait été imposée par les libéraux. Il y a eu un moment où Lénine a été accusé de tous les maux (plus peut-être que Staline dont il était difficile de nier le rôle dans la grande guerre patriotique et même dans le développement de la Russie). On se souvient que Poutine lui avait imputé la création totalement artificielle de l’Ukraine, alors que l’on peut tout au plus considérer que Lénine a au contraire créé avec l’URSS des conditions d’autonomie dans l’unité qui restent un modèle de paix et de coexistence pour la plupart des peuples qui l’ont vécu qu’ils soient ou non pro-communistes. Là aussi je vous conseille de lire dans notre livre les trois chapitres que nous consacrons à la relation Chine-Russie pour mieux appréhender cette question. (note de danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
https://svpressa.ru/politic/article/461666
Texte : Sergueï Aksionov
La personnalité de Vladimir Lénine est plus actuelle que jamais en Russie depuis la fin de l’ère soviétique. C’est ce que révèle un sondage réalisé par SP dans les rues de Moscou à la veille du 155e anniversaire du plus grand homme politique du XXe siècle.
« J’ai une opinion positive, c’est le père de la révolution », a répondu un jeune homme. « Nous aimons le communisme », ont déclaré de jolies jeunes filles. « C’est Lénine qui a pris le décret sur la nationalisation des biens culturels et qui les a préservés », a expliqué une femme d’âge moyen.
« Grâce à l’expérience de Lénine, la Chine est aujourd’hui la plus grande puissance mondiale », a souligné un homme aux cheveux blancs. « Ils nous conseillent de lire Lénine si nous voulons comprendre comment ils ont réussi cela. »
« L’Union soviétique était une grande puissance, c’est le mérite de Lénine », a souligné une femme âgée. « Ses idées : l’égalité, la fraternité, l’éducation pour tous, étaient populaires dans le monde entier et ont connu un succès fulgurant en Russie. »
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L’une des personnes interrogées a reconnu qu’il y avait beaucoup de bonnes choses en URSS, mais que les gens ne s’en rendaient pas compte. Et maintenant, nous essayons de reproduire cela. Elle estime qu’il y a encore beaucoup de négativité à l’égard de l’Union et explique cela par la position des « libéraux » qui influencent le discours public.
Le ton général des évaluations est mesuré. Les gens mentionnent à la fois les avantages et les inconvénients. On sent qu’au fil des ans, ils ont fait un travail intérieur, peut-être même une réévaluation, et se sont forgé leur propre opinion, personnelle et non imposée par la propagande, pour ou contre.
Compte tenu du fait que la période post-soviétique a été marquée par un anticommunisme effréné dans les médias, le revirement progressif des Russes vers une perception plus adéquate des pages héroïques de l’histoire de leur pays est remarquable.
L’année 2014 a marqué un tournant. Tout a commencé autour de la figure de Lénine. Ses monuments ont été les premiers à être démolis par les radicaux ukrainiens, qui sentaient le danger que représentait l’idéologie mondiale véhiculée par Lénine pour leur nationalisme local.
Il en a résulté le soulèvement pro-russe et le référendum en Crimée, puis dans le Donbass, qui ont redonné au peuple le rôle de sujet de l’histoire. C’est exactement ce qu’avait fait au début du XXe siècle le leader du POSDR (b), en posant les fondements d’un modèle historique qui fonctionne encore aujourd’hui.
« Le Donbass est riche en Lénine, c’est ici qu’il y a ses grands gisements et ses réserves », a témoigné le correspondant militaire de WarGonzo Dmitri Seleznev. « Lénine a vécu dans le Donbass, Lénine vit dans le Donbass, Lénine vivra dans le Donbass : des places, des rues et des quartiers portent son nom. »
C’est pourquoi les drapeaux rouges ont fleuri dans les nouvelles républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des entités étatiques inédites créées par le peuple lui-même. Cette injection de rouge a eu un effet rafraîchissant sur toute la Russie.
Au final, à l’occasion du centenaire de la Grande Révolution d’octobre, le pathos soviétique était déjà très demandé. Par exemple, la chanson « Et le combat continue » passait sur toutes les stations de radio du pays. Ce n’était pas les concerts semi-clandestins d’Egor Letov au milieu des années 90…
La situation a été exacerbée par la SVO. En déclarant que l’un de ses objectifs était de nettoyer l’Ukraine du nazisme, le Kremlin, qu’il le veuille ou non, a démontré sa continuité avec Lénine, car il n’y avait pas sur la planète de combattant plus acharné du nazisme que l’Union soviétique qu’il avait fondée.
Aujourd’hui, alors que les services secrets russes proposent à Washington d’agir solidairement contre la résurgence de l’« eurofascisme » (terme utilisé par nos responsables), il ne reste plus qu’à attendre qu’ils reconnaissent ouvertement le bien-fondé historique d’Ilyitch.
Les seuls alliés de la Russie sont désormais nos anciens partenaires du bloc socialiste. Le colosse rouge qu’est la Chine, la farouche Corée du Nord, Cuba, le Venezuela, le Vietnam, le Nicaragua, l’Éthiopie et d’autres pays que nous avons abandonnés autrefois en même temps que Lénine. C’est dans l’adversité que l’on reconnaît ses amis.
Mais le principal agitateur en faveur de Lénine est bien sûr notre capitalisme sauvage. Si, dans les années 2000, relativement prospères et surtout pacifiques, la population bénéficiait encore de quelques avantages, on peut désormais oublier les avantages d’une société fondée sur la concurrence mutuelle.
Cela est particulièrement évident dans le domaine du logement, qui a toujours été une question cruciale pour la Russie. La fin des prêts hypothécaires a mis un terme aux espoirs d’une génération entière en matière de logement. En apprenant que les familles recevaient gratuitement un logement en URSS, les jeunes pleurent à chaudes larmes : ils veulent la même chose.
Ils n’ont probablement jamais lu Lénine. La plupart d’entre eux sont très éloignés de la politique. Mais ils se fient au bon sens et pensent qu’un État qui donne des logements gratuitement ne peut pas être mauvais. Mais un pays où il faut payer aux banquiers le prix de dix appartements si.
Une décennie de légitimation progressive de l’idée rouge et de Lénine, son porte-parole, a porté des fruits concrets, tangibles pour les sociologues : elle a changé la société russe, l’a fait basculer à gauche avec une telle force que certains doivent trembler maintenant.
Deux tiers (67 %) de la population considèrent que le rôle de Lénine dans l’histoire de notre pays est « positif » ou « plutôt positif ». Seuls 17 % l’évaluent comme « négatif » ou « plutôt négatif ». Ces données ont été obtenues lors d’un sondage réalisé par le Centre Levada*.
Mais le plus important, c’est que parmi les plus jeunes répondants, âgés de 18 à 24 ans, les fans d’Ilyitch sont même un peu plus nombreux que la moyenne nationale, avec 68 %. Bientôt, ces jeunes entreront dans la vie active et les derniers vestiges de l’anticommunisme au sommet seront balayés.
L’État social va-t-il automatiquement s’épanouir ? Rien n’est moins sûr. Le capital ne cède jamais ses positions sans lutter. Mais le changement des circonstances objectives pousse de plus en plus les autorités à transformer le pays dans une direction qui nous est familière.
Ce processus est déjà en cours. Les tentatives de changement du paradigme établi dans le domaine de l’éducation sont les plus visibles. Mais elles ne donnent pas vraiment de résultats. Les petits oiseaux du nid de Soros ont trop bien nettoyé les vestiges du système d’éducation et d’enseignement soviétique à l’époque.
Pour accélérer le reprogrammation des cerveaux avec de nouveaux discours actuels, des mesures plus radicales sont apparemment nécessaires. Pourquoi ne pas ajouter des éléments léninistes dans les programmes scolaires ? Puisque les jeunes sont désormais fans de Lénine, pourquoi se gêner ? Une espèce d’hagiographie. Rien de plus normal.
Notre éternel Serge Mikhalkov convient parfaitement ici : « Je vois la maison où Lénine a grandi / Et cette lettre de félicitations / Qu’Oulianov, élève du lycée, a rapportée / De l’école… Depuis son enfance, il rêvait / Que sur sa terre natale / Les hommes vivraient de leur travail / Et ne seraient pas asservis ». Génial, non ?
Ou encore les textes de Zoe Voskresenskaya : « À travers le brouillard glacé », « Rencontre », « Le matin », « Les feux de joie », « Le cœur d’une mère », « L’espoir ». Ils peuvent être très utiles pour l’éducation de la jeune génération. On dira alors que tu as lu les bons livres dans ton enfance.
Voskresenskaya était officier du renseignement extérieur, comme beaucoup de nos dirigeants actuels. Son collègue espion, Vladimir Poutine, travaille également sur lui-même. Il y a peu, il ne disait pas un mot gentil sur Lénine, mais maintenant, il lui arrive parfois de faire quelques concessions.
« Vladimir Lénine, Joseph Staline et Nicolas II ont fait de la Russie une grande puissance », a déclaré le président lors d’un discours à Veliky Novgorod à l’occasion du 1160e anniversaire de la naissance de l’État russe.
Eh bien, le politicien qu’il a décidé de devenir en acceptant l’offre de Boris Eltsine de se présenter à la présidence, et qui plus est en restant pour un cinquième mandat, se doit de suivre les sentiments de son peuple. Et de devenir plus loyal envers Lénine. Ou du moins de le paraître.
Le président vient de s’adresser aux participants du 2e Forum international antifasciste organisé par le KPRF, proposant d’unir leurs efforts pour empêcher la propagation sur la planète d’idéologies agressives fondées sur la haine.
Il s’est ainsi, indirectement, solidarisé avec Lénine.
À leur tour, les participants au forum ont salué « la transformation de la lutte contre le fascisme en une lutte pour le renouveau socialiste de tous les pays de la planète ». En d’autres termes, ils ont proposé après avoir accompli un premier pas, d’en faire un deuxième. D’agir à la manière de Lénine.
Il semble qu’ils trouveront de nombreux partisans parmi les Russes. L’avenir nous dira si le Kremlin sera capable de suivre son propre peuple. Pour l’instant, à en juger par les publications dans les médias, les partisans et les opposants à l’affichage du mausolée de Lénine lors du défilé du 9 mai s’affrontent au sommet.
Lequel des deux l’emportera ? c’est une évidence. La question est de savoir en quelle année.
* L’ANO « Centre analytique de Yuri Levada » a été inscrit par le ministère de la Justice de la Fédération de Russie sur la liste des agents étrangers.
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