Marianne a récemment traduit du chinois un livre (1) qui devrait être lu au moins par les milieux de la recherche en France. L’auteur le professeur Zhou Xian y relate l’expérience d’un sinologue français célèbre mais dont il tait charitablement le nom à qui il propose un voyage en Chine pour rencontrer des collègues chinois travaillant sur la littérature comparative comme lui. Le sinologue réputé refuse mais en revanche il est ravi de découvrir l’important tirage de son dernier ouvrage en Chine.
Zhou Xian, dénué de malice ou désireux de ne pas faire perdre totalement la face à cet intellectuel émet l’hypothèse que découvrir la réalité le dérangerait dans son rêve chinois. En fait, plus vraisemblablement cette tête à claque comme il n’en manque pas dans nos « élites » doit être soucieux de préserver sa réputation d’anticommuniste sincère dans les milieux médiatiques autant qu’universitaires. Un jour peut-être quelqu’un dira la lâcheté de ce milieu souvent de gauche à la chute de l’URSS, face aux communistes qui ne voulaient pas participer aux séances de repentir réclamés par les chers collègues. Les chiens ont été lâchés, ils le sont encore. Un jour il faudra écrire ce que signifiait vouloir conserver un regard normal sur la Russie, sur la Chine ou Cuba et alors on saura le lynchage dont sont capables les clercs dans une contre révolution. J’imaginais donc aisément ce sinologue se vantant partout de son refus et inventant avoir expliqué à quel point il était ennemi de la tyrannie.
On peut également avoir quelques doutes quand on voit sur les plateaux de télévision des « spécialistes » de la Russie ou de la Chine manifester une telle haine à l’égard de leur objet d’étude.
Mais là avec le professeur Zhou Xian nous avons le témoignage d’une sorte de faux candide chinois qui nous explique l’art et la manière qu’ont les universitaires français sinologues pour lesquels, comme il le dit « la Chine et sa culture n’ont pas vraiment d’importance, mais plutôt la manière de faire prospérer leur sinologie et sa reproduction intellectuelle ».
Nous sommes en train Marianne et moi, et trois autres co-auteurs d’écrire un livre sur la manière dont on pourrait réveiller les Français au point qu’il acceptent enfin un dialogue avec la Chine, qu’ils entendent réellement ce qui leur est proposé ; ne serait que parce la Chine, le monde multipolaire dont elle est un des principaux leaders a déjà une puissance d’influer sur nos vies telles que refuser le dialogue est stupide. Pourquoi en rester à l’image type, le péril jaune, expression désuète mais qui continue à nous parler tant nos stéréotypes, qui nous tiennent lieu d’opinion, cimentent notre entendement.
Il y avait la propagande mais elle est à un tel niveau et notre bon peuple n’a plus réellement de convictions, seulement de la confusion. Cela se double chez les « intellectuels » d’une attitude étrange, ils ont pris l’habitude de ne lire que leurs propres productions et ne sont pas capables de dépasser trois paragraphes sortant de leur zone de confort. Qu’est-ce qui fait perdre le désir de connaitre, qu’est-ce qui nous épuise à ce point ?
Alors que dans la Chine que l’on présente comme une dictature il existe une politique de publication et de diffusion des livres comme des autres biens culturels sans équivalent dans le monde, d’un éclectisme stupéfiant. L’immensité des bibliothèques, le public installé à demeure qui se sert des ouvrages à sa convenance et les lit assis dans une travée, une passion pour le vaste monde, tout cela joue a contrario de l’image de dictature et de censure qu’on lui attribue.
Le livre n’en reste pas à l’amer plaisir de vitupérer l’époque et ses intellectuels lâches et narcissiques. Zhou Xian élargit le propos sur le contexte qui produit ce genre de sinologues :
« Cet homme était heureux que certaines de ses recherches aient été acceptées par des universitaires chinois, ce qui prouve que l’on peut avoir un impact sur la Chine sans s’y rendre. En effet, les études sinologiques occidentales ont fleuri en Chine ; ce pays en est le plus grand importateur, et de plus en plus de chercheurs aiment citer les écrits sinologiques occidentaux, à tel point que certains s’alarment de l’existence d’une dangereuse « mentalité sinologique » dans l’académie nationale actuelle. Parler de son pays tout en se référant à des écrits venus de l’étranger et selon les canons des étrangers me fait penser aux phénomènes de voyage théorique évoqués par Saïd. Dans le contexte actuel de mondialisation croissante, la production de connaissances est de plus en plus mobile, et la production/ exportation et la consommation/ importation de connaissances sont de plus en plus massives. Les exportations occidentales de connaissances ont non seulement ouvert de vastes marchés dans le monde non occidental, mais elles ont également favorisé la dépendance et les habitudes de consommation vis-à-vis des biens importés dans les pays importateurs. Dans un ordre mondial où il existe des structures de force et de faiblesse, une question sérieuse ne peut être évitée par le milieu universitaire chinois en développement et en croissance : quel sera l’impact sur le milieu universitaire local lorsque le paysage mondial sera monopolisé par le « voyage théorique » massif des études occidentales ? (p.102)
Cette réflexion est, on le conçoit, passionnante en ce qui concerne les biens culturels et le socialisme mais il renvoie plus à Bourdieu qu’à Marx. Même si Bourdieu voulait établir l’équivalent du Capital dans le domaine des biens symboliques, ceux de la culture universitaire. Et c’est là qu’il y a une première question concernant ce texte qui nous parle essentiellement de la consommation/ production de connaissance par rapport à l’importation/exportation mondialisée dans un milieu circonscrit à l’homo academicus littéraire que décrit Bourdieu dans un autre ouvrage. Paris serait resté le lieu exerçant une domination sur le capital culturel universitaire, celui disons-le qui se pare d’un élitisme un peu archaïque, bien que lié par les droits d’auteur et la nécessité de trouver éditeur et revue pour toucher un public. Quelles sont les relations entre ce secteur académique littéraire et y compris le marché des bestsellers ou celui lié aux secteurs les plus au cœur du développement de la production ? Dont nous allons tenter d’analyser le fonctionnement dans notre livre à travers le contrôle sur le numérique.
Il est par ailleurs tout aussi intéressant de suivre Zhou Xian dans ce qu’il annonce à propos d’un universitaire vivant aux USA mais d’origine chinoise. On ne peut s’empêcher de penser à la manière dont Marx était alerté devant le phénomène de l’immigration chinoise, la ruée vers la Californie pour décrire le nouveau centre de gravité de la révolution mondiale entre la Chine et les USA. A cause de la révolte chinoise devant la pénétration anglaise avec les guerres de l’opium, et aussi par la prolétarisation de cette immigration. Nous avons vu qu’il y avait là un accès à l’universel qui annonçait la mondialisation du « sud » qui reviendrait comme un boomerang.
Donc dans la collection britannique, « Routledge Contempory China Series, produite par Routledge, un éditeur universitaire britannique de premier plan, a inclus un nouveau livre du professeur Gu Ming Dong spécialiste de la Chine à l’université du Texas, intitulé le sinologisme – une alternative à l’orientalisme et au postcolonialisme. Ce livre arrive à point nommé, au moment où l’on discute de sujets tels que « l’ascension pacifique de la Chine », « la deuxième économie mondiale », « la culture chinoise qui se mondialise » et la construction de l’image nationale de la Chine ». De plus, la puissante critique culturelle du livre envoie un signal clair dans le monde des études occidentales : il faut être vigilant et repenser le « sinologisme » dans la production du savoir occidental ! (p/102)
De ce texte, il faut certainement tirer l’avertissement qu’il envoie à la France, sur la marginalisation de sa culture et la nécessité de s’ouvrir à la réalité du monde tel qu’il est avec une Chine deuxième puissance du monde. Paradoxalement le monde anglo-saxon dans le sillage des USA a une collaboration plus actualisée sur la puissance réelle de la Chine, en partie à cause de sa diaspora.
Pourtant c’est toujours par rapport à cet occident de plus en plus limité aux Etats-Unis même flanqué de l’Angleterre, que s’envisagent les collaborations, alors que Zhou Xian compare le phénomène à l’orientalisme post-colonial.
L »intérêt de cet ouvrage est qu’il reste ouvert à tous les sens du terme, même s’il met en garde les Français, il veut les convaincre que la Chine les admet tels qu’ils sont, et là il touche réellement au message que nous envoie la Chine et dont nous nous évertuons, dans ce livre que nous sommes en train d’écrire, de dire avec honnêteté les termes réels et pas ceux que certains soit veulent nier, soit enthousiastes veulent qu’ils correspondent à une sorte de revanche sur l’amère déception qu’a été l’URSS. De ce point de vue d’ailleurs, ce que nous découvrons de la Chine c’est que depuis ce moment où la Russie soviétique choisit de devenir l’URSS, qui est aussi celui où un intellectuel chinois voit les limites de la Révolution nationaliste de SunYat-sen et ne se contente pas comme ce dernier de s’opposer à l’occident haï symbolisé par l’Angleterre et propose de s’allier avec l’URSS mais aussi l’Allemagne simplement parce que sont les « parias » de l’occident, Mao lui voit dans le marxisme une idéologie capable de rassembler l’identité chinoise. Alors que partout les autres bourgeoisies nationales veulent emprunter à l’occident capitaliste leur modernité, celle qui leur permettra de se hisser de pays humilié, colonisé, à l’égalité en droit international, au développement, la Chine trouve dans le marxisme, dans la rencontre avec cette autre idéologie internationale un chemin différent, et c’est aussi parce que le peuple chinois, le prolétariat n’a jamais été conquis, soumis. Mais chaque fois que la Chine se détermine par rapport à l’URSS, c’est aussi pour marquer la spécificité de son chemin pour l’expérimenter.
Cela se réalise dans la continuité mais aussi avec des chocs intenses, et là encore le professeur Zhou Xian explique que c’est l’ampleur du choc que produit la conscience culturelle chinoise lorsqu’elle rencontre les autres cultures : une alchimie qui provoque des éclats, et qui « permet au moi d’être vu par l’autre ».
De ce texte, il faut certainement tirer l’avertissement qu’il envoie à la France, sur la marginalisation de sa culture et la nécessité de s’ouvrir à la réalité du monde tel qu’il est avec une Chine deuxième puissance du monde. Paradoxalement le monde anglo-saxon dans le sillage des USA a une collaboration plus actualisée sur la puissance réelle de la Chine en partie à cause de sa diaspora. Nous Français, nous contentons du ridicule d’accepter de contribuer à la propagande qui nous place devant l’alternative : accepter de reconnaître que les autres existent ou entrer en guerre aux côtés de notre suzerain qui n’accepte pas de perdre la partie.
Danielle Bleitrach
(1) Voyage théorique entre les cultures, de Zhou Xian, éditions OKNO, 2024. Zhou Xian (notre photo) est professeur de littérature à l’Université de Nankin
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Michel BEYER
» Le grand appel de Xi : les meilleurs cerveaux de la planète affluent vers la Chine »
Le sinologue réputé devrait s’inspirer de cet article publié par » Histoire et Société « .
Il n’y a pas de honte pour un intellectuel a être associé à de grands savants, fussent-ils chinois. Il faut une sacré dose de suffisance pour accepter la diffusion de ses propres travaux et refuser d’en parler sur place.
Les raisons évoquées par Danielle sont justes. J’en rajouterai une supplémentaire, la France est en régression dans tous les domaines, la culture y compris.
Etoilerouge
Ce n’est pas de la suffisance mais l’expression même de l’esprit colonialiste inconscient de supériorité. Une forme de fascisme de l’esprit. Soyez assurés que cet esprit malsain existe de ces gens, cette élite corrompue vis à vis des classes dominées en France même
Chabian
Les déplorables propos de votre président (« ils ne nous ont pas remerciés ») illustrent à merveille cette prétention dérisoire et aveugle, qui ne sait plus « où est sa place ». Il y a effectivement une tendance française à n’appliquer que des critères internes : les titres universitaires légitiment une compétence qui appellent d’autres titres, toujours plus ronflants, mais de plus en plus délirants pour un regard extérieur.
Xuan
Les déclarations de Trump sur le Canada, Panama, le Groenland, convergent avec les ingérences manifestes d’Elon Musk en Grande Bretagne et en Allemagne.
Maintenant le traitement tyrannique du second monde impérialiste par l’hégémonisme commence à inquiéter les bourgeoisies européennes.
Et Macron a adopté une courageuse attitude mi-chèvre mi-chou, en cirant les pompes à Trump tout en traitant Musk de réactionnaire, qui en dit long sur l’abdication à venir.
Simultanément l’Afrique continue de couper les derniers liens avec l’impérialisme français, et le même Macron, qui justifiait il y a deux ans les intérêts français intérêts en Afrique, pleure maintenant « l’ingratitude » du Sénégal et du Tchad et se fait tacler sans ménagement.
« This is the end »
https://www.youtube.com/watch?v=E403BScOfP4
« L’internationale réactionnaire » que dénonce Macron n’est pas une alliance idéologique entre des « pro russes » et des fascistes US.
C’est l’hégémonisme US lui-même, auquel l’UE et tout particulièrement notre bourgeoisie se sont furieusement accrochées. Et maintenant le père spirituel brandit son fouet et le sol se dérobe sous leurs pieds.
Macron n’est quand même pas assez stupide pour ne pas le savoir. Il rêve juste de rester le chouchou de la classe. Mais il n’y a pas de classe avec de bons et de mauvais élèves, c’est juste le froid calcul égoïste des monopoles US d’abord et du fascisme 2.0.
Il se pourrait même qu’il vise d’abord le maillon faible occidental, avant de s’en prendre à la Chine.
Xuan
Merci pour cet article, et pour la traduction de Marianne, sur une invitation à l’ouverture d’esprit et à l’enrichissement culturel.
Il existe une particularité bien française à considérer la révolution française comme l’achèvement des révolutions, de la philosophie, de la démocratie et de la morale.
C’était un pas extraordinaire, et pour toute l’humanité, que le renversement du féodalisme et de la royauté dans notre pays.
Mais nous avons changé d’époque, la révolution de 89 était celle de la bourgeoisie et nous sommes entrés dans l’ère de la révolution prolétarienne prolétariat, avec une philosophie, une morale, une démocratie qui lui sont propres.
Et les nations dominées ont-elles aussi entamé un processus révolutionnaire, mais qui s’est opposé aux nations colonisatrices. Une révolution démocratique d’une autre nature donc, avec son idéologie diverse.
Lénine analysait les exportations des pays impérialistes vers les anciennes colonies, et il cite :
« Hilferding note très justement la liaison entre l’impérialisme et le renforcement de l’oppression nationale.
“Pour ce qui est des pays nouvellement découverts, écrit-il, le capital importé y intensifie les antagonismes et suscite contre les intrus la résistance croissante des peuples qui s’éveillent à la conscience nationale ; cette résistance peut facilement aboutir à des mesures dangereuses dirigées contre le capital étranger.
Les anciens rapports sociaux sont foncièrement révolutionnés ; le particularisme agraire millénaire des “ nations placées en marge de l’histoire ” est rompu ; elles sont entraînées dans le tourbillon capitaliste.
C’est le capitalisme lui-même qui procure peu à peu aux asservis les voies et moyens de s’émanciper. Et la création d’un État national unifié, en tant qu’instrument de la liberté économique et culturelle, autrefois but suprême des nations européennes, devient aussi le leur. Ce mouvement d’indépendance menace le capital européen dans ses domaines d’exploitation les plus précieux, ceux qui lui offrent les plus riches perspectives ; et il ne peut maintenir sa domination qu’en multipliant sans cesse ses forces militaires. ” »
[L’impérialisme stade suprême du capitalisme].
Et voilà que ces anciennes colonies ont accédé à l’industrie, qu’elles importent et exportent aussi du capital. Ce n’est pas de l’impérialisme, c’est le développement nécessaire de ces pays face à l’impérialisme lui-même.
A propos de l’impérialisme, Lénine ajoutait que « le monopole est issu de la politique coloniale ». Comment des camarades peuvent-ils lire Lénine comme des bureaucrates encroutés, et décréter que tous les pays sont devenus impérialistes puisqu’ils exportent des capitaux ?
Lénine caractérisait encore l’impérialisme « comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant ». Ce n’est pas le cas du sud global ni des BRICS, que l’Indonésie vient tout juste de rejoindre. Ce qui est pourrissant dans ces pays c’est le reliquat du féodalisme et la soumission à l’impérialisme.
Il y a là aussi une sorte de pensée figée, qui utilise y compris les textes marxistes léninistes pour en faire un dogme achevé et gravé dans la pierre, alors que la théorie matérialiste dialectique est précisément la science des transformations.
Albert Loubergnié
Todd dénonce l’impérialisme mais a mis encore sur le même plan nazisme et communisme, comme tous les Furet et autres historiens de cour ou la meute des histrions médiatiques.