Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’OTAN prépare une offre inacceptable pour la Russie, par Dmitri Bavyrine

Nous devons être convaincus qu’il existe au plan international une véritable pensée stratégique qui fait cruellement défaut aux “démocraties” occidentales qui dans leur avidité de profit et de pouvoir absolu avancent de tactiques en tactiques électorales pour maintenir des représentants décriés et corrompus, même s’ils ne sont pas totalement vénaux, d’expéditions terroristes en escalade et en élargissement du front permanent. Les tactiques sans stratégies sont le plus court chemin vers la défaite dit-on. Après la contrerévolution libérale et le démantèlement de l’URSS, le socialisme paraissait ne plus avoir ni stratégie, ni tactique, un spontanéisme et un individualisme ultime vertu… Puis est revenue une vision stratégique, celle de nouveaux rapports sud-sud et désormais il y a un retour à la stratégie avec l’expérimentation de tactiques correspondant au terrain tel qu’il est. Nous avons ici grâce à la traduction de Marianne un des témoignages de ce renouveau à propos de l’OTAN. Il mériterait dans le cadre des textes que nous publions désormais une réflexion collective qui ne soit plus ce sautillement permanent, cette courte vue, ce ressentiment sans perspective dans lequel nous sommes enfermés depuis tant d’années. Il existe l’amorce d’une telle exigence et elle doit être défendue, encouragée contre tout ce qui nous tire en arrière, le fruit d’une défaite en forme de trahison, que les Russes sont en train de dépasser parce qu’ils ont le courage de l’affronter dans une perspective d’avenir et un combat. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/politics/2024/10/2/1290213.html

Pour son premier jour dans ses nouvelles fonctions, le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a soutenu avec passion l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance de l’Atlantique Nord et a demandé que Kiev soit autorisé à lancer des frappes de missiles en profondeur sur le territoire russe. Apparemment, pendant ses vacances (la période qui s’est écoulée entre le moment où il a quitté le poste de premier ministre des Pays-Bas et celui où il s’est installé à Bruxelles), ce brave homme s’est bien reposé et, plein d’énergie, il est prêt à déclencher la troisième guerre mondiale, c’est-à-dire la première guerre nucléaire.

Rutte a ainsi démontré qu’il ne valait pas mieux que son prédécesseur, Jens Stoltenberg. Ce dernier, à la veille de sa démission, a même suggéré que l’Ukraine pourrait être admise dans l’OTAN sans avoir à rendre à Kiev le contrôle des territoires perdus. Il pense également qu’une invitation à l’alliance pourrait être un outil pour mettre fin au conflit.

Cette déclaration semble insensée : le conflit a commencé précisément parce que l’Ukraine a été entraînée dans l’OTAN, ce qui est un scénario absolument inacceptable pour la Russie. Cependant, il y a une logique jésuite dans les propos des secrétaires généraux, qui nous permet de prédire les actions futures de nos ennemis.

On sait que le 12 octobre se tiendra en RFA une réunion des principaux alliés de l’Ukraine, à laquelle participeront les dirigeants des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la France, ainsi que Vladimir Zelensky. Il tentera de persuader à nouveau le président américain Joe Biden d’accorder la fameuse « autorisation de frappe », bien qu’il soit inutile de persuader M. Biden avant les élections américaines.

Au lieu d’armes « à longue distance », comme le prévoient les sources du Financial Times, Joe Biden et le chancelier allemand Olaf Scholz céderont d’une autre manière – ils lèveront leur veto tacite à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et donneront à Zelensky un bout de papier, comme avait coutume de dire le professeur Preobrazhensky [personne de la nouvelle de Boulgakov, Un cœur de chien, NdT], qui réglera tout. Un talisman.

Dans le même temps, il est hors de question que Kiev devienne membre à part entière de l’alliance avant la cessation des hostilités : cela a été confirmé récemment par toutes les personnes citées ou presque (à l’exception de Zelensky). En d’autres termes, cette adhésion est un événement reporté, mais en même temps un moyen de mettre fin au conflit (selon Stoltenberg).

Apparemment, Biden et ses collègues veulent répéter le scénario de 1956, lorsque l’Allemagne de l’Ouest a été admise dans l’alliance. À l’époque, la RFA ne reconnaissait pas la légitimité de l’existence de la RDA (et vice versa) ; elle considérait les terres allemandes de l’Est comme les siennes et ne voulait pas y renoncer, même pour adhérer à l’OTAN. La situation est la même aujourd’hui avec les autorités ukrainiennes.

C’est pourquoi l’Allemagne de l’Ouest a été admise au sein de l’OTAN d’une manière particulière, à condition que l’alliance ne prenne sous sa protection que le territoire contrôlé de la RFA, et non le territoire déclaré. En d’autres termes, l’OTAN considérait que la RDA faisait partie de la RFA, mais le principe de la défense collective ne s’appliquait pas à la RDA.

Aujourd’hui, la « RDA » ce sont les territoires russes que l’Ukraine considère comme siens, y compris la Crimée.

En rejoignant l’alliance, les autorités ukrainiennes auront la garantie de défense que des territoires qu’elles contrôlent effectivement. Et si les troupes russes franchissent la ligne que l’OTAN définit comme le début de sa zone de contrôle, cela signifiera le début d’un conflit militaire entre la Russie et l’OTAN.

Mais, comme il est rappelé dans les termes du projet, pour que l’Ukraine rejoigne l’OTAN, il faut d’abord arrêter les hostilités – précisément parce que l’Occident ne veut pas faire la guerre directement à la Russie et qu’il craint en fait la Troisième Guerre mondiale. En d’autres termes, Moscou doit accepter de « geler » le conflit sans que les autorités ukrainiennes et les pays occidentaux ne reconnaissent officiellement les nouvelles frontières de la Russie.

La raison pour laquelle la Russie, de l’avis des membres de l’OTAN, peut accepter une telle chose est l’élément le plus intéressant du schéma, car le plus mystérieux. Il y aura peut-être une « carotte », un relâchement de la pression économique et politique. En cas de refus, il y aura certainement un « bâton », qui pourrait être l’autorisation même des « armes à longue portée » et des livraisons massives de missiles pour le « combat à longue portée ».

Le chancelier Scholz a été choisi comme messager pour transmettre les termes de l’accord à Moscou. Comme l’ont appris les médias allemands, il est prévu qu’il ait une conversation téléphonique avec le président russe Vladimir Poutine en novembre, ce qui ne s’est pas produit depuis deux ans.

Cette conversation devrait avoir lieu à la veille du sommet du G20 au Brésil, où M. Poutine et M. Scholz ont tous deux été invités. L’Occident souhaite probablement obtenir le soutien des pays du G20 qui sont restés neutres jusqu’à présent (l’Inde et l’Arabie saoudite, par exemple) afin de faire pression sur Moscou en leur nom également.

Il n’est pas exclu que la Russie se voie proposer de ne se satisfaire que de l’engagement de Kiev à ne pas rendre ce qu’elle a perdu militairement. En pratique, cela signifie que les autorités de ce qui reste de l’Ukraine et leurs alliés de l’OTAN attendront que l’histoire leur ouvre une « fenêtre d’opportunité ».

Comme celle qui s’est ouverte sous Mikhaïl Gorbatchev et qui a permis à la RFA d’absorber la RDA et aux pays baltes de se séparer de l’URSS.

Cependant, le principal problème d’un tel scénario pour la Russie ne réside pas dans les risques d’un avenir lointain. Il réside dans le fait que les anciens « honorables partenaires » – les dirigeants actuels des « États inamicaux » – font toujours semblant d’être sourds et refusent d’entendre l’essentiel de ce que la Russie essaie de dire.

La raison fondamentale de tout ce qui est arrivé à l’Ukraine au cours des trois dernières années est la tentative de l’entraîner dans l’OTAN. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait eu pas besoin de l’Opération militaire spéciale. Le refus de Kiev de rejoindre l’alliance est la principale condition de la Russie et la base des accords dits d’Istanbul, qui étaient censés mettre fin au conflit au printemps 2022. Si le conflit a duré jusqu’à présent, c’est en grande partie parce que cette condition n’a pas été acceptée.

Par conséquent, l’accord préparé par l’Occident n’a aucun sens. Pour la Russie, la question d’un hypothétique marchandage est que l’Ukraine pourrait obtenir quelques concessions en échange du renoncement à l’OTAN. Et non pas que la Russie obtienne des concessions pour ne pas s’opposer à l’absorption de l’Ukraine dans l’alliance.

Que ce soit d’un seul bloc ou par morceaux, cadavre refroidi ou momie empaillée, l’Ukraine au sein de l’OTAN est inacceptable, et c’est tout. Et pourquoi, cela a été expliqué des centaines de fois.

L’Occident s’est toujours opposé à la Russie en disant que l’Ukraine, en tant qu’État souverain, est libre de choisir son propre destin en matière de politique étrangère ; c’est la norme du droit international. Toutefois, outre les normes du droit international, il existe également le concept de bon sens. Le bon sens veut que l’on ne crée pas de menaces existentielles pour la sécurité des grandes puissances, parce qu’elles n’accepteront de toute façon pas de telles menaces et que les conséquences de leur élimination coûteront cher à tout le monde.

Pour la Russie, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est un exemple de menace existentielle. Pour les États-Unis, une telle menace était le déploiement de missiles nucléaires soviétiques à Cuba – ce qu’on appelle la crise des missiles, lorsque le monde a été le plus proche de la troisième guerre mondiale et de la première guerre nucléaire, parce que Washington était prêt à frapper l’URSS en premier, juste pour éviter de mettre les États-Unis en danger à cause de Cuba.

Selon le droit international, les États-Unis ne pouvaient pas frapper l’URSS, surtout au prix d’une apocalypse nucléaire, car l’URSS répondrait sans aucun doute. Au contraire, Moscou avait tout à fait le droit de placer des missiles nucléaires à Cuba, car il n’existait aucun traité restrictif à cet égard à l’époque, et Fidel Castro lui-même a prié Nikita Khrouchtchev de couvrir l’île de la Liberté de missiles soviétiques.

Malgré cela, aucune historiographie officielle ne considère la crise des missiles de Cuba comme un acte abusif de la part de Washington, conduisant la planète au bord du gouffre par de caprices et sa paranoïa. Même en URSS, la crise a été déclarée par le parti au pouvoir comme l’une des raisons de la destitution de Nikita Khrouchtchev, qui a été accusé non pas d’avoir reculé par peur de la guerre, mais de s’y être engagé en premier lieu et d’avoir provoqué les Américains.

Malgré l’antagonisme idéologique et la peur sincère de l’autre, Moscou et Washington ont compris à cette époque qu’il ne fallait pas pénétrer dans la zone vitale de l’ennemi, sous peine d’avoir des ennuis. Moscou le comprend toujours, mais Washington ne le comprend plus. Ils élaborent des « plans de paix » sans se rendre compte des raisons de la guerre.

Ce n’est pas bon. C’est même très mauvais. Il faut se reprendre.

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1 Commentaire

  • Taliondachille
    Taliondachille

    Oublierait-on que les missiles de Cuba avaient été placés en réponse aux missiles yankees installés en Turquie ?

    Répondre

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