Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Chine et l’Inde ont fait un énorme cadeau à la Russie à Kazan, par Piotr Akopov

Piotr Akopov n’est pas un communiste mais un ferme soutien du président Poutine cependant il a le grand mérite d’avoir les idées claires et l’art de mettre d’une manière très pédagogique les enjeux en les resituant dans leur dimension historique y compris il rend hommage à Primakov, celui qui a sauvé la politique étrangère de la Russie de la débâcle générale en la situant dans la poursuite des alliances de l’URSS et en développant très tôt une mise en garde face à ceux qui entretenaient des illusions sur ce qu’on pouvait attendre des USA et de l’occident. Quand on a vécu ces années de chute de l’URSS en Afrique, en Amérique latine et à Cuba, on ne peut pas ignorer les liens qu’un corps diplomatique russe entretenait sur un mode soviétique avec des dirigeants communistes ou ex-communistes tentant de faire face à ce qui était défini comme les plan d’ajustement structurel. Paradoxalement même des régimes très éloignés du socialisme aujourd’hui dans les BRICS ont vécu ce mouvement en entretenant comme l’Inde et la Russie ou d’autres pays d’Asie centrale la nécessité de lutter pour ne pas être détruit. C’est toute une histoire dont la societe française, y compris à gauche, avec des communistes passés à “l’eurocommunisme” n’ont pas la moindre idée. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://ria.ru/20241024/briks-1979677687.html

Aujourd’hui, le sommet des BRICS à Kazan s’achèvera par une réunion au format élargi, à laquelle participeront 13 pays dont les demandes d’adhésion à l’organisation figurent en tête de l’ordre du jour. D’autres pays expriment le même désir, de sorte que les BRICS connaîtront plusieurs vagues d’expansion dans un avenir prévisible. Il n’y a pas si longtemps, le groupe était composé de « cinq », aujourd’hui de « neuf », mais tout le monde se souvient et comprend quels pays ont été à l’origine du processus : la Russie, la Chine et l’Inde. C’est avec le format RIC que les BRICS ont vu le jour en 2003, et l’idée d’unir les trois grandes puissances eurasiennes a été avancée par Evgueni Primakov en 1998.

À l’époque, l’élite russe ne comprenait pas encore correctement non seulement nos intérêts géopolitiques, mais aussi la place de la Russie dans le monde, mais des hommes d’État à l’esprit stratégique et national comme l’académicien Primakov (qui était alors à la tête du ministère des affaires étrangères) ont compris qu’il était vain de compter sur l’intégration de la Russie post-soviétique à l’Occident, ou même sur un partenariat stratégique avec ce dernier. La Russie devait se concentrer sur l’Orient, à la fois pour des raisons d’intérêts nationaux et pour construire un nouvel ordre mondial post-occidental. La Chine et l’Inde devaient être, avec la Russie, les trois forces capables à la fois de le promouvoir et de consolider le monde non occidental autour d’elles.

Ce concept a toujours été critiqué par nos “occidentalistes” et les géopoliticiens occidentaux, et pas seulement parce qu’il n’était absolument pas dans leur intérêt. Beaucoup pensent que les contradictions entre les trois puissances sont si profondes et diverses que leur rapprochement ne peut être que temporaire et conjoncturel : certes, elles veulent limiter l’influence de l’Occident dans des régions du monde importantes pour elles, voire réduire sa participation à la mondialisation, mais tôt ou tard, elles s’affronteront (y compris dans la lutte pour les sphères d’influence), de sorte que, d’une manière générale, les Anglo-Saxons ne peuvent pas craindre l’émergence d’un front uni de puissances non occidentales dirigé par Moscou, Pékin et Delhi.

La conviction occidentale de l’impossibilité d’une alliance stratégique russo-chinoise a perduré pratiquement jusqu’au début de notre opération en Ukraine – aujourd’hui, on a même oublié que ce concept prévalait parmi les Anglo-Saxons. Bien que la Chine ne soit pas devenue un allié militaire ouvert de la Russie, tout le monde comprend qui est de quel côté des barricades. L’espoir de voir Pékin sacrifier ses relations stratégiques avec la Russie au profit de gains tactiques dans la confrontation croissante avec les États-Unis a franchement échoué.

L’Occident n’a bien sûr pas renoncé à ses tentatives de creuser un fossé entre Moscou et Pékin, mais il le fait désormais dans l’espoir d’une perspective à long terme. En attendant, l’accent est mis sur les contradictions entre Pékin et Delhi, plus riches de potentialités.

En outre, le différend territorial, qui constitue la principale pierre d’achoppement sur la voie du rapprochement sino-indien, est un héritage de l’époque coloniale, de la domination britannique sur l’Inde et des tentatives de Londres de soumettre le Tibet chinois. En d’autres termes, ils ont commencé par poser des mines et tentent à présent de jouer sur les contradictions.

En 1962, ils se sont même livré une guerre, à un moment où les relations d’alliance les plus étroites entre Moscou et Pékin s’étaient déjà fortement détériorées (avant de glisser vers la confrontation), et où la sympathie et les liens entre Moscou et Delhi ne faisaient que s’accroître. Pendant plus de vingt ans, le triangle Moscou-Delhi-Pékin s’est essentiellement divisé en deux camps : la Chine contre l’URSS et l’Inde. Ce n’est qu’au milieu des années 1980 que Pékin a commencé à nouer des liens avec Moscou et Delhi, mais même à cette époque, il n’était pas question d’un format trilatéral : l’URSS s’est rapidement effondrée, à Moscou, le pouvoir était entre les mains de l’élite pro-occidentale et Delhi restait méfiante à l’égard des initiatives chinoises. Par conséquent, un véritable triangle n’a commencé à émerger qu’au début de ce siècle, lorsque les dirigeants des trois pays ont pris conscience de son importance.

Dans le même temps, Pékin et Delhi n’ont pas été en mesure de résoudre leurs différends territoriaux, même si l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 et de Modi en 2014 a permis de placer à la tête des deux pays des dirigeants forts, capables de réflexion stratégique. Ils se rendent compte que les différends et les conflits frontaliers font le jeu des adversaires des deux pays et permettent à l’Occident d’effrayer New Delhi avec l’« expansion chinoise » et de mettre des bâtons dans les roues des BRICS. Xi et Modi ont tenu plusieurs réunions, même dans un format spécial et informel, en se rendant visite l’un à l’autre. Mais la dernière rencontre de ce type a eu lieu à l’automne 2019 dans le sud de l’Inde, et c’est alors que la pandémie a frappé.

Peu de temps après son début, en mai-juin 2020, des affrontements sanglants ont eu lieu entre les armées des deux pays à la frontière de l’Himalaya, après quoi il n’y a plus eu d’échanges de visites. En outre, Xi et Modi ne se sont pas rencontrés une seule fois depuis lors – ils se sont vus à quelques reprises lors de forums internationaux, ont discuté, mais n’ont pas eu d’entretiens formels.

C’est pourquoi il est très significatif que mercredi, en marge du sommet de Kazan, ait eu lieu la première rencontre entre le président chinois et le premier ministre indien depuis cinq ans. La veille, il a été annoncé qu’au cours des dernières semaines, des diplomates et des officiers militaires des deux pays s’étaient entretenus et avaient conclu des accords sur les mécanismes de patrouille frontalière (ou plutôt sur les lignes de contrôle réelles), ce qui signifie que la situation est revenue à ce qu’elle était avant les affrontements d’il y a quatre ans. Il est clair que cette démarche a été entreprise spécifiquement pour permettre des entretiens formels entre Xi et Modi – et un tel accord est déjà en soi une réalisation extrêmement importante.

L’instauration de la confiance entre l’Inde et la Chine est d’une importance capitale pour la Russie et le monde non occidental, d’où l’importance de la rencontre entre Xi et Modi à Kazan. En fin de compte, il faut empêcher les États-Unis d’influencer les relations dans le triangle RIC, ce qui contribuera de manière significative au renforcement des BRICS.

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1 Commentaire

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Conférence de presse de Vladimir Poutine en clôture des journées de Kazan:
    http://siteveillestrategique.blogspot.com/2024/10/brics-2024-conference-de-presse-de.html

    Kazan aura été un immense progrès dans les rapports entre pays. La Russie, loin d’être isolée, a souvent été le lien pour apaiser les différends entre pays. Cela faisait 4 ans que XI et MODI n’avaient pas eu de relations. Ensemble c’est 3 milliards d’habitants. Ils on intérêt à bien vivre dans la paix.
    Les rapports ne sont pas au beau fixe entre le Bresil et le Venezuela, Vladimir Poutine a tout mis en oeuvre pour un rapprochement ente Lulla et Maduro. Le rôle des BRICS n’est pas de mettre de l’huile sur le feu, au contraire.
    Je me répète, mais de telles conférences de presse montrent la différence entre un vrai Chef d’Etat, et un paltoquet au service des USA.

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