Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Trump est-il fou à lier ? Faut-il accepter un minimum pour ne pas tout perdre ? par Danielle Bleitrach

Si l’on en croit nos « dirigeants », c’est un mauvais moment à passer, un cauchemar ! Nos fragiles démocraties devraient en tirer comme unique leçon d’avoir à se prémunir par tous les moyens contre ce type de dictateur fou qui flatte un peuple imbécile… et qui nous conduit au krach boursier. Une précision : la Bourse est une arme, mais c’est la politique qui s’en sert. Trump a dans la logique de Clinton, Obama, Biden réintroduit la politique dans le marché en remettant en cause ce que les USA avaient prétendu instaurer, l’ordre libéral. Il accélère face à la catastrophe en prétendant par protectionnisme recréer une « économie réelle », en pompant partout les entreprises manufacturières. C’est un grand affrontement capital-travail mais à l’ère du numérique. Ceux qui partout payeront la note, ce sont les travailleurs et les nations du Sud, mais aussi la classe ouvrière et les salariés du Nord. Tous les compromis s’exerceront contre eux, qu’il s’agisse du sacrifice de pans entiers de leur emploi, de l’inflation galopante… C’est la première idée forte que nous devons avoir, la seconde est celle de la durée qui nous est masquée par l’affolement autour des jeux boursiers et des « négociations » au sommet. Cette durée comme la plupart des crises boursières va au minimum coïncider avec le temps des élections présidentielles françaises et sera donc constamment la proie de factions d’un parti unique, celui qui divise vers le fascisme ou tente de nous inviter à un fédéralisme européen, mais qui s’entendront de fait sur la soumission. Ce qui s’est passé ce weekend où on a vu trois groupes « présidentiables » assurer tous à leur manière la promotion de Marine le Pen-Bardella comme seule alternative à la sauce Trump, il n’a été question que de ça. Pourtant il est clair que le peuple français ne s’y reconnait pas.

Illustration : Rose Wong

Des voies s’élèvent pour dire à quel point le barrage des droits de douane érigé par Donald Trump serait déraisonnable : « Il semble qu’il n’y ait pas d’ordre dans le désordre. Il n’y a pas de voie claire à travers la complexité et le chaos qui sont en train d’être créés », a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, le 2 avril. Dans une rare rupture avec son protecteur de sécurité, le porte-parole du gouvernement taïwanais a qualifié les mesures de Donald Trump d’ « extrêmement déraisonnables ». Les prélèvements « n’ont aucun fondement logique… Ce n’est pas l’acte d’un ami », a déclaré Anthony Albanese, le Premier ministre australien. A quoi mènent ces protestations en pratique ?

Sur le site le pcf un article de Jean-Claude Delaunay propose quelques pistes pour aborder la situation d’une manière qui aide les communistes et au-delà toutes les forces progressistes à voir un peu plus clair dans cette caricature qui est faite de Trump et de son action tarifaire. Disons tout de suite notre point d’accord avec son hypothèse à savoir que Trump n’est pas fou et qu’il y a derrière son coup d’éclat tarifaire une stratégie dont la finalité est de conserver son rôle au dollar. Mais cela étant dit ne pas voir ce qui est recherché par Trump y compris la baisse du dollar, avec une fois de plus faire payer y compris aux vassaux la tentative de résorber une part de la dette abyssale, avec le rêve de reconstituer une économie réelle aux Etats-Unis en utilisant le privilège exorbitant de l’extraterritorialité ou ce qu’il en reste.


https://lepcf.fr/Une-interpretation-de-la-politique-de-l-Etat-nord-americain

C’est pourquoi il est difficile de penser que ce qui est recherché est la hausse du dollar, on peut au vu des choix opérés au contraire penser que ce qui est joué est au moins temporairement l’affaiblissement du dollar et donc de la dette abyssale, ce qui est une urgence. Il s’agit tout simplement selon la logique habituelle du privilège exorbitant du dollar de faire résorber une part de la dette non pas seulement par l’UE mais par les travailleurs de l’UE et ceux d’Asie. Ils sont déjà taxés par le devoir de payer pour les USA et de s’armer auprès de leur industrie qui ne s’avère pas performante du tout. Cela s’accompagne de la destruction massive d’entreprises, la mise au chômage de travailleurs par les jeux boursiers, ce à quoi nous assistons. Et c’est de cela dont la bourgeoisie compradore occidentale se fait complice.

L’économie réelle se double d’une économie virtuelle, dans laquelle les jeux boursiers semblent avoir leur logique propre. C’est dans cette économie virtuelle que le poids monétaire et celui du dollar (mais on voit également apparaître les cryptomonnaies, les valeurs refuges) paraît avoir sa propre logique et sa capacité destructrice maximale. Paradoxalement Trump réintroduit dans ce jeu boursier la politique des États et la recherche d’une économie réelle qu’il prétend recréer ex nihilo. En fait ce pari suppose à la fois la baisse du dollar pour soulager la dette tout en forçant les vassaux non seulement à s’armer et à lui acheter des armes, mais également à racheter des obligations. C’est pour cela que la Chine prévient ceux qui seraient tenter de céder : le sursis n’en sera pas un, la stratégie est de faire s’installer aux USA les entreprises et donc de détruire votre début d’essor économique. Cela touche les pays pauvres comme le Vietnam mais également des pays comme la Corée et le Japon.

L’argument en la faveur du maintien d’un dollar fort tient au fait que ce vendredi 4 avril, Jerome Powell a littéralement envoyé Wall Street dans le mur, en jugeant une baisse de taux prématurée ; alors que tout ce que les marchés espéraient, c’est qu’il se déclare « vigilant » face à tout signal de « désordre » ou de risque récessionniste. Trump avait suggéré que le moment était idéal pour abaisser les taux, il n’avait pas été suivi, mais cela n’avait pas non plus gêné l’opération qui ne parait donc pas jouer du moins dans le court terme avec la valeur du dollar mais avec d’autres variables.

En revanche, l’ampleur des dispositions tarifaires a été mis en relation avec des situations de krach qui de toute manière menaçaient et ont déjà eu lieu, soit en étant provoqués aux Etats-Unis en 1987, soit parce qu’elles témoignaient effectivement de la nécessité d’un certain assainissement. Pour le moment nous n’en sommes pas au krach de 1929 dans lequel les actions ne trouvaient plus preneur, mais des précédents (1987/2001/2008) dans lesquels aucun actif spéculatif n’échappe à ce genre de correction qui accule à la vente les « mains faibles ». On sait que les vrais « initiés » attendent avant de les reprendre. Ce genre de correction se joue dans la durée qui peut aller de 6 à 18 mois. Il y a certes eu le précédent du covido-krach de mars 2020 dont les effets avaient été effacés en six mois, grâce à l’argent magique des banques centrales et des taux ramenés à zéro. Mais justement le choix de Jerome Powell qui avait pris garde de souligner qu’en cas d’urgence il veillait au grain et qu’il n’y avait pas d’urgence ce 4 avril.

Pourquoi changerait-il de stratégie demain, alors que Donald Trump a confirmé que « la hausse des tarifs est là pour durer » ? Ce que l’on peut en déduire c’est que nous sommes entrés dans un épisode fait pour durer et pour faire payer aux « faibles » le choc que très officiellement le gouvernement chinois a défini comme l’affrontement entre le capital et le travail à l’ère du numérique. Effectivement, c’est ça l’enjeu et on imagine les effets de la « révolution numérique » sur l’emploi des cadres en France, alors que pour la première fois depuis des années il y a un tassement sur le recrutement et qu’il concerne en priorité celui des jeunes.

Quant on pose la question simplement en terme de pays qui à cause de leur fragilité économique, industrielle se retrouvent en difficulté pour négocier et quand on voit la solution sur le plan d’un ensemble comme l’UE, on ne mesure pas ce que signifie justement cette durée…

Remarquez cela nous vaut des cris du cœur de la part d’individus qui depuis des années sont venus nous bercer d’illusions sur nos dirigeants. Par exemple sur BFMTV ce cri du cœur du « libre-échangiste » Emmanuel Lechypre : « On ne peut pas continuer à produire des marchandises dignes de l’Espagne et que l’on fait payer au prix de la qualité allemande ». Bernard Arnaud appréciera, surtout quand les produits de luxe sont dans le collimateur de Trump.

La vraie question est donc quel système saura résister à ce coup de boutoir, et la nouveauté est la réponse de la Chine, la seule qui offre d’autres conditions de négociations, y compris à l’Europe et à la France si elle daignait le mesurer, c’est-à-dire si elle liait les questions de souveraineté à celles des besoins populaires, le seul qui le fasse aujourd’hui étant Fabien Roussel.

Pourtant la résistance de la Chine doit être analysée à partir des opportunités de résistance qu’elle offre à des pays du Sud comme le Vietnam pour négocier autrement qu’en catastrophe. La Chine à travers la BRI, les BRICS et l’installation de ses « comptoirs » manufacturiers a créé des conditions qui méritent d’être étudiées.

Puisque nous sommes dans la durée, nous devons constater que des voix s’élèvent pour souligner la nécessité d’une autre stratégie. Il y a eu hier Raffarin qui est venu plaider non pour la Chine mais pour le front Corée et Japon qui envisage un rapprochement économique avec la Chine. Il a osé dire que la part réelle des échanges de marchandises dans le monde était minime et donc pouvait être négligée en cas de résistance en s’ouvrant vers d’autres marchés. Attali n’était pas loin mais la limite de ces timides percées est le choix de l’Europe et en particulier l’acceptation du leadership allemand et l’anticommunisme qui ne fait que refléter le choix interne de sacrifices des couches populaires. Le front de l’unanimité est néanmoins en train de se fissurer. On a entendu d’autres économistes comme Nicolas Baverez et son livre « sursaut ». Cette évolution sera d’autant plus marquée que les luttes refuseront de payer la note de ces « politiques ».

C’est à ce prix, celui des effets réels de la politique des USA, de la vassalité de l’UE, et de la dynamique des pressions des peuples et de la classe ouvrière, des couches populaires, que l’on peut mesurer les dispositions prises par la Chine qui ont un impact très précis et ciblé à l’inverse de celles envisagées à ce jour par l’UE et les pays européens. Il s’agit de peser sur la production agricole US, mais aussi de bloquer l’accès aux terres rares et de porter plainte auprès de l’OMS, de chasser du marché chinois 11 entreprises US qui ne respectent pas les lois chinoises dans le pays. En revanche, il ne s’agit en aucun cas d’empêcher l’installation d’entreprises des Etats-Unis à la recherche de stabilité. Tout cela exige des analyses précises comme le mériterait toute riposte cohérente.

D’autres questions se posent en particulier par rapport aux partenaires stratégiques, un exemple, la question de la chute du prix du pétrole qui intervient parallèlement à ces « krachs ».

Quel partenariat stratégique se joue déjà : un exemple, l’affaiblissement du pétrole est le résultat 1) de l’anticipation de la récession et de l’affaiblissement des échanges 2) de la décision de Trump qui avant même d’être intronisé aurait obtenu des Texans forant le gaz de schiste d’aller à tout va pour freiner l’inflation interne 3) comme le résultat d’une stratégie des Russes et de l’OPEP jouant l’abaissement à 65 dollars le baril c’est-à-dire à perte pour le pétrole texan gaz de schiste des USA.

Si l’on regarde qui a un maximum de perte en bourse ce sont les 7 magnifiques, dont Elon Musk, Jeff Bezos et tous les autres qui se sont ralliés depuis le camp démocrate et qui pour le moment ne se rebellent pas. Ce sont ceux qui sont les plus aptes à mesurer à quel point les valeurs d’innovation technologiques dites de la Silicon valley sont en perte de vitesse, pareil pour l’autre économie « réelle » l’armement…

On peut donc penser que ce qui est visible ici par tous l’est également par la Chine dans son partenariat avec la Russie et ses ouvertures à ceux qui ne veulent pas faire les frais de cette opération, comme le Japon et la Corée.

Que va faire l’Europe, l’Allemagne en particulier qui a rompu les digues de sa politique traditionnelle du refus du déficit budgétaire et en train de s’imposer aux velléités françaises ?

La Bourse est une arme, mais c’est la politique qui s’en sert.

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2 Commentaires

  • Faudot Hervé
    Faudot Hervé

    Attention, dans les « négociations » qui vont s’ouvrir avec les Etats, suite à la « pause », Trump peut très bien mettre comme condition l’arret des échanges de ces pays avec la Chine, une sorte d’embargo géant tel que Cuba le connait.

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    • admin5319
      admin5319

      mais cela n »a rien d’une découverte et c’est exactement pour ça que je m’élève personnellement contre les illusions mais l’afaire est également envisagée depuis longtemps même si vous la découvrez maintenant.

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