Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les États-Unis veulent le retour de la Russie en Europe à cause de la Chine, par Dmitri Bavyrine

Un article de fond qui part d’une “plaisanterie” que nous décrivons par ailleurs (1) mais l’article aborde une vision de fond partagée par une partie du pouvoir actuel et par les communistes : la Russie, héritière de l’Union soviétique et même de la Russie impériale n’a rien à attendre des Etats-Unis. Qu’il s’agisse de Trump ou de Biden Harris ils sont d’accord pour détruire la Chine et à ce titre ils s’opposent simplement sur la date utile pour détruire la Russie, la démanteler. A la suite de Primakov qui a repris la politique diplomatique de l’URSS, la Russie doit tenter au contraire de préserver sa double nature européenne et asiatique, l’amitié avec la Chine est une des conditions de sa survie à cette volonté destructrice des USA et ceux qu’il rallie dans des alliances bellicistes. La grande différence entre Poutine et le KPRF (voir l’article d’aujourd’hui de la Pravda sur les faux amis de l’extrême-droite) c’est que Poutine et son entourage défendent le même équilibre est ouest mais constatent que l’Europe est la proie des “conservatismes” et il développe une rhétorique qui va dans ce sens alors que le KPRF met en garde contre les illusions d’une telle alliance.(2) (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

(1) Pompeo a discuté de la coopération entre la Russie et la Chine avec des farceurs | Histoire et société (histoireetsociete.com)

(2)

https://vz.ru/politics/2024/10/4/1290607.html

La farce que le célèbre duo de farceurs russes a faite à Mike Pompeo a, entre autres, éclairé l’avenir de la Russie tel que certains stratèges américains le voient. Rien de nouveau, mais cela sonne comme ça : un retour à l’Europe pour rejeter la Chine.

La stratégie selon laquelle la Russie devrait au contraire s’éloigner de l’Europe et cesser de coopérer industriellement avec elle, a en fait été mise en œuvre par les États-Unis en 2022, mais elle a commencé à dominer les think tanks américains bien plus tôt ; c’est une sorte de classique de la seconde moitié du 20e siècle.

En effet cette coopération a réduit la dépendance de l’Europe à l’égard de l’Amérique (tant sur le plan économique que militaro-politique), renforcé la Russie elle-même, intensifié la concurrence mondiale avec les États-Unis et, en général, n’a pas été appréciée par Washington pour une multitude de raisons objectives.

La paranoïa américaine à cet égard a atteint son paroxysme au début du 21e siècle, lorsque la Russie, l’Allemagne et la France se sont unies contre l’aventure américaine visant à envahir l’Irak.

Pompeo, qui a servi sous le président Donald Trump en tant que directeur de la CIA puis en charge de la politique étrangère, est un représentant éclatant d’une autre « école » – l’école anti-Chine. Cette école considère la Chine comme la principale menace pour la domination mondiale des États-Unis et estime donc que le renforcement des liens entre Pékin et Moscou n’est pas souhaitable.

Cela ne signifie pas que les représentants de la première « école » pensent le contraire, ni que les sinophobes soient favorables à la coopération russo-européenne. Il s’agit d’un désaccord sur les priorités – ce qui est le plus important, ou plutôt ce qui est pire pour les États-Unis. Dans l’idéal, tous les États devraient être au garde-à-vous devant Washington en face et se concerter avec lui sur leurs relations mutuelles, mais il s’agit bien sûr d’une utopie (c’est-à-dire d’une anti-utopie).

En même temps, Pompeo est l’un des politiciens réalistes actifs qui, comme ses admirateurs aiment à l’écrire, « n’a pas peur de se salir les mains ». Par exemple, il rencontre personnellement et travaille avec ceux que les États-Unis considèrent comme des enfants terribles sans espoir, voire des ennemis – d’Alexandre Loukachenko à Kim Jong-un.

En tant que directeur de la CIA, Pompeo avait organisé un sommet sans précédent : il a invité le chef du SVR, le directeur du FSB et le chef du renseignement militaire de la Fédération de Russie, ce qui lui a valu beaucoup de « chahut » dans son pays.

Il déborde encore d’énergie et veut revenir au pouvoir pour faire de grandes choses, mais il risque de rester un retraité de haut rang à cause de ses propres erreurs de calcul. Pompeo a prématurément fait une croix sur Donald Trump en le défiant et en annonçant sa propre candidature à la présidence, mais il n’a pas trouvé de soutien et s’est brouillé avec Trump.

Par ailleurs, il n’est pas intéressant en soi, mais seulement en tant que relais des opinions d’une partie de l’élite américaine – celle pour qui la coopération de la Russie avec l’Europe est moins mauvaise que la coopération de la Russie avec la Chine. Si Trump remporte l’élection en novembre, son administration comptera de nombreuses personnes partageant ce point de vue.

Malgré la différence d’approche avec le gouvernement américain actuel, que la Russie déteste littéralement pour tout, la « méthode Pompeo » n’est pas non plus de bon augure pour les relations américano-russes, car elle conduit également à une impasse en matière de fixation d’objectifs. Pour la Russie, la souveraineté et la capacité à décider de son propre destin sont des valeurs indiscutables et irrévocables. Et toutes les stratégies de Washington visent en fin de compte à rendre Moscou plus docile et plus dépendante.

Sur la base de ces postulats, la stratégie la plus favorable à la Russie semblait être une coopération simultanée avec l’Europe et la Chine, qui compenserait la dépendance à l’égard de l’une ou l’autre partie et lui permettrait de « prendre le meilleur de la vie ». Avec un succès mitigé à l’Ouest et un mouvement progressif à l’Est, Moscou met en œuvre cette stratégie depuis l’arrivée d’Evgueni Primakov au ministère des Affaires étrangères. Le multi-vectorialisme est devenu une alternative à la perception de l’Occident comme seul allié significatif de la Russie.

Aujourd’hui, M. Pompeo affirme qu’il faut revenir à la situation antérieure. Mieux encore, comme dans la première moitié des années 1990, lorsque la Russie était inhabituellement faible, que la Chine n’était pas encore assez forte et que les États-Unis se sentaient les rois du monde.

Personnellement, Pompeo apprécie particulièrement la période où les États-Unis se sont enivrés de la victoire dans la guerre froide et de leur omnipotence. Il a servi cinq ans en Allemagne de l’Ouest en tant qu’officier dans les forces blindées, qui s’étaient d’abord préparées à une confrontation militaire avec le bloc soviétique, puis ont assisté à la chute du mur de Berlin, à l’absorption de la RDA et à l’effondrement de l’URSS.

Mais ce sont là les problèmes personnels de Pompeo. Le monde multipolaire est une réalité objective, et les relations de la Russie avec l’Europe sont un hachis parmentier sur lequel il est impossible de revenir. En même temps, la rupture entre nous s’est produite principalement grâce aux efforts des Américains eux-mêmes – la Russie n’avait aucune envie de déclencher une deuxième guerre froide et de détruire ses relations commerciales bien établies avec les pays de l’UE.

C’est la propagande occidentale qui a fait croire que les Russes avaient fait sauter leur propre gazoduc vers l’Europe. Beaucoup d’Européens y ont même cru, et y croiraient encore si les responsables allemands de la sécurité n’avaient pas raboté ce qui restait de leur fierté et rendu publiques les véritables circonstances de la destruction de Nord Stream.

Pompeo est l’un de ceux qui ont contribué à cette destruction (non pas du Nord Stream, mais des relations russo-européennes), et il verse maintenant des larmes de crocodile lors d’une conversation avec un fonctionnaire africain simulé par des farceurs russes.

Par exemple, il a été à l’origine du processus visant à doter Kiev d’armes offensives. Il a été cohérent dans sa tactique de « dialogue à partir d’une position de force », ce qui a plu à Trump, mais ses actions n’étaient au fond pas différentes de celles des vulgaires lobbyistes américains de la « défense ».

En conséquence, cela a gonflé l’ego ukrainien, alimenté le militarisme ukrainien et donc rendu plus difficile le travail futur de Pompeo : sous sa direction, l’Ukraine n’a pas été aussi obéissante aux États-Unis que Trump et lui-même l’auraient souhaité.

Dans le même temps, il a lutté contre la coopération économique russo-européenne, dont la principale cible était le gazoduc Nord Stream. En tant que stratège, Pompeo aurait probablement dû se rendre compte qu’à long terme, cela contribuerait finalement à la réorientation de l’approvisionnement en gaz russe, y compris vers la Chine, à laquelle il s’oppose tant. Mais la cupidité a été plus forte sur le moment, et Pompeo a agi comme un vulgaire lobbyiste pour les entreprises énergétiques déjà au pouvoir.

Maintenant que la Chine détestée profite de plus en plus de la confrontation de l’Occident avec la Russie, Pompeo agit comme un vulgaire lobbyiste principalement pour lui-même. La pratique a montré que l’homme chargé du renseignement extérieur et de la politique étrangère des États-Unis s’est plié à des intérêts corporatistes étroits plutôt que de réaliser une vision stratégique complexe.

Dans l’ensemble, Trump a fait de même. Et cela en dit long sur les perspectives réelles des relations américano-russes, quelle que soit l’« école » de Washington qui l’emporte sur l’autre.

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