Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un accord avec les russophobes est toujours un accord avec le diable. La preuve par l’Estonie

Toujours vu du côté russe – mais ce changement de perspective devient une question de salubrité publique- la panique qui a saisi les élites occidentales européennes aboutit à des situations à peu près aussi caricaturales (à un stade un peu plus avancé mais à peine) que le spectacle que donnait hier le landerneau politicien devant l’inculpation et l’inéligibilité de Marine Le Pen. Plus personne ne savait à quelle institution de notre grande démocratie on pouvait se fier et les politiciens paraissaient plus occupés à se protéger de leurs propres turpitudes ou de leur fond de commerce que d’une position de droit et de ses pernicieuses évolutions au gré du mécontentement populaire. (1)

https://ria.ru/20250330/rusofobiya-2008161005.html

Texte : Dmitri Bavyrine

L’Estonie modifie sa constitution à un rythme accéléré, ce qui en soi peut faire penser à une histoire drôle. Les Estoniens ont été contraints d’accélérer par la peur des Russes et le désir aigu des nationalistes de placer sous leur contrôle deux villes qui avaient conservé une loyauté résiduelle à l’égard de la population russophone – Tallinn et Narva.

Les Estoniens ont une constitution… estonienne, avec un frein intégré. Pour la modifier par l’intermédiaire du parlement, deux convocations consécutives doivent voter en faveur des changements, ce qui signifie qu’une étape peut prendre quatre ans. Mais les autorités ne voulaient pas attendre le printemps 2027, date de la prochaine campagne parlementaire. D’ici là, de nombreux événements pourraient se produire (par exemple, l’effondrement de l’Ukraine) qui rendraient la russophobie moins à la mode, et les nationalistes veulent asseoir leur pouvoir sur Tallinn dès cet automne, lorsqu’un nouveau maire y sera élu.

Auparavant, le poste de maire de la capitale estonienne était garanti à un Estonien fidèle aux Russes, voire à un russophone. Il en était de même pour la ville frontalière de Narva et ses environs, troisième ville d’Estonie. Les Russes et les Biélorusses y étant physiquement nombreux, ils ont réussi à faire rempart à toutes sortes de dérussificateurs et de nazis pur jus.

La constitution estonienne leur permettait d’élire un gouvernement qui leur était loyal : non seulement les citoyens, mais aussi toute personne vivant légalement en Estonie pouvaient voter aux élections municipales. Il s’agit d’une norme très libérale par rapport à la plupart des pays du monde, mais il ne faut pas croire que les Estoniens l’ont introduite par bonté d’âme.

Ils l’ont fait pour ne pas apparaître comme les pires fripouilles et comme les créateurs d’une version finno-ougrienne de l’apartheid.

Lorsque les élites estoniennes étaient sur le point de quitter l’URSS, elles craignaient que les russophones ne bloquent leur sortie. Elles ont donc tenté de faire des Russes d’Estonie leurs alliés dans la guerre contre Moscou et la séparation d’avec la Russie, en leur promettant l’égalité des droits dans une Estonie indépendante. Il s’agissait d’une pure escroquerie, mais de nombreux Russes ont voulu y croire, car les citoyens de l’URSS de diverses nationalités avaient accumulé de nombreux griefs à l’encontre des autorités de l’Union soviétique.

Au moment où la séparation d’avec l’URSS a été actée, les Russes d’Estonie ont tout simplement été mis à l’écart et se sont vu délivrer des passeports gris de « non-citoyens », en tant que personnes de seconde zone n’ayaint pas encore acquis la citoyenneté de la glorieuse Estonie. Ils ont toutefois conservé le droit de vote aux élections municipales, contrairement à la Lettonie, qui connaît également l’institution des « non-citoyens ».

Peut-être les Estoniens craignaient-ils davantage une révolte russe que les Lettons ou voulaient-ils paraître plus progressistes que leurs voisins, mais tout cela n’a plus d’importance aujourd’hui : la constitution sera modifiée sous le prétexte de défendre la sécurité nationale. L’Estonie deviendra comme la Lettonie. La moitié de Narva, par exemple, perdra son droit de vote, et le poste de maire pourrait revenir à un nationaliste virulent, un genre qui n’a jamais eu les faveurs de la ville.

Il existe trois types de nationalistes dans la politique estonienne, ou mieux, trois types de russophobes.
Le Parti de la réforme est un parti russophobe « modéré » approuvé par la Commission européenne. L’euro-diplomate en chef Kaya Kallas est la fille du fondateur de ce parti, à qui l’entreprise familiale a été léguée.

Les membres du parti de la Patrie sont des vétérans de la lutte contre l’URSS, des russophobes de la vieille école, des habitués des défilés de la division SS estonienne. Ils se méfient de la Commission européenne en raison de leur conservatisme assez soviétique.

Enfin, EKRE est un parti d’ivrognes ruraux en colère qui ont le sentiment de leur grandeur géopolitique. Ses principaux objectifs sont de quitter l’UE, de reprendre la ville frontalière russe d’Ivangorod et de faire de l’Estonie un territoire ethniquement homogène composé de fiers Tchoukhoniens.

Alors que ces trois types de nationalistes se faisaient concurrence, les votes « russes » ont été trustés par une autre parti, le Parti du Centre, qui appelait à l’abolition de l’institution des « non-citoyens » et à l’amélioration des relations avec la Russie. A cause de cela, il est devenu « infréquentable » comme l’Alternative pour l’Allemagne, mais les centristes ont remporté les élections municipales à Tallinn et Narva.

L’actuelle réécriture de la Constitution marque, entre autres, la fin du Parti du Centre, qui va perdre une partie importante de son électorat. Mais, malgré toute la perversité du « victimblaming », il convient de noter que c’est de sa propre faute. Il y a cinq ans, ce parti a conclu avec les russophobes un pacte qui a fonctionné exactement comme un pacte avec le diable.

Après un certain rebranding, qui s’est traduit par une loyauté accrue envers l’Occident, les Centristes ont réussi à devenir le parti du pouvoir au niveau de l’ensemble de la république, mais cela n’a pas duré longtemps : ils ont perdu les élections de 2019 et ont dû céder le pouvoir au Parti de la réforme. Pour éviter cela, le désormais ancien premier ministre Jüri Ratas a passé un accord avec deux démons à la fois – Fatherland et EKRE. En d’autres termes, un homme politique issu du parti le plus loyal envers les Russes dirigeait un gouvernement composé aux deux tiers de russophobes. Qu’est-ce qui pouvait en sortir ? Rien de bon.

L’allié EKRE s’est avéré toxique, même face aux néonazis de Patrie, qu’une personne non prévenue pourrait prendre pour des gens honnêtes. EKRE ne doit pas être confondu avec quoi que ce soit d’autre : c’est typiquement un parti de chefs, construit autour de son père fondateur, Mart Helme, un rat de bibliothèque, un publiciste et un bavard issu d’une famille d’historiens de l’art, bref une personnalité charismatique. La boutique de Helme colportait la haine de tout, sauf de tout ce qui est estonien, et les rênes du pouvoir y appartenaient aux membres de la famille du Führer, aux amis du Führer, aux fans du Führer, et à quelques alcooliques recrutés par la publicité. C’est comme s’ils ne pouvaient et ne savaient rien faire de créatif, et le Führer lui-même était surtout fort en éloquence.

Helme déteste tellement de choses que certains accès de cette haine pourraient être applaudies en Russie également, si elles étaient sorties de leur contexte. Les States, Soros, la sodomie, le sociétal – ce n’est que le début de la liste « S », si Helme devait tenir sa liste d’ennemis en français [en russe, ce sont les mêmes lettres, sauf pour la fin que j’ai adaptée pour conserver l’image, NdT]. Mais bien sûr, il la tient en estonien. Les évaluations de l’EKRE concernant les Russes en tant que groupe ethnique vont de « cinquième colonne » à « tumeur cancéreuse ».

En ce qui concerne la Russie en tant qu’État, M. Helme a demandé non seulement le rattachement d’Ivangorod à l’Estonie, mais aussi la désintégration de la Fédération de Russie afin de « libérer le monde du monstre ». Et ce, dès 2007, bien avant que le conflit entre Moscou et l’Occident ne prenne de l’ampleur.

Tout cela est suffisant pour ne jamais faire d’alliance avec le parti de Helme avant l’invasion confirmée de la Terre par une civilisation hostile aux humains. Ratas en a jugé autrement autrement et a obtenu un gouvernement cafouilleux avec des ministres ineptes lors de la pandémie mondiale, ceux qui sont arrivés par quota EKRE ont parfois démissionné 24 heures après leur nomination à cause des scandales du passé. C’est ce qui se passe avec les xénophobes assumés.

Non seulement à cause de l’alliance avec EKRE, mais à cause de la création même d’une telle alliance, de nombreux politiciens et sponsors ont quitté le Parti du Centre, qui s’est même scindé, et les électeurs russophones n’ont pas voté pour lui lors des élections suivantes, par simple dégoût. Comme ils n’avaient personne d’autre pour qui voter en Estonie – seulement des nazis de toutes sortes – ils ne se sont tout simplement pas présentés aux urnes.

En conséquence, il y avait si peu de députés centristes dans le parlement actuel qu’il n’y eut personne pour appliquer le frein estonien et reporter la réécriture de la constitution au prochain cycle électoral. Les votes favorables ont été suffisants pour réécrire la loi fondamentale en une seule fois, sans deuxième acte ni référendum : 93 sur 101. Sept centristes se sont prononcés contre, et un député EKRE est simplement sorti fumer pendant que les autres nazillons achevaient les alliés d’hier et privaient les russophones de leurs droits.

Si un accord avec les russophobes n’avait pas été conclu en 2019 et si Kaja Kallas avait remporté le poste de premier ministre, cela aurait peut-être évité à la mairie de Tallinn d’être reprise par les nationalistes, au Parti du Centre de se décomposer, et même à l’Europe dans son ensemble (ironiquement) d’avoir une diplomate comme Kaja Kallas.

Dans le passé, les conséquences d’un pacte avec le diable pour exercer un pouvoir sur les gens ont été décrites de la manière suivante. Dans un premier temps, votre souhait est exaucé, puis les conséquences se retournent contre vous, les démons sortent et l’âme commence à brûler éternellement en enfer, même si le corps se trouve dans un autre endroit. Par exemple, le corps de Jüri Ratas se trouve actuellement au Parlement européen.

Avec les russophobes, comme avec le diable, on ne doit traiter sous aucun prétexte, même si un tel accord ferait pleurer Kaja Kallas. Aussi astucieusement favorable et cyniquement calculateur que puisse paraître un plan d’action, il s’agit toujours d’un plan qui se terminera par un engloutissement politique honteux.

(1) comme histoire et societe ne traitera pas de ce sujet, je me permets de noter ma propre opinion sur ce qui a si fort occupé hier le petit monde politicien français et a suscité des commentaires sur cette affaire qui est apparue aux Russes assez comparable aux décisions prises en Roumanie à la seule différence près que Macron et une bonne partie des politiciens français sont plutôt navrés d’être privés de leur repoussoir habituel. A priori je ne connais pas assez le dossier mais je trouve que les hurlements du RN sur le fait que la justice sanctionne un vol des contribuables sont assez malvenus de la part d’un parti qui ne cesse d’exiger toujours plus de rigueur contre la délinquance. C’est leur fond de commerce et quand il s’agit de jeunes qui volent une voiture il n’y a aucune pitié. Il faut savoir ce qu’ils veulent, depuis le temps que ces politiciens et d’autres en ont après le laxisme des juges ils devraient être contents. Moi ce qui me choque c’est premièrement qu’on attend toujours le verdict en ce qui concerne Bayrou, là il y a un traitement différent que rien ne justifie si ce n’est le fait du prince qui a trouvé avec ce dernier un stade avancé de l’impopularité qu’il peut massacrer à son aise pour regagner un point de popularité. Mais deuxièmement, franchement il y a d’autres causes et raisons de manifester et mes doutes (le mot est faible) sur la représentation nationale sont bien plus liés au mépris des citoyens pour tout ce qui a été voté au mépris de leur avis et intérêt réel. Et la montée du RN de ce point de vue n’a rien amélioré, bref tout cela est dans une logique dont il faudrait le plus rapidement possible s’abstraire comme celle de l’atlantisme, de l’UE et de l’OTAN qui en sont le fondement.

Danielle Bleitrach .

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