Après l’extraordinaire réussite de Parasite il était difficile de faire un film qui ne soit pas immédiatement une retombée de tension et d’intérêt, Mickey 17 a tous les ingrédients pour la réussite, avec un seul défaut, il a été considéré dans sa diffusion et par la critique comme pas immédiatement aussi doué pour provoquer du plaisir au spectateur. Il a été murmuré sur son berceau qu’il aurait du mal à trouver son public. Pourtant il serait dommage à cause de ces mauvaises fées de la distribution de rater un des films les plus sincères et intelligents du moment, qui comme Parasite nous fait renouer avec le plaisir naïf des gags et des culbutes. Oui nous sommes toujours dans l’inventivité de ce cinéma féroce, là où les méchants finissent à se retrouver pris dans leur piège et le vagabond triomphe du policeman et du riche banquier qui veulent sa perte. Mais le monde dans lequel le pauvre type tente de déjouer les obstacles dressés entre lui et un repas correct s’est encore complexifié, c’est celui de l’intelligence artificielle et de la conquête spatiale ; nous sommes passés de l’usine Ford avec son travailleur englouti dans la machine, à Elon Musk mais toujours avec la suprématie blanche et l’Amérique d’abord.

Mark ruffalo et Toni Collette le couple infernal de Tyran qui nous la joue Macbeth à la manière d’Elon Musk extraverti comme son alter ego Donald Trump… un vrai délice, eux et leur cour de technocrates incapables et fous n’en finissent pas de nous faire frémir dans un décor plus kitch que moi tu meurs…
Mickey 17 est une comédie picaresque et une science fiction americano-sud coréenne écrite et réalisée par Bong Joon-Ho, adaptation du roman Mickey 7 d’Edward Asthon paru en 2022. Là est déjà le pari tenté et réussi par le coréen, prendre un genre le space opera qui reste profondément marqué par un certain savoir faire hollywoodien et l’écrire à la manière sud-coréenne, le cinéma d’auteur le plus exigeant qui soit. Le cinéma sud coréen et celui de Bong Joon-Ho n’y fait pas exception, a en son centre la lutte des classes dans ce qu’elle a de plus violent, de plus décapant et de plus sordide.

Le « remplaçant, le proléaire à son stade ultime celui de la science sans âme aux mains des tyrans et de leurs technocrates expérimentateurs à la Menguelé…
Mickey est un « remplaçable », un employé jetable d’une expédition humaine de colonisation de l’espace ; il part dans une nef dans laquelle tout semble fait pour faire bouffer de la merde recyclée aux pionniers sous les ordres d’un couple de sadiques exhibitionnistes qui doit beaucoup à Trump mais en plus stupide. En effet, parce qu’il a échoué aux élections, cet adepte d’Hitler est censé créer un patriotisme pionnier fondé sur la suprématie des pauvres types qui ont supplié de fuir leur sort sur la terre. Mickey est le dernier des derniers de cette expédition puisque son travail c’est grâce à un invention interdite sur la terre de se tuer à la tâche à tous les sens du terme, puisque après avoir intégré tous les aspects de sa personnalité de sa mémoire dans une brique fréquemment recyclée et à qui on refabrique un corps identique à partir des déchets journaliers du vaisseau spatial, il doit mourir dans les expériences d’adaptation à ce monde inconnu, le monde glacé de Niflheim. Jour après jour alors que le couple sadique diminue sans cesse sa part de nourriture et augmente ses heures de travail, il doit subir les souffrances de l’agonie avec des contacts limités à des individus, rebut de la terre qui n’ont qu’une préoccupation, savoir ce que ça fait de mourir. Nous découvrons Mickey 17, mort déjà 16 fois, l’être le plus doux, le plus naïf qui se puisse imaginer et qui ne sait que dire « merci » mais qui cherche les raisons expliquant une telle punition, en quoi il a failli.
La première partie, l’exposition de l’immigration et des raisons qui peuvent pousser un individu à se retrouver dans pareille galère est aussi inventive que dans Parasite. C’est atroce et jouissif. Deux amis ont voulu monter une boutique de macarons et ont emprunté une somme dérisoire à un des hommes les plus riches de la planète, un vieillard hideux qui se fiche de perdre sa mise mais dont le seul plaisir est de voir débités à la tronçonneuse ses débiteurs impécunieux. Il a créé une entreprise planétaire qui débusque jusque dans les coins les plus reculés le misérable en fuite et le ramène pour que le richissime ait son spectacle favori au petit déjeuner. A un mois du remboursement de la dette des deux misérables, il les enlève, les attache pour leur faire partager le spectacle. On les retrouve dans le hall d’attente de l’embarquement pour une expédition planétaire de colonisation de l’espace, des dizaines de milliers d’individus suppliant pour qu’on les embarque, il ne reste plus qu’une place, celle de « remplaçable » le dernier des derniers de ce système.
C’est fort et inventif comme Parasite, mais il ne s’agit plus seulement de la lutte des classes en Corée du sud mais bien de l’impérialisme et la relation des États-Unis, de l’occident avec les peuples du sud. Changement de décor, finis les raffinement esthétisants de la bourgeoisie coréenne, c’est tout la vulgarité post-moderne des parvenus recyclant les signes de la richesse aristocratique revus et corrigés dans l’accumulation… qui s’y reconnaissant regrette la satire exotique… On comprend que le film soit difficilement acceptable par le spectateur occidental gorgé de bons sentiments à la démocrate ou à l’atlantisme militant et qui la retrouve exprimée par les tyrans et les méchants. Ce à quoi est désormais réduite la gauche française et ce public complètement aliéné par ses technocrates serviles et stupides apparait dans ce monde à la dérive dans l’espace dans lequel bons et méchants n’ont rien à proposer à l’expédition des rebuts de leur système autre que l’adoration de leurs bourreaux insupportables de mauvais goût et de sadisme. Cette France qui a soixante pour cent est convaincue par madame von der Leyen qui pourrait être lady Macbeth, Macron et sa cour de crétinissisme ne déparerait pas, lui aussi inviterait de s’armer contre le péril des autochtones. Oui nous sommes là embarqués dans cette nef. Incapable de nous révolter, prêts à applaudir n’importe quelle destruction y compris la nôtre en nous contentant d’une vague explication.
Mais Mickey 17 séduit et attire l’amour et l’amitié de ce qu’il y a de meilleur dans cet enfer : en général des femmes fortes et qui agissent avant de parler. Et l’histoire après cette introduction commence quand par erreur MIckey 17 ne meurt pas alors qu’on a mis en place déjà Mickey 18. L’erreur d’ailleurs provient du fait que les compagnons de voyage ont l’habitude de le laisser crever alors que les créatures qui peuplent la planète et qui devraient le dévorer de fait le sauvent. Je vous laisse découvrir la suite et vous donne mon opinion sur cette deuxième partie. Elle est toujours aussi créative mais si elle est moins un choc que l’exposition, c’est parce que Bong Joon-Ho cède à quelques stéréotypes sur les valeurs qui peuvent sauver le monde admises par la gauche à la Bernie Sanders ou à celle de die Linke, et à notre gauche française, de la mollesse, de la collaboration de classe dans la rencontre avec les extraterrestres que l’on sent empruntés à l’univers convenu de star wars. Le film est américaino-sud coréen et Hollywood, le jury des festivals est modérément adapté à un exercice trop brutal de la lutte des classes. Bong Joon-Ho s’en donne à cœur joie puis par moment il freine en se disant qu’Hollywood demande ça. Bref ce qui est fait pour nous plaire nuit au plaisir féroce que nous prenions à renouer avec la force de ce cinéma des origines, celle des courses poursuite, de l’héroïne attachée à une planche dont s’approche la lame qui coupe en deux, l’absence de bavardage, l’ellipse, le montage accéléré, ce qui laisse la part à l’imagination, et qui fait que je me suis retrouvée la main pressée contre ma bouche prise dans l’action comme à guignol.
C’est probablement l’aspect le plus décapant de la lutte des classe à la sud-coréenne celle qui retrouve la force du cinema muet et de ses bagarres sans trucage, une honnêteté réaliste, qui expose l’ignominie de ce que nous tolérons, de quel côté de la barrière nous sommes pour accepter d’ingurgiter la merde que nous bouffons, celle aussi de nos divertissements, et de nos valeurs ? Cet exposé de nos turpitudes explique la distance des critiques. Celles-ci ne peuvent que reconnaitre l’excellence du travail cinématographique et en particulier l’exploit de la relation entre le metteur en scène et ses acteurs, la relation inventive qui donne à Mickey 17 et 18 la possibilité de se retrouver en action dans le même cadrage sans que jamais nous ayons des doutes sur qui est l’un ou l’autre des deux jumeaux kamikazes.
Le tout dans un travail photographique, un visuel éblouissant parce qu’un film est l’œuvre collective totale par excellence même si ici elle reste un cinéma d’auteur dans lequel les acteurs se réfugient pour tenter d’échapper à ce que la civilisation de l’image fait d’eux et de nous. Ici on pense à Cronenberg et à Faux semblant. Mais saluons la direction de photo Darius Khendji qui nous emporte dans toutes les prouesses techniques des métiers du cinéma en nous faisant oublier la virtuosité.

Si l’immigrant prolétaire, l’homme jetable et remplaçable est le pur produit esthétique de la pop-culture arrivé à son stade ultime de schizophrénie de l’acceptation du maitre tyran lui même s’autofilmant sans arrêt avec son épouse Lasy Macbeth d’une vulgarité époustouflante, il faut noter que ceux qui empêchent la catastrophe, sanctionnent les abus sont comme dans cette photo asiatiques ou africains.
Robert Pattinson, apporte ici l’épaisseur de sa carrière, le héros du cinéma pour adolescent Twilight Harry Potter mais aussi Cronenberg, Werner Herzog, Brady Corbet et Claire Deny. Un parcours irréprochable pour rencontrer et servir le propos exigeant de Bong Joon-Ho. Mannequin, éphèbe, musicien, sensible androgyne selon les standards de la pop-culture. Nous avons dans le champ deux Robert Pattison pour le prix d’un, le 17 timide introverti et tendre, le 18 nerveux agressif, deux corps manipulés, objet du désir et à ce titre il ne faudrait pas oublier les autres acteurs et actrices en particulier la puissante Noami Ackie qui utilise de bonne façon gaillardement comme le metteur en scène le dédoublement du plaisir à triturer, aimer, utiliser les corps du remplaçable devenu irremplaçable, encore faut-il avoir le courage d’aimer en se rebellant.
Il faut beaucoup de soif de vérité pour comme les grands cinéastes savoir utiliser un décor dans son dépouillement géométrique, spirale, verticale, cloisonnement de l’image, en les mettant au service de l’histoire si totalement que le plaisir esthétique, l’intelligence du récit, la performance d’acteur se fondent dans la mise en mouvement, le rythme qui tient notre attention, fait éclore nos sentiments avec ceux des personnages. La magie du cinéma est là malgré ou à cause de la virtuosité peu habituelle dans le cinéma de sciences fiction, encore que… Les plus grands y ont connu un échec relatif comme Fritz Lang dans La femme dans la lune. Et quand de surcroit vous y mêlez la lutte des classe à son stade impérialiste avec en fond toujours l’asiatique et la descendante d’esclave africaine pour imposer une ONU acquise au monde multipolaire, à contre emploi(comme dans Black tea) le tout en prétendant ne pas heurter le jury de Cannes c’est très, très difficile et pourtant c’est pratiquement réussi.
Franchement ne boudez pas votre plaisir et faites comme elle allez prendre du plaisir honnête sans tartufferie en allant voir Mickey 17, ça change un peu de l’écœurement de tout ce que l’image et son narratif nous impose sur nos écrans.
Danielle Bleitrach
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