Anton Tchekhov, à propos de son enfance, de sa jeunesse ainsi que sur son passage précoce à l’âge adulte, au travers d’une lettre adressée à son éditeur habituel, Souvorine, fait état de la part que le « génie » » sacrifie aux rapports de propriété. Le « génie » artiste est dans la société capitaliste une figure en pleine évolution. Il demeure un domestique comme il l’a été par rapport à l’aristocratie. Il devient un marchand de lui-même en utilisant ce que Marx définit dans le Capital (dans le dernier livre du Capital consacré à la rente foncière) à propos des produits exceptionnels comme le vin des cépages renommés, à savoir le bénéficiaire d’une rente de monopole liée à des conditions physiques non reproductibles. C’était une des propositions auxquelles j’avais abouti assorties de l’analyse toujours de Marx sur le caractère « productif » sous le capital du tâcheron qui produit pour un éditeur de Leipzig des ouvrages pornos qui est considéré comme productif alors que Milton dans son grenier écrivant le chef d’œuvre le Paradis perdu est « improductif ». De ce fait cette rente monopole en tant que marchandise ne bénéficie pas à l’artiste s’il ne rentre pas dans les circuits capitalistes de la marchandise. Il est pris dans des rapports marchands spécifiques du marché de l’œuvre d’art. De propriétaire il devient alors propriété aliénée y compris de son propre corps et comme on le voit ici dans cette réflexion de Tchekhov sur sa propre vie qui devient tragédie d’un corps monnayé de l’enfance trop précoce à la vieillesse dégradée, lui et les siens… L’être « générique », le prolétaire, a son reflet dans cette tragédie romantique de la créativité humaine incomprise. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
« Ce que les écrivains nobles prenaient gratuitement à la nature, les écrivains roturiers l’achètent au prix de leur jeunesse. Écrivez donc un récit, où un jeune homme, fils de serf, ancien commis épicier, choriste à l’église, lycéen puis étudiant, entraîné à respecter les grades, à embrasser les mains des popes, à vénérer les pensées d’autrui, reconnaissant pour chaque bouchée de pain, maintes fois fouetté, qui a été donner des leçons sans caoutchoucs aux pieds, qui s’est battu, qui a tourmenté des animaux, qui aimait déjeuner chez des parents riches, qui fait l’hypocrite avec Dieu et les gens sans aucune nécessité, par simple conscience de son néant, montrez comment ce jeune homme extrait de lui goutte à goutte l’esclave, comment un beau matin, en se réveillant, il sent que dans ses veines coule non plus du sang d’esclave, mais un vrai sang d’homme1..»
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« Photo de famille des Tchekhov, 1874. Second rang de gauche à droite : Ivan, Anton, Nikolaï, Alexandre, Mitrofan (son oncle) ; premier rang de gauche à droite : Mikhaïl, Maria, son père Pavel, sa mère Evguenia, Ludmilla (épouse de Mitrofan), Gueorgui (son fils) »
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