Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Bernard Frederick : la Russie de Tchekhov à Poutine

Dans le cadre des débats qui ressurgissent fréquemment autour non seulement de Poutine mais de l’évolution de la filiation, de l’affrontement et du “partenariat stratégique” entre la Chine et l’URSS, puis la Russie, Bernard Frederick qui est encore rédacteur à l’Humanité nous propose ce texte d’une conférence qu’il avait faite en 2004 et qui apportait déjà des éléments de réflexion plus que jamais indispensables. L’idée d’un dirigeant de transition comme Tchekhov a été un auteur du “passage” est effectivement celle qui nous est chère à Marianne et moi dans ce blog et qui est bien celle qui taraude jusqu’au parti communiste de la fédération de Russie, l’articulation entre le siècle passé, celui de l’URSS et la question russe aujourd’hui. Le fait que la Russie à travers l’URSS ait tant fait pour les multiples identités en émancipation, la dialectique de la décolonisation se jouant aussi au sein de l’empire tsariste et pour une part dans l’Europe féodale et sur toute la planète mais en oubliant d’élucider un de ses pôles, l’humanisme russe… Merci Bernard de ce magnifique texte qui est si proche de ce que nous tentons de faire percevoir dans ce blog. (note de Danielle Bleitrach pour Histoire et Société)

Mesdames, Messieurs,

Mes amis m’ont proposé de traiter devant vous de la Russie « de Tchékhov à Poutine ». Vous imaginez ! Anton Tchekhov est mort en 1904 à 44 ans. Près de 150 d’histoire donc. En 30 ou 45 minutes ! En donnant mon accord à Antoine Segura, je me suis demandé ce que j’allais exposer. Évoquer un siècle et demi de l’histoire de la Russie était impossible ou je prenais le risque d’une synthèse douteuse et ennuyeuse. Chercher des points de comparaison entre l’écrivain russe de la fin du XIXème siècle et le chef d’Etat de début du XXIème m’eut conduit à tirer les faits par les cheveux ou à manipuler et les personnages, et l’histoire, et mon auditoire.

Qu’y a-t-il de commun entre l’auteur de la Mouette et l’ancien officier du KGB élu à la tête de la Russie nouvelle ? Qu’y a t il de commun entre la Russie de 1904 et celle d’aujourd’hui, sinon que c’est la Russie, Ah je sais bien que la « Russie est éternelle » et son peuple habité par « l’âme russe ». M’engager sur cette pente, eut été sacrifier aux pires clichés dont je viens de vous donner l’exemple.

Pourtant, s’il ne pouvait être question de développer devant vous 150 ans du destin russe, que me restait-il sinon à rechercher la continuité entre l’époque de Tchékhov et la nôtre ?

Je me suis souvenu alors d’une lecture que j’avais faite dans L’Histoire de la Littérature russe, ce maître ouvrage que dirigèrent Efim Etkin et Georges Nivat. C’était un texte de Vittorio Strada sur Tchekhov, justement. Il y écrivait ceci : « Nous ne pouvons adopter la formule par laquelle un critique aussi reconnu que Naoum Berkovski résume son étude sur Tchekhov. Il l’appelle « poète de la fin ». En réalité, poursuivait Strada, Tchekhov est autant « poète de la fin », c’est-à-dire de la clôture d’une phase littéraire et d’un monde historique, que « poète du commencement » d’une nouvelle phase et d’un nouveau monde ; il est plutôt « poète du passage » entre deux mondes, et c’est justement dans cette dynamique que se trouve l’origine de tous les problèmes culturels en général et littéraires en particulier que pose son œuvre ».

Ayant relu, donc, ce texte de Vittorio Strada, je me suis demandé quel sens il y aurait à remplacer le nom de Tchékhov par celui de Vladimir Poutine et à élargir la problématique de la culture à la société. Cela pourrait donner ceci :

«  Vladimir Poutine est autant un homme d’Etat de “la fin”, c’est-à-dire de la clôture d’une phase politique et d’un monde historique, qu’homme d’Etat du “commencement”, c’est-à-dire d’une nouvelle phase et d’un nouveau monde ; il est plutôt un homme d’Etat du “passage” entre deux mondes, et c’est justement dans cette dynamique que se trouve l’origine de tous les problèmes de l’espace post-soviétique et eurasiatique en général et de la société russe en particulier que pose sa politique ».

Cette petite manipulation sémantique fonctionne à merveille. Le sens de cette transfusion est éclatant, me semble-t-il : le lien que je cherchais entre Tchekhov et Poutine, pour aller vite, est là : c’est une question de problématique. C’est la question du « passage ».

Tchekhov est né, en 1860, au moment où le tsar Alexandre II accomplissait ce qu’on pourrait appeler sa « perestroïka » – sa restructuration. Il abolissait le servage, ce qui allait permettre assez vite le développement du capitalisme en Russie et, par corollaire, l’émergence, d’une part, du prolétariat et d’autre part d’une bourgeoisie urbaine. Il est né un an après la capture de l’Iman Chamil couronnant la victoire russe sur la rébellion tchétchène. Déjà la Tchétchénie ! Tchékhov mourra en 1904 alors que la première révolution ouvrière russe allait éclater et qu’à sa suite apparaîtront les prémices du parlementarisme et d’une société civile, du moins limitée aux grandes villes.

Tchekhov n’était pas un révolutionnaire. Il se consacra, dans le civil si je puis dire, à des actions humanitaires. Mais son œuvre, de mon point de vue, est révolutionnaire, en ce qu’elle marque plus que tout autre, à l’époque, l’adhésion de l’intelligentsia russe à ce qui fit l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui : l’humanisme.

Car, c’est un fait, l’invasion tataro-mongole priva la Russie en formation de tous contacts avec le continent, sinon quelques échanges commerciaux liés à la route de soie. L’humanisme qui investit les consciences et les arts en Europe se heurta à un véritable rideau de fer aux portes de la Russie, si bien qu’il y a tout juste un siècle entre la première imprimerie occidentale et la première imprimerie russe. Tchékhov dans son Vichniovy Sad – la Cerisaie – fait dire à l’éternel étudiant Trofimov : « Nous sommes en retard d’au moins deux siècles ».

 Or l’humanisme c’est l’individu, la personne ; l’idée de libre arbitre, de liberté, de résistance… L’humanisme en Europe donna Rabelais et Spinoza, la Réforme de Luther et Galilée. Sans l’humanisme de la Renaissance, les Lumières eurent été inconcevables ; sans le pari cartésien, l’encyclopédie n’aurait jamais vu le jour.

Tchekhov incarne pour moi l’émergence tardive et contrariée de l’humanisme russe. C’est en cela qu’il est l’homme du « passage ». C’est en cela qu’il est littéralement révolutionnaire.

Hélas, il était tard, et ni les conditions de l’époque ni l’histoire n’allait permettre à cet humanisme de se développer jusqu’à devenir le fondement spirituel et matériel de la constitution d’une société civile russe, encore moins d’une société civile à l’échelle de l’Empire. Le tsarisme finissant, les révolutions, les guerres civiles et mondiales, contrarièrent, pour ne pas dire gelèrent, toute évolution spirituel et éthique. Contrarièrent la civilisation. C’est au cours d’un long séjour à Moscou, dans les années 86-91, que j’ai compris, par exemple, pourquoi Lénine, dans son testament, insistait tant sur la question de la civilisation.

Si l’on parlait à l’époque de l’URSS, d’un « âge de Tchekhov à Lénine » pour définir les temps modernes et révolutionnaires, il faudrait, aujourd’hui, comprendre la formule non pas comme le témoignage d’une complémentarité mais comme celui d’une contradiction, d’une dialectique qui résume, finalement, et l’histoire du siècle passé et la question russe aujourd’hui encore.

Si la Russie a souffert, et souffre encore, de n’avoir pas pris part au mouvement des idées de la Renaissance et des Lumières, l’Occident y a sa part qui n’a jamais considéré cette vaste terre et ses peuples, comme autre chose qu’un « ailleurs », un espace hors l’Europe. Traiter, en France, de la Russie : voilà bien un exercice difficile. On peut, sans encombre, faire un exposé sur l’état de l’Amérique. Parler, aujourd’hui, de la Chine est à la mode. On passera volontiers pour érudit, en s’intéressant aux Galapagos. Mais la Russie… La Russie !

Il y a, en France, autour de la Russie, un parfum de mystère. Depuis longtemps. Même si c’est d’abord vers Paris que le tout Saint-Pétersbourg a, jadis, tourné ses regards, à commencer par la Grande Catherine à laquelle Denis Diderot apporta ses lumières.

Du Marquis de Custine à Alexandre Dumas ; de Gide à nos éditorialistes, nos écrivains d’aujourd’hui, la Russie a toujours inspiré fascination et terreur. Je répète : c’est un ailleurs. Un ailleurs confus, trouble, inquiétant. Et l’on aborde ce pays et ses gens, bardé de préjugés et de lieux communs. Le vocabulaire s’en ressent. Vous connaissez bien l’importance des mots. Le président Poutine est un « nouveau tsar », comme jadis le fut Léonid Brejnev et même le président Gorbatchev. Le Kremlin est une « forteresse ». L’économie, une économie de « l’ombre », tout entière aux mains de la Mafia. La presse est « sous contrôle ». La liberté toujours surveillée ; les Russes sont des couards noyés dans la vodka …..

Ou bien, il y a « l’âme russe », les bulbes dorés des clochers, la neige, le Bolchoï, les matriochka, ces poupées qui s’emboîtent, comme s’emboîtent les uns dans les autres tous les clichés éculés qui font, paraît-il, notre information.

Oui, il est bien difficile, de parler de la Russie, en France.

Il n’y a pas de « mystère russe ». Il y a une histoire complexe qu’il faut appréhender et comprendre. Il y a des tendances lourdes qu’il faut cerner, analyser.

Lisons, par exemple, ce qu’écrivait il y a cent soixante cinq ans, le marquis de Custine dans ces notes de voyages « La Russie en 1839 », publiées à Paris en 1843 :

« Tant pis pour les Russes si tout ce qu’on raconte de leur pays et de ses habitants tourne en personnalités : c’est un malheur inévitable ; car, à vrai dire, les choses n’existent pas en Russie, puisque c’est le bon plaisir d’un homme qui les fait et qui les défait… »

C’est vrai qu’il est resté du temps des Troubles (1603-1613), dont Pouchkine fait le récit dans Boris Godounov, un mode tragique d’accession – de maintien – au pouvoir suprême. En russe, on appelle cela le samozvanstvo (du mot samozvanets – imposteur) : une auto-proclamation. Un art achevé de la révolution de palais. Une pratique renouvelée du coup d’État. Boris Eltsine appartenait à cette tradition-là, comme tous ceux qui ont dirigé la Russie, des tsars aux Gensek (les secrétaires généraux). Même quand le samozvanstvo avait, sous les velours rouges, l’approbation unanime des pairs du régime. Même quand le peuple est convoqué aux urnes, comme cela se passe depuis dix ans. Vladimir Poutine n’échappe pas à cette tradition.

« Le samozvanets, écrivait en juin 1991, le rédacteur en chef de la Nezavissimaïa Gazeta, Vitali Tretiakov, est par définition un populiste […] Qu’est ce que le populisme sinon une réponse à un faisceau d’aspirations non satisfaites et de souhaits populaires que le pouvoir légal ignore totalement ? »

Et ces frustrations sont nombreuses en Russie après le séisme qu’a représenté l’effondrement et la disparition de l’URSS – elle-même géopolitiquement héritière de l’Empire bâti par Ivan le Terrible, Pierre le Grand et Catherine. La confusion dans les têtes est telle qu’on pourrait à son propos citer ces vers d’Aragon à propos d’une autre débâcle, « Tout changeait de pôle et d’épaule […] /On prenait les loups pour des chiens… »….

Il y a en Russie une profonde crise morale, une crise d’identité.

Le soutien au parti du pouvoir s’explique par le transfert vers Vladimir Poutine et ses amis de l’imposant électorat traditionaliste qui votait jadis pour les communistes, pour l’ancien pouvoir “authentique”, contre Eltsine “l’imposteur”. Le vote pour “Russie unie” et pour le président, n’est pas un choix entre plusieurs possibilités, mais une manifestation d’allégeance rituelle, “sans alternative”. Le soutien apporté à ce parti s’accroît surtout dans les régions faiblement urbanisées, parmi les couches relativement peu instruites, pauvres et rurales, c’est-à-dire les couches ayant une conscience traditionaliste.

Ces mouvements d’opinion s’alimentent de la politique de Vladimir Poutine en raison du sentiment qu’à l’opinion d’une restauration : restauration de l’économie mais pas seulement. Restauration du prestige russe à l’extérieur et de l’ordre à l’intérieur.

Je remonterai au 11 septembre 2002 et à la guerre qui a suivi en Afghanistan.

Alors que Kaboul, où les Russes furent les premiers étrangers à arriver (!), était libéré, un commentateur américain affirmait, sur France Inter, qu’il n’y avait, à ce moment-là, qu’un seul vainqueur de la guerre : Vladimir Poutine. Le voilà, disait-il en substance, rassuré à la fois sur son contrôle des frontières de l’ex-URSS et du pétrole d’Asie centrale. L’intervention américaine en Irak n’a fait, depuis, que confirmer cette impression. Alors que l’intervention militaire américaine produit les effets inverses de ceux qu’elle affirmait rechercher et que Washington rencontre les plus grandes difficultés à organiser, sinon à imaginer, l’après Taliban comme l’après Sadam, la politique russe se déploie tous azimuts en retrouvant la logique et la logistique de la diplomatie soviétique à ses grandes heures.

La crise ouverte par les attaques intégristes le 11 septembre en Amérique a accéléré les processus engagés par le président russe sur trois fronts :

  • la restauration d’un État russe dans ses prérogatives politiques, idéologiques, économiques et militaires ;
  • la construction d’une Communauté des États indépendants (CEI) qui n’avait encore aucune véritable réalité ;
  • la remise en selle de Moscou dans les relations internationales.

L’intelligence de Vladimir Poutine a été de cerner très vite, lorsqu’il accéda au pouvoir, les grandes causes du mal russe depuis 1991. Il y était préparé, sans doute, par sa formation au KGB, bras policier de l’autoritarisme soviétique, mais aussi grande école de réalisme et de pragmatisme, ouverte par nécessité aux mouvements et aux contradictions du monde.

Après l’implosion de l’URSS, la Russie souffrait – souffre encore – de quatre grandes frustrations :

  • la perte d’une sécurité sociale, entraînée par l’émergence d’un capitalisme sauvage et par la substitution à l’État-parti de pouvoirs locaux ou particuliers (mafias, oligarchies et groupes d’intérêts) comme, d’ailleurs, dans toutes les époques de troubles en Russie ;
  • l’effondrement de tous les repères identitaires et la rupture de la continuité historique, dont le sentiment est plus fort et plus général aujourd’hui qu’il ne l’était en 1917 lors d’une rupture de même type ;
  • la dislocation de l’espace impérial – qui était aussi celui de l’Union – dont les conséquences, alors que les frontières de la métropole russe se confondaient avec celle de l’empire contigu, sont à la fois socio-économiques, culturelles et psychologiques ;
  • l’humiliation internationale consécutive à cette dislocation, à l’effondrement économique, au discrédit militaire et à la capitulation du pouvoir devant les diktats de l’Occident en général, et du FMI en particulier.

Ce sont ces frustrations que le président russe tente de combler. Non sans un certain succès. L’autorité de l’État paraît pratiquement rétablie, la situation politique stabilisée. Les oligarchies ont été mises au pas, sinon dissoutes, et les barons de l’économie conviés à s’occuper plutôt de leurs affaires que des coulisses du Kremlin. Les retards dans les versements des salaires et pensions, les uns et les autres sensiblement augmentés, ont cessé. La croissance a repris. Dans le même temps, la CEI se structure, coordonne ses politiques dans la production, l’énergie, les transports, le commerce intérieur et, pour une part, les échanges extérieurs, la politique étrangère et la défense. On annonçait, il y a quelques mois à Moscou, la mise en circulation d’une carte de crédit commune à l’ensemble de la CEI, dont la banque d’État russe sera l’émettrice. La Russie a repris la production d’armements au Kazakhstan et les exportations qui s’y trouvent liées. La formation d’un Espace économique commun entre la Russie, le Kazakhstan, l’Ukraine et la Biélorussie est en cours d’achèvement.

Dans le même ordre d’idée, le retour à l’hymne soviétique, décidé par Vladimir Poutine, le savant mariage entre la tradition pré-révolutionnaire, notamment par l’orchestration du rôle de l’Église orthodoxe, et l’histoire soviétique, notamment à travers ses faits d’armes – la Seconde Guerre mondiale mais aussi l’assistance au Vietnam, par exemple -, l’inauguration en grandes pompes par le président d’une plaque à la mémoire de Youri Andropov, ancien patron du KGB, éphémère mais très populaire secrétaire général du PCUS (1982-1984), restituent une continuité historique indispensable à la pacification et à la consolidation d’un sentiment national otage, durant la dernière décennie, de forces nationalistes disparates allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.

Enfin, le Kremlin a déployé tous ses efforts pour reprendre rang dans le concert international, comme puissance européenne et asiatique. On y a, jusque-là, peu prêté attention. La crise et la rapidité de la réaction de Vladimir Poutine a provoqué un tournant – un ” séisme “, a-t-on même dit à Washington – qui éclaire d’avantage ces efforts. Les objectifs du Kremlin apparaissent clairement. À la fois reprendre pied en Europe (axe Paris-Berlin-Moscou), réassurer son influence en Asie (relations avec la Chine et l’Inde) et retrouver, face à la Maison Blanche, une place d’interlocuteur non pas seulement privilégié mais incontournable.

Par son positionnement dans les affaires mondiales, Vladimir Poutine a bouleversé doublement la donne internationale telle qu’elle résultait à la fois de la guerre froide et de sa suite immédiate. D’une part il a associé, pour la première fois depuis 1945, son pays – et la CEI – à une alliance avec l’Occident, d’autre part il tente, avec Paris notamment, de disputer aux États Unis un leadership incontesté depuis 1991. C’est à partir de là que le président russe pousse ses feux. Il ne voulait pas de l’élargissement à l’Est de l’OTAN. Il tient à l’Union européenne un discours qui est la copie conforme de celui que lui tenait Mikhaïl Gorbatchev (la “maison commune”).

C’est dans ce contexte qu’il convient de décrypter l’influence de Vladimir Poutine dans la société russe, même si la situation intérieure encore incertaine, la sphère sociale appauvrie et les sources de tensions demeurent. Encore que là aussi, il ne faut pas manquer les évolutions.

Les Russes voit en en Poutine leur vengeur.

De ce point de vue, si on a fait grand cas, en occident, de l’arrestation de tel ou tel magnat du pétrole, celle-ci témoigne, pour le Russe moyen, de la volonté du président de mettre au pas l’oligarchie constituée grâce au véritable pillage des ressources et du potentiel économique du pays à l’époque de Eltsine et du gouvernement de ce qu’on appelle aujourd’hui les « libéraux ».

C’est qu’avant le pain, les Russes – au moins pour le moment- placent leur fierté dans leur histoire- toute leur histoire-, dans le patriotisme et dans la puissance de leur Etat. Et ils voient en Vladimir Poutine, un homme qui a, selon eux, « une certaine idée » de la Russie.

C’est ici qu’il faut chercher les processus qui travaillent la société russe, plus encore que dans les réussites réelles ou prêtées au président Poutine. La société russe croit avoir trouvé en Poutine, l’homme de la restauration. Elle s’apercevra plus tard, je crois, qu’en fait c’était l’homme du « passage ». Car en se fondant sur une certaine continuité de l’histoire russe et soviétique, Vladimir Poutine fait le pari d’accélérer la modernisation de son pays et son intégration pleine et entière dans la communauté internationale, l’une et l’autre étant inséparablement liées. Il fait en fait le pari, dans une certaine mesure, que voulait faire Lénine : dépasser l’éternel conflit entre occidentalistes et slavophiles dans un suprême effort de civilisation. Lénine croyait que le socialisme le permettrait. A la veille de sa mort, il avouait qu’il lui fallait « réviser totalement » – ce sont ses mots – sa conception.

Je ne fais évidemment pas de Poutine un nouveau Lénine. Aucune comparaison n’est ici possible. Je veux dire par là qu’ils sont tous deux à près d’un siècle de distance, devant le même problème : comment rattraper le retard séculaire de la Russie sur l’occident européen.

J’ignore – et nous ignorons tous – si Vladimir Poutine réussira son pari. Je doute qu’en cherchant seulement à réguler le capitalisme sauvage, il puisse y parvenir. Je doute que la guerre qu’il mène en Tchétchénie soit l’occasion de promouvoir l’humanisme qui fait tant défaut, aujourd’hui encore, à ce peuple qui a, pourtant, de grandes qualités pour l’accueillir et s’en nourrir. Je ne discerne pas très bien, outre la restauration de l’ordre, quel peut être le projet du président russe et s’il en a seulement un. Je cherche le Tchekhov qui pourrait l’inspirer, ou mieux, inspirer la Russie tout entière et, dans l’immédiat, au moins son intelligentsia. Je ne crois pas que la Russie trouvera les appuis qu’elle cherche auprès de l’Occident…

Et pourtant, pourtant, je continue de penser que Vladimir Poutine et la Russie sont « entre deux mondes » ; qu’ils sont dans le « passage ». Exactement comme les Ranevski du Vichniovy Sad.

Alors avec Trofimov, le héros de Tchékhov, je ne crains pas de vous dire : « Toute la Russie est notre cerisaie ».

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