A propos du stade “supérieur” et du stade “inférieur” et de tout le faisceau de conclusions qui montrent que – après les premiers stades et les premières expériences de sociétés socialistes isolées au 20ème siècle – l’évolution des forces productives nous mènent à la nécessité d’un second stade de sociétés socialistes, celui où la majorité des nations entament librement (ie libérées de l’hégémonie impérialiste) la transition vers le socialisme. Ce qui domine aujourd’hui dans le parti communiste c’est un retard théorico-pratique considérable sur la situation géopolitique et une rare confusion qui se traduit au niveau des militants (et des dirigeants) par une pression considérable face aux événements et en particulier quand ils sont confrontés à la crise profonde de la société française, à la dangereuse puérilité d’un Macron, à la nécessité d’une intervention, c’est pour cela que le détour théorique est essentiel. Lénine quand il était confronté à une situation de ce type y compris quand il était en difficulté pour convaincre de la nécessité d’une rupture se mettait à travailler des textes théoriques comme matérialisme et empiriocriticisme. On retrouve ce nécessaire détour chez Marx et chez tous les grands théoriciens impliqués dans l’action. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Merci à Jean-Claude pour ce travail de compilation, c’est très intéressant et je me rends compte avoir encore beaucoup à lire.
Il me manque une dimension proprement scientifique, que je ne trouve pas chez les auteurs marxistes (mais je n’ai pas encore tout lu) et qui est relativement mal abordé par quelques physiciens non marxistes qui s’aventurent sur le terrain des sciences sociales, c’est l’aspect thermodynamique de l’information et son lien avec la stabilité et l’évolution des structures de la matière.
Parmi les physiciens, je pense évidemment à Ilya Prigogine, très prudent lorsqu’il passe d’une science à une autre et plus récemment à François Roddier, plus aventurier et du coup qui explore davantage d’impasses.
Il y a plusieurs grandes révolutions scientifiques au 19ème siècle, et elles sont toutes marquées à leur manière par l’émergence d’une certaine complexité, à la sortie d’un matérialisme plutôt mécaniste.
En maths, on peut citer le développement de l’algèbre moderne et du calcul différentiel, conçu au 18ème mais qui prend forme au 19ème (Marx s’y intéressera beaucoup). Ensuite trois grandes révolutions quasi contemporaines : Marx révolutionne l’économie et les sciences sociales (et la philosophie) ; Darwin pose les bases de l’évolution des espèces et Boltzmann développe la mécanique statistique et donne corps à la thermodynamique et particulièrement à la notion d’entropie. L’origine des espèces est publié en 1859. Le premier tome du Capital est publié en 1867. Les principaux travaux de Boltzmann sont publiés dans les années 1870.
Peut-on appliquer les lois de la physique aux sciences sociales ?
Cette question est complexe et dialectique. Les sociétés sont un niveau supérieur d’organisation de la matière et entre les différents niveaux, par exemple déjà entre la physique et la biologie cellulaire, le plus petit niveau de la biologie, il y a une (voire plusieurs) barrière(s) de complexité, qui font qu’on ne peut pas étudier le fonctionnement de la cellule avec les seuls outils de la physique moléculaire et de la chimie. Ce n’est pas seulement une barrière technique, parce qu’il nous manquerait par exemple des ordinateurs suffisamment puissants. On dit qu’on ne peut pas “réduire” le niveau supérieur au niveau inférieur et les penseurs qui estiment (à tort donc) qu’on peut tout expliquer par exemple avec les lois de la physique sont qualifiés de réductionnistes. Un niveau supérieur d’organisation de la matière fait émerger des processus radicalement nouveaux, qu’il faut étudier de manière spécifique. Ce n’est que lorsqu’on on maitrise bien à la fois le niveau supérieur et le niveau inférieur que l’on peut étudier finement l’articulation entre les deux niveaux pour vérifier qu’on la comprend bien, mais sans que cette étude vienne remplacer les outils scientifiques nécessaires pour l’un et pour l’autre.
En revanche, bien sûr, les lois des niveaux inférieurs s’appliquent aux niveaux supérieurs, c’est en ce sens que le monde est “matériel” et non “surnaturel” et donc le physicien a des choses à dire sur les niveaux supérieurs, à condition d’une part de s’en tenir strictement à la méthode scientifique de son champ et d’être suffisamment informé des développements scientifiques dans les champs supérieurs. C’est un obstacle majeur pour le sujet qui nous occupe puisque le marxisme, au moins en occident, n’est non seulement pas enseigné, mais généralement même très déformé à l’intention des étudiants des autres disciplines.
Personnellement, je m’intéresse au sujet depuis un certain temps, mais je suis encore en phase de travail et d’accumulation de connaissances.
Ce que nous dit la thermodynamique, d’abord, c’est que si on considère tout système matériel, il y a des lois qui décrivent les relations entre son évolution interne et ses échanges de matières et d’énergie avec le reste du monde. En particulier, si les échanges d’énergie et de matières sont bloqués, nuls, le système va tendre spontanément vers un état d’équilibre qui est l’état de distribution de la matière et de l’énergie le plus probable, le plus homogène, le moins structuré et le plus diffus. C’est ce qu’on appelle communément la mort pour les systèmes vivants, mais c’est aussi, par exemple, si vous mettez de l’eau chaude et de l’eau froide dans une même casserole (ils font un seul système), isolés du reste (sans échange de chaleur), assez vite, vous allez voir s’établir une température moyenne entre les deux quantités d’eau versées et cette température est facile à calculer.
Mais les structures durent néanmoins en échangeant de la matière et de l’énergie et pour étudier cela, il faut introduire une différence dans les formes d’énergies. C’est là qu’intervient la notion d’entropie. Il y a des formes d’énergie diffuses. C’est le cas typique de la chaleur. La chaleur n’est pas une énergie utilisable pour les structures lorsqu’elle est homogènement répartie. Seules les différences de températures peuvent être utilisées, c’est comme ça que Fourier a compris comment on pouvait perfectionner les machines à vapeur et aussi quelles sont leurs limites physiques infranchissables. On ne peut pas – sans apport d’énergie – faire revenir l’eau de la casserole à l’état initial où une partie était chaude, et l’autre froide. Cela se mesure avec cette grandeur que les physicien appellent entropie et dont Boltzmann a clarifié le sens physique profond. Spontanément, l’entropie d’un système isolé augmente. Elle ne diminue jamais. Les organisations se détruisent, la matière et l’énergie se diffuse de la manière la plus homogène possible.
En quoi cela est-il en rapport avec l’information ?
Quand la matière s’organise, qu’elle quitte son état homogène, qu’elle se structure, qu’elle cesse d’être uniformément répartie, elle constitue de l’information. L’information, c’est la différence entre les niveaux d’organisation de la matière. Et pour ce constituer, ou même pour se maintenir, la matière organisée a un besoin constant d’échanger de l’énergie et de la matière avec son environnement. En fait, à travers ces échanges nécessaires à la matière organisée, s’échange l’entropie. Les systèmes structurés doivent transférer leur entropie vers l’extérieur pour se maintenir et se développer. Ainsi, la terre reçoit du soleil des photons à une entropie plus basse que celle que la terre réémet vers l’espace ce qui permet au système terrestre de conserver son entropie.
En quoi est-ce pertinent en sciences sociales et en histoire en particulier ?
Marx a montré que ce qui structure chaque société, ce sont les articulations entre les moyens de production et les rapports de production. La particularité de l’homme n’est pas d’avoir des outils. Beaucoup d’animaux s’outillent de diverses manières. La particularité de l’homme, c’est la capacité des sociétés humaines à s’adapter à leurs différents environnement de manière sociale et historique là où les autres espèces animales s’adaptaient de manière biologique et écologique, par la sélection naturelle. Ce n’est même pas le cerveau qui est la capacité distinctive de l’espèce humaine, c’est la capacité simultanée à mettre l’information sous forme de langage abstrait et à communiquer, à constituer l’information sur un mode social. Cela permet d’accumuler et de transmettre une quantité d’informations qualitativement plus importante que le mode génétique. Cela a donné à l’espèce humaine des capacités d’adaptation non plus d’elle-même à son environnement, mais aussi de son environnement à ses besoins puisque l’espèce humaine développait une quantité d’information structurée sur un rythme supérieur à celui de son environnement. Et, comme Marx l’a expliqué, l’histoire humaine est ensuite la longue histoire du développement de ce nouveau mode, à travers des stades qui correspondent à une histoire du développement des techniques et des rapports de production.
L’histoire humaine est notamment une longue histoire du développement des techniques utilisées pour extraire l’énergie et la matière nécessaires à la reproduction et au développement de l’espèce.
Mais Marx nous a aussi enseigné que ce processus ne se réalise pas au niveau de l’espèce de manière homogène. Il y deux niveaux intercalés : le premier est que le processus d’extraction et d’accumulation se réalise au sein de sociétés humaines, à la fois autonomes et en concurrence ; le second est que ces sociétés sont divisées en classes sociales. L’évolution conjointe des modes de production et des structures de classe décrit l’évolution historique de l’espèce humaine en une succession complexe de stades de développement. Le stade capitaliste, en cours de développement depuis plusieurs siècles, est lui-même un stade particulier. Marx a beaucoup insisté là dessus. C’est un stade d’accumulation et de développement accéléré, un stade de révolution constante des moyens de productions, de développement des sciences et des techniques. Surtout, pour Marx, c’est le stade qui balaye toutes les formes antérieures de structures sociales (y compris de manière contradictoire ses propres bases sociales, l’état nation et la famille dite “nucléaire”) pour tout ramener au rapport démystifié capital / travail et à ce titre, c’est selon Marx le dernier stade de division de la société en classes sociales.
La révolution informationnelle est une formidable accélération du processus et on perçoit bien aujourd’hui qu’elle mène l’ensemble des sociétés à un changement très fondamental. La révolution informationnelle (cyberrévolution …) change de manière radicalement nouvelle la quantité d’information que les sociétés humaines sont capables de stocker et de transmettre et change donc qualitativement les capacités d’adaptation de l’ensemble du système de reproduction et de développement des formes organisées de la matière. Elle porte en elle un stade majeur de révolution des rapports de production, en particulier la nécessité concrète d’entamer l’abolition des classes sociales, la nécessité d’établir largement de par le monde des sociétés socialistes.
On peut tracer tout un faisceau de conclusions qui montrent que – après les premiers stades et les premières expériences de sociétés socialistes isolées au 20ème siècle – l’évolution des forces productives nous mènent à la nécessité d’un second stade de sociétés socialistes, celui où la majorité des nations entameront librement (ie libérées de l’hégémonie impérialiste) la transition vers le socialisme.
C’est là le point fondamental à mon sens. Je pense que si on ne fait pas le lien entre la révolution technique actuelle (informationnelle, cyber-révolution…) et la question du socialisme comme une actualité concrète des 20 ans à venir pour le monde, on reste au seuil de la situation qui se développe sous nos yeux.
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Franck Marsal
Pour aller un peu plus loin sur l’état des recherches quant à l’articulation de la notion d’entropie et l’évolution du vivant : https://www.di.ens.fr/users/longo/files/ChollatLongo-entropies.pdf