Cette réflexion qui nous vient du Mexique – qui sans appartenir aux BRICS participe au groupe de paix constitué à l’ONU avec la Chine, le Brésil entre autres – a le mérite de mettre l’accent sur un fait difficilement contestable, à savoir que la présidente du Mexique est en situation de négocier avec Trump parce qu’elle a le pouvoir de le faire en s’appuyant sur le peuple mexicain et sur une légitimité internationale. Notre président Macron – comme son alter ego Zelenski – jouit d’une présidence, d’un gouvernement, mais il n’a en fait plus le pouvoir, ni de son peuple, ni au plan international. Il court derrière, s’il n’a jamais eu cette légitimité et n’a jamais été autre chose que l’exécutant de ceux qui l’ont placé là et n’ont cessé d’exiger des retours sur investissements, il est clair qu’il a perdu ce que l’opération médiatique lui avait un bref temps construit. Toute sa pathétique gesticulation comme d’ailleurs celles d’autres dirigeants de l’UE et des « démocraties » occidentales ne tient qu’à cette perte de légitimité face aux peuples à qui ils imposent des décisions contraires à leurs intérêts et qui apparaissent de plus en plus absurdes et abusifs. C’est un des problèmes essentiels des sociétés occidentales et qui reflètent une perte d’hégémonie auquel le fascisme prétend apporter une réponse. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Ce n’est pas nouveau qu’avoir le gouvernement ne signifie pas forcément avoir le pouvoir et vice-versa. Dans une république où règnent la séparation des pouvoirs, le premier n’est qu’une partie – l’exécutif – d’une série d’institutions autonomes et théoriquement souveraines : le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif, le bureau du procureur ou les organes électoraux. Dans le cycle néolibéral, le Mexique était en proie à des entités réglementaires autonomes, dotées de pouvoirs égaux ou supérieurs à ceux de l’exécutif dans divers domaines, et étrangères au principe de souveraineté populaire inscrit dans l’article 39 de la Constitution. En dehors de l’univers institutionnel, le pouvoir est distribué de manière plus ou moins acceptée et explicite dans d’autres cas, tels que celui du grand capital, des médias, des organisations sociales et religieuses et, dans de nombreux pays pauvres, des ambassades de nations riches et militairement fortes. Il y a des cas où le pouvoir de facto est exercé par des groupes criminels organisés, comme dans le cas d’Haïti ou de la Somalie.
Mais au-delà de ces faits évidents, il est clair que le contrôle de l’appareil gouvernemental lui-même par celui qui en est le chef ne se fait pas automatiquement et n’est pas le produit de la simple prise de fonction. Andrés Manuel López Obrador a qualifié cet appareil d’éléphant rhumatismal, une expression très bienveillante si l’on considère le degré d’inefficacité et de pourriture dans lequel la première présidence de la Quatrième Transformation a reçu l’administration : la corruption publique et privée la plus sale, a-t-il souligné le 1er décembre 2018, lorsqu’il a reçu l’écharpe présidentielle. Les gouvernements précédents ont trouvé qu’il était très facile de travailler avec elle parce qu’ils n’avaient pas l’intention de la nettoyer, mais de prospérer avec sa décomposition, et parce qu’ils ne voulaient pas transformer l’état de corruption des choses, mais le perpétuer. Pour la clique oligarchique qui jusque-là contrôlait le destin du pays, le but principal n’était pas de préserver la richesse de la nation, mais de la piller, et elle a trouvé des opportunités d’affaires même dans l’inefficacité et les crises économiques. Peut-être que la plus grande erreur des 4T a été de sous-estimer la profondeur et l’étendue de la corruption régnante, sédimentée au fil des décennies dans un vaste réseau de complicités, et de pécher par excès d’optimisme quant aux changements et aux délais qu’il faudrait pour l’éradiquer.
Au cours du dernier mandat de six ans, il a été dit que le gouvernement d’AMLO avait été le plus puissant depuis des décennies, peut-être parce que depuis 1997, aucun président n’avait officiellement eu une majorité favorable dans les chambres de la législature. C’est une demi-vérité, parce que Salinas, Zedillo et Fox avaient l’alliance informelle du PRIAN et depuis l’époque de Calderón, le PRD s’est aligné sur la mafia oligarchique, de sorte que pendant le mandat de six ans de Peña Nieto, il opérait déjà ouvertement en faveur du régime. López Obrador était un président puissant avant tout parce qu’il avait le soutien actif de la majorité de la population à tout moment, et même tant de ses directives se sont heurtées encore et encore aux barrages de confinement du pouvoir judiciaire et des organes autonomes dans lesquels l’oligarchie vaincue s’est retranchée pour saboter les politiques publiques. À cela s’ajoutaient l’inertie et les vices à différents niveaux de commandement de plusieurs secrétaires d’État et bastions tels que ceux de divers bureaux de procureurs d’État : celui de Jorge Winckler, à Veracruz ; celle de Carlos Zamarripa, à Guanajuato ; celle d’Uriel Carmona, à Morelos, parmi les exemples les plus infâmes.
Un cas terrible de ce président puissant qui s’est retrouvé en même temps lié par le cadre institutionnel même qu’il présidait est l’impossibilité d’élucider l’atrocité perpétrée à Iguala le 26 septembre 2014 et, à tout le moins, de faire la lumière sur le sort des 43 jeunes étudiants disparus. Il n’y est pas parvenu, bien qu’il ait consacré toute son honnêteté et toute sa volonté politique à cet effort.
La présidente Claudia Sheinbaum a reçu l’appareil d’État dans de meilleures conditions que son prédécesseur et personne ne doute que son pouvoir est encore plus grand que celui détenu par AMLO au cours du dernier mandat de six ans. Mais cela ne signifie pas qu’elle a tout le pouvoir. Certes, des majorités qualifiées dans les chambres facilitent la tâche de transformation et de sauvetage du pays, et la réforme judiciaire permettra un large nettoyage des tribunaux pourris et des tribunaux qui ont tant boycotté la présidence de López Obrador et qui ont tant entravé l’exécution d’une stratégie humaniste de sécurité publique. Dans ces conditions, en quelques mois, le changement s’est accéléré et s’est répandu et l’humeur nationale est à son meilleur, malgré les coups de pied d’éléphant du président américain, les bordées sur l’ancien Twitter et les cris de rancœur et de rage de la droite vaincue, de plus en plus insignifiante.
Mais l’effort pour éradiquer les misères de l’ancien régime se poursuivra pendant des années et ne sera pas consommé par la magie, par décret ou en allant au-delà de la loi. Il reste encore de nombreuses batailles à mener.
Views: 186