« Depuis l’époque coloniale, depuis l’esclavage, le pillage est l’un des moyens par lesquels les pays occidentaux se sont habitués à vivre aux dépens d’autrui »… Toujours aussi passionnant, une multiplicité de sujets abordés sans langue de bois ! (note et traduction revue par Marianne Dunlop)
https://mid.ru/fr/foreign_policy/news/1991476
Question: Le président serbe Aleksandar Vucic fait dernièrement des déclarations que certains experts interprètent comme une solidarisation avec les États-Unis. Comment de telles déclarations s’accordent-elles avec le caractère spécial des relations entre la Russie et la Serbie?
Sergueï Lavrov: Nous souhaitons que nos relations avec la Serbie reposent exclusivement sur les intérêts des peuples serbe et russe, sur les intérêts de nos États. Ces intérêts coïncident sur la grande majorité des questions. Ces relations sont riches en accords concrets, en projets, notamment dans le domaine de l’énergie, approuvés par les chefs d’État, au niveau des gouvernements et des entreprises. Il existe une production conjointe, notamment la société Industrie pétrolière de Serbie. L’accord de création de cette société stipule qu’elle ne peut en aucun cas être nationalisée. Dans la politique américaine, les démocrates ont ces manières de saboter à la dernière minute l’administration suivante, comme l’a fait Barack Obama trois semaines avant l’investiture de Donald Trump lors de son premier mandat, quand il a expulsé 120 employés russes (avec leurs familles) et volé en saisissant (ils ne nous y laissent toujours pas accéder) deux propriétés diplomatiques dotées d’une immunité. Cela nous a obligés à répondre et, bien sûr, n’a pas rendu le dossier russo-américain plus simple pour la nouvelle administration Trump.
De même maintenant, ils veulent simultanément « jouer un sale tour », comme on dit, aux Serbes et à l’administration Trump. Voilà qu’est arrivé je ne sais quel conseiller adjoint pour l’énergie, il était en conférence de presse conjointe avec le Président serbe Aleksandar Vucic, faisait la leçon, exigeait qu’il ne reste plus de capital russe dans l’Industrie pétrolière de Serbie et dans l’énergie serbe en général. Sinon, disait-il, ils bloqueraient toutes les possibilités d’accès aux marchés pour les produits serbes. C’était une intervention assez grossière. Mais c’est la « marque de fabrique » de l’administration américaine sortante.
Quand on ne t’a pas réélu et que ton équipe, qui voit l’Amérique d’une façon qui n’a pas été soutenue par la majorité des Américains, même d’un point de vue purement éthique, pas seulement politique mais par décence humaine, ne fais rien pendant ces trois mois apparus on ne sait d’où entre les élections et l’investiture et comprends que le peuple veut une autre politique. Non, ils vont absolument « claquer la porte », faire en sorte que personne ne l’oublie.
Je répète qu’avec la Serbie, nous avons une histoire très riche de lutte commune contre le nazisme, pour le respect du droit des peuples à l’autodétermination. Nous nous soutenons mutuellement sur les questions politiques, dans les organisations internationales. Bien sûr, nous voyons qu’on « tord le bras » à la Serbie. Quand le Président Aleksandar Vucic dit depuis de longues années qu’ils ne dévieront pas de leur cap vers l’adhésion à l’Union européenne, et que pendant toutes ces années en réponse il entend qu’on les y attend, mais qu’il faut d’abord reconnaître l’indépendance du Kosovo (c’est-à-dire qu’on invite le peuple serbe et son président à s’humilier), et, deuxièmement, que les Serbes doivent bien sûr se joindre à toutes les sanctions de l’UE contre la Fédération de Russie. En même temps que l’invitation à l’auto-humiliation, on exige de trahir son allié. Le Président Aleksandar Vucic a dit maintes fois que c’était une politique inacceptable que les Européens tentaient d’imposer, et que les États-Unis encourageaient manifestement.
La situation, même d’un point de vue juridique, exige des décisions courageuses. On te dit que tu as un accord avec quelqu’un qui ne nous concerne pas, mais qui concerne notre désir de punir ton partenaire. Ils ajoutent que, désolé, tu seras aussi touché par ricochet, et très douloureusement.
C’est au dirigeant serbe de prendre la décision. Le vice-premier ministre serbe Aleksandar Vulin, qui représentait la Serbie au sommet des Brics à Kazan, s’est exprimé clairement sur ce sujet. Donc nous verrons.
Nous sommes en contact avec nos amis serbes. Nous avons demandé des consultations urgentes. Nous espérons obtenir une réaction très prochainement.
Question: Il y a quelques jours, au Venezuela, a eu lieu l’investiture de Nicolas Maduro, le président légitimement élu. Cependant, son rival aux élections, Edmundo Gonzalez, se dit toujours vainqueur. Il est considéré comme tel par Washington et un certain nombre de pays d’Amérique latine où il a été accepté comme président élu, notamment en Argentine et en Uruguay. Comment évaluez-vous la situation? Cela ne vous rappelle-t-il pas la situation de Juan Guaido après les élections précédentes? Que souhaite Washington?
Sergueï Lavrov: L’Occident est enivré de sa « grandeur » (comme il le croit), son impunité et son droit autoproclamé à décider du sort de tous les peuples du monde. Cela ne se manifeste pas seulement en Amérique latine, pas seulement au Venezuela, pas seulement par rapport à Juan Guaido et Edmundo Gonzalez. Svetlana Tikhanovskaïa a également été proclamée par certains pays comme « représentante légale » de la Biélorussie. Du moins, c’est sous ce titre qu’elle est accueillie au Conseil de l’Europe et dans d’autres organisations occidentales.
Il s’agit de l’orgueil, du mépris envers le reste du monde. Il s’agit là encore d’une déclaration éhontée selon laquelle, soi-disant, lorsque nous disons « démocratie », cela ne signifie qu’une seule chose: « Je peux faire ce que je veux ». Le secrétaire d’État américain Antony Blinken (que j’ai déjà cité) a déclaré que ceux qui ne les écoutaient pas ne s’assiéraient pas à la table démocratique, mais seraient au « menu ». Il s’agit là d’une manifestation directe d’une telle politique. Et c’est ce qu’ils font: ils pensent qu’ils ont le droit de prendre des décisions sur les résultats des élections. Oui, le pays a le droit, pas une obligation. Les pays membres de l’OSCE ont le droit d’inviter des observateurs internationaux. Il ne s’agit pas du tout du BIDDH. Il peut s’agir d’associations parlementaires de n’importe quel pays ou d’organisations.
Je ne décrirai même pas comment ils ont réagi aux élections en Moldavie, comment tout a été organisé là-bas pour empêcher un demi-million de Moldaves en Russie de voter, comment tout a été fait pour que quelques Moldaves travaillant en Occident aient la possibilité de voter calmement sans faire la queue pour celui qu’on leur avait dit, pour la « présidente » Maia Sandu.
Regardez comme ils maltraitent le peuple géorgien. Ils nous ont accusés d’avoir « mis en scène quelque chose » là-bas. Les observateurs de l’OSCE n’ont constaté aucune violation majeure. Cette formule signifie que tout a été fait correctement, légitimement. Mais cela ne leur plait pas.
La Roumanie. C’est une honte. Peut-être le « président » Edmundo Gonzalez, comme le « président » Juan Guaido, suivront l’exemple de l’ancienne présidente géorgienne Salomé Zourabichvili ? Elle a déclaré fermement deux jours avant l’investiture du nouveau président qu’elle ne partirait pas et qu’elle, en tant que seule source légitime du pouvoir en Géorgie, resterait dans ce palais et « donnerait » des ordres. Mais le lendemain matin, elle est partie et a trouvé un emploi dans un groupe de réflexion en sciences politiques.
Il est difficile de commenter ce sujet. C’est de la pure hypocrisie, de la dictature, un manque de respect envers les gens et une surestimation colossale de ses propres capacités intellectuelles et autres. Cela passera avec le temps. Mais il faut éduquer ces gens.
Question: Récemment, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré que, suivant les directives stratégiques des deux chefs d’État, les relations sino-russes devenaient de jour en jour plus matures, stables, indépendantes et fortes, et constituaient un modèle d’échanges amicaux entre les deux grandes puissances et pays voisins. Qu’en pensez-vous ? Selon vous, quel est le secret du développement stable de nos relations bilatérales? Qu’attendez-vous de la coopération bilatérale en 2025?
Sergueï Lavrov: Je partage pleinement ces évaluations des relations entre la Russie et la Chine, exprimées par mon bon ami de longue date Wang Yi. Nous nous rencontrons plusieurs fois par an. Ces rencontres sont très utiles et aident à parvenir à des accords concrets dans l’accomplissement des objectifs convenus par le Président russe Vladimir Poutine et le Président chinois Xi Jinping sur les questions de politique étrangère et notre coordination sur la scène internationale.
Il ne fait aucun doute que le lien russo-chinois est l’un des principaux facteurs stabilisants de la vie internationale moderne et des processus en cours, notamment dans le but d’intensifier la confrontation et l’hostilité dans les affaires internationales, ce que nos voisins du Nord cherchent à faire. L’Alliance atlantique sous la direction des États-Unis cherche toujours à semer la discorde, que ce soit en Europe, dans le détroit de Taïwan, dans la mer de Chine méridionale ou (comme on dit) dans la région Indo-Pacifique, que ce soit au Moyen-Orient ou en Afrique.
Pour les États-Unis (ils ont des centaines de bases militaires partout), il n’est pas difficile d’organiser une bisbille. Mais ces procédés sont évidents: créer des facteurs conflictuels et déstabilisateurs partout, puis observer comment les pays qui revendiquaient une influence dans une région ou une autre, à cause de ces crises et conflits, dépensent de l’argent, de l’attention et du temps non pas pour le développement, mais pour résoudre ces crises, pendant que Washington en tire de plus en plus d’avantages. Ils l’ont fait pendant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale. Ils ont désormais réussi à transférer le fardeau principal et lourd de la guerre contre la Russie aux mains de l’Ukraine sur l’Union européenne. Et l’UE dans sa majorité, y compris les dirigeants de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, garde le silence. Certains se plaignent, mais surtout dans l’opposition: Alternative pour l’Allemagne, Alliance Sahra Wagenknecht, en France il y a le Front national.
L’opposition demande pourquoi ils dépensent autant d’argent alors que la pauvreté augmente, que la désindustrialisation se produit, que l’industrie fuit vers les États-Unis, parce que l’Amérique a fait en sorte que l’énergie y coûte quatre fois moins cher et que les impôts sont moins élevés.
Ils ont brûlé presque toute la Californie. Les dommages s’élèvent à 250 milliards de dollars, soit plus que ce qu’ils ont fourni à l’Ukraine, mais les chiffres sont comparables. Nous voyons et avons vu lors de divers événements internationaux (l’Apec s’est tenue à San Francisco) que les États-Unis ont de nombreux problèmes – la pauvreté est partout si vous quittez les autoroutes centrales. Alors, lorsque la Chine et la Russie prônent un dialogue égal et honnête avec Washington, cela signifie avant tout que nous défendons les principes de communication internationale inscrits dans la Charte des Nations unies.
Après la défaite du fascisme allemand en Europe et du militarisme japonais en Extrême-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, nos dirigeants sont convenus de célébrer conjointement ces deux grands événements: le 80ème anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale en Europe et le 80ème anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale en Extrême-Orient.
Je suis sûr que ce seront des événements passionnants. Ils sont d’une importance colossale pour rappeler à tous, aux enfants et surtout à la plus jeune génération, à quel prix la paix a été établie, et pour continuer à faire face catégoriquement aux tentatives de réécrire l’histoire, de faire porter la responsabilité égale aux nazis et à ceux qui ont libéré l’Europe et l’Extrême-Orient du militarisme japonais.
Il s’agit d’un élément important qui renforce le partenariat global et l’interaction stratégique russo-chinois. Je crois que le secret du succès est que nous avons une histoire commune. Nous ne renonçons pas à cette histoire. Nous (ni la Russie ni la Chine), contrairement à l’Occident, n’avons jamais renoncé aux obligations que nous avons prises, y compris celles inscrites dans la Charte des Nations unies. Il ne déclarera pas qu’il ne les considère plus comme des obligations, mais dans la pratique il fait tout pour ne pas les respecter, mais pour suivre ses propres plans égoïstes.
C’est pourquoi les structures créées sur la base du partenariat et des initiatives conjoints russo-chinois font parties des associations d’un nouveau type, où il n’y a pas de mentalité de maître-esclave.
Il s’agit de l’OCS, qui développe des liens avec l’Union économique eurasiatique. Cette dernière harmonise étroitement ses plans d’intégration avec le projet chinois Nouvelle route de la soie. Il s’agit des Brics, qui sont devenus encore plus forts après le sommet de Kazan. L’Indonésie, que nous avons activement soutenue pendant la présidence russe, en est devenue membre à part entière. Huit nouveaux pays sont devenus États partenaires et une coopération étroite se développe entre l’OCS et l’Asean, ainsi qu’avec de nombreuses autres associations.
Tout cela se déroule sur la base du consensus. Mais le tandem russo-chinois est capable de faire avancer tous ces processus de manière assez efficace avec le soutien de tous les autres participants. L’importance internationale de notre coopération, de notre partenariat et de nos projets d’avenir est énorme. Je suis convaincu que ces plans seront réalisés. Nous ne voulons être contre personne. Nous ne souhaitons qu’une seule chose: que tous les pays de notre planète, y compris l’Occident collectif dirigé par les États-Unis, mènent leurs affaires dans le respect des intérêts de tous leurs partenaires. C’est la position commune de Moscou et de Pékin.
Question: Nous voyons qu’on contraint l’Arménie de suivre le mauvais chemin destructeur qui, je n’ai pas peur de le dire, devient un obstacle à son existence même. Tout cela se fait au détriment des relations russo-arméniennes séculaires et au profit de l’Occident.
Nous savons que l’Arménie a bloqué sa participation à l’OTSC. Nous savons que le gouvernement arménien ignore un certain nombre d’événements qui se déroulent sur la plateforme russe. De plus, tout récemment, Erevan (le gouvernement) a commencé à entraîner l’Arménie dans l’Union européenne. Nous avons appris qu’un référendum sur l’adhésion à l’UE aurait lieu. Aujourd’hui, nous avons appris que l’Arménie allait signer un document de partenariat stratégique avec les États-Unis. Tout cela se déroule sur fond de menaces bien réelles de la part de nos voisins et de risques croissants d’une nouvelle guerre. Comment les autorités russes traitent la situation en Arménie? Comment voyez-vous l’évolution des événements?
Ma deuxième question concerne le 80ème anniversaire de la Grande Victoire, dont vous avez déjà parlé. C’est une victoire commune. Nous connaissons la contribution du peuple soviétique, y compris du peuple arménien, à cette victoire. Elle était importante et de grande envergure. Êtes-vous d’accord pour dire que le souvenir de cette victoire est l’un des fondements sur lesquels doit se construire l’alliance stratégique entre l’Arménie et la Russie?
L’association non gouvernementale Eurasia, dont je suis membre du conseil d’administration, travaille activement depuis sept mois dans l’espace eurasien. Nous défendons activement la préservation de la mémoire historique et défendons les valeurs traditionnelles. Je peux dire avec une certitude absolue que notre travail reçoit un large écho auprès de la jeunesse. Ainsi, en octobre 2024, nous avons organisé un événement à grande échelle à Erevan, auquel ont participé plus d’un millier d’étudiants arméniens, où nous avons non seulement félicité Erevan pour la fête, mais avons également rendu hommage à la mémoire de la victoire dans la Grande Guerre patriotique, déposant des fleurs à la Flamme éternelle.
Sergueï Lavrov: Répondant à la deuxième question je voudrais souligner qu’il s’agit d’un sujet sacré pour tous les peuples, en premier lieu de l’Union soviétique, qui ont été soumis aux tentatives de génocide des envahisseurs nazis, et pour tous ceux qui, soit dans le cadre des unités de l’armée de leur pays, soit dans des détachements de partisans, le mouvement de résistance, luttaient pour la justice et la vérité contre les nazis et un grand nombre de pays européens que les nazis allemands ont mis sous les armes. Des Espagnols et des Français ont participé au siège de Leningrad et à de nombreuses autres actions criminelles du régime nazi.
Nous ne l’avons pas oublié. Il s’agit d’un parallèle. Ils s’imposent constamment. Napoléon a conquis l’Europe et a mis tout le monde sous les armes pour vaincre l’Empire russe. Il n’y avait pas que des Français là-bas. C’est la même chose avec l’Allemagne hitlérienne. Des dizaines de pays occupés par les Allemands ont envoyé leurs troupes pour détruire l’URSS.
Le président américain Joe Biden, s’exprimant hier avec un rapport sur la politique étrangère, a déclaré qu’ils avaient réussi à renforcer l’Otan et ses partisans, soi-disant, 50 pays auraient été mis sous les armes pour « aider » l’Ukraine, mais en réalité, pour lutter contre la Russie aux mains de l’Ukraine.
L’histoire se répète. Partout il y a des éléments d’un sentiment de supériorité personnelle et un désir de mettre en œuvre ce qu’on appelle aujourd’hui le bonapartisme. Pour Adolf Hitler, il s’agissait déjà du nazisme directement. Et le même nazisme fournit aujourd’hui des bannières à ceux qui, sous ces bannières, veulent une fois de plus tenter de détruire notre pays. C’est pourquoi ces anniversaires sont sacrés.
Ce que fait le public, y compris votre organisation, en plus des actions des États et des gouvernements, mérite, à mon avis, les plus grands éloges.
Je suis au courant de votre travail en Arménie, et pas seulement à Erevan, mais aussi dans les villes et les villages. Notre ambassade coopère activement dans les domaines où nous pouvons unir nos efforts, je parle de l’organisation de la marche du Régiment immortel et d’événements tels que le Jardin de la Mémoire et la Dictée de la Victoire. C’est important pour que les jeunes se familiarisent avec ces valeurs sans exagération éternelles.
Nos diplomates rencontrent les vétérans arméniens, prennent soin des lieux de sépulture et entretiennent les monuments commémoratifs. Il ne fait aucun doute que les peuples de Russie et d’Arménie sont des peuples amis et fraternels, et que les relations mutuelles seront finalement fondées sur le sentiment d’amitié.
Quant aux relations actuelles au niveau officiel, elles ne sont pas simples. Vous avez mentionné certains faits que nous avons déjà commentés.
Par exemple, lorsqu’il a été annoncé que le gouvernement avait décidé de lancer le processus d’adhésion à l’UE. Le vice-président du gouvernement russe Alexeï Overcthouk, une personne expérimentée chargée de l’Union économique eurasiatique, son expansion et son développement, a franchement déclaré que c’étaient des choses incompatibles. Il s’agit de deux zones de libre-échange différentes, de deux systèmes différents de réduction (ou d’exemption) des taxes et des taux. Ils ne coïncident pas.
Je voudrais vous rappeler qu’en 2013, après nos rappels répétés, le président ukrainien de l’époque, Viktor Ianoukovitch, avait attiré l’attention sur le fait que les négociations avec l’Union européenne sur l’association de l’Ukraine à l’UE, qui étaient en cours depuis de nombreuses années à cette époque atteignaient des paramètres qui, s’ils étaient approuvés, seraient en contradiction directe avec les obligations dans le cadre de la zone de libre-échange de la CEI. L’Ukraine y participait et bénéficiait activement de ses avantages. Parce que dans la zone de libre-échange de la CEI il n’y avait pratiquement pas de taux internes. L’Ukraine souhaitait avoir les mêmes taux zéro avec l’Union européenne, avec laquelle la Russie et d’autres membres de la CEI, pour des raisons évidentes, avaient des barrières de protection assez sérieuses.
Lorsque nous avons rejoint l’Organisation mondiale du commerce, au prix de 17 années de négociations, nous avons obtenu une protection sérieuse pour toute une série de nos secteurs économiques et de nos services. Si l’Ukraine, qui n’a aucun tarif douanier avec la Russie, bénéficiait du même régime avec l’Union européenne, alors les marchandises européennes, qui, selon nos accords avec Bruxelles, étaient soumises à des droits de douane importants, entreraient gratuitement, sans aucun tarif, sur notre territoire. Nous avons expliqué cela aux Ukrainiens.
Le gouvernement de Viktor Ianoukovitch le comprenait. Ils ont compris que s’ils ne faisaient rien, nous créerions simplement une barrière aux importations ukrainiennes vers la Russie. Et ils en souffriraient, étant donné que la grande part des échanges commerciaux se faisait avec la CEI, et non avec l’Europe. L’Ukraine a demandé de reporter la signature de l’accord d’association de plusieurs mois afin de prendre une décision.
Nous avons proposé, en plus de cela, que la Russie, l’Ukraine et la Commission européenne s’assoient ensemble et examinent comment garantir que l’Ukraine reçoive des avantages supplémentaires de l’accord d’association avec l’UE, mais ne perde pas les avantages de la zone de libre-échange en la CEI.
Le président de la Commission européenne de l’époque, José Manuel Barroso, un homme aussi arrogant qu’il en a l’air, a déclaré que cela ne nous regardait pas. Qu’ils n’interféraient pas dans les relations de la Russie avec le Canada. Alors, la décision des dirigeants légitimes arméniens d’entamer le processus d’adhésion à toute structure internationale où ils sont les bienvenus est une décision souveraine. Mais peser le pour et le contre est aussi la responsabilité du gouvernement arménien, de ceux qui sont chargés du secteur économique.
Vous avez mentionné que l’Arménie avait bloqué sa participation à l’OTSC. Ils ne participent tout simplement pas aux événements. Mais pour être juste, ils ont officiellement déclaré que cela ne signifiait pas qu’ils bloquaient les décisions où un consensus est nécessaire.
L’organisation fonctionne et travaille. À l’automne 2022, nous avions convenus du déploiement d’une mission d’observation de l’OTSC équipée pour jouer un rôle dissuasif à la frontière. Mais nos amis arméniens ont alors dit (tout avait déjà été convenu, la décision était prête, mais ils ont refusé au dernier moment) qu’il leur était difficile de se mettre d’accord, étant donné qu’en septembre 2022, il y a eu trois jours d’affrontements à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, l’OTSC n’est pas intervenue et « n’a pas défendu le territoire d’un allié ».
Le Président russe Vladimir Poutine a évoqué à plusieurs reprises ce sujet. Il n’y avait pas de frontière délimitée, et encore moins de démarcation. Jamais. Deux ou trois kilomètres dans un sens et dans l’autre. Oui, il y avait de telles escarmouches à l’époque. Mais renoncer à une mission de l’OTSC, qui aurait été très efficace, était aussi une décision souveraine. Dans le même temps, une mission de l’Union européenne a été invitée sur place pour deux mois. Les Arméniens ont alors unilatéralement, sans consulter les Azerbaïdjanais, rendu permanent l’accord initial. Le Canada s’est ensuite joint à la mission. Il s’agit déjà d’un élément de la présence de l’Otan. D’après nos informations, ces personnes s’intéressent en grande partie à des questions qui intéressent moins l’Arménie que diverses formations occidentales.
Hier, j’ai appris que le ministre des Affaires étrangères arménien Ararat Mirzoïan avait signé un accord de partenariat stratégique avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken. Il s’agit d’une décision souveraine de deux États. L’essentiel n’est pas ce que vous avez signé et comment cela s’appelle, mais ce qui en découle.
Nous avons également utilisé la terminologie de « partenariat stratégique » dans un certain nombre d’accords avec des pays occidentaux. Mais ces accords, tout en proclamant un partenariat stratégique, n’ont jamais exigé de l’un ou l’autre des participants qu’il agisse contre un pays tiers.
Nous n’avons jamais déclaré nulle part en temps de paix (la Seconde Guerre mondiale, la Grande Guerre patriotique sont une autre affaire) contre quiconque à l’époque moderne que nous étions des partenaires stratégiques qui devraient, soi-disant, se joindre à certaines sanctions, comme ils l’exigent de la Serbie. Et ils exigeront la même chose de l’Arménie.
Mais notre dialogue continue. Le ministre des Affaires étrangères de l’Arménie, Ararat Mirzoïan, a été invité en Fédération de Russie. Il a accepté l’invitation. Nous l’attendons. J’espère que cette visite aura lieu bientôt.
Question (traduite de l’anglais): Le retour de Donald Trump a ravivé les discussions sur un « deal » concernant l’Ukraine. Pourra-t-il réellement conclure ce « deal », faire la paix? Quelles concessions la Russie est-elle prête à faire pour parvenir à un accord?
Quelle est votre réaction au récent refus de Donald Trump d’exclure l’utilisation de la force militaire pour obtenir le Groenland? Comment agirez-vous si Donald Trump procède ainsi?
Sergueï Lavrov: Si je comprends bien, il y a déjà des initiatives concrètes qui seront mises en œuvre immédiatement après l’investiture de Donald Trump. Du moins, ce que j’ai vu, ce sont des initiatives pour entamer des négociations avec le Danemark sur l’achat du Groenland.
En même temps, nous entendons les déclarations du Premier ministre du Groenland Mute Egede selon lesquelles les Groenlandais ont des relations particulières avec Copenhague, qu’ils ne veulent être ni Danois ni Américains, mais veulent être Groenlandais. Je pense que pour commencer, il faut écouter les Groenlandais.
Tout comme nous, étant voisins d’autres îles, péninsules et terres, avons écouté les habitants de la Crimée, du Donbass et de la Nouvelle-Russie, pour connaître leur attitude envers le régime arrivé au pouvoir après un coup d’État illégal, qui n’a pas été accepté par les habitants de la Crimée, de la Nouvelle-Russie et du Donbass.
Cela est en pleine conformité avec ce dont je parlais au début, à savoir le droit des nations à l’autodétermination. Dans les cas où une nation, faisant partie d’un État plus grand, considère qu’elle n’est pas à l’aise dans cet État et qu’elle veut s’autodéterminer conformément à la Charte de l’ONU, le grand État est obligé de ne pas s’y opposer, de ne pas y faire obstacle. Pas comme les Espagnols l’ont fait avec la Catalogne, pas comme les Britanniques le font avec l’Écosse. Si une nation en tant que partie d’un autre État manifeste une telle aspiration, elle peut exercer son droit.
Le droit international est inscrit dans la Charte de l’ONU et dans la Déclaration de l’Assemblée générale. Il y est dit que tous doivent respecter l’intégrité territoriale d’un État dont le gouvernement représente toute la population vivant sur le territoire correspondant. Si le Groenland considère que Copenhague ne représente pas ses intérêts et les intérêts de sa population, alors probablement que le droit à l’autodétermination entre en vigueur.
De la même manière que le droit à l’autodétermination a été la base juridique internationale du processus de décolonisation dans les années 1960-1970. À cette époque, les peuples africains autochtones ont compris que les colonisateurs qui les gouvernaient ne représentaient pas leurs intérêts, les intérêts de la population. Alors le droit des nations à l’autodétermination a été réalisé pour la première fois à grande échelle en pleine conformité avec la Charte de l’ONU, mais pas complètement. Aujourd’hui, il reste dans le monde 17 territoires non autonomes. Il existe le Comité spécial de la décolonisation de l’ONU qui se réunit chaque année et confirme la nécessité de mener à terme le processus de décolonisation. De nombreuses résolutions ont été adoptées concernant l’île de Mayotte, que les Français ne veulent pas rendre à l’État des Comores contrairement aux décisions de l’ONU. Il y a la décolonisation de l’île Maurice et bien d’autres.
Néanmoins, le droit des nations à l’autodétermination existe. Il a été réalisé dans le cadre de la décolonisation et constitue la base juridique internationale de l’achèvement de ce processus (je parle des 17 territoires non autonomes).
Le droit des nations à l’autodétermination est à la base des décisions prises par les habitants de Crimée en 2014 et par les habitants de la Nouvelle-Russie et du Donbass en 2022. Tout comme les peuples africains ne voyaient pas dans les colonisateurs ceux qui représentaient leurs intérêts, de la même manière les Criméens, les habitants du Donbass et de la Nouvelle-Russie ne pouvaient pas voir dans les nazis arrivés au pouvoir en 2014 après un coup d’État des gens représentant leurs intérêts. Car ces nazis, après avoir pris le pouvoir, ont immédiatement annoncé qu’ils supprimeraient le statut de la langue russe en Ukraine. Et ils l’ont fait. Ils ont d’ailleurs adopté une loi interdisant la langue russe bien avant le début de l’opération militaire spéciale. En Occident, où tous sont obsédés par les droits de l’homme à tout bout de champ, personne n’a même levé le petit doigt.
D’ailleurs, les droits de l’homme, c’est aussi la Charte de l’ONU. L’Article 1 stipule: tous doivent respecter les droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion. La langue russe est totalement interdite, l’Église orthodoxe ukrainienne canonique est interdite. Personne ne prête attention à ces violations flagrantes de la Charte de l’ONU. Bien que l’Occident, en fasse toute une histoire avec les droits de l’homme pour n’importe quel motif n’ayant aucun rapport avec le bien-être de la population. Et ici, quand on a défiguré la vie quotidienne des gens et qu’on essaie d’exterminer toute leur histoire et leurs traditions, tous se taisent.
Quand Donald Trump, devenu président, aura définitivement formulé sa position sur le dossier ukrainien, nous l’étudierons. Tout ce qui se dit maintenant se fait dans le cadre de la préparation à l’investiture et aux affaires sérieuses. Comme l’a dit Donald Trump lui-même, il comprend qu’il faut d’abord s’installer dans le Bureau ovale.
Tout ce qui est discuté depuis un an comporte plusieurs aspects. Le fait même que les gens aient commencé à mentionner davantage les réalités sur le terrain mérite probablement d’être salué. Mike Waltz, qui, si je comprends bien, sera conseiller à la sécurité nationale, et le Président Donald Trump lui-même dans sa grande interview ont mentionné les causes premières du conflit dans la partie concernant l’intégration du régime de Kiev dans l’Otan contrairement aux accords conclus dans le cadre des relations et accords soviéto- puis russo-américains, et dans le cadre de l’OSCE. Il y était inscrit par consensus au plus haut niveau, y compris par les présidents, dont le président Barack Obama en 2010, qu’aucun pays ou organisation dans l’espace de l’OSCE ne prétend à la domination, et qu’aucun pays ne renforcera sa sécurité aux dépens de la sécurité des autres. L’Otan faisait précisément ce qu’elle avait promis de ne pas faire. Donald Trump l’a dit.
Pour la première fois de la bouche non seulement d’un dirigeant américain, mais de n’importe quel dirigeant occidental, ont été entendus des aveux honnêtes que les membres de l’Otan mentaient quand ils signaient de nombreux documents avec notre pays et dans le cadre de l’OSCE. Cela n’était utilisé que comme couverture, un « papier », mais en réalité l’Otan s’approchait au plus près de nos frontières, violant les accords sur les conditions selon lesquelles l’Allemagne de l’Est est devenue partie de la République fédérale, déplaçant l’infrastructure militaire au plus près de nos frontières, planifiant la création de bases militaires, y compris les bases navales en Crimée et sur la mer d’Azov. Tout cela est bien connu.
Le fait que cette cause première, enfin, après nos rappels de plusieurs mois, voire de deux ans, s’ancre dans le discours américain, c’est une bonne chose. Mais pour l’instant, ni dans le narratif ni dans aucun discours ne résonnent les droits des Russes, dont la langue, la culture, l’éducation, les médias et la religion canonique en Ukraine ont été interdits par la loi. Il ne pourra pas y avoir de discussions sérieuses si l’Occident prétend que c’est normal.
Quand l’administration sortante, en la personne du secrétaire d’État Antony Blinken et du conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, dit qu’ils sont sûrs que la « nouvelle Maison Blanche » poursuivra la politique de soutien à l’Ukraine, qu’est-ce que c’est? Un testament pour continuer à exterminer tout ce qui est russe? Ce n’est pas une chose si simple. C’est une chose très dangereuse. Cela parle du nazisme comme forme de mise en œuvre de la politique étrangère. Ou de l’éducation des nazis comme forme de réalisation de la politique étrangère contre un pays que les États-Unis veulent contenir et empêcher d’acquérir des avantages concurrentiels.
Nous attendrons des initiatives concrètes. Le Président Vladimir Poutine a dit à plusieurs reprises qu’il était prêt à organiser des rencontres. Mais il n’y a pas eu de propositions jusqu’à présent. Ensuite, le Président Donald Trump a dit que Vladimir Poutine souhaitait organiser des rencontres. Je pense qu’il faut se rencontrer, mais d’abord il faut « s’installer dans le bureau ».
Question: On assiste à une situation paradoxale en Europe. Je suis certain que la grande majorité de la population dans certains pays comme le mien (c’est-à-dire la Grèce), à Chypre, et ailleurs encore, n’est pas d’accord avec la politique menée par nos gouvernements. C’est-à-dire que la population est catégoriquement contre toute escalade militaire qui est préparée par certains. Malheureusement, c’est une situation paradoxale et une démocratie paradoxale, où nos gouvernements ne considèrent pas comme leur obligation de coordonner la politique étrangère avec leur propre peuple. Certains gouvernements nous disent même que la politique étrangère est déterminée par d’autres obligations. La Russie fait tout de même partie de ce continent européen commun. Quelle est votre prévision: reviendrons-nous un jour à la normalisation des relations sur notre continent commun?
Vous êtes probablement le diplomate le plus expérimenté au monde. Vous avez résolu ou tenté de résoudre, vous vous êtes impliqué dans le dossier chypriote. Ces jours-ci, on discute d’un nouveau cycle de ce processus complexe de négociations à Chypre. Avez-vous des attentes, des conseils possibles pour ceux qui s’en occuperont?
Sergueï Lavrov: Je commencerai par la deuxième question. J’ai effectivement travaillé sur le règlement chypriote lorsque je travaillais à New York. Chaque année, le président de Chypre venait à l’Assemblée générale de l’ONU. À cette occasion, il invitait les ambassadeurs des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, nous parlions de la mise en œuvre des principes inscrits dans les décisions du Conseil de sécurité. Nous parlions bien sûr aussi des échecs sur la voie de la résolution du problème chypriote.
La dernière tentative concrète a été le plan de Kofi Annan en 2004. À l’époque, mon bon ami (qu’il repose en paix) Kofi Annan, grand secrétaire général, a pris le risque, sur le conseil de ses assistants, de proposer un plan qui modifiait ne serait-ce qu’un peu la décision du Conseil de sécurité en faveur d’un affaiblissement du futur pouvoir central de l’éventuel État unifié. C’est-à-dire que les Chypriotes grecs auraient eu moins de pouvoirs.
Il y a eu un référendum. Ce plan a été rejeté. Depuis lors, il n’y a rien de plus concret. Je sais que nos voisins turcs disent directement que ce sont deux États égaux, que ce n’est plus possible autrement, qu’il faut négocier. Nous n’avons pas et ne pouvons pas avoir de recette « magique » que nous proposerions, et encore moins que nous imposerions. Les intérêts des deux peuples doivent être pris en compte. Auparavant, les pays membres du Conseil de sécurité étaient considérés comme les garants de ce processus. Ces derniers temps, si je comprends bien, y compris avec l’accord de Nicosie, ce quintet ne se réunit plus. Je soupçonne que la direction chypriote « travaille » avec les États-Unis.
Nous ne souhaitons qu’une chose: que les Chypriotes vivent comme ils le veulent, au nord comme au sud. Beaucoup de citoyens russes y vivent. Davantage au sud bien sûr, mais plus de 10.000 vivent au nord. Nous assurons leur service consulaire. Nous n’y avons pas d’établissement consulaire permanent, comme certains tel que le Royaume-Uni, mais nous y avons organisé un service. Nous voulons que les Chypriotes décident comment ils veulent vivre à l’avenir.
Je comprends que les dirigeants actuels de Chypre ont des partenaires qui ne veulent simplement pas que les Chypriotes se décident rapidement, mais leur disent comment ils doivent se décider, y compris, par exemple, adhérer à l’Otan, changer leur législation interne pour nuire aux Russes qui ont transféré de l’argent dans les banques de ce pays. En d’autres termes, tout comme on dit à la Serbie quel « prix » il faut payer pour l’adhésion à l’Union européenne, on dit à Chypre de rejoindre l’Otan, qu’il n’y aura aucun problème, car tous seront alliés, et qu’avec le nord « tout ira bien ». Mais, dit-on, il faut faire en sorte qu’il y ait moins de Russes, que vous vous souveniez moins de l’histoire commune. Nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures.
Je comprends que pour Chypre, c’est une question importante dont nous discutons maintenant, mais sur le plan géopolitique, la première partie de votre question sur la possibilité d’une normalisation des relations sur notre continent commun est beaucoup plus importante. C’est une expression clé importante – continent commun. Il s’appelle l’Eurasie. C’est le plus grand, le plus peuplé, probablement le continent le plus riche. Peut-être qu’il rivalise avec l’Afrique et le Groenland en termes de ressources naturelles.
Mais c’est un continent sur lequel il n’y a pas de structure continentale unique. En Amérique latine, il y a la Celac, la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes. En Afrique, il y a l’Union africaine. À côté de nombreuses unions subrégionales tant en Afrique qu’en Amérique latine, il existe des structures continentales. En Eurasie, il n’y a que des structures subrégionales, et il n’existe pas de « toit » unique qui rassemblerait tout le monde. Ce ne serait probablement pas mal d’essayer de le faire.
Vous avez demandé: est-il possible de revenir à des relations normales? Il est clair qu’il y a plusieurs organisations dans la partie occidentale de notre continent commun, à savoir l’OSCE, l’Otan, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne. Les deux premières (l’OSCE et l’Alliance de l’Atlantique Nord) sont fondées sur le concept de sécurité euro-atlantique avec la participation de l’Amérique du Nord. L’Union européenne a été créée pour les Européens. Mais récemment, elle a signé un accord avec l’Otan, selon lequel l’UE, sur le plan militaire, si une guerre survient (Dieu nous en préserve), fera ce que l’Alliance lui dira. Pas seulement l’Union européenne. Ils ont déjà dit à la Suisse, allons, rejoignez le « Schengen militaire ». Au cas où l’Otan aura besoin de traverser leur territoire en direction de la Fédération de Russie, alors supprimez toutes les procédures d’autorisation. Il y a le Conseil de l’Europe. Les Américains n’en sont pas membres pour des raisons évidentes (ils ne sont pas européens, ils y sont observateurs). Mais ce que fait maintenant le Conseil de l’Europe, y compris la création de tribunaux illégaux, de registres, d’un mécanisme de compensation pour punir la Russie – tout cela se fait sur décision des États-Unis.
L’OSCE, l’Otan, et maintenant l’Union européenne, le Conseil de l’Europe et le Conseil des ministres des pays nordiques, qui sont maintenant tous membres de l’Otan, ce sont toutes des structures euro-atlantiques, et non eurasiennes. Probablement que ceux qui veulent tenir l’Europe « en bride » souhaitent que cette structure euro-atlantique se maintienne et continue à dominer.
Récemment, ils ont compris que la partie centrale et orientale de l’Eurasie était une région beaucoup plus prometteuse du point de vue de l’économie et des infrastructures. Des projets d’infrastructure logistique d’envergure globale y sont réalisés. Que veulent maintenant l’Otan et Washington? Avant tout, que tout le continent eurasien fasse partie de la construction euro-atlantique. L’ancien secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, peu avant son départ à la retraite bien méritée, a déclaré que la sécurité de l’Euro-Atlantique et de la région Indo-Pacifique était indivisible. C’est-à-dire que l’indivisibilité de la sécurité, qui avait été proclamée dès 1999 comme principe de l’OSCE, supposant qu’on ne peut pas se renforcer en affaiblissant les autres, au détriment des autres, a été retournée différemment. Maintenant, ils veulent que toute l’Eurasie se développe du point de vue militaro-politique selon les paramètres euro-atlantiques.
Dans la région Indo-Pacifique, il y a déjà Aukus, le quatuor du Pacifique (Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande) et le Quad (avec la participation de l’Inde). Les Américains veulent lui donner une dimension militaro-politique. Nos amis indiens le comprennent parfaitement. Il y a déjà une intensification de l’armement de Taïwan. Ce ne sont même pas des tentatives, mais des actions pour impliquer les Philippines non pas dans le travail de l’Asean, mais dans le travail de ces alliances étroites américaines.
A propos du détroit de Taïwan. Les Américains, les Européens, les Anglais, tous disent qu’ils respectent la position selon laquelle il n’existe qu’une seule Chine, la République populaire de Chine. Or ils ajoutent immédiatement qu’ils adhèrent à la position d’une seule Chine, mais que personne ne doit changer le statu quo. Et le statu quo, qu’est-ce que c’est? Un Taïwan indépendant. C’est évident. La Chine a plusieurs fois indiqué à tous les « visiteurs » des États-Unis, qui se rendent régulièrement à Taïwan, que c’était inacceptable, tout comme recevoir des délégations taïwanaises lorsqu’elles voyagent à travers le monde (on les reçoit comme des personnalités d’État).
Le Président Vladimir Poutine, s’exprimant dans cette salle le 14 juin 2024, parlait de notre position sur le règlement ukrainien, consistant en la nécessité de clore définitivement la question de l’Otan et de restaurer les droits linguistiques, religieux et autres des Russes, qui ont été légalement exterminés par le régime nazi de Vladimir Zelenski. Dans cette même salle, il parlait aussi de la nécessité de former une architecture eurasienne. Précisément eurasienne, qui sera, comme l’Union africaine, comme la Celac, ouverte à tous les pays du continent. Ces idées sont discutées depuis environ dix ans, lorsque lors du premier sommet Russie-Asean, Vladimir Poutine a lancé l’initiative de former un Grand Partenariat eurasien. Il existe déjà des accords correspondants entre l’OCS, l’Union économique eurasiatique, l’Asean. Nous travaillons maintenant aussi avec le Conseil de coopération des États arabes du Golfe.
Quand nous disons que ce partenariat économique, de transport et logistique doit être ouvert à tous les pays du continent (car dans ce cas, nous utilisons au maximum les avantages comparatifs donnés par Dieu et la géographie), bien sûr, nous pensons aussi à la partie occidentale du continent. Un tel intérêt se manifeste dans certains pays de la partie occidentale de l’Europe. Pour promouvoir l’idée du Grand Partenariat eurasien, nous utilisons l’établissement de liens, l’harmonisation des programmes des unions d’intégration existantes. Ce processus est en cours.
Dans ce même contexte se développent les relations dans le cadre de la réalisation du projet chinois Nouvelle route de la soie, le corridor de transport international Nord-Sud, la Route maritime du Nord, le golfe Persique – port de Chittagong, Bangladesh – Mumbai – Extrême-Orient, c’est un projet très prometteur. C’est ce que nous appelons le Grand Partenariat eurasien.
Quand un tel partenariat prendra suffisamment d’élan (tout plaide en sa faveur), ce sera simultanément la création de voies compétitives, plus efficaces pour les échanges économiques et une base matérielle pour l’architecture de sécurité eurasienne. Le dialogue à ce sujet a déjà commencé.
En octobre 2024 à Minsk s’est tenue la deuxième Conférence internationale sur la sécurité eurasienne, où étaient présents des membres des gouvernements de Serbie, de Hongrie (le Ministre des Relations économiques extérieures et des Affaires étrangères de Hongrie Péter Szijjarto y participait pour la deuxième fois consécutive), manifestant de l’intérêt pour ce concept. Les Biélorusses, en tant qu’hôtes et initiateurs de cette conférence, travaillent maintenant à la rendre régulière. Cette décision a déjà été prise. Nous avons soutenu leur initiative d’élaborer pour la prochaine session de cette conférence sur la sécurité eurasienne un projet de Charte eurasienne de la diversité et de la multipolarité au XXIe siècle.
Je considère qu’il est sensé de réfléchir au fait que le continent eurasien se développe en partant des intérêts de ses pays non pas dans une perspective atlantique ou pacifique ni dans aucune autre, mais en partant de ce qu’ont donné l’histoire et la nature. Nous nous en occuperons. Je souligne encore une fois que le processus est ouvert à tous les pays sans exception situés sur notre continent eurasien. Chypre est une île, mais vous êtes aussi invités.
Question (traduite de l’anglais): Vous avez évoqué une éventuelle rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Donald Trump. Quel rôle peuvent jouer l’Union européenne et l’Allemagne dans d’éventuelles négociations pour résoudre le conflit ukrainien?
Sergueï Lavrov: La chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel, et le président français, François Hollande, nous ont dit qu’ils étaient les garants de la mise en œuvre des accords de Minsk conclus entre la Russie et l’Ukraine, l’Allemagne et la France. Ils ont été élaborés dans la capitale biélorusse (où j’ai eu l’honneur d’être présent) pendant près de 20 heures. Les Allemands et les Français ont déclaré qu’il s’agissait d’un traité de paix entre Moscou et Kiev, et qu’ils en étaient les garants. Nous avons interprété le statut des participants différemment, mais telle était la position de l’Allemagne et de la France. Qu’ils nous ont « fait asseoir », que nous sommes parvenus à un accord et qu’ils en étaient les garants.
Nous (la partie russe) avons présenté ce document au Conseil de sécurité de l’ONU, qui l’a approuvé à l’unanimité et a exigé que ces accords soient mis en œuvre. Je n’énumérerai pas les centaines, les milliers de violations commises par le régime de Kiev, y compris les bombardements de sites civils, le blocus total des territoires qui ont refusé de reconnaître le coup d’État. Tout cela était régulièrement envoyé à l’ONU et à l’OSCE. Nous avons dit aux « garants »: allez, arrêtez cette honte. Ils ont dit que la Russie tirait également là-bas, aidant ces insurgés.
En décembre 2022, déjà à la retraite, Angela Merkel a déclaré que personne n’allait respecter ces accords – ni l’Allemagne, ni la France, ni le président ukrainien de l’époque, Piotr Porochenko, qui ont signé ces documents. Ils auraient simplement eu besoin de gagner quelques années pour mieux préparer l’Ukraine à la guerre.
Il s’agit de savoir ce qu’est le système de Yalta-Potsdam inscrit dans la Charte des Nations unies. L’article 25 stipule que les décisions du Conseil de sécurité des Nations unies sont contraignantes pour tous les membres de l’Organisation. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel a déclaré qu’elle n’avait pas besoin de respecter cet article. Et ce, bien qu’elle ait été l’une des parties à ce document, auquel était également jointe une déclaration de quatre pays (la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France), dans laquelle il s’agissait de « l’espace commun de Lisbonne à Vladivostok », que « nous construirons tout cela », que « la France et l’Allemagne aideront le Donbass à mettre en place des services bancaires mobiles », qu’elles « aideront à lever le blocus » et « organiseront des négociations pour résoudre les problèmes de transport de gaz, aideront la Russie et l’Ukraine dans ce domaine ». Ils n’ont rien fait.
Avec tout mon respect pour l’histoire du peuple allemand, je crois que celui-ci a déjà apporté sa « contribution » par l’intermédiaire de l’administration de l’ancienne chancelière allemande. Le président russe Vladimir Poutine ne refuse jamais d’entrer en contact. Le chancelier allemand Olaf Scholz l’a appelé à plusieurs reprises. Ils ont aussi parlé récemment. Olaf Scholz était fier d’avoir accompli un tel « exploit ». Mais il y a eu aussi des conversations avec d’autres représentants de l’Union européenne. J’espère que le président ne me grondera pas trop, je ne dévoile pas de secrets. Mais au cours de cette conversation, Olaf Scholz n’a rien dit qu’il ne disait publiquement tous les deux jours: que la Russie doit quitter l’Ukraine, pas un mot sur les causes profondes de la crise, pas un mot sur la langue russe et les droits des Russes, que Vladimir Zelenski veut « s’attribuer ».
En fait, Vladimir Zelenski a déclaré en 2021, bien avant l’opération militaire spéciale, que si vous vous sentez comme un Russe en Ukraine, alors partez en Russie pour le bien de vos enfants. Et récemment, il a tout simplement utilisé des obscénités russes pour exprimer son attitude envers un certain nombre de casques bleus qui ne voulaient pas expulser les Russes vers les frontières de 1991. L’adéquation de cet homme est une question à part.
Plusieurs offrent leurs services. La Turquie était le lieu où l’accord a été conclu et paraphé. L’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson (qui a maintenant commencé à écrire des livres) a interdit de signer un accord basé sur les principes convenus à Istanbul. Une série de réunions a eu lieu en Biélorussie. Le président Alexandre Loukachenko a confirmé une fois de plus qu’en tant que voisin de la Russie et de l’Ukraine, il partait du principe que les intérêts de la Biélorussie devaient être pris en compte. Nous l’apprécions.
Dans l’ensemble, la compréhension grandit. C’est pourquoi il y a eu un intérêt général pour les discussions sur un appel téléphonique puis une rencontre entre les présidents de la Russie et des États-Unis. Tout le monde a compris (en fait, ils l’ont compris depuis longtemps, ils ont seulement commencé à l’admettre maintenant) que le problème ne concerne pas l’Ukraine, mais qu’elle est utilisée pour affaiblir la Russie dans le contexte de notre place dans le système de sécurité eurasien.
Il existe deux aspects de la sécurité. Les menaces sur nos frontières occidentales sont l’une des principales causes initiales du conflit et doivent être éliminées. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’accords plus larges. Nous sommes prêts à discuter des garanties de sécurité pour le pays qui s’appelle Ukraine, ou la partie de ce pays qui ne s’est pas encore autodéterminée, contrairement à la Crimée, au Donbass et à la Nouvelle-Russie. Mais malgré l’importance de cet aspect, le contexte eurasien sera dominant, car la partie occidentale du continent ne peut pas s’isoler de tels géants comme la Chine, l’Inde, la Russie, le golfe Persique et toute l’Asie du Sud, le Bangladesh, le Pakistan. Des centaines de millions de personnes y vivent. Il faut aménager le continent de telle manière que les affaires de sa partie centrale, de l’Asie centrale, du Caucase, de l’Extrême-Orient, du détroit de Taïwan, de la mer de Chine méridionale soient gérées par les pays de la région et non par l’ancien secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, qui a déclaré que l’Otan travaillerait là-bas parce que la sécurité de l’Alliance dépendait de la région Indo-Pacifique.
Comment en dépend-elle? On lui a demandé si l’Otan était toujours une alliance défensive? Il a répondu que oui. Ils protègent le territoire de leurs membres, mais la sécurité de leur territoire dans les conditions modernes dépend de la sécurité dans la région Indo-Pacifique. C’est pourquoi des infrastructures de l’Otan y seront également déployées. Des alliances s’y créeront. Les États-Unis et la Corée du Sud ont déjà formé une alliance militaire comportant une composante nucléaire. Ils l’ont récemment confirmé.
C’est un moment intéressant pour les politologues de réfléchir à la manière de mettre tout cela ensemble. Je vous assure que l’approche euro-atlantique de toute l’Eurasie est une illusion.
Question (traduite de l’anglais): Comment se développe le partenariat stratégique global entre l’Iran et la Russie? Quels messages contiendra l’accord et quelles sont les préoccupations d’autres pays en lien avec cet accord?
Sergueï Lavrov: Le 17 janvier 2025 le président iranien Massoud Pezeshkian se rendra en Russie. La visite a déjà été annoncée. Nos présidents signeront cet accord.
Quant à savoir si cela plaît ou non à quelqu’un, cette question est généralement posée par nos collègues occidentaux, car ils veulent toujours trouver un sujet qui montrera que la Russie et l’Iran, la Russie et la Chine, la Corée du Nord sont toujours en train de préparer quelque chose contre quelqu’un. Ce traité ainsi que le Traité sur le partenariat stratégique global entre la Fédération de Russie et la République populaire démocratique de Corée ne sont dirigés contre aucun pays, mais sont de nature constructive et visent à renforcer les capacités de la Russie et de l’Iran et de nos amis dans diverses parties du monde pour mieux développer l’économie, résoudre les problèmes sociaux et assurer de manière fiable la capacité de défense.
Question: Nous savons que la Russie appelle constamment à un monde multipolaire. Après le retrait de la Russie du Moyen-Orient, un monde unipolaire dirigé par les États-Unis y émerge. Quelles démarches peut-on attendre de la Russie dans cette région? La population là-bas respecte la Russie et s’attend à ce qu’elle joue un certain rôle.
Sergueï Lavrov: Vous avez une telle école de journalisme. Au début, vous avez fait deux déclarations: « La Russie a quitté le Moyen-Orient » (comme si c’était un fait) et « Après cela, ce sont les États-Unis qui sont aux commandes là-bas ». Et puis vous demandez, que faire?
Je ne suis pas d’accord avec la première ni la deuxième affirmation. Nous ne sommes pas partis du Moyen-Orient. Des événements ont eu lieu en Syrie, qui ont été commentés par le président russe Vladimir Poutine et nos autres responsables. À bien des égards, ils se sont produits parce qu’au cours des dix dernières années, depuis le moment où, à la demande du président de la République arabe syrienne Bachar al-Assad, la Russie a envoyé son contingent là-bas et lorsque nous, la Turquie et l’Iran avons créé le format Astana, auquel participent un certain nombre de pays arabes, il y a eu néanmoins un ralentissement du processus politique. Il y avait une tentation de ne rien changer.
Nous pensions que c’était mal. Nous avons appelé les dirigeants syriens par tous les moyens possibles pour que le Comité constitutionnel syrien, créé en 2018 à l’initiative de la Russie lors du Congrès du dialogue national syrien à Sotchi et qui s’est tu après les deux ou trois premières réunions, reprenne ses travaux. Mais les dirigeants de Damas ne voulaient pas le voir travailler et parvenir à un accord. Et il ne pouvait s’agir que d’un partage du pouvoir avec des groupes d’opposition (naturellement, pas des groupes terroristes). C’était un retard. Il s’est accompagné d’une aggravation des problèmes sociaux. Les sanctions américaines étranglaient l’économie syrienne. La partie orientale du pays, la plus riche en pétrole et la plus fertile, était et reste occupée par les Américains. Les ressources extraites servent à financer les tendances séparatistes dans le nord-est de la Syrie.
Nous avons ensuite proposé à nos collègues des organisations kurdes de les aider à construire un pont avec le gouvernement central. Ils ne le souhaitaient pas vraiment, croyant que les Américains seraient là toujours et qu’ils créeraient là-bas leur propre quasi-État. Nous leur avons expliqué que ni la Turquie ni l’Irak ne permettraient jamais la création d’un État kurde. Il se trouve que le problème kurde pourrait faire exploser toute la région. Nous avons plaidé pour que les droits des Kurdes en Syrie, en Irak, en Iran et en Turquie soient spécifiquement discutés et garantis de manière fiable.
D’un côté, Damas n’était pas très enthousiaste à l’idée de négocier, de l’autre les Kurdes. Il y a eu également peu de contacts entre les différentes plateformes mentionnées par le Conseil de sécurité de l’ONU comme participants directs au processus de règlement (Moscou, Le Caire, Istanbul). Tout cela a conduit à la formation d’un vide et une explosion s’y est produite. Nous devons accepter la réalité.
L’ambassade de Russie n’a pas quitté Damas. Il a des contacts quotidiens. Nous voulons être utiles aux efforts visant à normaliser la situation, et cela nécessite un dialogue national inclusif en Syrie avec la participation de toutes les forces politiques, ethniques, religieuses et de tous les acteurs extérieurs.
J’ai parlé avec nos collègues de Turquie et des pays du golfe Persique. Ils ont maintenant tenu leur deuxième réunion (après la Jordanie) en Arabie Saoudite. Y ont participé des pays arabes, la Turquie et certains États occidentaux. Ils partent du principe que la Russie, la Chine et l’Iran doivent être impliqués dans ce processus s’ils veulent vraiment lancer un processus fiable visant à un résultat durable, et ne pas s’engager une fois de plus dans un règlement de comptes avec leurs concurrents sur le territoire syrien. Nous sommes ouverts à cette conversation. Le format Astana pourrait bien jouer son rôle. De plus, la Turquie, la Russie et l’Iran interagissent avec la troïka (Jordanie, Liban, Irak). L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar manifestent également leur intérêt.
Lors de ma rencontre avec l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, à Doha le 7 décembre 2024, il a déclaré qu’il était urgent de créer une conférence internationale avec la participation de tous les Syriens et de tous les acteurs extérieurs. Nous attendons.
Question: Lundi prochain aura lieu l’investiture du 47ème président des États-Unis, Donald Trump. Qu’attendez-vous de l’équipe entrante dans le contexte des relations russo-américaines?
Sergueï Lavrov: Nous attendons que la nouvelle équipe formule ses approches en matière d’affaires internationales. Je comprends que le président Donald Trump ait un tel désir. Il en a parlé. Nous comprenons également que le président a aussi une énorme responsabilité quant à l’état des affaires dans son pays, compte tenu de « l’héritage » qu’il reçoit, en particulier en Californie, à Los Angeles. C’est horrible ce qui arrive aux gens là-bas. Le président Donald Trump a également annoncé que sa priorité serait de mettre de l’ordre dans le secteur des migrations. Des mesures concrètes sont annoncées.
Comme il l’a dit, il faut d’abord accéder au « bureau ». A ce stade, toutes ces explications, initiatives, « réflexions à haute voix » n’ont aucun effet pratique. Il faut attendre que la nouvelle administration formule ses approches officielles. C’est ce qu’attendent à la fois les Américains (Joe Biden y laisse un grand nombre de problèmes) et ceux qui s’intéressent au rôle constructif des États-Unis sur la scène internationale dans diverses situations de crise.
Question (traduite de l’anglais): La doctrine maritime de la Russie considère l’océan Indien comme une région d’intérêt stratégique. Comment le Pakistan peut-il faire en sorte que ses relations avec les pays de l’OCS et des Brics s’inscrivent dans le cadre de cette stratégie afin de poursuivre une coopération économique sûre et mutuellement bénéfique? Que pensez-vous des relations actuelles entre la Russie et le Pakistan?
Sergueï Lavrov: Les relations se développent. Il s’agit de la période la plus positive depuis de nombreuses décennies. Il existe un certain nombre de projets visant à restaurer ce qui a été créé à l’époque soviétique pour l’économie pakistanaise.
Il existe un intérêt mutuel pour une coopération pratique en matière de lutte contre le terrorisme. Le Pakistan en souffre également. La lutte contre le terrorisme exige la coordination des forces avec vos voisins afghans, avec l’Inde, avec tous les membres de l’OCS, parce que l’Asie centrale, l’Afghanistan et le Pakistan sont utilisés par de « mauvaises personnes » dans le but de planifier et de mettre en œuvre leurs projets criminels.
L’OCS dispose d’une structure antiterroriste. Elle fonctionne assez bien. Il y a un échange d’informations. Étant donné que le financement du terrorisme est sérieusement lié au trafic de drogue (une forme de criminalité organisée), cela fait plusieurs années que nous encourageons l’initiative visant à créer un centre unique pour lutter contre les nouvelles menaces, notamment le terrorisme, le trafic de drogue, la criminalité organisée et la traite des êtres humains. Cette année, nous allons commencer à mettre en pratique cette décision.
Je note que toutes ces mesures organisationnelles sont importantes, mais il est plus important de renforcer la confiance au sein de l’OCS, au sein du format de travail qui est actuellement appliqué à l’Afghanistan (la Russie, la Chine, le Pakistan et l’Iran). Nous sommes convaincus que la participation de l’Inde serait un pas dans la bonne direction. L’OCS et les formats sur les affaires afghanes, tels que le format de Moscou sur l’Afghanistan, constituent une plateforme supplémentaire où le Pakistan, l’Inde et la Chine pourraient communiquer davantage, essayer de mieux se comprendre, poser des questions qui les préoccupent, recevoir et analyser des réponses. Nous sommes prêts à y contribuer de toutes les manières possibles. Il en va de l’intérêt de vos pays, ainsi que de celui de notre région et de l’OCS.
Question: Le président du gouvernement de la Fédération de Russie, Mikhaïl Michoustine, est actuellement en visite officielle à Hanoï. L’accent est mis sur la participation de la Russie au projet de construction de la centrale nucléaire de Ninh Thuan-1. Dans le cas où cette question serait résolue de manière favorable, comment les relations bilatérales entre la Russie et le Vietnam évolueraient-elles?
Sergueï Lavrov: Le principal changement dans les relations bilatérales sera la résolution favorable de la question de la centrale nucléaire. Les relations bilatérales s’enrichiront d’un autre projet commun. Nous en avons beaucoup avec le Vietnam. Par exemple, le Centre tropical. Il est en train d’être modernisé et fonctionnera encore plus efficacement. Il existe des projets communs dans le domaine des hydrocarbures (les sociétés Rusvietpetro et Vietsovpetro fonctionnent sur les territoires des deux pays) et dans le domaine de l’énergie nucléaire. Il s’agit de technologies de pointe. Comme l’a souligné à plusieurs reprises le président de la Russie, Vladimir Poutine, nous ne nous contentons pas de construire une centrale et de l’exploiter par la suite, mais nous créons une industrie pour le pays concerné, y compris en formant le personnel scientifique qui travaillera dans ces centrales.
Ces accords sont susceptibles de se présenter sous différents aspects commerciaux. En Turquie, par exemple, la centrale nous appartient à 100% et elle remplira des obligations de fourniture d’électricité et de paiement d’impôts. Dans certains cas, la propriété paritaire est formalisée avec le pays d’accueil. Tout se passe de manière différente. Une chose est sûre, ce projet contribuera à enrichir nos relations d’un nouveau projet de haute technologie.
Aujourd’hui, nous avons abordé le sujet de l’Ukraine. Nous avons appris que le Vietnam était prêt à accueillir les pourparlers. Nous en sommes reconnaissants. Nous apprécions l’attitude de nos amis vietnamiens. Nous ne pouvons rien commenter pour l’instant, car il n’y a pas de propositions concrètes. Et les tâches que nous sommes en train de résoudre doivent être achevées.
Question: Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une nouvelle détérioration des relations russo-japonaises après l’investiture de Donald Trump, compte tenu de sa volonté de renforcer l’alliance américano-japonaise? Cela inquiète-t-il la Russie? Quels sont les domaines dans lesquels les relations russo-japonaises risquent de se détériorer sous sa présidence?
Sergueï Lavrov: La question est de savoir s’il est possible de « sombrer » encore plus « bas et plus profond ».
Je ne peux pas y donner suite, parce que tout le mouvement vers le bas, la destruction de presque tout, y compris le dialogue politique régulier et respectueux aux niveaux les plus élevés, a été initié par nos voisins japonais. La Russie n’a pris aucune initiative dans ce sens.
Nous sommes désespérés de faire respecter les promesses et les engagements qui nous ont été faits par les pays occidentaux, notamment de ne pas étendre l’Otan vers l’Est, de ne pas entraîner l’Ukraine dans l’Otan, de ne pas accepter le nazisme en Ukraine, qui a commencé à exterminer tout ce qui est russe. Personne ne dit rien à ce sujet. Bien que nous le rappelions haut et fort. Malgré les accords de Minsk, ils ont bombardé ces gens qui auraient dû bénéficier d’un statut spécial conformément à la décision du Conseil de sécurité des Nations unies. Alors que nous avons passé des années à expliquer tout cela et que nous nous sommes heurtés à un mur non seulement d’incompréhension, mais aussi de surdité (ils ne voulaient tout simplement pas écouter), nous avons fini par lancer l’opération militaire spéciale pour protéger nos intérêts en matière de sécurité et les intérêts du peuple russe en Ukraine, le Japon a reçu l' »ordre » de se joindre aux sanctions et l’a immédiatement exécuté. C’est la vie.
Nous recevons parfois des signaux indiquant qu’ils sont prêts à reprendre le dialogue sur le traité de paix en demandant de permettre à leurs citoyens de se rendre à nouveau sur les îles pour des activités culturelles. Ce n’est pas sérieux. Et cela se fait comme si quelqu’un venait et disait qu’on lui avait demandé de nous transmettre le message. Où est-il écrit « chers messieurs-dames »? Nulle part. Il n’y a que « voilà, allez, au travail « .
Le Japon a toujours été caractérisé par une attitude subtile dans la vie, de la cuisine aux rituels. Cette subtilité dans les relations avec nous a disparu. Mais il y a d’agréables exceptions. Au moins, nous n’avons jamais fait de la culture, du sport ou des projets éducatifs communs une victime de la politique. Jamais. Nous apprécions le fait que, malgré tout ce qui se passe, des tournées d’artistes russes sont organisées chaque automne au Japon – les Journées de la culture russe au Japon. Tous les pays n’ont pas ce courage.
Donc, si vous (pas vous personnellement, mais vos employeurs, leur gouvernement) appliquiez cette « qualité » pour faire preuve de dignité, je pense que ce serait dans l’intérêt du peuple japonais.
Question: Avec vos collègues du Cabinet des ministres, vous avez dressé une liste d’États et de territoires inamicaux. L’île de Taïwan y figure. Je comprends que vous ayez procédé à partir de la situation de facto, mais « sur le papier », il s’avère qu’un « morceau » du territoire chinois, qui est ami de la Russie, a été reconnu comme inamical. La partie chinoise vous a-t-elle fait part de ses commentaires à ce sujet? Que pensez-vous de ce point?
Sergueï Lavrov: A ce stade, bien que nous ayons un bureau de représentation à Taipei de la commission de coordination Moscou-Taipei pour la coopération économique et culturelle, il fonctionne de la même manière que nos ambassades dans les pays qui ont déclaré des sanctions à notre encontre. Taïwan a déclaré des sanctions contre nous. Tel est le critère.
La formulation est peut-être un peu lourde, mais nous partons du principe que ce sont les gouvernements actuels des pays qui ont adhéré aux sanctions qui sont inamicaux. Les pays et les peuples inamicaux n’existent pas pour nous.
Nos amis chinois comprennent parfaitement cette situation.
Question (traduite de l’anglais): Comme vous le savez, la Première ministre italienne Giorgia Meloni essaie de créer des relations spéciales avec Donald Trump. Si Donald Trump entame une nouvelle politique de dialogue avec la Russie, commence à promouvoir des initiatives, quel pourrait être le rôle de l’Italie dans ce cas? Le gouvernement italien pourrait-il être le premier à suivre la voie de cette nouvelle approche à l’égard de la Russie?
Sergueï Lavrov: Nous ne pouvons pas dire aux gouvernements souverains ce qu’ils doivent faire et comment ils doivent se comporter. D’autant plus que ces gouvernements souverains eux-mêmes exigent constamment que nous nous comportions comme ils le souhaitent.
Dans votre question, il y a l’idée profondément ancrée que Donald Trump va venir et que tout le monde devra décider « pour qui » il est – pour Donald Trump ou pas pour Donald Trump. Donald Trump viendra, il vous le dira, et le rôle de l’Italie dans le processus actuel autour de l’Ukraine et des affaires européennes sera probablement déterminé.
Question: Comment pouvez-vous caractériser l’année 2024 dans le contexte du développement des relations russo-azerbaïdjanaises? Que pouvez-vous dire de 2025? Quels sont les projets et les perspectives?
Sergueï Lavrov: Quant aux relations entre la Russie et l’Azerbaïdjan, je les juge très bonnes. Elles sont fondées sur la confiance. Les présidents Vladimir Poutine et Ilham Aliyev sont en contact régulier. Il n’y a pas de sujets « tabous ».
Le travail du président Vladimir Poutine et du président Ilham Aliyev est mis en œuvre afin d’encourager les gouvernements à rechercher de nouveaux projets mutuellement bénéfiques. Cela s’applique au corridor de transport international Nord-Sud et à d’autres projets de transport dans et autour du Caucase. Cela concerne aussi, bien sûr, la mer Caspienne, en particulier ses hauts-fonds. Nous sommes en train de créer un groupe de travail bilatéral et nous aimerions proposer qu’il passe à un format quinquennal afin que tous les États du littoral de la mer Caspienne participent à ce travail.
Il ne fait aucun doute que nous coopérons également sur la scène internationale. Il y a un dialogue et des mesures pratiques pour renforcer nos capacités dans le domaine de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Il y a des contacts entre les forces armées et les services spéciaux. Il s’agit de relations structurées qui nous permettent de résoudre rapidement tout problème sur la base de l’étude de tous les faits lorsque des incidents se produisent, comme lorsque notre hélicoptère a été abattu par erreur pendant la deuxième guerre du Karabakh, ou lorsqu’une catastrophe s’est produite lorsqu’un avion azerbaïdjanais s’est écrasé à Aktaou. Nous avons apprécié le fait que nos amis azerbaïdjanais aient immédiatement soutenu la participation de la Fédération de Russie à l’enquête, en tenant compte de tous les facteurs. Une réunion spéciale s’est tenue au Brésil. Les « boîtes noires » ont été ouvertes. Leur contenu a déjà fourni de nombreuses informations intéressantes, dont le contenu nous convainc une fois de plus qu’il est nécessaire d’attendre une enquête complète et de ne pas faire monter la tension dans les médias en utilisant des données qui ne sont pas confirmées par les informations provenant des « boîtes noires ».
Nous travaillons en étroite collaboration avec mon homologue et ami, le ministre des Affaires étrangères Djeyhoun Baïramov. Nos ministères des Affaires étrangères communiquent à tous les niveaux. Nous avons un plan de consultation à long terme sur toutes les questions qui sont discutées d’une manière ou d’une autre dans la sphère de la politique étrangère, en commençant par l’ONU, l’OSCE et en terminant par les blocs thématiques. Par exemple, le climat, surtout depuis que Bakou a accueilli la 29ème Conférence des parties à la Convention-cadre sur le changement climatique.
Les relations sont riches et de confiance. Nous espérons qu’en 2025, elles se développeront encore plus activement dans tous les domaines.
Question: Comment le rapprochement de l’Arménie avec les États-Unis et l’Union européenne peut-il affecter la sécurité et la situation dans le Caucase du Sud?
Sergueï Lavrov: Nous en arriverons inévitablement à ce que la Russie, l’Azerbaïdjan, la Turquie et l’Iran évoquent aujourd’hui: les pays de la région devraient résoudre tous les problèmes directement avec leurs voisins.
J’ai mentionné que nous habitions un seul continent. Il a ses propres régions – l’Asie centrale, le Caucase, le Caucase du Sud, la Sibérie, l’Asie du Sud, l’Extrême-Orient. Bien sûr, lorsque des pays qui sont loin de nos territoires et de nos traditions, de la compréhension de l’histoire dans sa dimension non coloniale, disent qu’ils vont « aider » tout le monde, je ne vois pas de problèmes en termes de contacts. Mais lorsqu’ils disent que la mission de l’UE assurera la sécurité dans la région de Syunik, je ne comprends pas vraiment.
Voilà pourquoi le président turc Recep Tayyip Erdogan et nous-mêmes avons activement soutenu l’initiative du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev visant à créer un mécanisme « 3+3 » – les trois pays du Caucase du Sud – Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie – et leurs trois voisins – Russie, Turquie et Iran. Les premiers contacts ont déjà eu lieu. Nos voisins géorgiens n’occupent pas encore la chaise qui leur est réservée. Mais elle est toujours à leur disposition à la table où nous allons discuter des problèmes de la région. Il me semble que c’est un format plus productif.
J’ai entendu dire que l’Azerbaïdjan et l’Arménie s’étaient pratiquement mis d’accord sur un traité de paix. Il est clair que les deux questions restantes sont difficiles à « contourner ». Il faut prendre une décision: soit oui, soit non. L’Union européenne a dit tout de suite qu’elle allait venir les aider.
C’est la décision souveraine de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie de savoir où signer le document une fois qu’il est approuvé. Le désir de Bruxelles et de Washington de montrer que ce sont eux qui ont tout fait témoigne une fois de plus de leur volonté de montrer partout qui est le patron.
Question: Je tiens à vous remercier, ainsi que le ministère, pour votre aide dans l’organisation du forum « Dialogue sur les faux », qui s’est tenu en novembre 2024 et au cours duquel nous avons annoncé la création de L’Association internationale de fact-checking (International Factchecking Association).
Sergueï Lavrov: Dans notre travail, nous estimons que l’opinion des autorités occidentales (et nous en avons déjà eu la confirmation ici) n’est pas identique à ce que pensent les habitants de ces pays. C’est pourquoi, professant une politique d’ouverture maximale, nous avons été très heureux d’inviter des représentants de pays occidentaux et des experts y compris de pays inamicaux de l’UE et des États-Unis, à participer au forum et à devenir membres de cette association.
Question: A votre avis, une telle stratégie est-elle justifiée ou devrions-nous nous concentrer sur les pays amis au nom d’une sorte d' »efficacité »?
Sergueï Lavrov: Non, je ne ferais pas en sorte de « se refermer ». C’est ce qui différencie notre travail d’information. Maria Zakharova est d’accord avec cette affirmation.
Lorsque cette hystérie a commencé (même avant l’opération militaire spéciale), le président français Emmanuel Macron est venu à l’époque nous rendre visite, le président russe Vladimir Poutine a rendu visite à Emmanuel Macron et ils ont eu des dîners informels dans une atmosphère plutôt cordiale. Déjà à l’époque, nous avions demandé aux Français pourquoi Sputnik et RT n’étaient pas accrédités par l’Élysée? On nous a répondu que ce n’étaient pas des médias, mais des outils de propagande. Je ne plaisante pas. Ils n’ont jamais été accrédités. N’est-ce pas vrai?
Maria Zakharova: Ils n’étaient pas autorisés à participer à des événements. Ils étaient invités mais n’étaient pas admis.
Sergueï Lavrov: Nous avons donné l’exemple suivant. 1990, l’euphorie est déjà en train de passer, mais elle est encore visible dans les relations. A l’automne 1990, une conférence de l’OSCE se tient à Paris. Beaucoup de choses y sont adoptées, dont la Charte de Paris pour une nouvelle Europe et un document sur l’accès à l’information, qui était imposé avant tout par les Français et d’autres membres de l’Union européenne et des pays occidentaux. Ce document stipule que tous les gouvernements sont tenus d’assurer l’accès de leur population à toute information, qu’elle soit produite à l’intérieur du pays ou qu’elle provienne de l’étranger. Il s’agissait de soutenir notre perestroïka, qui faisait tomber toutes les barrières, etc. Soudain, ils bloquent nos chaînes, en introduisant des « bans » (comme s’expriment les internautes à la mode). Nous avons demandé aux Français comment cela était possible. Il y a quand même l’OSCE, vos propres formulations. Ils n’écoutent pas et ne veulent pas écouter.
Nous avons également certaines restrictions, mais elles sont très clairement réglementées. Il s’agit de choses socialement dangereuses, qui concernent avant tout les enfants et nos valeurs traditionnelles. Mais dans le cas de l’Occident, toute information critique à l’égard des actions des autorités est bloquée, et pas seulement critique, mais basée sur des faits.
En ce qui concerne le fact-checking. Je suis conscient que de nombreux anglicismes sont difficiles à remplacer. Ils sont vastes. Mais il me semble que « la vérification des faits » n’est pas une combinaison difficile à prononcer.
Je ne pense pas qu’il faille avoir peur d’eux. Qu’ils viennent, qu’ils regardent et qu’ils écoutent. Plusieurs correspondants étrangers sont présents ici, mais il y a certains à qui on l’a interdit. N’est-ce pas, Madame Zakharova?
Maria Zakharova: Tout est ouvert à tous chez nous.
Sergueï Lavrov: Y a-t-il quelqu’un à qui leurs bureaux de rédaction ont interdit de participer?
Maria Zakharova: Oui, il y a des bureaux de rédaction qui n’autorisent pas leurs correspondants à venir. Des rédactions allemandes nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas venir.
Sergueï Lavrov: Alors que font-ils ici?
Maria Zakharova: « Ils travaillent ».
Je vois que des représentants du journal Komsomolskaïa Pravda sont parmi nous. La France vient de refuser l’accréditation d’un autre correspondant de ce journal.
Question: L’autre jour, nous avons reçu une lettre d’une écolière de Malte qui s’appelle Miroslava. Bien qu’elle ait 12 ans, elle a une position civique assez active et aime la Russie. Elle en est fière. Elle m’a demandé de vous poser une question qu’elle juge importante. « A l’école, je dois parfois faire face à des préjugés envers la Russie de la part des enseignants. Je pense que les autres enfants qui vivent en Europe entendent souvent des mensonges sur la Russie. Pouvez-vous me dire ce qu’il faut faire dans de telles situations? »
Sergueï Lavrov: Nous ne sommes plus à l’époque du papier.
Il y a l’Internet, les réseaux sociaux, les sites web, y compris ceux de notre ministère, les sites web des musées russes, de la bibliothèque d’État russe et beaucoup d’autres organisations bibliothécaires, qui ont leurs propres sites web. Ils ne seront probablement pas interdits.
Je demanderais simplement si elle a de telles possibilités. Si ce n’est pas le cas, offrons-lui un ordinateur dans le cadre du programme « Sapin de vœux » et envoyons-le là-bas.
Question: En 2024, les forces politiques d’extrême droite les plus intransigeantes, voire nazies, ont continué à se renforcer dans diverses parties du monde, en particulier en Europe, niant toute rationalité et rejetant tout principe de multilatéralisme, de coexistence pacifique, de souveraineté des États et d’autodétermination des peuples. Comment la Russie évalue-t-elle ces nouvelles tendances sociopolitiques? Quelles sont les possibilités réelles de changer cette situation?
Sergueï Lavrov: J’aimerais demander une précision. Vous avez bien dit « les forces radicales de droite qui refusent catégoriquement l’égalité des droits et le principe d’autodétermination des peuples »? Où cela se passe-t-il? Vous faites référence à l’Occident?
Question: En Occident, en Europe de l’Ouest, en Allemagne, en France. C’est-à-dire les forces radicales de droite qui se sont activées.
Sergueï Lavrov: Vous parlez de l’Alternative pour l’Allemagne et du Front national?
Question: Entre autres, oui.
Sergueï Lavrov: L’Alliance Sahra Wagenknecht?
Question: Non.
Sergueï Lavrov: L’Alternative pour l’Allemagne et le Front national sont des partis parlementaires systémiques. Les gens votent pour eux, et la part de ceux qui votent pour eux augmente.
J’ai parlé aux deux représentants de l’AfD et du Front national. Franchement, je ne peux pas les accuser d’être contre le droit d’autodétermination des peuples. Il me semble que c’est tout le contraire. L’AfD et L’Alliance Sahra Wagenknecht ainsi que le Front national en France souhaitent que l’autodétermination nationale et la conscience de soi des Allemands et des Français soient rétablies. Car, selon eux, la bureaucratie bruxelloise en a usurpé une grande partie. Il m’est difficile de raisonner dans ce contexte. Je ne dirais pas non plus qu’ils proposent des programmes destructeurs. Si vous me donnez des exemples, je pourrai commenter.
Les membres de l’Alternative pour l’Allemagne participent de temps en temps à des débats politiques à la télévision. Ils expriment des idées qui visent principalement la nécessité de surmonter les problèmes dans les relations germano-russes. Ils discutent des faits bien connus qui, depuis des décennies, voire des siècles, illustrent la volonté des Anglo-Saxons d’empêcher la Russie et l’Allemagne de combiner leurs potentiels.
Je vois beaucoup de rationalité dans ce qu’ils disent. Donc, s’il y a des exemples spécifiques qui vous ont amené à de telles évaluations, j’essaierai de les commenter.
Question: Quels sont les principaux projets et priorités de la Russie en Amérique latine pour l’année à venir?
Sergueï Lavrov: Nous considérons l’Amérique latine comme l’un des pôles puissants de l’ordre mondial multipolaire qui se dessine. Nous entretenons des relations étendues avec pratiquement tous les pays.
Avec nos amis brésiliens qui, outre les formats bilatéraux, coopèrent avec nous dans le cadre des Brics. Ils viennent d’ailleurs de nous succéder à la présidence de cette association. Il s’agit sans aucun doute là d’une voie prometteuse. Nous avons un programme bilatéral avec le Brésil: économique, militaro-technique et bien d’autres choses encore.
Notre ambassade en Argentine fonctionne de manière active. Nous sommes en train d’établir des relations avec le président Javier Milei et sa nouvelle équipe pour évaluer les possibilités qui s’offrent à nous.
Nos partenaires, amis et alliés principaux sont le Venezuela, Cuba et le Nicaragua.
Nous suivons de près ce qui se passe en Bolivie dans le cadre de la campagne électorale. Certains faits indiquent que cette fois-ci aussi, les États-Unis cherchent à s’ingérer et à fragmenter les forces progressistes dans ce pays. Il n’y a rien de surprenant à cela.
Nous soutenons activement la Celac. D’autant plus que l’arrivée du président Luiz Lula da Silva a apporté à cette organisation un « second souffle » et que le Brésil ne s’est pas contenté d’y participer, mais veut en prendre l’initiative. Notamment l’initiative du président brésilien Luiz Lula da Silva de développer des plateformes de paiement alternatives qui réduiraient la dépendance à l’égard de la position abusive du dollar. Ce sont des choses pleines de bon sens. Nous entretenons des relations avec le Mercosur, l’Unasur, le système d’intégration centraméricain, l’Alba et bien d’autres encore.
La Russie était représentée à l’investiture du président vénézuélien Nicolas Maduro. Le président de notre chambre basse, Viatcheslav Volodine, et Monsieur le Président ont tenu des entretiens fructueux.
Je pense que nos relations seront fructueuses cette année.
Question: A l’initiative du Mouvement des Premiers, les enfants ont voulu créer une association internationale d’organisations d’enfants. Quelle est, selon vous, l’importance du rôle de ces organisations? Comment les enfants peuvent-ils contribuer à la politique internationale? Et quels conseils pouvez-vous nous donner sur la manière dont nous pouvons coopérer?
Sergueï Lavrov: Nous avons de nombreuses organisations d’enfants qui revivent, développent, adaptent notre ancienne expérience (des petits octobristes, des pionniers, du komsomol) aux nouvelles réalités. Je crois que c’est utile.
Je me souviens avec beaucoup de plaisir de mes années de pionnier et de komsomol. Et (cela sera peut-être utile) je me souviens particulièrement bien des activités pratiques, comme, par exemple, la récolte de pommes de terre, des randonnées, l’organisation de concerts, de spectacles amateurs – tout ce qui unit une équipe. Outre le travail sérieux (des cours magistraux sont bien sûr nécessaires aussi), ce que l’on appelle aujourd’hui dans les écoles « discussions sur les choses importantes » (c’est indispensable). Mais tout cela doit être « alterné » avec une sorte de « récréation » amusante, caractéristique des jeunes.
Je n’ai pas entendu parler de l’initiative du Mouvement des Premiers de créer un réseau d’organisations de jeunesse et d’enfants. Si vous nous envoyez des informations sur vos projets, afin que nous comprenions de quoi il s’agit exactement, nous ferons notre possible (par exemple, en organisant des contacts avec des jeunes en fonction de leur âge et de leurs centres d’intérêt, afin de les familiariser avec les fondements de la politique étrangère).
Question: Des scientifiques de Saint-Pétersbourg ont demandé à poser une question sur les relations russo-marocaines. Le Maroc se considère comme la porte d’entrée de l’Afrique. Nous aimerions connaître votre point de vue sur le problème des relations russo-marocaines.
Sergueï Lavrov: Le Maroc est un pays ami. En décembre 2023, nous avons tenu une réunion régulière du Forum russo-arabe pour la coopération au Maroc. Nous étions dans la ville de Marrakech. Tout était parfaitement organisé. Nous avons eu une réception avec le premier ministre. Nous avons de bons projets. Nous aidons les Marocains à résoudre les problèmes qui relèvent de la compétence du ministère des Affaires étrangères. Je fais avant tout référence au problème du Sahara occidental. Ici, nous devons être guidés par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le thème de l’autodétermination des peuples a été soulevé à plusieurs reprises aujourd’hui. Il y a très longtemps, environ 40 ans, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé que le problème de l’appartenance du Sahara occidental devait être résolu par l’autodétermination du peuple sahraoui. Je travaillais encore à New York à cette époque. Il y avait un représentant spécial du Secrétaire général pour l’organisation du référendum. Il s’agissait de James Baker, ancien secrétaire des États-Unis. Il décrivait les schémas pour le décompte des voix, la façon dont les anciens sélectionneraient les tribus qui voteraient. Tout semblait à peu près réglé. 40 ans plus tard, rien n’a bougé. La question n’est pas facile pour les Marocains.
L’administration américaine de Donald Trump (lorsqu’il était pour la première fois à la Maison Blanche) a tout simplement décrété que le Sahara occidental était marocain. Aujourd’hui, nous avons le Groenland et le canal de Panama. Bien entendu, aborder ces questions de manière unilatérale ne fait que semer une tempête qui ne manquera pas éclater à nouveau au bout d’un certain temps.
Nous devons rechercher des accords universellement acceptables. Nous savons à quel point c’est important pour le Maroc. Nous nous efforcerons de lui apporter toute notre assistance possible. Toutefois, la question ne peut être résolue que sur la base d’un accord mutuel et non en imposant quelque chose à l’une des parties.
Question: Et la deuxième question. Notre ministère des Affaires étrangères est l’ange gardien de la sécurité internationale sur la planète Terre. Nous apprécions beaucoup votre travail. Mais la question de la sécurité environnementale planétaire se pose, car la Russie est un donateur environnemental sur la planète Terre, et les États-Unis sont une sorte de « vampire » anti-environnemental, qui siphonne les richesses naturelles à son profit. Si nous parlons de pollution de la planète, nous constatons qu’il y a aujourd’hui 170 millions de fragments de débris spatiaux en orbite proche de la Terre. Elon Musk aura beau « bomber le torse », dans 20 ans, aucune des puissances spatiales ne pourra lancer un satellite ou une fusée dans l’espace.
Serait-il opportun que notre ministère des Affaires étrangères, vous personnellement, Monsieur Lavrov, et le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, prennent une initiative auprès de la nouvelle administration américaine, le président Donald Trump, et de toutes les nations spatiales pour engager une action environnementale commune en vue de trouver des moyens de nettoyer l’espace proche de la Terre?
Sergueï Lavrov: La question des débris spatiaux est débattue depuis longtemps. Il existe un comité de l’espace des Nations unies. C’est l’un des sujets qui y sont traités. Pour des raisons évidentes, je ne suis pas un expert en la matière. Je sais que les déchets c’est mal. Mais ce sont des scientifiques et des praticiens qui discutent des méthodes spécifiques pour résoudre ce problème de manière pratique. L’information est disponible sur Internet, je n’en doute pas.
Question: J’ai toujours une carte SIM allemande dans mon téléphone. Le blocage que vous avez mentionné, qui avait été appliqué en Allemagne pour les sites russes, existe toujours. Cela est associé au numéro.
Toutefois, il ne s’agit pas seulement des blocages, mais aussi des problèmes auxquels les journalistes russes sont confrontés lorsqu’ils travaillent dans les pays occidentaux. Dites-moi, s’il vous plaît, qu’est-ce qui ne va pas avec les représentants des autorités occidentales sur place, et qu’est-ce qui cause de tels problèmes? Existe-t-il un lien entre ces problèmes et le déroulement de l’opération militaire spéciale, c’est-à-dire les succès de l’armée russe?
Sergueï Lavrov: C’est bien que vous ayez la parole. L’une des premières questions, sinon la toute première, concernait également les journalistes. J’ai déjà dit que, contrairement aux autorités occidentales, nous n’avons jamais voulu et ne voulons pas restreindre le travail des journalistes. Maria Zakharova ne me laissera pas dire le contraire. Lorsque, bien avant l’opération militaire spéciale, on a commencé à harceler nos journalistes quelque part, puis même à en expulser certains, à les accuser d’espionnage, nous n’avons pas réagi pendant très longtemps, pendant plus d’un an. C’est cela?
Maria Zakharova: Oui. En 2017, la loi FARA a été appliquée contre Russia Today.
Sergueï Lavrov: Lorsqu’on nous demandait: « Pourquoi réagissez-vous de façon aussi molle? », nous expliquions que nous ne voulions pas agir et vivre selon le proverbe « Il faut hurler avec les loups ».
Nous avons commencé à réagir au bout d’un an et demi ou deux ans, quand il n’a plus été possible d’ignorer l’interdiction du travail de nos correspondants.
Il est difficile de dire autre chose que l’évidence: ils ne veulent pas connaître la vérité, ils ne veulent pas que leur population ouvre les yeux sur le mythe de l' »agression » russe, des « atrocités », des « bébés tués par les soldats de l’armée russe ». Probablement pour que ces mythes ne soient pas détruits, non? Il n’y a rien à ajouter.
Question: La deuxième question porte sur le gaz. Le fait est que l’opérateur de Nord Stream 2 en Suisse sera probablement « mis en faillite » ce printemps et « vendu aux enchères ». Les médias occidentaux publient qu’il sera probablement racheté par des investisseurs américains. Pourriez-vous commenter cette situation étrange, en particulier dans le contexte des explosions et de l’attitude d’autruche de Scholz et compagnie?
Sergueï Lavrov: Pour ce qui est de la deuxième question. Je n’ai pas lu dans les médias occidentaux qu’après la faillite, qui devrait intervenir selon les règles dans un délai assez prévisible, ce projet serait vendu aux Américains. C’est le président de la Serbie, Aleksandar Vucic, qui l’a dit. Il a en quelque sorte fait une prédiction la veille du Nouvel An.
Depuis l’époque coloniale, depuis l’esclavage, le pillage est l’un des moyens par lesquels les pays occidentaux se sont habitués à vivre aux dépens d’autrui.
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